Ratchet & Clank: Mind Games - Chapitre 17

Auteur : Arayn

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Ratchet réduisit légèrement la poussée de ses réacteurs. Le radar indiqua que ses trois ailiers l’avaient imité. Ils se trouvaient en orbite de Maglaar, suffisamment proches pour que l’astre emplisse leur champ de vision. Leur trajectoire était parallèle à la ceinture d'astéroïdes, qui dessinait avec cette perspective une fine cicatrice, traversant l'étendue désertique. Du fait de la position du soleil, une moitié de la ceinture était plongée dans l'ombre de la planète, contrastant avec les rochers brillants du côté éclairé. La différence de luminosité à la frontière de la nuit rendait la navigation difficile, et il était aisé de cacher un vaisseau dans l'ombre des corps à la dérive.


C'est pour cette raison que le Lombax avait choisi cet endroit, et ce moment, pour effectuer son test. Après un dernier balayage radar, il contacta son escadron.

  - Ils vont sûrement nous prendre en chasse dès notre entrée dans le champ d'astéroïdes. Vous êtes au point pour la formation ?

« - Je suis au point, répondit Hisat. »

« - Pareil pour moi, renchérit Pagan. »

« - Tout est paré, ajouta Knox. Ratchet, tu ne préfèrerais pas prendre la cargaison ? Ton vaisseau est plus rapide que les nôtres. »

  - Le tien suffira largement. Et je veux pouvoir me balader librement pour vous évaluer.

« - Si tu insistes... »


Ratchet fixa une nouvelle fois son radar, alors qu'ils approchaient des astéroïdes. À cette portée, il devrait normalement détecter les chasseurs de la seconde équipe, mais ils avaient manifestement réussi à cacher leur signature dans les anfractuosités des rochers. Son équipe était en revanche parfaitement visible, et l'imminence d'une embuscade se faisait de plus en plus sentir.

Le test était simple : il avait recruté des champions de course, et voulait vérifier leur capacité à coopérer. Pour cela, il avait conçu un petit jeu : un vaisseau par équipe transportait sous son ventre une versa-cible – c’était le porteur. Les deux ailiers étaient seulement sensés le protéger, mais pouvaient à tout moment récupérer la cible pour devenir porteurs à leur tour.

Pour gagner, une équipe devait, tout en conservant la leur, s'emparer de la cible adverse et la transporter au travers d'une ligne d'arrivée située de l'autre côté du champ d'astéroïdes. Pour cela, tous les chasseurs étaient équipés de longes cinétiques. Mais pour éviter qu'un porteur se cache et laisse ses ailiers faire le travail, Ratchet avait ajouté une règle spéciale : seul le vaisseau du porteur pouvait utiliser la longe pour attraper la cible adverse, et si une équipe perdait sa cible, toutes leurs longes étaient débloquées pour pouvoir la récupérer. Enfin, si le vaisseau d'un porteur était détruit - les armes étaient évidemment virtuelles -, la cible se détachait et n’importe-qui pouvait s'en emparer.


Comme l'une des équipes bénéficiait de l'effet de surprise, Ratchet avait décidé de rejoindre l'autre afin d'équilibrer un peu les forces. Il conservait malgré tout un rôle d'observateur, et n'interviendrait qu'en cas de déséquilibre dans la bataille : le but était de la faire durer le plus longtemps possible.

  - Tenez-vous prêts, dit-il alors qu'ils entraient dans la ceinture.


Aussitôt, Knox poussa ses moteurs à fond, suivie de près par Hisat et Pagan. Ils slalomèrent le plus vite possible entre les astéroïdes en conservant une formation en triangle serrée. Ratchet resta en retrait pour constater la réaction de l'autre équipe, qui ne se fit pas attendre : les trois chasseurs étaient dissimulés à l'entrée de la ceinture, sur trois astéroïdes différents. Ils partirent à la poursuite de leurs adversaires en formant un large cercle autour d'eux.

La tactique était astucieuse : le cercle allait se resserrer progressivement, et il suffisait que l'un des trois poursuivis rompe la formation pour que l'escadron entier lui tombe dessus.


Il y eut quelques secondes de flottement. Chacun était occupé à conserver sa trajectoire en évitant les rochers. Ratchet augmenta son accélération pour suivre le groupe, en restant à bonne distance. Il rasait de quelques mètres les dangereux obstacles, et heurtait une nuée de minuscules projectiles à chaque virage. À cette vitesse, sans son bouclier déflecteur, ces débris de quelques centimètres auraient déjà transformé son vaisseau en éponge. C'était ce qui rendait la traversée d'un champ d'astéroïdes si dangereuse : il fallait certes naviguer au milieu des rochers les plus massifs, mais les plus petits étaient une menace tout aussi importante pour les vaisseaux de taille modeste, comme le sien.


Cependant, Ratchet n'en était pas à son vol d'essai. Exécutant des manœuvres dont seul un Lombax était capable, il faisait danser Aphélion aussi précisément que Qwark signait des autographes, et avec pas moins de plaisir. Les cascades débridées à plusieurs centaines de kilomètres à l'heure, le vertige causé par l'accélération, juste assez compensé pour qu'il ne perde pas connaissance, lui procuraient une sensation indescriptible. Aphélion et lui se connaissaient par cœur. La relation qui les unissait n'était pas de l'amitié, ou de l'amour, mais quelque chose de différent. Lorsqu'il pilotait, il ne faisait plus qu'un avec sa monture, une fusion qu'il n'avait jamais ressentie à ce point avec tous les vaisseaux qu'il avait connus. Était-ce grâce à la conscience de la machine Lombax, ou du degré de perfection de la technologie qu'elle abritait ? Après bientôt dix ans, il n'en avait toujours aucune idée. En tout cas, tant qu'il était aux commandes de l'Ange, une ceinture d'astéroïdes ultra dense paraissait un obstacle bien dérisoire.

