La Scarlett Capsule - Chapitre 4

Il y a bien longtemps, bien avant le temps des premières Colonies, Fa et Prétoriens se faisaient la guerre. Les Fa, pilleurs nomades, se déplaçaient encore à travers Fastoon à dos de miurs, leurs superbes montures à plumes. Les pauvres âmes qui tombaient entre leurs griffes ne pouvaient s’en remettre qu’à la Déesse Falula, la Lombax aux deux visages et divinité vénérée par les Fa eux-mêmes. Un jour d’hiver, leur souverain, Uuri, surnommé « Neige sanglante » à cause de son pelage blanc et de sa cruauté pensa avoir une révélation et attaqua les Prétoriens. Cela n’était que pure bêtise. Les Prétoriens et leur technologie n’eurent aucun mal à les repousser. Excédé, il envoya les adolescents au front en espérant que cela changerait la donne mais le résultat fut le même. Son épouse, Médeïa, grande Prêtresse, voix de la Déesse sur cette terre tenta de l’arrêter mais il fit fi de ses complaintes. Un soir, alors qu’il était saoul comme un porc, il avoua à sa femme qu’il comptait envoyer les enfants maintenant qu’il n’y avait plus d’hommes en âge de combattre. Le Lombax au regard à la fois rubis et saphir lui demanda de demander à Falula si cela en valait la peine. Depuis quelques semaines les seuls mots que celle-ci lui adressait étaient « la neige doit fondre ». Il interprétait cette litanie comme étant le signe que la victoire était proche mais Médeïa n’avait nul besoin d’interroger la Déesse pour savoir que cette phrase signifiait la chute d’Uuri ou pire, celle de leur peuple tout entier.

-Je t’en prie, mon amour, ne fais pas cela !

Cette sublime créature au pelage doré comme le sable se jeta aux pieds de son époux. Il lui jeta un malheureux regard froid.

-Femme, ils iront au front et s’ils doivent rejoindre notre Déesse, ils iront.

La jeune blonde tordit le tissu de la jupe d’Uuri de ses doigts menus.

-Je t’en prie, lâcha-t-elle, en hoquetant. Je t’en prie mon roi… reconsidère ton choix… pour Iaaron. Il n’a que sept saisons ! C’est un enfant ! Ce sont tous des enfants !

Il lui donna un coup de pied pour la dégager.

-Iaaron est le fils d’un roi et en tant que tel, il survivra.

-Dans ce cas, tu es le roi, tu devrais y aller à sa place, lâche !

La témérité qui avait poussé Médeïa à se rebeller quitta instantanément son corps et cette dernière mit ses mains devant sa bouche, tremblotante, tandis que le visage d’Uuri passa de la surprise à une grimace affreuse. Il l’attrapa par l’oreille et les coups commencèrent à pleuvoir sur son pauvre corps. Il ne s’arrêta que lorsqu’il l’entendit pleurer. Bien que cruel, il « aimait » sa femme et l’entendre dans cet état-là lui brisait le cœur même s’il savait pertinemment qu’il était en tort. Il la prit dans ses bras et la ramena à sa tente. Ensuite, il l’allongea dans son lit et vint s’assoir à ses côtés avant de lui caresser la joue alors qu’elle pleurait toutes les larmes de son corps.

-Ecoute, je sais que tu t’inquiètes pour notre fils mais la Déesse prendra soin de lui et il tirera les bonnes leçons de cette expérience.

Uuri soupira.

-Je vais faire changer mes ordres, les enfants partiront dans une semaine. Maintenant repose-toi bien, Médeïa. Je t’aime plus que tout au monde, prêtresse.

