Raven - Chapitre 15

Auteur : gag_jak

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Note : Coucou ! Pour ceux qui suivent toujours, j'espère que vous appréciez ce nouveau chapitre. Je suis très content de le publier si rapidement ! Le suivant mettra plus de temps à paraître. Certainement pas quatre ans, mais je préfère ne rien promettre vous comprendrez… !

Petits rappels des chapitres précédents : Dans cette fanfic, Raven tient prisonnier Dave Neels et lui raconte sa vie. On ne sait pas trop pourquoi, mais dans le chapitre "Le Prédateur" on a appris que Raven souhaite que Neels se fasse arrêter pour les crimes de Raven.
A la base, Neels était Ratchet, mais pour m'affranchir de l'univers j'ai changé son nom et son identité. Quand j'ai fait ces changements, j'avais décidé que Neels n'aurait plus rien d'un lombax, et j'avais donné une nouvelle description dans le chapitre 11. Finalement, puisque 4 ans ont passé et que je fais ce que je veux quand même, j'ai décidé qu'il conserverait un pelage, le bougre. Je tenais à prévenir les plus assidus.
A ce stade de l'histoire, Raven et Lange se trouvent dans la ville de Black Water, sur la planète Rilgar. On a appris au chapitre 10 que cette planète était l'ancienne planète Terre, qui est morte avec les années, infestée par une armée de gros monstres. Pour plus de détails, c'est dans le Chapitre 10. Black Water est en réalité Paris, et la Tour Noire qui y est mentionnée est bien évidemment la Tour Eiffel (en version remasterisée HD 1080p next gen bien sûr). La seine est devenu noire suite à l'invasion, ce qui donne son nom à la ville. Je vous rappelle ces détails pour que vous compreniez certaines descriptions.
Autre petit rappel, la planète Reez pour laquelle le petit "couple" s'envole est la planète sur laquelle Lange a passé son enfance.

Enjoy !

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Chapitre 13
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« Mon regard se dispersait sur toute la ville de Black Water. Depuis le toit de notre immeuble, j’avais une vue prégnante sur la moindre ruelle aux alentours. Le vide, l’inexorable vide me fascinait. Le vent fouettait mon visage et balayait mes cheveux. Je fixais ce vide, ce tout, ce rien, cet ensemble que réalisait tous ces immeubles. Elle s’étendait à perte de vue, multipliant les buildings, les parcs, les réseaux de circulation. L’impact sonore était violent. Le vrombissement des moteurs, la cohorte des sirènes sonnant en pagaille, les paroles déformées, amplifiées, changées en brouhaha infernal, tout résonnait contre les murs, tout me revenait aux oreilles. Le vide me l’offrait. Et pourtant cette ville essayait de s’accorder un esthétisme pour faire oublier la pollution qui avait jadis causé sa destruction. Çà et là des arbres en fleurs égayaient les plateformes, des forêts avaient été aménagées pour offrir à la ville une couverture verte. Les gratte-ciels argentés reflétaient le soleil et agrémentaient la ville d’un masque de lumière. Même l’artère de la ville, l’Eau Noire, ce fleuve monstrueux ressortait sublimé au milieu de cette architecture. Et puis il y avait cette fameuse Tour Noire fièrement dressée, mise en valeur au centre d’un espace vide, illuminée par des projecteurs, reflétant sa noirceur, son passé, s’affichant comme le phœnix renaissant de ses cendres comme un symbole d’espoir et de beauté. Et pourtant qu’était-ce d’autre qu’un rassemblement de vies, de misères, de discordes, d’inégalités ? La loi régnante de ce monde : l’urbanisation. Tout en bas du vide, l’armée de pantins obéissant sagement aux règles de leur univers était en marche. J’étais heureux de ne pas faire partie de leur système.
Nos affaires étaient prêtes, rangées dans le vaisseau de Hob prêt au décollage. Nos affaires… Trois vulgaires bagages contenant quelques vêtements, des petites armes de poing, quelques couteaux, de quoi nous nourrir pour deux ou trois jours avant de devoir à nouveau nous déguiser pour acheter des vivres… ou en voler. Nous quittions un endroit où nous étions stables pour repartir vivre au jour le jour. J’aimais ça. Lange peut-être moins. Hob lui-même était bien installé dans le coffre du vaisseau. Comme c’était souvent le cas, le toit de l’immeuble faisait office de parking, un ensemble de véhicules rangés en allées faussement ordonnées. La surface n’étant pas assez vaste, quelques plates-formes se superposaient pour permettre aux habitants de s’y poser, et ce au prix d’une absence totale d’esthétisme. Ou presque, puisque des espaces fleuris y étaient aménagés.
Après avoir achevé les préparatifs, l’humaine vint me rejoindre, brisant ainsi ma contemplation. Elle s’approcha et vint jusqu’à se coller à moi, posant sa tête sur mon torse et passant un bras dans mon dos. Je n’avais pas vu cela venir. Elle avait besoin de réconfort, elle avait besoin de se sentir avec moi. Elle avait peur. Peur du monde, peur de qui allait arriver, peur de la vie, et plus encore peur de la mort. Notre altercation l’avait troublée car j’avais été sa seule source d’équilibre ces derniers temps. Mais en vérité j’étais loin de me sentir équilibré.
Désarçonné, je posai ma main sur sa tête, sur ses cheveux, les caressants avec hésitation. Je la regardai dans les yeux, sans la rancœur que j’avais eu précédemment, mais en affichant un air le plus neutre possible. Il ne devait pas l’être tant que ça car un sourire se dessina sur son visage. Elle ferma les paupières en reposant sa tête contre ma poitrine et me serrant dans ses bras.
« J’ai besoin de toi, Raven – murmura-t-elle ». Je ne savais que faire de ces mots, de ces tendresses. Je ne savais que dire. Ces mots me faisaient plaisir, mais je ne pouvais pas les lui répéter. Heureusement, elle n’attendit pas de réponse et poursuivit : « Je ne veux pas m’opposer à toi… Mais je n’aime pas te voir ainsi, cruel comme cela. Je t’aime parce que je sais que tu n’es pas juste cela. J’aime un autre côté de toi que tu ne montres pas, mais qui est présent. Ton côté sombre me fait de la peine quand je le vois. Je t’aime et je ne veux pas que tu te mettes en colère contre moi. Tu es tout ce que j’ai. » Elle appuya d’autant plus son visage contre mon torse, en un signe d’affection encore plus prononcé. Elle ne vint pas chercher de baiser. Je pris la parole :
« Tu dois m’accepter ainsi, avec cette noirceur et cette cruauté que tu ne supportes pas. Je ne changerai pas, tu le sais. Tu m’as toujours connu ainsi. C’est moi.
- Pas seulement… - soupira-t-elle.
- Qu’est-ce que tu en sais ? Ca a toujours dirigé ma vie !
- C’est faux. Ca la dirige actuellement, oui, mais ça n’a pas toujours été ainsi, loin de là. Tu es comme ça depuis environ six mois, tu n’étais pas comme cela avant. »