Mais les voyants de son radar lui rappelèrent bientôt qu'il n'était pas ici pour faire de la voltige, et le Lombax se ressaisit. Quelques vrilles plus tard, il avait atteint la position ciblée. Il se trouvait désormais en-dessous des deux équipes, bien qu'il soit plutôt au-dessus depuis leur point de vue. Dans cette zone moins dense en astéroïdes, il pouvait suivre leur progression en levant simplement les yeux. Quelques instants à peine s'étaient écoulés depuis que l'équipe embusquée avait pris l'autre en chasse, et aucune des deux n'avait encore lancé d'offensive directe.

Aphélion l'informa qu'ils avaient traversé environ un quart de la ceinture.


Thoz, Jexica et Taelor continuaient de tourner autour de l'autre équipe, qui avançait toujours en formation serrée.

Soudain, Jexica se plaça derrière l'escadron et ouvrit le feu. Les projectiles virtuels fusèrent en simultané sur les visières de tous les pilotes. Aussitôt, Hisat enclencha ses rétrofusées à puissance maximale. Son vaisseau ralentit brusquement, ce qui dut sûrement mettre à mal les amortisseurs inertiels. Il enchaîna avec une vrille, se laissa dépasser par sa poursuivante et remit les gaz pour la prendre en chasse à son tour.

Taelor, qui portait la cible de son équipe, braqua vers Knox, suivi par Thoz. L'Agorienne essaya de semer ses adversaires dans les astéroïdes, tandis que Pagan se sépara d'elle pour attaquer les autres sur le flanc. Pendant ce temps, Jexica et Hisat tournoyaient autour d'un axe invisible, tels deux insectes attirés par une ampoule.


Ratchet fit se son mieux pour suivre tout le monde, et se faire une idée de leur style. Tous les pilotes avaient déjà été aux commandes de vaisseaux de combat, loués pour leurs performances, et le Lombax se rendit vite compte qu'ils se comportaient exactement comme sur la piste de course.

Hisat illustrait parfaitement son tempérament impulsif, tout en acrobaties et manœuvres périlleuses. Cela le rendait difficile à toucher, mais il se mettait lui-même plus en danger que nécessaire. Jexica avait apporté sa touche personnelle au style de combat des Valkyries. La guerrière robotique traçait des trajectoires gracieuses, entrecoupées de piques agressives, telle une mortelle parade nuptiale.

Plus loin, les deux Agoriens faisaient honneur à la réputation de leurs congénères : foncer d'abord, se poser des questions ensuite. De fait, ils étaient assez prévisibles, mais c'était comme savoir qu'un Grunthor chargeait toujours en ligne droite : une fois que plusieurs tonnes de muscles étaient lancées à pleine vitesse, comment les arrêter ?

Alors que les chasseurs des deux cousins se débattaient furieusement, Taelor se frayait un chemin derrière son adversaire avec fluidité.

Du fait de sa condition de cyborg, il profitait de ses nombreux membres indépendants pour adopter des trajectoires complètement imprévisibles, mais soigneusement calculées, de façon similaire aux chorégraphies si populaires dans les clubs de la capitale.

Ratchet chercha un instant Pagan avant de retrouver son vaisseau. Dans l'espace comme sur terre, ce dernier avait le talent de disparaître, et de se faufiler entre ses adversaires sans quitter le peloton de tête. Manœuvrant entre les astéroïdes par à-coup secs et précis, il prit les poursuivants de Knox à revers et entreprit des attaques farouches pour empêcher Taelor d'utiliser sa longe cinétique.

Pour le moment, seuls les boucliers encaissaient les tirs. Quand l'un d'eux tomberait, c'est là que le combat deviendrait intéressant. Ils avaient déjà traversé la moitié de la ceinture...

Soudain, Hisat piqua brutalement de du nez en direction du peloton. Au même moment, Knox lança sa longe cinétique droit devant elle. La pointe énergétique se ficha dans un astéroïde deux fois plus gros que son vaisseau. Celui-ci était constitué de métaux et particulièrement dense, et ne se désagrégea pas à l'impact.

L'Agorienne imprima un mouvement de rotation autour du rocher, se servant de la longe comme d'une fronde. Taelor fit de son mieux pour suivre, et Thoz se déporta en avant pour tenter de stopper la manœuvre périlleuse de sa cousine.

Ratchet accéléra et se rapprocha suffisamment pour venir en aide aux pilotes en cas de collision. Knox tournait de plus en plus vite. Encore quelques minutes, et les compensateurs inertiels ne pourraient plus empêcher une perte de connaissance...

  - Knox, s'écria-t-il, ne fais pas l'inconsciente et ralentis !

« - Ferme-la et regarde, Lombax, grogna l'Agorienne. Vous êtes prêts, les gars ?»

« - C'est quand tu veux ! répliqua Pagan. »


Hisat surgit alors de derrière un astéroïde, piquant sur Taelor et Thoz à une vitesse vertigineuse, et Jexica sur ses talons. Le Markazien tira deux missiles à concussion, efficaces à condition de passer les barrières cinétiques. Pagan se plaça en même temps dans le sillage des deux adversaires et les mitrailla, les projectiles de plasma dessinant des ridules bleutées sur les écrans. Malgré cela, les poursuivants ne lâchaient pas leur cible d'une semelle.

Alors que les missiles se rapprochaient dangereusement, le bouclier de Thoz finit par lâcher, et l'Agorien dut décrocher au dernier moment pour éviter d'être éliminé. Il largua aussitôt des contre-mesures et le missile finit dans un rocher, libérant une explosion de pixels sur la visière de Ratchet. Le second projectile toucha Taelor, et fit voler en éclats son bouclier virtuel, ce dernier protégeant néanmoins la coque de l'explosion. Jexica abandonna sa chasse et tira immédiatement sur Pagan pour protéger le cyborg.