Uuri embrassa le front de son épouse et sortit de la tente. Médeïa se releva. Elle ne pleurait plus, mieux, elle arborait un étrange sourire. À partir de ce moment-là, elle ne pensait qu’à une seule chose : se venger. Et la future première reine mère savait exactement comment elle allait arrêter cette folie. La Lombax au pelage blond s’installa devant sa coiffeuse et entreprit de détacher ses cheveux, précédemment attachés en un chignon décoiffé par la violence de « l’homme de sa vie ». Elle retira un à un les bijoux qui retenait son époustouflante chevelure et retourna se coucher. Plus tard dans la nuit, Uuri revint pour coucher avec elle. Médeïa en profita pour jouer le jeu et faire semblant que tout était comme d’habitude. Elle alla même jusqu’à lui susurrer des mots d’amour pour tromper sa vigilance.

Le lendemain matin, comme lui avait demandé le roi, Médeïa et ses servantes se dirigèrent vers le cours d’eau le plus proche afin de faire leurs ablutions et obtenir la litanie de Falula. Amaari, le bras droit de la reine remarqua que quelque chose avait changé dans son regard.

-Ma reine, tu as l’air troublée.

-Je le suis, ma chère amie, je le suis. Cela fait depuis quelques semaines que la Déesse m’envoie chaque semaine le même message et la nuit dernière, j’ai enfin compris que cela signifiait. Mes sœurs, puis-je vous faire confiance ?

Les dix servantes de la reine acquiescèrent de concert.

-Nos vies sont entre tes mains, ma reine, répondirent-elles d’une seule voix.

-Bien. Uuri désire envoyer nos enfants à la guerre.

La surprise et l’horreur se firent rapidement entendre tandis que la prêtresse resta de marbre.

-Mais ne vous en faites pas, mes sœurs, la Déesse a la solution pour arrêter cette folie.

Amaari se jeta aux pieds de sa reine.

-Laquelle, ma reine, laquelle, demanda-t-elle, plaintive.

-Nous allons tuer le roi et demander pardon à ceux que nous avons offensés.

Toutes les femmes exprimèrent leurs interrogations. Tuer le roi ? Pourquoi ? Dans quel but ? Est-ce que cela serait possible ? Tant de questions auxquelles Médeïa avait une réponse.

-Nous allons éliminer Uuri et je règlerai tout le mal que les hommes ont fait à cette planète. Evidemment, j’aurai besoin de votre aide, mes sœurs car il est évident que dans mon état, un coup d’état me serait impossible à réaliser seule, malheureusement.

Ziana, la plus jeune des servantes de Médeïa s’avança et toucha le ventre rond de sa maitresse.

-Bien sûr que nous t’aiderons. Nous sommes sœurs. Mais tout d’abord explique-nous comment tu comptes t’y prendre ?

La reine acquiesça.

-Nous allons mentir à Uuri en lui donnant une fausse prophétie afin de le mettre en confiance puis je lui trancherai la gorge à ce tyru (une sorte de porc). Ensuite nous éliminerons tous les hommes qui réfuteront notre autorité.

-Mais comment allons-nous faire pour avoir des enfants si nous tuons tous les hommes, demanda Siu, la sœur cadette de la reine.

Médeïa balaya cette remarque du revers de la main.

-Nous unifierons les autres tribus qui ont refusé l’autorité d’Uuri. Après tout, j’aurais dû monter sur le trône à sa place… cela n’est que justice. Une fois le pouvoir à notre portée, nous irons implorer le pardon de ceux que nous avons envahis puis nous irons rejoindre le temple de la Déesse.

-Dans la jungle, es-tu folle ?!

La prêtresse fit un regard noir à l’impertinente qui l’avait coupée dans ses explications.

-Silence, ma sœur, je suis ta reine, ne l’oublie pas. La jungle sacrée est l’endroit le plus sûr pour nous en cas de représailles des Prétoriens. Nous bâtirons une cité et nous étendrons notre savoir aux autres Fa. Etes-vous de mon côté ou non ?

-Ton plan est fou, ma reine, soupira Amaari mais je préfère encore ce plan plutôt que de perdre mon dernier fils dans une guerre que je n’ai pas voulue.