Ces paroles me heurtèrent de plein fouet. Elle avait raison. Je ne vivais ainsi que depuis la mort de ma mère. Six mois seulement ? Etait-ce vraiment tout ? J’avais l’impression que c’était depuis toute une vie. Depuis toute ma vie. Phénomène étrange, n’est-ce pas ? Je ne compris pas de suite à quoi il était dû, mais mes diverses méditations au cours de toutes les années qui ont suivi m’ont permis de trouver la réponse à ce mystère. J’étais mort la nuit de l’assassinat de ma mère. L’ancien moi avait été tué. Depuis, tout avait été comme une renaissance. Un nouveau monde, un nouvel apprentissage. Les souvenirs de ma vie antérieure m’avaient donné mon but, mon unique but, celui de ma vengeance. Avant, je n’avais rien vécu, je m’étais contenté d’apprendre. J’avais acquis un savoir, une maitrise, une connaissance poussée de l’univers. J’avais appris à me battre, appris la technologie pour fabriquer des armes et m’en servir. Je n’avais eu que peu de loisirs, peu de jeux, peu de plaisirs autres que celui d’apprendre. J’avais été cloîtré chez moi, enfermé dans mon monde avec pour tout contact mes deux parents, sans aucune connaissance de ce que pouvait être réellement une autre personne. Je ne connaissais pas le contact avec autrui, c’était un domaine qui m’était inconnu, et ce contact avait commencé avec le contact d’un poing sur mon visage. Un Rgolz m’avait tabassé dans une ruelle en me menaçant de mort. A cet instant, toute la morale que j’avais connue sur la notion de bien et de mal qui m’avaient été véhiculées par Slim, mon père qui venait à l’instant même de décapiter ma mère sous mes yeux ; cette morale se flouta dans mon esprit jusqu’à disparaitre. Ainsi vint au monde le nouveau Raven Vimer, celui qui allait bientôt se faire appeler le Prédateur. Ainsi dans la violence et le sang ce Raven se mit à tuer, il se mit à agir pour la première fois de sa vie, et il se sentit bien, il se sentit vivre pour la première fois. Il était vivant, enfin, après toutes ces années de léthargie, le voilà surgissant du sommeil pour s’imposer dans le monde dans ce rôle de meurtrier qu’il venait de s’attribuer. Il était vivant, aussi libre que le vent. Il était sorti de son cocon et allait pouvoir battre de ses ailes noires. Ma vraie vie commença ici, dans la haine et la violence.
C’était pour cela qu’à mes yeux ma vie n’existait que par le mal, c’était parce que psychologiquement c’était le cas. Je pouvais donc dire sans mentir que ma vie entière avait été érigée par la violence et la cruauté, qu’ils étaient les principes qui m’avaient fondé, donné une identité. C’était d’ailleurs pour cela qu’à cette époque je jouais à ce point de mon rôle de grand bandit, de grand tueur, de grande menace. C’était ainsi que je me percevais, c’était ma carapace, et sans cela je n’étais plus rien. Alors quand Lange me dit que non ce n’était pas toute ma vie, je savais que dans les faits elle avait raison, mais cette raison n’était pas ma vérité. Ces six mois étaient ma vie. Alors ne pouvant comprendre la réalité qu’elle m’énonçait, je ne sus quoi répondre.
« C’est… - fis-je après un moment de trouble – c’est plus compliqué que ça.
- Non pas vraiment. Si en six mois tu as pu changer ainsi, ton ancienne manière d’être pourrait refaire surface aussi rapidement !
- Non ! Pas avec la haine qui m’habite ! Tu devrais comprendre, à la fin ! Tu m’as connu ainsi, tu m’as aimé ainsi. Tu sais aussi bien que moi comme je suis. Tu ne peux pas altérer la réalité dans ton imagination et croire que cela va se reproduire dans la réalité ! Ca ne fonctionne pas ainsi. Accepte la réalité.
- Mais je l’accepte, tu sais. Mais il n’y a pas que de ce monstre que tu crois être dont je suis tombée amoureuse, il y a aussi celui que je vois dans tes yeux et que je suis la seule à connaître. » Je ne cherchai pas à répondre. Elle n’avait pas de réels arguments à part le fruit de son imagination féminine. C’était simplement qu’elle ne pouvait pas supporter l’idée d’aimer quelqu’un qui serait uniquement habité par le mal. Qui pourrait le supporter ? Je ne voyais pas où est-ce qu’elle voyait du bien en moi. Dans mes yeux ? Ces deux glaçons ambulants ? C’était ridicule. Le fait d’être attaché à elle ne faisait pas de moi quelqu’un de bien. Et si mes yeux offraient à cette fille une illusion, ce n’était pas pour autant que cette illusion était réelle.
« Nous devons y aller – dis-je simplement – Nous n’avons pas de temps à perdre, et nous en avons déjà trop perdu.
- Tu as raison ». Après un instant d’hésitation, je la repris dans mes bras avant de lui souffler :
« Ne t’inquiète pas… Tout va bien se passer. Je ne passerai pas ma vie à traquer mon père. Cette haine trouvera une fin. »

Après un instant où nos regards restèrent joints, nous prîmes tous deux la direction du vaisseau. Je montai à l’intérieur et pris les commandes. Lange était assise à mes côtés. L’habitacle n’était pas bien grand, si bien que très peu de centimètres nous séparaient. Une sensation de liberté m’envahit au moment où je sentis les réacteurs nous propulser, d’abord à faible vitesse, puis de plus en plus vite. Le décollage se fit sans problème et nous pûmes rapidement observer la ville s’éloignant derrière nous. Sortir de l’atmosphère et passer la barrière énergétique n’était pas un problème : je m’étais assuré que le vaisseau de Hob soit bien en règle pour qu’il ne déclenche pas d’alarme pouvant entraîner notre mort.
Traverser une atmosphère pour passer du ciel d’une planète au vide de l’espace était toujours aussi impressionnant. Autour de nous, des milliers de vaisseaux entraient et sortaient de la planète en suivant des voies bien délimitées, tels de vastes vaisseaux sanguins irriguant un cœur gigantesque. Ce cortège de lumière se séparait à la sortie de la planète, chacun s’orientant vers la destination qui lui était propre. En l’espace de quelques secondes, nous passâmes de la fraicheur d’un décor bleu et blanc à celui d’un noir glacial. Le vide nous faisait face, mais il s’agissait d’un vide absolument magnifique. Si depuis la terre les astres paraissent impressionnants, cette sensation n’est rien à côté de celle que l’on éprouve en prenant le temps de les observer autour de soi dans l’espace. Les lumières semblent plus belles, l’immensité plus écrasante, les distances les séparant de nous plus renversantes. L’unique lune de Rilgar se trouvait sur notre droite. Elle avait été abimée avec le temps, fracassée, morcelée par les guerres et les météores, mais conservait une certaine majesté.

Se retrouver ainsi, au milieu de tout, au milieu de rien était un spectacle fascinant. Je me mis à penser à toutes les merveilles dont recelait cet espace injustement qualifié de vide et en discutai avec Lange dans le but d’instaurer une bonne ambiance. Elle évoqua un phénomène qui lui plaisait particulièrement appelé « draws » : il s’agissait de filaments non-organiques aux couleurs changeantes qui se déplaçaient en tourbillonnant et en laissant des traces de couleurs derrières eux. J’abordais pour ma part les constructions des vivants : on comptabilisait une multitude de statues, pyramides ou châteaux taillés dans la roche de météroïdes et stabilisés par un mécanisme magnétique. Elle parla de la fameuse « Zone blanche » située à l’intérieur d’un des plus grands astéroïdes existants : en se faufilant à travers ses failles, on se retrouvait au centre d’un vaste espace de plusieurs dizaines de kilomètres entièrement blanc et parsemé d’une végétation qui n’avait aucune raison de s’y développer. Au fil de la discussion, je fus amené à parler des différentes créatures vivant dans l’espace. Tels des monstres marins, elles se déplaçaient dans une sorte de nage et étaient de tailles variables, bien que majoritairement toutes gigantesques. Les scientifiques de certains coins de l’univers ont longtemps cru qu’il était impossible de respirer dans le vide. C’était bien le cas, mais ils ignoraient que certaines rares espèces pouvaient vivre sans respirer. Les rencontres entre les différentes cultures au fil des millénaires ont bouleversé les croyances de chacun, réalisant tour à tour à quel point le monde, ses origines, son organisation était loin de tout ce qu’ils avaient établi comme immuable.
Tout cela remonte il y a fort longtemps et semble évident de nos jours. Les différents phénomènes ont été répertoriés dans différentes catégories en fonction de la zone de l’espace dans laquelle ils apparaissent, et on sait à présent au combien il est important de les laisser se dérouler là où ils sont. Si nous pouvons voyager dans les planètes habitables sans risque grâce aux différentes structures mises en place pour assurer notre survie, ce n’est pas le cas des espèces animales et végétales. Celles-ci ne peuvent s’adapter au changement brutal d’environnement, meurent de maladies, n’arrivent pas à trouver leurs repères et deviennent folles. Quand il faut transporter du bétail, un travail en amont est effectué pour savoir quelles planètes leur sont praticables. Mais les vivants ne l’ont pas compris spontanément, ce qui a occasionné des désastres sans précédent. Des hommes d’un autre temps avaient essayé de transporter des plantes magnifiques, portant des fruits aux propriétés guérisseuses et fertilisantes, afin de les planter chez eux. Le résultat fut catastrophique. Les plantes ayant proliféré avaient muté en changeant d’atmosphère, tuant avec leurs fruits au lieu de guérir, envahissant à une allure folle les villes et les campagnes, s’engouffrant sous terre et sous la mer, empêchant de vivre la faune et la flore. Trois planètes jumelles furent touchées, atteintes par des maux inexpliqués allant jusqu’à modifier leur écosystème et leur logique interne. Les survivants purent relater l’apparition de bouleversements climatiques, de manifestations hallucinatoires à en perdre la raison. En fuyant, les habitants prirent le temps de bâtir une carapace en titane autour de ces planètes afin que personne ne puisse plus y entrer ni en sortir. Ces planètes furent symboliquement renommées « Les planètes blindées ».