Tout à coup, Knox lâcha son astéroïde, et l'énergie emmagasinée par sa folle manœuvre la propulsa en un éclair en direction du vaisseau de Taelor. Ce dernier ne put esquiver la longe cinétique qui jaillit à nouveau et lui arracha sa cible, privée de protection.

Triomphante, l'Agorienne s'éloigna du groupe puis fit demi-tour, fonçant vers la ligne d'arrivée avec les deux cibles en sa possession.


Par la radio, Ratchet put entendre les protestations et les jurons de l'autre équipe, qui se rua immédiatement à la poursuite de Knox, Pagan et Hisat sur leurs talons. Le Lombax sourit et accéléra pour les rejoindre. Maintenant que les deux équipes s'étaient affrontées, elles allaient avoir du mal à coopérer. Pourtant, il comptait s'emparer tout seul des deux cibles et terminer cette course, alors il verrait bien ce dont ses pilotes étaient capables.


***


Keirra sortit du cabinet avec un grand sourire aux lèvres. Elle fit quelques étirements sous les yeux étonnés des infirmiers qui passaient dans le couloir d'un blanc immaculé. La légère pointe de douleur qui perça derrière son genou la fit tressaillir. Son corps la rappelait à l'ordre : "Ce n'est pas parce qu'on t'a retiré tes attelles que tu peux faire n'importe-quoi !" Malgré cela, quel bonheur c'était de pouvoir bouger librement, après presque deux semaines coincée dans des carcans médicaux !

Elle s'écarta pour laisser passer un robot d'entretien et partit d'un pas léger – et sans boîter – en direction de l'accueil de la clinique, sa veste d'uniforme par-dessus l'épaule.


Les couloirs débordaient d'activité. Cette clinique, comme tous les établissements médicaux de la planète, avaient été réquisitionnée pour accueillir les réfugiés. Les Lokis n'avaient conquis aucune colonie à la suite de leurs attaques, mais le plus souvent, les dégâts matériels étaient tels que le gouvernement était contraint d'évacuer la population. Même sur les planètes les moins dévastées, les habitants préféraient fuir vers la protection des mégalopoles galactiques plutôt que de voir revenir l'envahisseur. Des vaisseaux d'évacuation partaient précipitamment, n'apportant que les premiers soins aux blessés, et se retrouvaient tôt ou tard en orbite de planètes comme Iglak. Un flot de réfugiés se déversait alors sur tous les services gouvernementaux : assurances, sécurité, recherche des disparus, et soins médicaux.

La clinique se trouvait dans le centre de Luminopolis, et n'était certes pas aussi peuplée que le grand hôpital de Meridian City, mais tout le monde était déjà débordé. Les chambres étaient pleines, et Keirra vit des médecins se pencher sur des patients allongés sur de simples brancards serrés contre les murs. D'autres attendaient ou dormaient, enroulés dans des couvertures de survie orange réfléchissant.

Les annonces se succédaient par les haut-parleurs, couvrant quelques secondes les instructions des médecins et les plaintes des patients. Les robots d'entretien faisaient de leur mieux pour conserver un environnement propice aux soins malgré la surcharge de population. La Markazienne slaloma entre les brancards dispersés dans le grand hall, saluant au passage les soldats blessés qui rentraient du front.


Finalement, elle trouva ce qu'elle cherchait. Accroupie en face d'un soldat markazien allongé dans un brancard, Jillian avait l'air embarrassée. Elle était vêtue de son uniforme blanc d'infirmière, ses cheveux dorés ramenés en arrière et attachés serré. D'une main, elle tenait une tablette numérique. L'autre était gentiment posée sur le bras valide du blessé. Le jeune homme avait la moitié du corps et du visage enveloppés dans des bandes de Nanotechs cicatrisantes. Keirra s’approcha, et vit son regard embrumé par les anesthésiants. Sa main chercha un instant celle de Jillian, qu’il saisit faiblement. Il tourna la tête vers la Cazare, et laissa échapper un grognement de douleur.

  - Où sont… Zyre et Gallen ? demanda-t-il d’une voix tremblante.

  - Ils n’ont pas été rapatriés avec vous, répondit lentement Jillian. Rien ne dit qu’ils ne soient pas encore en vie.

  - Si ces monstres leur ont mis la main dessus, c’est comme s’ils étaient morts.


Une violente quinte de toux secoua le blessé, et une glaire sanguinolente tacha les bandes médicales.

  - Et la colonie ?

  - Plusieurs centaines de civils ont été évacués grâce à vous. Des familles…

  - Plusieurs centaines ? s’écria le soldat, se redressant malgré ses blessures. Ils étaient des milliers sur Mundar !

  - Les Lokis étaient trop nombreux, expliqua Jillian en l’aidant à se rallonger et en essuyant les nouvelles traces écarlates sur sa combinaison déchirée, ignorant les souillures sur sa blouse blanche. Ils étaient venus pour leurs cristaux, et vous avez dû fuir pour ne pas être submergés.

  - Je me souviens… murmura-t-il. On remontait dans la navette, et j’ai vu le projectile arriver…


L’œil valide du Markazien s’embua de larmes.

  - Gallen et Zyre étaient encore à l’intérieur… J’ai essayé de les avertir… Puis il y a eu comme un éclair, et tout est devenu blanc, et rouge…

  - Des vaisseaux sont en route pour rechercher des survivants. Si votre escouade est toujours en vie, ils les trouveront. Vous les avez peut-être sauvés avec votre avertissement.


Le soldat ne répondit pas, et son regard se perdit dans le vide. Jillian essuya le mélange brillant de sang et de larmes sur son visage meurtri, et se pencha vers lui.

