[La génèse de Rivet]
À l'occasion de la Game Developers Conference annuelle, Mark Stuart (lead designer chez Insomniac) a livré un exposé sur la naissance de Rivet, de sa place initiale dans le projet jusqu'aux réflexions entourant son nom. Avant de rentrer plus en détails sur cette génèse, nous tenons à préciser que nous ne soutenons en aucun cas le choix délibéré de Mark d'exclure complètement Sam Maggs, la principale scénariste ayant donné vie au personnage, de sa présentation.
Quels que soient les différends créatifs ayant poussé au départ de Sam un an et demi après qu'elle ait rejoint Insomniac, sa contribution demeure une part essentielle et non négligeable de l'élaboration de Rivet, autant dans sa personnalité que son apparence, et se doit donc d'être créditée. L'absence de son nom au générique de fin de Rift Apart relève un manquement malheureusement trop commun au sein de l'industrie du jeu vidéo, de nombreux développeurs n'étant pas crédités pour leur travail suite à un départ (convenu ou forcé) survenant en cours de production.
Revenons donc au tout début du projet, à l'époque où une petite équipe de quatre personnes se réunissait régulièrement pour jeter ses idées sur table blanche. Parmi elles, Sam Maggs, ancienne scénariste chez Bioware, qui fut appelée en renfort afin d'aider à l'écriture de Rivet. À cette époque, la production patine et l'équipe peine à définir l'importance de Rivet dans l'histoire et dans le gameplay du jeu, sa personnalité restant à l'état embryonnaire. Convaincant les directeurs de projet que cette jeune lombax pourrait avoir une place prédominante, Rivet qui vient de frôler l'annulation pure et simple de son existence devient, grâce à l'appui de plusieurs membres d'Insomniac, un rôle clé dans les nouvelles aventures du duo, désormais trio voire même quatuor. Kit, nous ne t'oublions pas.
Cependant, le chemin jusqu'à la Rivet que nous connaissons fut, aux dires de Sam, particulièrement douloureux. Déjà car, en tant que femmes dans une industrie encore majoritairement dominée par le sexe masculin, elle-même et sa collègue Lauren Mee vont se heurter à des problématiques sexistes habituelles au sein d'un studio de développement, la direction de projet insistant pour que Rivet soit la plus féminisée possible. Ainsi, il est souhaité qu'elle ait une poitrine, porte du maquillage et arbore un prénom particulièrement "girly". Une lutte de plusieurs mois est engagée, dans les réunions aussi bien que dans les échanges par mails, durant laquelle Sam et d'autres développeurs tels que Xavier Coelho-Kostolny (artiste 3D personnages) et Sol Brennan (directeur technique) vont s'opposer fermement à ces décisions et tenter de faire comprendre au studio en quoi elles n'ont pas lieu d'être. À noter que Xavier et Sol déposeront leur fin de contrat peu de temps après Sam, en guise de soutien et de manifestation de leur mécontentement quant au management du studio.
Leur postulat est simple : Rivet appartenant à une espèce fictive, lui apposer des attributs féminins humains n'aurait aucun autre intérêt que de la sexualiser et ne ferait que renforcer un stéréotype trop convenu que ce marché n'a cessé d'exploiter en tant qu'argument marketing. De la même manière, vouloir lui coller le nom Ratchette (initialement envisagé) reviendrait à ne faire du personnage que le simple alter-ego féminin de Ratchet, n'existant ainsi que dans l'ombre masculine de ce dernier. Plusieurs prénoms sont ainsi proposés par Sam et son équipe narrative, suivant trois principes fondamentaux : le prénom doit dans l'idéal correspondre à un outil (au même titre que Ratchet), être constitué de deux syllabes afin d'évoquer un sentiment de similarité et se terminer par un son dur (ce que les lettres T ou K restituent parfaitement). Gadget, Socket et Hammer font partie de la liste décisive de Sam, mais c'est au final Rivet, nom proposé par David Kim (programmeur) selon ces trois fameux principes, qui sera retenu.
Cette distinction dans le nom de ces deux protagonistes inter-dimensionnalement liés s'avérera essentielle pour la compréhension du déroulé de l'histoire, permettant à l'équipe narrative de préciser clairement leurs rôles et situations géographiques respectives tout au long de l'aventure. Un facteur d'autant plus intéressant lorsque l'on sait que Rivet se distinguait nettement de Ratchet dans son concept premier qui la positionnait en tant que personnage au gameplay radicalement opposé à ce dernier. En effet, Rivet était à la base imaginée en tant que dresseuse de créatures, capable de chevaucher trois montures différentes, dont deux (les Scarapides et la dragonne Trudi) qui seront malgré tout préservées dans le jeu. La troisième n'étant autre... qu'une bête agorienne.