Je racontai ces anecdotes à Lange qui semblaient ne pas les connaître tout en pilotant vers notre destination. Si l’espace était plein de merveilles et d’histoires presque légendaires, il brillait également par sa dangerosité. Pour pouvoir y naviguer, le tableau de bord recevait des informations permettant d’indiquer par exemple la présence de comètes aux alentours. Il fallait aussi veiller à ne pas croiser la route des bandes de pillards, sillonnant l’espace en vue d’attaquer les honnêtes gens.
Les voies « hypervitesse » étaient protégées avec des boucliers empêchant les collisions avec les éléments extérieurs. C’étaient ces voies qu’il fallait rejoindre si l’on voulait voyager dans l’espace sans y passer des années ; la distance entre deux planètes dépassant très souvent une année-lumière à partir du moment où l’on changeait de système solaire. Les réacteurs des vaisseaux ne permettant pas d’aller aussi vite, c’étaient ces voies qui les propulsaient à une vitesse inouïe. Elles utilisaient une énergie magnétique qui avait été travaillée pour avoir une force spectaculaire. Ces champs magnétiques permettaient le miracle d’atteindre la vitesse de la lumière, ce qui avait longtemps été considéré comme impossible. Pour résister à la pression provoquée par cette poussée et ne pas être broyé par tant de force physique, les voies entouraient chaque vaisseau de boucliers. Ceux-ci avaient également l’avantage de rendre le voyage physiquement supportable pour les passagers en réduisant considérablement les g, autrement dit la force d’accélération. Mais la vitesse de la lumière à elle seule ne permettait pas de nous déplacer assez rapidement entre les différents systèmes solaires. Pour se faire, les voies nous dirigeaient de trous de ver en trous de ver, ces distorsions de l’espace-temps permettant des raccourcis que l’on pourrait résumer à de la téléportation. Ces trous de ver ont mis des siècles à être maîtrisés et appréhendés, et ceux utilisés par les voies hypervitesse étaient fortement réglementés. Grâce à ces voies, les longs voyages n’étaient plus impossibles, même s’ils pouvaient parfois durer quelques jours. Pour faciliter les voyages intergalactiques, il existait d’autres voies encore, réservées à d’immenses vaisseaux blindés transportant des voyageurs par milliers. Ces voies utilisaient de plus gros trous de ver, permettant d’aller d’un bout à l’autre de l’univers, mais qui étaient plus dangereux. Ces voyages ne pouvaient pas être supportés par des vaisseaux lambda qui seraient purement et simplement dématérialisés, incapables de résister au choc. Tout ceci était régi par une législation très précise et était hautement sécurisé.
Fort heureusement pour nous, la planète Reez n’était pas très loin, le voyage ne durerait pas plus de quelques heures. Nous accédâmes facilement à la voie la plus proche. On ne pouvait pas la rater : non loin de la planète se trouvait cet incroyable faisceau bleu-électrique qui transperçait l’espace et reliait les planètes entre elles. Elle se trouvait au-dessus de nous, une notion très relative dans l’espace, mais toutefois établie par convention afin que toutes les stations spatiales soient construites dans le même sens. Nous rejoignîmes la file de véhicule s’orientant vers l’ouverture blanche de la voie et son sas de propulsion. De nombreuses informations envahissaient le tableau de bord, nous demandant d’indiquer expressément les coordonnées de la planète sur laquelle nous voulions nous rendre. On nous ordonna de nous attacher, sans quoi l’accès à la voie hypervitesse nous serait interdit. Quand ce fut notre tour d’y entrer, on n’eut pas le temps d’y voir quoi que ce soit. Instantanément, le sas se ferma derrière nous et s’ouvrit devant nous avant de nous projeter à une vitesse démentielle. Instantanément, nous n’étions plus là, nous étions ailleurs, nous étions même déjà très très loin. La propulsion nous cloua à nos sièges pendant quelques minutes avant que notre vaisseau ne se stabilise. Il était impossible de discerner quoi que ce soit à l’extérieur. Puisque c’est la lumière qui permet de voir le monde qui nous entoure, aller aussi vite que celle-ci empêche de voir. L’extérieur n’était qu’une simple couleur noire et unie, qui donnait l’impression de faire du surplace. Je fermai alors le parebrise afin de remplacer la vue insipide de l’extérieur par un écran. Nous entreprîmes alors de regarder un film présent dans la base de données de la machine pour patienter avant d’arriver à notre destination. Il s’agissait d’une histoire qui n’était guère intéressante, racontant le périple de deux amoureux de deux espèces différentes à l’époque où le métissage était interdit sur certaines planètes. Un film historique romancé où les deux protagonistes mourraient à la fin dans un ultime sacrifice l’un pour l’autre. Si Lange en fut touchée, elle ne le laissa pas paraître.