  - Je vais vous donner quelques sédatifs. Un médecin vous prendra en charge le plus tôt possible. Je reviendrai vous voir si j’ai des nouvelles, c’est promis.


L’infirmière se releva et s’écarta du brancard. Elle se retourna en regardant sa tablette, puis ses yeux rencontrèrent ceux de Keirra. Elle qui était quasiment euphorique quelques minutes plus tôt, aurait à ce moment bien eu besoin d’un bon remontant. Elle s’avança vers sa femme et l’étreignit longuement.

  - J’allais te demander si tu avais cinq minutes, mais vu le contexte, je ne sais pas si c’est…

  - Aucun souci, la coupa-t-elle. Une petite pause ne me fera pas de mal.


Jillian l’entraîna près d’une baie vitrée. Le soleil matinal éclairait d’une lumière dorée les gratte-ciels bleus marine de Luminopolis. Les voies aériennes étaient, comme toujours, bondées de véhicules en tous genres. Un train magnétique passa sans un bruit à quelques dizaines de mètres, conduisant ses dizaines de passagers à leur lieu de travail.

  - Si on m’avait dit que la plus belle femme de la galaxie travaillait dans cette clinique, je me serais levée plus tôt, susurra Keirra dans une tentative maladroite de détendre l’atmosphère.

  - Je ne voulais pas te réveiller, s’excusa-t-elle. Comment s’est passé le rendez-vous ?

  - Sans problème. Encore quelques jours de rééducation et je pourrai retourner au front.


La Cazare baissa les yeux et tourna brièvement la tête vers l’étalage de brancards.

  - Tu seras prudente, hein ?

  - Bien sûr, ça m’ennuierait de te donner des heures supplémentaires.

  - J’aimerais bien, oui, dit-elle en souriant. Et ceci ? demanda-t-elle en désignant la veste d’uniforme sur l’épaule de Keirra.

  - On m’a convoquée pour la journée. Le Capitaine Tyral a quelque chose à nous montrer, il paraît. Mais c’est juste pour la forme, je serai encore à la maison ce soir.

  - Très bien, soupira-t-elle. Je ne vais pas plus te retenir, alors.

  - Pareil pour moi. Tient le coup, Jil’, souffla Keirra en lui embrassant le front. On se retrouve plus tard.


***


Le Vigilant était arrimé à la ceinture de défense orbitale. Cet anneau artificiel de dix kilomètres de section était trop fin pour être distingué depuis l’espace, et se résumait alors à une simple ligne brillante sous la lumière du soleil. Depuis la surface d’Iglak, on pouvait néanmoins distinguer la structure irrégulière des stations militaires et des docks où stationnaient les vaisseaux les plus imposants. Ce projet dantesque avait été lancé après la libération de la galaxie du joug de Tachyon. Il fut endommagé avant la fin de la construction lors de l’attaque de l’Éphéméris, quatre ans auparavant. Quand les Néthers avaient envahi Meridian City deux ans plus tard, les installations défensives avaient repoussé une partie des forces ennemies, mais il était assez clair que les ingénieurs n’avaient pas prévu d’affronter des monstres interdimensionnels.

Aujourd’hui, l’anneau était considéré comme l’un des piliers de la défense de Polaris. Sa puissance de feu permettait à Iglak de se séparer d’une partie de sa flotte de soutien, qui avait pu être envoyée vers les secteurs moins protégés. De plus, l’organisation des docks permettait de prendre en charge une bonne partie des vaisseaux civils qui transitaient par le système : comme les cales sèches étaient localisées sur l’anneau, les autres stations orbitales gagnaient en espace de construction. C’était une merveille de technologie, qui n’avait rien à envier aux fabuleuses inventions des Lombaxs.

On fit embarquer la Markazienne dans une petite navette automatisée. Après plusieurs semaines passées à la surface, l’accélération caractéristique d’une montée en orbite suivie du court passage en apesanteur lui remuèrent un peu trop l’estomac à son goût. Elle se surprit à avoir l’impression de tomber, sensation typique chez une personne n’ayant jamais goûté à l’absence de gravité. Elle n’était quand même pas restée si longtemps au sol !

Bientôt, le générateur de gravité artificielle fit son office et l’estomac de Keirra se remit en place. Occupée à se demander si le choc qu’elle avait reçu à la tête n’avait pas altéré ses facultés, elle eut à peine le temps de voir l’imposante silhouette du cuirassé markazien bloquer la lumière du soleil lorsque la navette passa à côté pour rejoindre un sas.


Elle salua rapidement l’officier de liaison et partit d’un pas rapide en direction du lieu de rendez-vous. Contrairement aux stations orbitales qui recevaient les civils, qui étaient donc aménagées et décorées pour créer une atmosphère accueillante, l’anneau était majoritairement constitué d’installations militaro-industrielles. Les panneaux métalliques nus et saillants remplaçaient les surfaces lisses et les courbes agréables de Meridian City. En fait, Keirra aurait aussi bien pu se trouver sur un vaisseau de guerre géant : les pelotons de soldats se déplaçaient au trot dans les coursives, des techniciens grouillaient dans les hangars et les zones de maintenance, et les haut-parleurs ne cessaient de déverser de nouvelles informations et directives. L’avantage, c’est qu’on ne risquait pas de se perdre, et la Markazienne trouva aisément le sas qui menait au Vigilant.

À l’instant où elle vit le tunnel semi-rigide qui traversait le vide spatial pour relier la station au pont de débarquement, ses membres furent saisis d’une soudaine envie de courir. Elle se réfréna – ce n’était pas très respectable de la part d’un officier – mais franchit tout de même le sas le sourire aux lèvres. Elle avait toujours servi sur ce vaisseau, et le revoir lui donnait l’impression de rentrer à la maison. Cependant, à l’exception du personnel technique, il n’y avait aucun membre d’équipage en vue.

