Aöny Solitaire - Chapitre 10

Auteur : Ratchet_Dadou

Date:
Comments: 0 commentaire
Views: 0 vue

Nous étions en train de suivre la rivière – j’espérais, comme Siny l’avait dit, vers le Nord –.

En racontant mon histoire, je tournais très souvent la tête, craignant que l’« Équipe Incassable » – là encore, je ne m’inquiétais presque pas – ou que les gardes de Rivebois ne nous eussent trouvés. À chacun de mes gestes nerveux, les visages de Siny et de Volco paraissaient se dire : « Mais qu’est-ce qu’elle a ? », mais ils étaient de moins en moins étonnés au fur et à mesure que mon récit avançait.

Lorsque j’eus fini de raconter, sentant à nouveau une grande tristesse s’emparer de moi, je vis Siny hocher de la tête.

-On est désolé d’avoir voulu t’arrêter, Aöny, s’excusa-t-il, l’air très sincère.

Mais Volco, lui, n’avait pas l’air désolé. Il se mit debout – sur ses pattes arrière – sur l’épaule du garçon, s’appuyant de sa patte avant droite sur sa tête pour ne pas tomber, car nous étions en train de marcher, et me lança, aucun ton de tristesse ni de regret dans la voix :

-Eh bah ça, alors ! Je pensais que de telles choses n’arriveraient jamais à une fille !

-Si c’est si impossible, rétorquai-je immédiatement, contente de pouvoir m’amuser un peu, comment expliques-tu qu’une bête comme toi puisse parler ?

Siny me regarda alors d’un air étonné et satisfait à la fois, comme si jamais personne n’avait répondu de la sorte à son animal.

-Tu as déjà vu des sorcières, des reptiles-humains, des gros vers de terre et des sombres crétins, reprit le renard bleu. Et voir un renard parler, ça t’étonne ?

« C’est vrai » me dis-je.

Je ne savais pas comment expliquer mon grand étonnement face au don de la parole de Volco alors que plus rien ne devrait me paraître incroyable après tout ce que j’avais vécu. Je voulais changer de sujet. Je demandai à Siny :

-On avait un marché. Quelle est ton histoire, à toi ?

-Ah, on ne sait plus quoi répondre, hein ? Insista le renard bleu en souriant malicieusement.

Je décidai de ne pas l’écouter, pour le moment. Le jeune garçon le désigna du regard – sans bouger la tête par peur de le faire tomber – en me disant :

-C’est son caractère. Ne fais pas attention à lui.

-Non, continua son compagnon, car, malin comme je suis, mes adversaires de discussion n’ont jamais plus de répondant. Je suis très fort.

Je le regardai, puis baissai les yeux en faisant non de la tête et en souriant. Ce personnage survolté commençait à me plaire. Puis je relevai le regard vers Siny lorsqu’il commença son récit.

-Je suis un arka bleuté, mais j’ai toujours vécu à Rivebois. J’ai été adopté à l’âge de deux ans.

-Par qui ? Demandai-je.

-Je pense que je peux te le dire. Tu nous as bien raconté pour Dave, toi.

Je ressentis beaucoup de peine en entendant le nom de mon ami défunt. Je voulais sire à Siny de ne plus parler que très rarement de lui, mais je ne souhaitais pas l’interrompre pour le moment.

-Cet humain s’appelle Jean Grancerf. Il m’a élevé avec le risque de se faire bannir. Heureusement, il a réussi à convaincre le village que je suis un humain, et que ma peau, si elle est quelques fois bleutée, est due au reste d’une maladie que j’avais attrapée petit.

-Comment Jean t’a-t-il trouvé ?

-Tu appelles les gens par leur prénom ? Me dit le garçon en me regardant avec un petit sourire.

-Ben, oui, fis-je, un ton d’indifférence dans la voix. Simple petite habitude.

-Ah oui ? C’est sympa. Je n’y ai jamais pensé. Il faudrait que je le fasse aussi un jour. Enfin, bref. Selon Jean,…

Il fit un petit rire, pensant sûrement à ma « petite habitude », puis poursuivit :

-Selon Jean, il m’a trouvé seul dans la forêt de Rivebois. Apparemment, j’étais abandonné et sans défense. Il m’a adopté, et j’ai passé ma vie à Rivebois. Je jouais à la guerre, je me faisais des copains, je faisais des farces, la vie de tous les gamins, quoi ! Et puis, quand j’avais huit ans,…

-Sept ! Le corrigea Volco. Tu ne sais toujours pas mieux compter ! Tu ne sais pas que treize moins six, ça fait sept ?

J’appris donc l’âge de Siny : treize ans. Cela me fit penser que je ne savais plus le mien à cause de mon amnésie, sinon qu’il était proche du sien. Le jeune garçon tourna la tête vers le renard bleu, sans se préoccuper de le faire tomber, en maugréant :

-La ferme, Volco !

Puis il reprit plus calmement :

-Bon, enfin il y a six ans. J’ai trouvé un petit renardeau bleu couché sur l’herbe. Il avait les yeux fermés et peu de fourrure. Il était très jeune. Je le…

-C’est moi ! L’interrompit Volco en se frappant fièrement plusieurs fois la poitrine de sa patte avant gauche pour se désigner.