Après six longues heures nous fûmes éjectés de la voie hypervitesse. Cela nous avait été indiqué au préalable sur notre tableau de bord afin que nous ne soyons pas pris au dépourvu par le changement brutal de vitesse. Un frein magnétique nous ralentit à l’intérieur du long sas de sortie, puis nous nous retrouvâmes à nouveau dans l’espace. L’environnement était très différent des abords de Rilgar. Ici, il n’y avait pas ce raz-de-marée de vaisseaux se déversant sur la planète, seuls quelques-uns évoluaient autour de la masse blanche que formait Reez. Ses deux grandes lunes évoluaient lentement en orbite autour d’elle, lui volant les minces rayons de lumières qu’envoyait un soleil distant. Lange m’indiqua par où entrer dans la planète pour nous approcher de notre destination. Nous pénétrâmes alors dans l’atmosphère fortement chargé en nuage.
De la neige, de la neige à perte de vue : c’était tout ce que nous pouvions voir. Cette couverture blanche semblait recouvrir toute la surface terrestre, on eut dit qu’elle avait enveloppé toutes formes de vie, de civilisation, pour les cristalliser sous son duvet glacial. Cette blancheur écarlate, renforcée par la réflexion des faibles rayons de soleil, était comme une lueur hypnotique. S’approcher c’était se laisser absorber. J’avais la sensation de plonger droit dans une avalanche.
Les bourrasques de vent firent tanguer le vaisseau, si bien que je dus manœuvrer pour nous stabiliser. Les premières informations concernant les législations de la planète apparurent sur le tableau de bord. Il était formellement interdit de survoler les villes en dessous d’une certaine altitude pour limiter le nombre d’accidents dus aux violentes intempéries de la planète. Les trajets que nous pouvions emprunter nous étaient alors indiqués. Nous fûmes donc inviter à nous poser aux abords du village dont Lange m’avait donné les coordonnées. Celle-ci m’informa que sur cette planète, les habitants ne se déplaçaient majoritairement qu’avec de grands véhicules terrestres équipés pour résister au climat. Les vaisseaux étaient très peu utilisés, les piloter s’avérait en effet assez dangereux. Les lois étaient claires, et chaque zone urbaine était équipée d’un champ protecteur empêchant les véhicules volants de s’en approcher. Autrement dit, les habitants devaient poser leurs vaisseaux spatiaux dans des hangars situés non-loin de chaque ville et faire le trajet jusqu’à celles-ci avec leurs voitures personnelles, laissées au préalable dans ces mêmes hangars.
« C’est contraignant – fis-je – nous avons Hob dans notre coffre, nous ne pouvons pas le trimballer avec nous. Par hasard, la base de nos pères se trouve-t-elle hors des zones protégées ?
- Malheureusement non, elle est un peu excentrée, oui, mais elle se trouve toujours dans le champ protecteur. Il faudra passer par la voie terrestre. C’est vrai que je n’avais pas pensé au problème que Hob allait nous poser…
- Merde ! Il va falloir que l’on atterrisse, on avisera sur place.
- Ne vas pas au hangar. Puisque les habitants y laissent leurs véhicules pendant parfois des mois entiers, ils sont bien sécurisés. Il y a des caméras de surveillance, des agents de sécurité… Il faut également payer le parking, évidemment. Nous serions reconnus très rapidement. » Je soupirai, l’aventure se compliquait déjà. La vie de fugitif avait de sérieux inconvénients. « Poses-toi aux abords du village, pas très loin, mais éloigne-toi des routes pour que le vaisseau soit caché un minimum. »

Je suivis ses indications. J’atterris à quelques centaines de mètres seulement des maisons délimitant le village. Le brouillard enneigé nous enveloppant devait avoir masqué notre descente. Je jugeai que nous étions suffisamment loin pour ne pas attirer l’attention. En sortant du véhicule, le choc thermique me frappa de plein fouet. La différence de température entre l’intérieur du véhicule et cet extérieur glacial était d’une violence rude. On ouvrit le coffre pour récupérer dans nos bagages des tenues plus chaudes que celles que nous portions actuellement. Je pris avec moi une dague et un pistolet. Je ne pouvais pas prendre le risque de m’encombrer, et ces deux armes étaient facilement dissimulables. On donna à Hob à boire et à manger avec les restes de ce que l’on avait consommé dans le cockpit, puis on referma le coffre, le laissant à son sort encore quelques heures.
Nous nous mîmes en marche. J’avais déjà connu la neige, mais pas en aussi grande quantité. A chaque pas je m’enfonçais jusqu’au tibia et la route s’avéra vite épuisante. Je n'étais pas à l'aise avec le froid, et Lange le comprit rapidement.
« S'il fait si froid – entreprit-elle d'expliquer – c'est que la planète est située très loin du soleil. Ainsi même si nous percevons sa lumière elle ne parvient pas à nous réchauffer, du moins pas totalement.
- Comment se fait-il qu'elle puisse exister ? Elle doit être recouverte de glace, c'est un miracle si elle arrive à avoir une atmosphère respirable.
- Son atmosphère est artificielle, tu t'en doutes. Créée par les colons, comme à leur habitude, avec une enveloppe magnétique. Il est probable que l'effet de serre généré ait légèrement augmenté la température au fil des siècles.
- Pourquoi seulement vouloir vivre ici ? – raillai-je.
- Au départ, principalement pour étudier j'imagine. L'écosystème des planètes de glace est passionnant. Il y a une faune, une flore ! Celles-ci ont développé d'incroyables stratagèmes pour pouvoir survivre ! Les animaux ici, vivent principalement sous terre, au plus proche de la chaleur du centre. Mais ceux qui vivent à l'extérieur sont massifs, enveloppés dans leurs fourrures et leurs carapaces, et sont particulièrement dangereux.
- Drôle d'endroit pour venir éduquer sa fille, tu en conviendras.
- Mon père est… particulier – dit-elle en souriant. »

Enfin, nous pénétrâmes dans le petit village que nous avions observé depuis le ciel. Ici pas de vieilles chaumières rembourrées de paille comme dans un très ancien temps, mais de grosses bâtisses chauffées à l'électricité. Les véhicules, armées de grosses roues tout terrain, circulaient sur de longues routes.
« Non loin d'ici se trouve une ville du nom de Takiamenko – expliqua l'humaine – ce n'est pas la plus grande de la planète mais il y a beaucoup d'usines et d'exploitations minières, c'est pour cela que beaucoup de petits villages comme celui-ci se sont implantés tout autour. Il n'y a pas beaucoup d'habitants sur Reez, mais le peu qu'il y a contribue à la faire survivre en lui fournissant l'énergie nécessaire. Les gens ici mènent leur vie sans se soucier des problèmes galactiques.
- Je vois… Aucun risque que ceux-ci ne te reconnaissent ?
- Bien sûr que si. Il y a quelques mois encore j'étais à l'école à deux pâtés de maisons d'ici, j'allais au supermarché comme tout le monde, j'avais ma vie. C'est chez moi ici… » Ses yeux étaient écarquillés, elle semblait dévorer le décor comme s'il était irréel. Elle marchait au milieu d'un souvenir, dans le souvenir d'une autre vie. Je n'osais imaginer l'effet que me procurerait un retour sur ma planète.
« Il va falloir que nous soyons prudents – lançai-je – nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire repérer. La base est-elle loin d'ici ?
- Pas tellement, il nous faut simplement traverser une partie de ce village et continuer un peu le long d'un chemin en direction de la forêt.
- Bien, ne trainons pas, mais il va nous falloir trouver un véhicule si l'on souhaite transporter Hob jusqu'à la base.
- Tu ne peux pas simplement l'assommer et nous rendre invisible pendant le trajet ? - proposa-t-elle.
- Si c'était si simple, je l’aurai déjà fait, mais avec la neige environnante on risque d'attirer l'attention. Nos pas feront des empreintes, encore plus si je porte un corps sur mon dos. Et puis tu le sais bien, je suis de plus en plus faible en étant invisible, je ne pense pas que physiquement je serai capable d’endurer le chemin en le portant dans la neige… Tu penses pouvoir nous trouver une voiture ?
- Sans attirer l'attention ? – réfléchit-elle – On pourrait en louer une en espérant que les habitants ne soient pas au courant que tu es l'homme le plus recherché de la galaxie, mais c'est un risque que l'on peut difficilement courir. On ne peut pas risquer une confrontation, je ne veux pas que tu te mettes à tuer tout le monde dans ma ville.
- En l'occurrence, je respecte ton souhait. Il va donc falloir qu'on en braque un discrètement.
- Là où il y en a le plus c’est bien évidemment au hangar, mais c’est bien trop sécurisé pour qu’on tente le coup. J'ai une idée d'où on pourrait en trouver un sans trop de risque. Fais-moi confiance.
- Je te suis - répondis-je - mais faisons attention. Il ne faut pas que nos visages soient reconnus, mais il faut qu'on ait l'air naturel. Colle-toi à moi et marchons comme un couple, avec un comportement normal nous n'attirerons pas l'attention. »