« Tyral nous a donné rendez-vous dans le hangar, ils doivent déjà attendre. Pourvu qu’il ne se soit pas décidé à venir en avance ! »

Keirra jeta un rapide coup d’œil à sa montre – elle était dans les temps – et se rendit à la poupe du vaisseau.


Presque trois cents soldats se tenaient en rang dans le vaste hangar. À en juger par le brouhaha provenant de la foule, Tyral n’était sûrement pas arrivé. Keirra se rendit immédiatement auprès des autres officiers, situés au premier rang, devant leurs unités respectives.

  - Lieutenant, la salua un pilote juste derrière elle. Ça fait plaisir de vous revoir.

  - Plaisir partagé. Comment se sont passées vos vacances ?

  - Honnêtement, répondit un artilleur, on s’amuse bien plus quand vous êtes aux commandes.

  - Au fait, on a vu la vidéo de la course-poursuite à Luminopolis. Appelez-nous la prochaine fois, vous ferez profiter les collègues !

  - J’y penserai. J’aurais bien eu besoin d’un pilote sur ce coup.

  - Vous comptez reprendre l’unité ?

  - J’imagine que cela dépend du Capitaine, mais je devrais pouvoir partir avec le Vigilant.

  - Garde à vous ! tonna une voix puissante depuis l’entrée du hangar.


L’ordre intima aussitôt le silence, et tous s’exécutèrent. Le commandeur qui venait de l’aboyer s’écarta pour laisser passer le Capitaine Tyral, qui vint se placer devant l’assemblée. Derrière lui, deux soldats déposèrent un gros coffre en fibre de carbone avant de rentrer dans le rang. Ses yeux jaunes, particulièrement visibles sous son pelage brun, scrutèrent un instant les visages face à lui.

  - Repos. Certains se demandent sûrement pour quelle raison nous les avons appelés en pleine permission, dit-il d’une voix forte. Nous avons reçu de nouvelles directives de l’état-major dont je dois vous faire part, mais je dois d’abord vous montrer ceci.


Le Cazar fit un geste de la main et plusieurs écrans holographiques apparurent à mi-hauteur, permettant aux spectateurs les plus éloignés de voir ce qui se tramait au premier rang. Tyral se tourna ensuite vers la caisse et ouvrit les verrous. Il extirpa de la mousse protectrice une arme à l’apparence étrange : l’armature était celle d’un fusil d’assaut classique, mais le canon était vierge de toute fioriture ou coque à l’extérieur, comme si on l’avait simplement soudé à une extrémité pour le relier à la chambre. De plus, la face externe du cylindre était couverte d’une texture héliocoïdale, le faisant s’apparenter à une énorme vis. L’ensemble était cerclé d’un anneau, enfilé sur la spirale métallique. La pièce était surmontée de trois capsules oblongues, chacune traversée par une tige extensible les reliant à un second anneau, situé juste au-dessus de la gâchette. Cet appareil semblait capable de tourner autour du canon, en s’enroulant sur la « vis ».

La poignée ergonomique pour la seconde main était séparée de ce dernier, et mesurait presque la même longueur. En fait, elle s’étendait jusqu’à la crosse en une seule pièce en morpho-plastique, et une fente à son extrémité indiquait qu’une sorte de baïonnette était stockée à l’intérieur, prête à jaillir sur une trentaine de centimètres.

Pour le reste, le mécanisme de l’arme semblait utiliser des munitions au plasma classiques et le viseur holographique semblait normal, quoi qu’agrémenté de quelques gadgets à l’utilité mystérieuse.


  - Voici le dernier-né des cerveaux de GruminNet, expliqua Tyral. Cet engin est notre toute première arme anti-Loki.


Leur curiosité piquée au vif, une vague agita la foule de soldats cherchant à obtenir une meilleure vue sur les écrans. Ils furent néanmoins immédiatement rappelés à l’ordre par le rugissement autoritaire du commandeur.

  - Vous aurez tout le loisir de l’essayer durant les jours à venir. Ce fusil est équipé de trois dispositifs dont seront bientôt équipés toutes les Forces Défensives : un détecteur, un extracteur, un bouclier et une lame harmonique. Je n’ai pas de Lokis sous la main, mais voyez plutôt la démonstration des équipes de test de GruminNet.


Les écrans basculèrent sur un enregistrement vidéo. Un Agorien était maintenu dans un caisson de stase, face auquel se tenaient deux soldats en armure. Les deux étaient armés de cette nouvelle arme. L’un d’eux se mit à genoux, l’autre fit un signe à la caméra, et le caisson s’ouvrit, libérant un nuage de fumée. En un éclair, l’Agorien en jaillit et se jeta sur eux. Cette vitesse ne pouvait être due qu’à la présence d’un parasite. L’air autour de lui ondulait légèrement, confirmant la présence de leur bouclier anti-énergie.

Cependant, les soldats réagirent au quart de tour. Celui qui était resté debout pointa son arme sur l’ennemi et activa le dispositif rotatif. Trois rayons dorés jaillirent de l’anneau et s’enroulèrent autour de la montagne de muscles. Les vrilles énergétiques gagnèrent en luminosité, alors que l’Agorien tentait de les repousser. Sur le fusil, l’anneau tournait à toute vitesse, remontant le long du canon et se rapprochant du tireur, sans déstabiliser le fusil outre-mesure. Désespéré, le Loki fit déferler une vague d’énergie psychique sur les soldats, mais celui resté accroupi activa le bouclier situé au bout de la poignée et les volutes mauves se brisèrent sur l’hémisphère invisible, qui se teinta de bleu au contact. L’énergie crépitante courut le long de la barrière et se concentra dans une batterie que le soldat portait sur son dos. Son équipier intensifia encore la puissance de l’extracteur, et les deux anneaux se joignirent à la base du canon.