L’arka bleuté soupira, puis continua :

-Je le trouvais malheureux, alors je l’ai ramené chez moi. Au début, mon père n’était pas d’accord de le garder, mais j’ai pu le convaincre. On l’a appelé Volco, je ne sais plus pourquoi. Quand il a appris à marcher, il courait partout, cassait les choses et faisait pipi sur tous les meubles.

Je me mis à rire.

-Et – c’est incroyable, je sais – un jour, il a réussi à se tenir debout comme nous, puis à marcher er à courir dans cette position, et enfin à parler, rien qu’en nous imitant ! C’est incroyable !

J’ouvris de grands yeux. Je n’arrivais pas à y croire. Siny me faisait-il marcher ?

-Impossible ! Laissai-je échapper.

-Trop fort, hein ? Fit le petit renard, souriant et croisant les pattes, s’appuyant sur la tête du garçon, depuis qu’on parlait de lui.

-Au début, quand il était enfant, il faisait des centaines de bêtises, mais il était gentil. Et maintenant, il fait des commentaires toutes les deux secondes.

-Il est adulte ? Demandai-je.

-Non, pas encore. C’est un adolescent. Donc, il est devenu mon ami. Nous avons toujours vécu ainsi, mais au fond de moi je ne me sentais pas à ma place. J’ai toujours rêvé de découvrir mes origines.

-Et toi Volco, tu voudrais retrouver les tiens ?

La réponse me surprit.

-Pfff ! Fit-il sans décroiser les pattes avant, affichant une mine comme si j’étais stupide. Je n’ai pas d’espèce comme vous autres, moi !

-Mais quand-même, dis-je, étonnée, c’est impossible. Tu dois sans doute…

-Je suis UNIQUE ! Haussa-t-il comme s’il était agacé.

Je décidai, une fois de plus, de changer de sujet. Décidément, il était imbattable, ce petit renard, et perdre contre lui commençait à m’énerver. Je me tournais à nouveau vers Siny.

-Et alors, si tu cherches ta véritable famille, c’est pour ça que tu m’as demandé si tu pouvais voyager avec moi.

-Indiscutablement ! Me lança Volco comme si j’avais découvert quelque chose que tout le monde savait déjà.

-Heu, oui, fit le jeune garçon pour me répondre.

-Je vais à Avariny. Viens avec moi. Si cette ville multiple est habitée par neuf espèces, il pourrait y avoir la tienne. Et la mienne, si c’est possible.

Les derniers mots que j’avais prononcés avaient tristement baissé. Je me remis à penser à ma race et à mes origines. Qui suis-je ? D’où viens-je ? Pour l’instant, je n’étais qu’un nom, rien de plus : Aöny Solitaire. J’étais désormais attristée. Les miens avaient-ils vraiment été massacrés par Yrisha ? Le garde avait-il dit la vérité ?

Puis, sans savoir comment elle me vint, j’eus une question à propos de la vie de Siny dans la tête. Si l’habitant d’une ville isolée accueillait une autre personne d’une autre espèce chez lui, il était considéré comme traître. Mais si on adoptait un enfant abandonné, n’y aurait-il pas une exception ?

Je relevai soudain la tête, qui était baissée pendant tout le temps de mes songes, regardai le visage de Siny et lui demandai :

-Toi, tu t’es fait passer pour un humain à Rivebois. Mais si ce n’était pas le cas, Jean se ferait-il passer pour un traître ?

Volco s’esclaffa.

-Stupide question ! Commenta-t-il.

-Je suis amnésique, je te rappelle, lançai-je au renard bleu en souriant, entrée dans son jeu.

-Et pan ! Fit Siny en souriant, l’air content que quelqu’un lui répondît enfin comme il fallait.

Puis il me répondit plus gravement, cessant de sourir :

-Hommes, femmes, enfants, riches, pauvres, affamés, fatigués, blessés,… Cette loi est cruelle, mais les villes isolées ne font pas d’exception.

Je tressaillis légèrement et mon cœur se resserra. Mais pourquoi se comportaient-ils ainsi ? Abandonner un petit enfant épuisé et affamé ! Quelle honte ! Je sentis la colère contre eux monter en moi. À leur place, je préfèrerais mille fois être bannie plutôt que d’obéir à cette loi ridicule.



Soudain j’entendis des bruits de pas. C’étaient des gens qui couraient vers moi et auxquels je tournais le dos. Je commençai à m’inquiéter en pensant aux gardes de Rivebois, mais me mis à sourir d’un air malin en pensant les reconnaître. Je murmurai juste assez haut pour que seuls Siny et Volco m’entendissent :

-Je crois reconnaître ce bruit.

Ces derniers attendaient là, l’air de se demander de quoi je parlais. Puis, quand, quand le bruit fut assez proche de moi, je sortis mon pisto-laser de ma ceinture, me retournai rapidement et pointai mon arme vers les nouveaux-venus.

-Ah, vous revoilà ! Leur lançais-je pour le moins du monde étonnée. Alors, comment ça va depuis la dernière fois qu’on s’est vu ?



Commentaires (0)