Evidemment, elle ne se fit pas prier. Nous marchâmes le long des rues et je pris plaisir à observer ce village. Il était différent de ce que j'avais connu jusque-là. En effet, les immeubles n'allaient pas bien haut, et la plupart des habitations n'étaient que de simples maisons dans lesquelles vivaient sans doute de charmantes petites familles. Que cela changeait des grandes métropoles ! Et puis il y avait le souffle de ce vent chargé de neige qui, même s'il me gelait la peau, m'apportait un contact beaucoup plus doux et agréable que l'air de la ville. Le village semblait se préparer à une fête imminente : les commerçants accrochaient des décorations à leurs devantures, et des ouvriers s'attelaient à aménager les rues à cette occasion.
« Que préparent-ils ? – m’enquis-je.
- Dans deux semaines, ce sera l'anniversaire de la victoire de Sir Gallic. C'est un vieux mythe local. Il y a quelques siècles, le chef d'état de cette contrée, peu scrupuleux, aurait décidé de raser plusieurs villages afin d'extraire les minerais se trouvant dans leur sol. Il envoya un régiment de son armée, mais les habitants ne l'entendirent pas de cette oreille. Sir Gallic partit dans le désert glacial et réussit par on ne sait quel miracle à dompter des créatures sauvages. C'étaient d'énormes animaux quadrupèdes, gigantesques, ressemblant au croisement improbable entre des tigres et des ours. Avec leur aide, il pût vaincre l'armée et sauver les villages, et plus tard devint le nouveau chef d'état. Une légende invraisemblable, bien sûr, mais même si les gens savent que ce n'est qu'un conte, il n'en reste pas moins qu'ils ont besoin de héros à honorer. Ce conte est un régal pour les enfants, et la commémoration annuelle toujours un événement festif. »
Je restais silencieux. J'étais admiratif devant l'intérêt porté à ces vieilles croyances, l'attachement à ces coutumes, ça avait quelque chose de fascinant. En y prêtant plus attention, j'observais que les différentes décorations reproduisaient la fameuse bataille. Il y avait des maquettes mettant en scène Sir Gallic, un moustachu musclé, qui combattait les tigres-ours décrits par Lange, puis qui les chevauchait et finalement s'en servait pour écraser des tanks à l'aide de leurs énormes pattes. On pouvait également trouver des guirlandes à l'effigie des créatures, divers tableaux ou drapeaux… Ca apportait un charme à ce petit village.

Le peu de monde que l'on croisa ne nous accordait pas grand attention. Nous discutions de tout et de rien pour avoir l'air le plus naturel possible. Malheureusement, nous dénotions un peu car nous n'étions pas habillés aussi chaudement que les autres habitants, car à Rilgar nous n'avions pas besoin de grands manteaux dans lesquels nous envelopper. Il faisait vraiment très froid, mais au moins il ne gelait pas. Les bourrasques de vent qui nous attaquaient étaient toutefois assez fortes, et nos pulls improvisés ne permettaient pas de nous protéger de ces piqûres glaciales. Nous n'avions ni écharpes ni bonnets, mais le fait de nous avoir l'un contre l'autre permettait d'atténuer la douleur du froid tout en confortant nos allures de couples. Nous devions avoir l'air de touristes, bien que je doute qu'il y ait beaucoup de touristes dans ce village qui n'avait rien de particulier. Il y avait bien des monuments agréables à l'œil, d'anciennes constructions religieuses, mais rien qui ne vaille spécialement la visite à cet endroit précis de la planète. Nous marchâmes encore un petit moment le long des rues assez larges avant de nous aventurer dans des allées boisées. Il avait beau neiger, les arbres étaient recouverts de feuilles vertes, c'était bien la première fois que je voyais cela. La flore ici était programmée pour résister aux températures, avait dit Lange.
Nous nous arrêtâmes devant le pavillon d'une maison. Elle était de taille moyenne, de style un peu ancienne avec des tuiles en céramique, mais tout en conservant une certaine modernité. Elle avait une baie vitrée, probablement renforcée pour éviter les braquages, une couleur bleue métallisée, et quelques particularités originales comme un balcon en bois à l'étage, ce qui n'était plus anodin de nos jours. La bâtisse ne se différenciait toutefois pas vraiment des autres habitations du quartier, c'était une maison de village quelconque.
« Où sommes-nous ? – demandai-je.
- Chez moi.
- Chez toi ?! Tu veux dire… vraiment ?
- Oui. » Elle s'avança dans l'allée menant à la porte. « C'est dans cette maison que j'ai vécu toute ma vie avec mon père. » Avant qu'elle n'aille plus loin, je la retins par le bras.
« Pourquoi nous as-tu emmené ici ? C'est peut-être dangereux ! Ton père a été arrêté, sa maison est sans doute sous surveillance.
- Je ne pense pas, mais oui c'est possible, faisons attention. De toute façon, nous n'en avons pas pour longtemps. Mon père avait deux voitures. L’une d’elle restait dans la rue, et il a dû l’utiliser pour aller au hangar. L’autre doit être dans le garage si tout va bien. Il suffit juste de la prendre et de nous en aller.
- Ca me parait beaucoup trop risqué, car trop suspicieux. La voiture pourrait être reconnue et surveillée, et… »
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase, déjà Lange posait sa main sur la poignée et la porte se déverrouilla par reconnaissance. Elle pénétra dans la maison avant que je ne puisse la retenir.
« Lange, bordel, reviens ! » Je m'engouffrai à mon tour. Devant moi un hall s'ouvrait sur plusieurs pièces et donnait sur des escaliers en face. L'humaine était déjà en train de les gravir. Bon sang, qu'est-ce qu'elle foutait?! Je m'élançai à sa suite, mais arrivé à l'étage je ne parvins pas à savoir dans quelle pièce elle avait disparu. Entrer dans cette maison n'était pas du tout une bonne idée, j'avais un très mauvais pressentiment. La prise de risque était maximale, j'en étais fortement angoissé. J'aurais été fortement en colère si je n'étais pas aussi anxieux. Je me jetai sur les portes, les ouvrants une par une à volée, m'exaspérant d'y trouver des placards ou une salle de bain vide. A chaque mauvaise pioche je redoublais de hargne.
Je finis par la trouver dans une chambre, assise sur un lit. Elle était dos à moi et regardait par terre. Je me précipitai vers elle, prêt à l'attraper par le bras et à l'arracher d'ici.
« Lan… »