Les vrilles dorées se tendirent, et l’Agorien perdit l’équilibre, alors qu’une silhouette fantomatique était arrachée du corps par les liens énergétiques. Cette rupture avait visiblement affaibli ce que Keirra devina être le Loki. Sans lui laisser le temps de récupérer, le soldat au bouclier se rua sur l’Agorien pour l’abriter derrière son écran, tandis que le second fit jaillir une fine lame blanche de la poignée et chargea le Loki. Il prit son élan, traversa le champ protecteur de la créature et plongea violemment la baïonnette dans son torse, qui se révélait finalement bien tangible. Le parasite se tordit pour essayer de s’échapper, mais le soldat tint bon. La « peau » autour de la blessure se fissura, puis se brisa comme du verre, et le Loki disparut dans une lumière aveuglante.


L’enregistrement s’arrêta, et Keirra se rendit compte qu’elle avait retenu son souffle. Ce combat avait duré à peine cinq secondes.

  - D’après nos sources, reprit le capitaine, cet extracteur est absolument imparable. Les Lokis auraient même contribué à son élaboration, quatre ans auparavant, et cet appareil avait pour but de les aider à se déplacer d’un corps à l’autre. Nous possédons maintenant cette technologie, nous l’avons améliorée et à ce jour, les parasites sont toujours incapables d’y résister. Cette arme, proclama-t-il en tenant l’arme bien haut, est l’instrument de notre victoire, comme le Dimensionnateur fut celui des Lombaxs.

  - Capitaine, intervint Keirra, sauf votre respect, cela paraît un peu facile. Savez-vous quelles sont ces « sources » ?

  - Bien sûr, rétorqua son supérieur. Ratchet et Clank ont récupéré cette technologie, ainsi que les deux scientifiques travaillant actuellement chez GruminNet qui sont responsables de son développement.


Une rumeur exaltée traversa le hangar, et la Markazienne ne put réprimer un sourire. Elle s’en doutait un peu, mais entendre Tyral le répéter devant tous ne pouvait qu’encourager le moral des troupes – et le sien.

  - Bien sûr, il existe plusieurs modèles : fusil à pompe, pistolet-mitrailleur, et j’en passe. L’état-major a été très clair : nous devons nous préparer à repousser la prochaine vague d’attaques, mais nous allons profiter de l’accalmie actuelle pour préparer la contre-offensive. Les ordres sur le terrain sont les suivants : détruire les Lokis, protéger les civils. Ces nouvelles armes seront chargées de munitions paralysantes, et nous limiterons au maximum l’utilisation d’armements létaux contre les civils possédés. Dans l’espace, la priorité est donnée aux abordages et à la capture de bâtiments ennemis, et la désactivation des chasseurs est préférable à leur destruction. Mais gardez à l’esprit que les non-possédés restent prioritaires. S’il faut sacrifier des civils parasités pour en sauver d’autres, faites-le, y compris si vous êtes en danger. Ne courez pas au suicide en entreprenant des combats impossibles.


Tyral se mit à marcher le long des rangs, son regard inquisiteur s’arrêtant sur chaque soldat.

  - Notre stratégie de combat au sol doit changer. Vous vous battrez par binômes. L’un chargé d’extraire le Loki et de l’exécuter, l’autre de protéger le civil libéré pour l’évacuer. Plus que jamais, vous devrez vous montrer solidaires. Mais ne placez pas une confiance aveugle en vos coéquipiers. L’Agorien possédé que vous avez vu sur l’enregistrement a été capturé ici, sur Iglak. Les parasites sont infiltrés à chaque niveau de notre société. Tout le monde est concerné. Cependant, nous allons distribuer des détecteurs de Lokis, comme ceux qui équipent ce nouveau modèle d’arme. Les autorités planétaires en recevront également, mais ce n’est pas une tâche qu’ils pourront accomplir seuls. Si vos collègues, vos amis ou votre voisin de table a un comportement étrange, signalez-le. Le scan dure moins d’une seconde, et peut s’effectuer en toute discrétion. Plus vite notre gouvernement sera purgé de ces intrus, plus vite la victoire sera acquise. Et avant que vous ne le demandiez, je vous confirme que l’état-major est vierge de tout Loki.


Il fit une pause, et se replaça devant l’assemblée.

  - D’ici une semaine, toutes les Forces Défensives auront reçu le nouvel armement et seront prêtes à être déployées dans toute la galaxie. Les différentes flottes vont tourner, et passer à quai les unes après les autres pour laisser le temps aux soldats de s’entraîner. Le Vigilant dispose de trois jours. Je vous donne quarante-huit heures. Le Commandeur Praitt vous donnera toutes les instructions. Rompez.


La foule se dispersa, et les soldats se dirigèrent vers les caisses pleines de fusils anti-Lokis. Keirra fit quelques moulinets, testant ses membres. Une légère douleur résiduelle dans le bras, rien qui ne l’empêcherait de prendre part à l’entraînement, et rien qui ne la rendrait pas opérationnelle dans une semaine.

Parfait.


***


  - Bonsoir, ici Kip Darling.

  - Et Pepper Fairbanks.

  - Bienvenue sur ce journal, hébergé par Channel 7.

  - Alors Kip, quelles sont les nouvelles ?

  - Alors que les attaques des parasites connus sous le nom de Lokis semblent se raréfier, la galaxie entière a cette question sur les lèvres : s’agit-il là d’un signe de leur affaiblissement, ou sont-ils en train de se regrouper pour préparer un mauvais coup ? Doit-on craindre une seconde vague ?

  - Pour répondre à cette question, nous avons ce soir une invitée de marque : la Grande Amirale des Forces Défensives de Polaris, Talwyn Apogée. Amirale, merci de nous avoir accordé un peu de votre temps.

  - Tout le plaisir est pour moi, Pepper.