Les autres opinèrent du chef et c’est ainsi que Médeïa avait constitué son plan et son entourage.

Durant les trois jours qui suivirent, Médeïa se fit aussi douce que le miel pour le plus grand plaisir d’Uuri qui ne remarqua pas le changement d’attitude de son épouse. Le quatrième, Fanura, la fille la plus âgée d’Amaari fut envoyée transmettre un message au camp Prétorien le plus proche et causa la panique générale. Comment ?! La reine Médeïa souhaitait signer un traité de paix avec eux ?! Était-ce une mauvaise blague ? Ils demandèrent à Fanura une preuve de ce que ce message avançait et la Lombax, muette de naissance signa l’égorgement du roi en guise de réponse. Pour sa sécurité, Médeïa avait demandé au camp de garder la jeune Lombax en guise de bonne foi. Le cinquième, Siu vint chercher les armes que sa reine avait cachées au fond du lac le plus proche et le sixième, toutes les femmes leurrèrent leurs hommes pour une dernière folle nuit d’amour avant la fin. Alors qu’Uuri avait fini, il se releva avant de se faire enlacer par sa femme par derrière.

-Uuri, je ne te le demanderai qu’une seule et unique fois, tu n’enverras pas les enfants combattre.

-Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que si, ne commence pas à m’énerver, la dernière fois ne t’a suffi ?

La jeune femme lâcha son époux, lui tournant toujours le dos. Sa queue battait d’agacement.

-Si, bien sûr que si. Tu vois, c’est dommage, je t’ai aimé, plus que je n’ai aimé n’importe qui. Puis Iaaron est arrivé…

-Qu’est-ce que tu racontes ? Tu ne m’aimes plus ?

Il se retourna et eût une vision d’horreur. Médeïa lui faisait face, le regard plein de colère, les babines retroussées, le bras armé et tenant une dague dans sa main gauche. Elle était effrayante, bestiale. La Lombax se rua sur lui et lui donna un coup dans la cuisse pour le faire tomber. Il s’écroula en hurlant de douleur. Elle lui bloqua les bras avec ses jambes et prit sa lame à deux mains.

-Médeïa, ne fais pas ça !

-Oh mais il est trop tard, mon amour, tu vas enfin payer pour tes folies !

L’homme avait les larmes aux yeux, il était terrorisé, il savait qu’il ne s’en sortirait pas… et cela remplissait la reine d’une immense joie.

-Puisse la Déesse elle-même avoir pitié de ta misérable excuse qui te sert d’âme !

Avant de se laisser aller à sa furie, Médeïa repensa à leur enfance, à quel point elle l’aimait. C’était bien avant que son père ne meure, avant qu’Uuri ne devienne roi, avant les coups, avant la guerre. Avant la folie .Au lieu de la faire flancher, ces souvenirs lui donnèrent la motivation de continuer jusqu’au bout. Elle le poignarda plusieurs fois au niveau de la gorge. La jeune femme ne compta pas les coups. Elle s’était acharnée, toute sa frustration s’envola quand elle sentit le corps inerte de son mari et vit son pelage maculé de sang. La Lombax cracha sur ce qui restait de lui.

-Je vois que tu es à la hauteur de ton surnom.

La nouvelle reine se releva, lui coupa la tête et l’enveloppa dans un linge. Soudain, des cris se firent entendre, il s’agissait de la voix de Siu. Médeïa se rua vers la tente de sa jeune sœur et tomba sur son beau frère tenant le cadavre de cette dernière entre ses mains.

-Toi, salope, c’est toi qui lui as donné cette idée, pas vrai ? Attend que le roi l’apprenne…

-Le roi n’est plus, soupira-t-elle, au bord de la furie.

Contre cette montagne de muscles, elle n’avait aucune chance, contrairement à Uuri qui était de corpulence moyenne. Heureusement pour elle, ses « sœurs » virent lui porter secours. Elles tenaient les lances des guerriers Fa.