J'avais commencé ma phrase avec empressement et exaspération, mais je ne pus la finir. En m'approchant je découvris qu'elle tenait sa tête entre ses mains et qu'elle pleurait, discrètement, mais à chaudes larmes. Ses cheveux tombaient sur son visage, son regard gorgé de larmes était comme éteint et sa bouche crispée en une grimace de sanglot. Le sol semblait être un océan de vide dans lequel son regard se noyait. Les vagues du néant se fracassaient dans ses yeux. Balayée par ces remous aussi tempétueux qu’invisibles, elle était aspirée dans les tréfonds du plancher.
« Lange… – esquissai-je doucement en m’agenouillant devant elle ». Je pris ses mains dans les miennes. Je dus les secouer un peu pour qu’elle réagisse et me regarde enfin dans les yeux. « Qu’est-ce que tu as ?
- Je… » Elle s’arrêta. Elle s’était exprimée dans un souffle et sa voix était tremblante. Son regard partait de droite à gauche, fuyant mon contact mais cherchant un point sur lequel se fixer. Elle était bouche bée, paralysée dans une expression de détresse. A cet instant je ne pus m’empêcher de penser à sa beauté. Bon sang, était-ce vraiment le moment opportun pour y songer ?! Mais je ne pouvais m’en défaire. Sa fragilité renforçait son charme et ravivait mes instincts protecteurs. Un désir irrépressible de la prendre dans mes bras s’empara de moi, mais je le contins du mieux que je pus. « C’est que… Je ne sais pas… Je… C’est chez moi, Raven. Chez moi. » Elle étouffa un sanglot. « Mais ce n’est plus chez moi à présent, ça appartient au passé… Et ça me tue, Raven, tu comprends ça ?! » Elle prononça ces mots avec colère, le poing serré, son regard me jetant des éclairs. Elle respirait fort, le débit de ses paroles s’accélérait. « J’étais heureuse, j’avais ma vie, mes amis, des garçons autours de moi, j’étudiais, j’étais une adolescente normale et j’aimais ma vie, bordel ! J’ai tout perdu ! Tout, du jour au lendemain. Je n’ai plus rien, plus de vie, je fuis, je me cache ! Je suis amoureuse d’un serial killer qui me méprise ! » Elle se leva et me repoussa en arrière. Je ne m’y attendais pas du tout. Les yeux écarquillés, j’étais incapable de prononcer le moindre son. « Je ne suis plus rien, je déteste ma vie ! Je te déteste toi ! »
Les mots me heurtèrent, mais pas autant que les poings qu’elle abattait sur mon torse. Je les saisis au vol pour l’arrêter. Elle pleura de plus belle, baissant la tête, appuyant son front contre mon thorax.
« Okay, d’accord – fis-je à voix basse – du calme.
- Je ne veux pas me calmer, je veux qu’on me rende ma vie.
- Je crains que ça ne soit impossible. » Je m’assis sur le sol et l’accompagnai dans mon geste. Elle se colla contre moi. Je refermai mes bras sur elle et posai ma main sur son visage. Le silence s’installa pendant quelques minutes, uniquement brisé par son souffle haletant, ses pleurs, et ses mots que j’entendais encore résonner dans ma tête. Ils avaient claqué comme des coups de fouet dans l’air. Je n’arrivais même pas à y réfléchir, j’étais déboussolé. Après une ou deux minutes, elle vint briser notre mutisme.
« Excuse-moi… Je… Je ne voulais pas dire ça. » Ses sanglots s’étaient estompés, et je voyais qu’elle hésitait à lever les yeux dans ma direction.
« Bien sûr que si, tu le voulais – lui-dis-je – mais tu as eu raison.
- Non ce n’est pas vrai… Je ne te déteste pas… Tu es comme moi, tu n’es pas responsable de ce qui nous arrive.
- Je comprends ta colère. C’est la même qui m’anime, tu le sais.
- Ce que nous ont fait nos pères est horrible.
- Oui. » En regardant autour de moi, je compris quelque chose de plus horrible encore. La chambre était assurément celle de Lange, la décoration y était très adolescente, avec un bureau pour travailler mais envahi d’un bazar qui laissait penser qu’elle vivait encore ici. Sur les murs il y avait des étagères remplis de livres, de musiques, de films… Mais un peu partout des affaires de cours, des photos d’amis à elle, des petits écrans passant en boucle des mini-vidéos de vacances. Lange avait vécu. Je savais que son père lui avait enseigné un peu la technologie, le maniement d’arme et ces choses-là qui la rendaient différente. Néanmoins, au-delà de ça, elle avait vécu, été une fille de son âge. A cet instant je compris que je n’avais rien eu, rien vécu, et que mon existence avait toujours été formatée par l’apprentissage de mon père. Mon père avait détruit une vie qui n’avait toujours dépendu que de lui. Une vie qui n’avait rien de réel.
« Je t’aime, Raven – souffla-t-elle.
- Je sais. » Je ne pouvais rien ajouter de plus. Je venais de comprendre à quel point son amour était proche du syndrome de Stockholm. Lange était prisonnière de sa nouvelle vie, je ne pouvais pas l’en libérer et faisais office de geôlier malgré moi.

Je pris soudain conscience du fait que nous étions toujours autant en danger dans cette maison, et fis signe à Lange de se relever.
« Nous ne pouvons pas traîner… Allons à la voiture et tirons-nous d’ici avant qu’il ne soit trop tard. » Car de toute façon, il était déjà trop tard. J’eus préféré qu’on n’entre pas du tout chez elle, et qu’on n’utilise pas leur véhicule familial qui risquait d’être surveillé et suivi… Mais en entrant, on avait peut-être déclenché une alarme ou quoi que ce soit, et des troupes étaient peut-être déjà en marche, il fallait donc partir au plus vite. Je ne pouvais pas en être certain, mais le doute suffisait à me presser. Avant de descendre les escaliers, elle s’immobilisa.
« J’étais dans ma chambre quand mon père m’a attaqué – raconta-t-elle – tu sais ? J’étais là, assise sur mon lit, et il a pointé son arme sur moi. Il a tiré, mais la balle vint se ficher au-dessus du lit. On peut encore voir l’impact. Je ne comprenais pas. J’étais en état de choc. Je me suis levé et je lui ai crié : " Papa, mais qu’est-ce qui te prend ?! ", mais il n’a pas répondu et m’a visé à nouveau. Je me suis baissé et j’ai couru vers lui, je l’ai bousculé pour l’empêcher de me tirer dessus, mais alors que je m’enfuyais il a réussi à me pousser en avant et j’ai dévalé ces escaliers la tête la première. Il a crié : " Reviens-ici, petite garce ! ". C’est un miracle si j’ai réussi à m’enfuir. C’était ici, juste ici, et ça me parait monstrueux que ça soit aussi prêt. »
Pendant qu’elle racontait, des larmes étaient revenues lui brouiller la vue, dévalant en cascade ses joues. Elle ne racontait pas l’événement, elle le revivait. La scène se déroulait sous ses yeux, et en bonne narratrice elle ne faisait que la décrire. Elle était ailleurs, elle ne voyait sa maison qu’au travers du prisme de son traumatisme. Si Lange partageait ses états d’âme, elle n’avait jamais laissé transparaître ses émotions profondes. Une barrière psychique l’en empêchait, et cette barrière avait été arrachée en revenant ici. Tout lui était revenu d’un seul coup, elle ne pouvait plus rien contrôler. Sa douleur avait envahi son esprit sans que celui-ci n’ait eu le temps de riposter. Ainsi fichée au sommet des escaliers, l’humaine avait des allures mortuaires. Ce n’était plus elle mais un spectre, une morte condamnée à vivre, condamnée à observer son décès. Je savais que je ne pouvais rien faire pour elle, et je n’imaginais que trop bien ce qu’elle pouvait ressentir, mais il fallait que l’on s’en aille et je ne pouvais pas nous permettre de prendre plus de risques. Je la pris par la main et la fis descendre les marches en la rassurant tant bien que mal. Je ne pouvais pas me permettre de la brusquer, elle était trop instable.
Au rez-de-chaussée, je l’invitai à me donner la direction du garage. Elle pointa le doigt en direction d’une porte sur notre gauche. Je la tirai par le bras pour qu’elle m’accompagne, mais elle s’arracha de mon emprise.
« Lâche-moi ! – cracha-t-elle.
- Lange, nous devons y aller !
- Je sais, laisse-moi juste un instant, j’en ai besoin, tu comprends ? » Je comprenais, mais ça commençait à m’échauffer.
« D’accord – lançai-je – Je prépare le véhicule et je reviens te chercher. Je te traînerai par la force s’il le faut, donc fais vite ce que tu as à faire. » Elle ne répondit pas et s’engagea dans ce qui semblait être une salle-à-manger. Je jurai à voix basse. J’imaginais dans ma tête mille scénarios d’embuscade. Cette maison, c’était l’endroit idéal à piéger pour nous arrêter. Lange nous faisait courir des risques inimaginables. Son état compliquait tout. Elle n’était plus du tout elle-même, elle semblait possédée, désincarnée. Plus que jamais elle marchait dans ses souvenirs, remontant le temps à chacun de ses pas. Elle regardait autour d’elle comme si elle découvrait ces lieux pour la première fois. Elle marchait sur le cimetière de son ancienne vie, foulait de ses pieds la terre sous laquelle gisaient ses rêves, pleurait devant la tombe de son innocence. Je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse être aussi atteinte par ce qui lui était arrivé, et trop préoccupé par mon propre traumatisme j’en avais oublié le sien.
J’entrai dans le garage. Le véhicule y était heureusement bien présent. C’était un gros bolide comme ceux que l’on avait croisé en venant jusqu’ici, monté sur de grandes roues conçues pour tracer leur chemin à travers les couches de neige. La chance me rassura quand je découvris que la portière était ouverte et que, miracle supplémentaire, les clés étaient restées sur le contact. Je n’avais même pas besoin de pirater le véhicule, tout était à ma disposition, j’en fus extrêmement ravi. Je mis en route le moteur et descendis. Avant d’aller chercher Lange, je décidai d’ouvrir le portail du garage pour faire sortir la voiture. J’appuyai sur le bouton prévu à cet effet et le portail commença à se relever. Le miracle ne dura pas plus longtemps.