  - Madame Apogée, qu’avez-vous à répondre aux citoyens qui se sentent menacés pas une nouvelle offensive Loki ?

  - Je dirais qu’ils ont raison de penser que les Lokis se préparent à revenir. Cependant, ils ne devraient pas se sentir menacés. Nous avons mis en place récemment de nouvelles mesures pour contrecarrer un éventuel assaut, en coordination avec les vingt-quatre amiraux et le Président Wencalas.

  - La récente agitation qui semble s’être emparée de nos flottes est-elle un reflet de ces nouvelles mesures ?

  - En partie, oui. Je ne puis révéler tous les détails, mais nos forces sont en train d’être équipées d’un tout nouvel arsenal, fourni par un GruminNet au sommet de son efficacité.

  - Cet arsenal sera-t-il suffisant pour protéger nos colonies ?

  - Nous pensons qu’il nous mènera bien plus loin que la simple guerre défensive. Nous approchons d’un tournant décisif du conflit, je peux vous le promettre.

  - Votre conviction est rassurante. Espérons que le flot de réfugiés n’endigue pas cette progression… Qu’en est-il des vaisseaux de transport amassés en orbite des mégalopoles galactiques ?

  - Nous y travaillons, Kip. C’est un défi de chaque instant, mais je vous assure que les responsables mettent d’ores et déjà tout en œuvre pour accueillir les réfugiés, le temps que la sécurité revienne. Quant aux détails, je ne suis pas la mieux placée pour en donner.

  - Ce sera donc le sujet d’un prochain journal, merci. Pour finir, à une échelle bien moindre, nous aurions une question concernant notre chère capitale : Le mouvement des Enfants de Quantos a pris récemment une nouvelle tournure, alors que les agressions et les manifestations violentes en leur nom se multiplient dans les rues. Que savez-vous de ce mouvement ? Ont-ils avancé des revendications seulement connues du gouvernement d’Iglak ? Doit-on s’attendre à une intensification de la réponse policière ?

  - J’ai longuement débattu avec les commissaires des différentes villes. Nous n’avons reçu aucune revendication ignorée du public, et ignorons ce qui motive ce mouvement, ou l’identité de leurs dirigeants. Nous savons néanmoins que l’appellation des « Enfants de Quantos » a été unilatéralement rejetée par les chefs Fongoïdes. Concernant la réponse policière, je peux vous dire que tant que les moteurs de mouvement n’auront pas été identifiés par nos enquêteurs, la police restera concentrée sur la protection des civils, particulièrement la population robotique plus touchée par les agresseurs. Nous allons continuer à essayer de communiquer pour établir un terrain d’entente pacifique, mais les patrouilles devraient s’intensifier prochainement dans les rues d’Iglak, pour assurer la sécurité de la population.

  - Nous comprenons, et je suis sûre que nos téléspectateurs se sentent déjà plus rassurés. Merci d’avoir accepté notre invitation, Amirale, et bonne chance pour la suite.

  - Ceci conclut donc notre journal, voici sans transition le programme de la soirée sur Channel 7. Ne quittez pas !


***


Le Président Julius Wencalas éteignit la holovision et se leva. Face à Meridian City, il bailla et fit craquer quelques vertèbres. Apogée s’était plutôt bien débrouillée, mais l’absence d’informations sur les Enfants de Quantos n’allait pas faire de bonne presse. Elle avait pourtant dit la vérité : ils n’avaient reçu aucun message, aucune demande ou ultimatum de leur part. Le commissariat avait bien déployé un bataillon d’enquêteurs pour débusquer les cerveaux du mouvement, mais ils n’avaient encore rien trouvé. Cela dit, l’un des meilleurs inspecteurs de ce côté de la galaxie était parti vers Solana presque une semaine plus tôt, et n’avait encore donné aucune nouvelle.

Pour une raison qui lui échappait, savoir Griffin Odyxon travaillant sur cette enquête avait le don de le mettre en colère. Pourquoi s’acharner à débusquer le commanditaire imaginaire d’un cambriolage quand une secte de fous furieux était en train de ravager la capitale ? Les trois Lokis du casse du Muséum n’avaient même pas volé le vrai Dimensionnateur. Wencalas lui-même ne savait pas où il était, encore une source de frustration. Il était vrai que les trois derniers dirigeants de la galaxie avaient perdu des plumes en voulant jouer avec un artéfact Lombax, mais ce n’était pas une raison pour que Ratchet et Clank se réservent le droit de le cacher… Il était le président, tout de même !


Wencalas se retourna vers son bureau, en face duquel trônait une carte holographique de Polaris. Elle regorgeait d’informations, mais un point en particulier attira son regard, clignotant au-dessus de la Nébuleuse de l’Abysse. L’attaque aurait lieu dans six jours… Apogée avait décidé avec le reste des amiraux de mettre en place la flotte seulement trois jours avant la bataille, afin d’éviter au maximum que l’information ne s’ébruite. Il n’était pas présent lors des réunions pour discuter de la stratégie à suivre, mais il en avait eu des échos plutôt positifs. De toute façon, sur le côté militaire, il lui faisait confiance.

La brillance de l’hologramme, dans la pénombre du soir, agressa les yeux du Tharpod. Soudainement pris d’une migraine, il coupa la projection et se rassit. Il avait beaucoup de mal à mettre de l’ordre dans ses pensées, ces derniers temps. Accès de colère inhabituels, migraines, fatigue constante… Il avait l’impression de perdre le contrôle. Dans plusieurs sens du terme, puisque Apogée dirigeait pratiquement la galaxie à sa place. Il n’avait encore jamais eu à gérer une guerre, mais avait connu son baptême du feu lors de la crise du Nétherverse. Lors de l’incursion des créatures interdimensionnelles dans Meridian City, la jeune Markazienne avait brillamment réagi. Il fallait aussi dire qu’elle était avec Ratchet et Clank… Ce trio n’en était pas à son coup d’essai, et représentait un atout majeur des Forces Défensives. C’était un peu pour cette raison qu’il avait appuyé la promotion d’Apogée en Grande Amirale, au grand dam des autres prétendants au trône.