-Plie-toi devant la reine, hurla Amaari.

-Moi, me plier devant cette bâtarde ? Plutôt crever !

-Qu’il en soit ainsi !

Ziana transperça l’homme qui s’écroula sur le sol. Une fois la crise passée, la sororité se laissèrent aller à leurs émotions. Elles pleurèrent longuement leurs époux sacrifiés pour certaines et surtout la perte de Siu. Plus tard dans la nuit, Amaari et Médeïa prirent les airs vers le camp Prétorien le plus proche. Cassidy Azimuth, colonel de l’armée Prétorienne n’en croyait pas ses yeux. Alors la lettre disait vrai ? Impossible. Il resta donc sur ses gardes et essaya de faire une tête menaçante. Médeïa s’avança, digne, et fit rouler un mystérieux sac aux pieds du colonel Azimuth.

-Vous pardonnez notre visite aussi tard, s’excusa-t-elle avec son accent à couper au couteau et sa maitrise de la langue standard Lombax approximative. Nous, les sœurs, avons présent pour les Prétoriens et nous voulons arrêter folie.

-Votre majesté, vous sachez que la décision ne dépend pas de moi. Je vais devoir vous arrêter et vous menez devant le tribunal, est-ce que vous comprenez ce que je dis ?

Elle hocha de la tête.

-Si moi…

Médeïa trébuchait sur les mots tandis que le colonel observait son « ennemie ». Elle semblait plus sage que son monstre d’époux. Peut-être était-elle sincère quant à ses intentions ?

-Si vous allez au tribunal, oui ?

-Si je allez au tribunal, les sœurs viennent avec moi. J’espère que vous comprenez ?

Elle semblait répéter plus que saisir la situation. Cassidy fit appeler un de ses hommes et lui demanda de trouver un interprète qui arriva en robe de chambre et baillant encore.

-Veuillez expliquer à sa majesté que même si elle est sincère, je ne peux rien faire pour le moment à part l’arrêter et l’emmener devant la cour martiale.

L’interprète s’exécuta et Amaari commença à se fâcher. La reine leva la main pour calmer le jeu et expliqua tranquillement quelque chose.

-La reine dit qu’elle avait bien compris la première fois et qu’elle accepte de passer devant la cour martiale à la seule condition de pouvoir emmener sa cour avec elle ainsi que les enfants.

-C’est d’accord, soupira-t-il. On va surement me tirer sur les poils pour avoir fait ça mais au moins elle accepte sans trop de résistance.

Médeïa s’approcha lentement du colonel, se pencha pour ramasser le sac et lui donna avec un grand sourire avant de balancer une phrase qui hanta à jamais ceux qui assistèrent à la scène.

-Le monstre jamais reviendra.

À ce moment précis Cassidy ouvrit le sac et le laissa retomber, effrayé.

-Mais qu’avez-vous fait, hurla-t-il en reculant.

-Le monstre jamais reviendra. Fa être libres. Fa être désolés. Fa protéger jeunes pousses.

Elle attrapa la main du colonel qui était encore terrorisé par ce qu’il avait vu et la posa sur son ventre.

-Fa protéger jeunes pousses.

La reine à la fourrure dorée se tourna alors vers l’interprète et lui demanda de traduire ce qu’elle allait dire.

-Emmenez-moi devant votre cours, je répondrai des atrocités commises par l’ancien roi. Cependant je vous en conjure, ne punissez pas nos enfants. Ma vie contre la leur.

Le colonel avala sa salive et acquiesça avant de conduire la Lombax dans une tente qui servait de prison improvisée. De retour dans sa propre tente il s’écroula sur son bureau et commença un journal s’intitulant « Le Baiser de la Mort de Médeïa Fa » dans lequel il nota tout ce qu’il se passa lors de cette rencontre fatidique.