Alors que le portail se relevait, je pus voir qu’autour de la maison s’étaient rassemblés une vingtaine d’hommes armés. Ils étaient tous vêtus d’une combinaison protectrice qui leur montait jusqu’au visage et se fermait sur un casque à visière. Visiblement, j’avais vraiment eu raison de m’inquiéter, mais j’eus tout juste le temps de le constater.
« Le voilà ! – s’écria l’un d’eux – Tirez à vue ! ». Le feu des armes se déversa dans ma direction. Les balles venaient percer le véhicule de part en part, brisant son pare-brise, crevant ses pneus. Le bruit métallique inonda mes oreilles tandis que la poussière envahit ma gorge et mes narines. Je m’étais jeté au sol et rampai du mieux que je le pouvais. Déjà je m’étais rendu invisible et pus regagner le couloir en réussissant l’exploit de n’encaisser aucune balle.
Lange poussa un cri de terreur. Alors que je courrai dans le couloir, les troupes d'assaut défoncèrent la porte d'entrée. Tout se passa très vite mais je reconnus sur leurs épaulettes l'écusson de l'UISM, l'Unité d'Intervention Spéciale de Métropolis. Comment pouvaient-ils être déjà là ?! Ils ne pouvaient pas venir de Kerwan en si peu de temps, c'était bien trop loin ! Une faction avait dû être postée sur la planète. Mais pour quelle raison ? Même si j'avais craint cette embuscade, je n'aurai jamais imaginé avoir à faire à l'unité la plus entraînée de la galaxie. La situation était bien plus dramatique que prévue. Il fallait agir vite et bien pour sauver notre peau.
Les deux premiers soldats à entrer s'avancèrent en cherchant une cible à viser. Je me ruai vers eux, dégainai ma dague et la plantai dans le ventre du plus avancé. Il poussa un cri de surprise, mais je ne lui fis pas bien mal. Malheureusement, la petite lame ne pût rien face à la résistance de sa combinaison. Malgré mon invisibilité, il tenta de m'asséner un coup que je réussis à parer. De ma main libre, j'attrapai son arme afin de la dévier et la lui flanquai au visage. Il recula. J'eus le temps de sortir mon pistolet et de lui ficher deux balles dans la tête, la première pour perforer sa visière, la seconde pour perforer son crâne. Il tomba raide mort dans une explosion de sang. Le deuxième soldat réagit immédiatement, localisa ma position et me tira dessus. J'eus le réflexe de me détourner pour limiter les dégâts, mais la balle qui me déchirait l'épaule m'envoya droit au sol. La douleur me lançait dans le bras et la nuque.
Autour de moi, j'entendis se briser une après les autres les fenêtres du rez-de-chaussée. L'Unité submergeait la maison pour mieux nous encercler. Il fallait que je rejoigne Lange dès maintenant. J'utilisai ma vitesse, fuis mon adversaire et courus à sa recherche. Je la trouvai assez rapidement, accroupie contre un meuble de la cuisine, terrifiée. Je me mis à côté d'elle et la saisis pour la rendre invisible elle aussi. Elle étouffa sa surprise et me chuchota, affolée :
« Raven… Je suis désolée, je n'aurais pas dû nous amener ici… Mais j'en avais besoin, tu comprends ? Il le fallait… Je suis désolée…
- Tais-toi, ce n'est pas le moment ! »

J'entendis leur chef donner des directives : "Il est invisible, ne prenez aucun risque !". Trois hommes entrèrent dans la cuisine en formation triangulaire, chacun protégeant le dos des autres. Ils tenaient un pistolet dans une main, et une matraque électrique dans l'autre. Ils brassaient l'air avec nervosité. On ne pouvait pas les approcher ni prendre le risque de les attaquer. Il fallait fuir, trouver un moyen de nous échapper. Seul, j'aurais tenté une attaque suicidaire, mais avec Lange à protéger c'était une autre histoire. Nous nous levâmes et quittâmes la pièce sans un bruit, tout en restant le plus éloigné de leurs amples mouvements.
On atteignit la fenêtre brisée la plus proche, on prenant soin de vérifier que les soldats étaient loin de nous. L’ouverture donnait sur la palissade séparant la maison du voisinage. On tomba d'accord pour sortir par ici. Lange l'enjamba et se laissa tomber à l'extérieur. C'est au moment où j'allais faire de même qu'une souffrance me paralysa. Mon dos se bloqua, mes jambes se raidirent, et ma tête me brûla d'un seul coup. Mon invisibilité, bordel, c'était elle qui me foudroyait ainsi ! La puce que m'avait implanté mon père était une bombe à retardement qui me tuait à petit feu. Je fus obligé de me rendre visible et de me tenir contre le rebord pour éviter l'évanouissement.
Évidemment, il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que les soldats me découvrent planté là. On tira dans ma direction. J'esquivai en me jetant en arrière, mais mes mouvements manquaient d'agilité. J'envoyai une salve et réussi à en toucher un, sans même le blesser. La colère grondait en moi, la frustration de ne pas pouvoir contrôler mon corps m'enrageait. Et cette haine contre mon père n'en brûlait que de plus belle, se déplaçant sur chacun des membres de l'Unité m'entourant. L'adrénaline pulsait dans mes veines, m'offrant l'énergie dont mon corps avait besoin mais que mon esprit ne pouvait pas contrôler. Je me sentais faible, ankylosé, ma blessure n'en finissait pas de rougir et de se répandre sur mon bras, la douleur n'en finissait pas de s'étendre en moi. Mais la hargne, la fureur, la haine était plus forte. Vous osiez me blesser ? Vous osiez m'attaquer ? Vous croyiez pouvoir me tuer ? Attendez de voir ce dont j'étais capable.
Avec le peu d'énergie dont mes muscles pouvaient jouir, j'aurais pu sauter par la fenêtre pour rejoindre Lange, mais je n'en fis rien. Je courus le plus vite que je pus et bondis sur un soldat. J'utilisai la puissance de mon impulsion pour lui soulever le menton et lui planter ma dague dans la gorge. La force perça sa combinaison et le sang jaillit sur mon visage. Oh, que c'était bon ! Je profitai de la surprise générée par la vitesse de mon déplacement pour me rendre à nouveau invisible. C'était une très mauvaise idée, bien évidemment, mais elle était indispensable à ma survie. Encore deux soldats se trouvaient dans la pièce. Je me saisis de la matraque de l'agonisant et l'envoyai dans le buste de celui sur ma gauche. Le choc électrique le repoussa en arrière. Je me déplaçai à toute vitesse derrière le second soldat, avant qu'il ne puisse réagir, et lui collai plusieurs balles à bout portant dans la nuque. Son armure ne le supporta pas et le pauvre bougre s'effondra. Celui que j'avais sonné se remit de ses émotions et tira une rafale vers ma position. Mais c'était trop tard, j'avais déjà bougé et je lui assenai un violent coup de matraque dans le casque. Il eut un geste de recul, tenta de se protéger à l'aide de son bras, mais la violence de mes coups le fit plier. J'en vins jusqu'à briser sa visière et le mis à terre. Je le frappai une dernière fois directement au visage. L'électrocution le fit convulser en même temps que je lui brisai le crâne.
Ma réjouissance fut exaltante mais, évidemment, de courte durée. A chaque blessure infligée l'adrénaline m'alimentait davantage, à chaque goutte de sang versée mon sentiment de puissance s'intensifiait, à chaque nouveau meurtre la hâte du suivant me faisait perdre la raison. Je n'eus pas le temps de me délecter du spectacle de ces cadavres éparpillés dans la salle de séjour, le reste de l'Unité envahit la pièce. Les soldats se positionnèrent en arc-de-cercle et, sans réfléchir davantage, tirèrent de haut en bas dans une direction commune. La stratégie était évidente et parfaite : peu importe où je me trouvais dans cet espace, je ne pouvais échapper au flot de balles se déversant sur moi. Le bruit de cette décharge de munitions était infernal. La quinzaine de fusils vomissait ses projectiles en un tonnerre assourdissant. C'est une idée de dernière seconde qui me sauva la vie. Je m'emparai du cadavre d'un des hommes et me cachai derrière lui pour me protéger. Il était plus grand et plus costaud que moi, et jouait donc bien son rôle de couverture de fortune. Les autres ne voyaient pas qu'ils déversaient leurs munitions sur leur camarade, puisqu'il était invisible lui aussi. J'entendais les balles déchirer son armure, ravager sa peau, broyer et marteler sa chair. Je sentais ses membres ballotter au rythme des impacts. Je pensais avec horreur à ce que serait devenu mon corps au milieu de cette tempête.
La douleur s'empara de moi également. La protection n'était pas parfaite et je reçus plusieurs balles dans la jambe. Et soudain, c'était comme si mon énergie s'écoula avec mon sang. L'adrénaline ne suffisait plus à masquer ma faiblesse. Seulement une vingtaine de secondes après que les soldats débutèrent leur peloton d'exécution, je déboulai en avant avec le maximum qu'il me restait de ma vitesse et défonçai leur barrage. Je lâchai le cadavre et m'engouffrai dans le couloir par lequel j'étais venu. Les hommes heurtés furent déstabilisés mais allaient très vite réagir. C'était à moi d'avoir la meilleure réactivité. J'attrapai le fusil mitrailleur de ma victime et tirai sur les soldats à ma portée. Le but premier n'était pas de les tuer, mais au moins de les mettre en danger pour me laisser le temps de m'enfuir.