L'idée derrière ce concept : symboliser le rejet complet de toute forme de machinerie chez Rivet, portant encore en elle le traumatisme de l'agression perpétuée à son encontre par un sbire de Nefarious et qui lui aura coûté un bras. Ainsi, en retournant les forces de la Nature contre l'Empereur, elle mènerait un combat dont les mécaniques de jeu la démarqueraient du reste de l'expérience. Divers prototypes sont mis sur pieds mais s'avèrent peu concluants durant les sessions de jeu organisées par le studio. Passer de Ratchet à Rivet, qui ne manie aucune arme à feu et se repose sur le contrôle de ses créatures, frustre les joueurs qui déplorent l'absence de progression conjointe et trouvent la partie Ratchet bien plus divertissante manette en mains. Plutôt que d'unifier les gameplays des deux héros en une expérience fluide et homogène, cette disparité brise le rythme de l'aventure.
Autre raison mentionnée, moindre mais qui a néanmoins eu son importance dans l'appréciation (et l'abandon) du concept initial du personnage : le souhait de s'écarter du cliché de la femme adoratrice et protectrice de la Nature (Pocahontas, Krystal de Starfox Adventures, etc). Un choix critique qui se montrera des plus pertinents dans la structure globale du jeu, qui par ailleurs prévoyait à l'origine de laisser le joueur alterner librement entre Ratchet et Rivet ; jugée trop impactante pour la cohérence narrative, cette version sera délaissée en faveur d'une structure plus classique et balisée permettant ainsi à Insomniac de proposer un équilibre équitable entre les phases de jeu, le tout en conservant une bonne lisibilité de l'avancée de l'histoire et un sentiment constant de progression.
Au-delà des créatures évoquées précédemment, les germes de ce concept se retrouvent dans une partie de l'arsenal définitif du jeu avec Mr. Fungi et l'Arroseur Topiaire, et une Rivet qui s'est malgré tout imposée comme l'incarnation de la résistance contre l'oppression robotique de Nefarious. Mark conclut sa conférence avec les mots suivants, résumant parfaitement l'intention déterminante qui a fait de ce nouveau protagoniste une figure d'ores et déjà iconique dans l'histoire de la saga :
Nous voulions que Rivet soit une composante intégrale du gameplay. Son inclusion se veut être une représentation inspirante et non une mécanique de jeu secondaire.
Sources :
[L'animation de Rift Apart]
Il y a quelques mois, Insomniac se confiait dans un article du PlayStation Blog (version française) sur certains aspects de la production de l'animation de Rift Apart. Des nouveaux défis qui ont poussé l'équipe à innover, tels que les problématiques soulevées par la capacité de Glitch à se déplacer sur des surfaces irrégulières, à l'importance de différencier Rivet de Ratchet au travers de variations subtiles mais perceptibles, en passant par la réalisation de cinématiques se voulant dignes d'un film d'animation, cet aperçu de l'envers du décor illustre les grandes ambitions du studio avec ce projet qui de leurs propres dires synthétise 25 ans d'expérience.
Nous ne saurions résumer l'entièreté de l'article sans le répliquer et vous invitons bien évidemment à le lire pour découvrir l'ensemble des cas illustrés et commentés. Une brève mais très intéressante plongée dans les coulisses de l'animation d'un jeu AAA.
Vraiment pas cool de la part d'Insomniac en ce qui concerne la création de Rivet. Ce genre de pratique est vraiment malsaine surtout venant d'un studio dont leurs oeuvres comme Miles Morales cherche à encourager le respect des autres sur leurs genres ou leurs ethnies. On espère qu'à l'avenir ils vont respecter les femmes car Sam Maggs à apporter l'un des meilleurs perso de la saga et qu'elle aurait pu apporter plus si Insomniac l'avait encouragé.
Très intéressant cet article sur Rift Apart. L'animation du jeu est tellement stratosphérique, je ne suis pas étonné du travail fournit et des difficultés rencontrées. Ca laisse rêveur pour la suite de la saga qui risque d'aller encore plus loin. Ce qui je pense ne rassure pas l'équipe qui sera en charge de ce travail. XD
Super article, très intéressant bien qu'un peu décousu au début. On parle de l'exclusion de Sam Maggs avant de préciser qui elle est (c'est assez perturbant je dois dire)...
Vraiment déçu par Insomniac sur cette affaire.
C'est peut être moi qui me faisait des idées à croire que le studios était pionnier en matière d'inclusion et d'égalité des sexes, je m'attendais pas à ça. Le projet final a beau etre positif, ça reste amer et beaucoup de chose sont caché sous le tapis. J'ose espérer des excuses prochainement mais là aussi j'ai peur de me faire des idées.