Si cela avait été possible, j'aurai volontiers continué à tuer autour de moi. Mais il fallait me rendre à l'évidence et admettre que dans mon état, compte tenu de mes blessures et de ma faiblesse, je n'avais aucune chance d'en réchapper. Mon esprit ne pensait plus au meurtre mais à la fuite. L'excitation laissa place à l'instinct de survie, et il s'avéra que celui-ci m'offrait bien moins d'énergie. Ou peut-être simplement que mon corps avait puisé dans ses derniers retranchements pour m'offrir cette ultime dose de plaisir ? Le temps de répit qui m'était laissé était proche du néant, je m'en saisis pour enjamber la fenêtre par laquelle Lange était sortie. En posant mon pied sur le rebord, l'appuie provoqua une douleur tout le long de ma jambe blessée. J'eus à peine la force de franchir l'ouverture et m'écroulai dans la neige. Le froid hivernal anesthésia mes blessures mais raidit davantage mes muscles. Je me relevai en boitant et entendis derrière moi les soldats qui se précipitaient à ma suite. Il fallait que je m'échappe, que je retrouve Lange. Puisant dans mes réserves, j'utilisai ma vitesse. Je n'allais pas aussi vite que d'habitude, mais j'allais assez vite pour les semer. Du moins, c'était l'espoir qui m'animait avant que je ne m'affale au bout de dix mètres.
Au cours de cette course, je perdis simplement l'équilibre. Je ne tenais plus debout, et malgré mes efforts je ne parvins pas à me relever. La douleur parcourait mon échine. Mon cœur ralentissait, mon corps tremblait, mes dents claquaient. Mes yeux étaient embués, je voyais flou. J'étouffais, peinais à prendre ma respiration. Soudain, mon ventre me plia en deux et je vomis. J'étais scié de toute part. Il fallait que je me rende visible dès maintenant… mais c'était impossible, ils me tueraient immédiatement.
« Suivez les traces de sang ! – s'écria-t-on derrière-moi ». Visiblement, je me répandais dans la neige. J'entendais se rapprocher les bottes, les armes claquant contre les armures, les injures que l'on proférait à mon égard. A la force des bras, je tentai de ramper mais ne pus aller bien loin. J'étais perdu, condamné, victime à la fois de ma puce d'invisibilité et de ma stupide folie qui m'avait fait prendre des risques inutiles.
« Regardez ! Il clignote !
- Ne le tuez pas, il ne peut plus se défendre ». J'étais abasourdi. Je clignotais ?! Mon corps était tellement faible que l'invisibilité s'arrêtait d'elle-même. Résigné, je me rendis complètement visible, acceptant mon destin. On me saisit par le col comme si j'étais une poupée de chiffon. Le soldat profita de sa fortune pour me flanquer trois coups de poing magistraux en pleine figure. Il me rejeta au sol et m'envoya un coup de pied dans l'estomac. Je vomis un peu plus. Il me retourna face contre terre, appuya son genou entre mes omoplates, écrasa mon visage dans la neige et me passa les menottes. La sensation de la défaite était bien aigre. Je ne réalisais pas ce qui se déroulait, ma fièvre rendait la scène irréelle.
« Tu es en état d'arrestation, enfoiré - cracha-t-il ». Il me souleva et me traîna avec lui. Je n'avais plus aucune résistance et me laissai faire docilement.
« Bravo, chef ! – scanda-t-on dernière-nous – Après Marshall Down il y a deux jours, vous attrapez Slim Vimer aujourd'hui, vous pouvez être fier de vous ! ». Celui qui me retenait releva sa visière. Et là, je le reconnu, c'était lui, c'était toi, Dave Neels, mais on ne s'était jamais rencontré jusqu'alors. Le policier héroïque face au criminel galactique.
« Oui, mais à quel prix ? – soufflas-tu – Il a tué des hommes, et c'est ce que je voulais éviter par-dessus tout. La fille de Down court toujours, mais on l'attrapera elle aussi. En attendant, on va faire payer celui-là pour ses crimes. »

Tu me tins par le bras, me traînas alors que je clopinais. Bombant le torse, brossant ton pelage du revers de la main, tu affichais ton air dur et fier. Je ne voyais pas grand-chose, je luttais contre l’évanouissement, ma tête ballotant au rythme de nos pas. Je vis la lueur des gyrophares s’approcher. Je vis le blizzard nous envelopper un peu plus, mais ne le sentais plus. Je vis l’intérieur du véhicule de police, te vis attacher des sangles autour de moi. Tu t’assis à mes côtés. Je vis ton sourire.
« Tu fais moins le malin maintenant hein, ordure ? – sifflas-tu. » Voyant que je peinais à maintenir les yeux ouverts, tu ricanas. « Dors tant que tu le peux, profites-en, la suite sera beaucoup moins agréable, je te le garantis. Ne t’inquiète pas, ta petite-copine te rejoindras bientôt. » Je ne supportais pas que tu mentionnes Lange, je ne le supportais vraiment pas. Je dus lutter pour trouver la force de te répondre.
« Si tu la touches, je te tue. »
Tu souris, je m’évanouis. Ainsi, Neels, commença notre franche rivalité. »

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