Cependant, les deux héros galactiques l’énervaient également. Était-ce le tempérament incontrôlable de Ratchet, la répartie imbattable de Clank, ou leur tendance à partir à l’autre bout de la galaxie pour provoquer un incident diplomatique avec les Kerchus ?

Encore une fois, ce ressentiment était tout récent. Son médecin lui avait sorti la réponse évidente du stress causé par la guerre, et il y avait de cela, mais il n’arrivait pas à mettre la main sur la source de ces problèmes. Peut-être se faisait-il trop vieux pour diriger une galaxie…


Il prit une profonde inspiration et ferma les yeux, comme préconisé par son thérapeute. Quelques minutes d’exercices de respiration plus tard, sa migraine s’était calmée. Il prit un cachet et se remit au travail. Quand cette flotte Loki aurait été vaincue, tout cela ne serait plus que de l’histoire ancienne.


***


Plus que quatre jours.

Talwyn n’avait même plus besoin du minuteur de sa vision virtuelle pour compter les secondes qui s’égrenaient, inexorablement. Elle lissa son uniforme et sortit de la salle de conférence où elle venait de s’entretenir avec divers responsables de l’opération à venir, et retrouva les deux Lombaxs et Clank au pied du Centre de Défense Planétaire.

  - Bonjour, Rhivan, salua-t-elle. Elle voyait toujours ses amis avant de partir au travail, mais le vieux Lombax se montrait assez discret.

  - Amirale.

  - Je vous ai déjà dit de m’appeler Talwyn. Tout se passe comme vous le voulez ?

  - Mon escadron d’élite est prêt, déclara fièrement Ratchet. Même s’ils ont encore tendance à essayer de faire la course plutôt que de rester en formation… Mais on tractera ce trou noir les yeux fermés.

  - Tant mieux. Si tu savais le mal que j’ai eu à faire accepter ce plan à l’état-major…

  - À leur place, rétorqua Rhivan, l’idée de catapulter sept chasseurs et une bombe à singularité au milieu d’un champ d’astéroïdes m’inquiéterait un peu. Mais cela a le mérite d’être audacieux.

  - Et toi, Clank ?

  - Mon projet avance bien, je pense qu’il sera prêt à temps. Cependant, je ne pense pas que vous nous ayez réunis ici pour discuter de cela, n’est-ce pas ?

  - En effet. Vous trois n’êtes pas sans savoir que nous avons capturé un groupe de Cragmites, il y a quelques semaines.

  - L’attaque sur Kapeon-VII, se rappela Ratchet.

  - Précisément. Ils nous ont livré plusieurs informations utiles, comme la nature des Lokis et des cristaux qu’ils convoitent. Cependant, ils refusent de coopérer depuis. Ou pour être exacte, ils excluent de traduire le journal de Baggog, probablement notre source d’information la plus prometteuse.

  - Tu n’espères pas qu’ils vont accepter si deux Lombaxs leur demandent, pas vrai ?

  - Non, bien sûr que non. Mais lors de ton… expérience à la Grande Horloge, tu as eu l’occasion de t’adresser directement à un Loki, et à accéder à ses souvenirs. J’ai pensé que si vous posiez les bonnes questions, nous pourrions peut-être nous passer de ce journal.

  - Talwyn, intervint Clank, je ne pense pas qu’une discussion entre Lombaxs et Cragmites puisse mener où que ce soit, à fortiori si l’un est un vétéran de la Grande Guerre et l’autre le responsable de la chute de Tachyon. Nous vous avons livré toutes les informations récoltées à la Grande Horloge. Pourquoi ne pas envoyer un inspecteur professionnel ?

  - Nous avons déjà essayé la méthode douce, répliqua Talwyn en haussant les épaules. Peut-être qu’en les brusquant un peu… Je ne parle pas de torture, mais je pense que nous ne perdons pas grand-chose en essayant. Qu’en pensez-vous, Rhivan ?

  - Vous avez sans doute raison, répondit l’intéressé après un instant de réflexion, cela ne coûte rien d’essayer. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut rencontrer un Cragmite coopératif.


***


L’ascenseur les mena tous les quatre profondément sous la couche nuageuse. Il n’y avait plus de fenêtres à cette altitude, mais Ratchet savait qu’il faisait presque nuit dehors, bien que le soleil soit encore haut dans le ciel d’Iglak. C’était à cet étage qu’on gardait les prisonniers en attendant qu’ils soient transférés sur Vartax ou Zordoom. Il y avait des gardes à chaque coin de mur, presque d’avantage que dans les zones les plus stratégiques du Centre. Talwyn guida le groupe jusqu’à une cellule sécurisée, située au fond d’un dédale de couloirs. Lorsqu’elle demanda à entrer, pas moins de huit gardes lourdement armés se postèrent de part et d’autre de l’ouverture.

L’intérieur était spacieux, mais faiblement fourni. Une douzaine de couchettes étaient alignées le long des murs nus, un nécessaire sanitaire occupait un coin de la cellule et une petite table trônait en son centre. Ratchet remarqua qu’une zone large de deux mètres du côté de la sortie était totalement vide, puis discerna la fine rainure qui courait le long des murs. En cas d’urgence, un champ de force pouvait être déployé instantanément pour isoler la cellule.

Les Cragmites se tournèrent vers les visiteurs de concert. Ratchet compta une dizaine de soldats et quelques agarvads. L’un d’entre eux s’approcha lentement, et le poing du Lombax se serra de lui-même. Même sans la couronne, le sceptre et le trône mécanique, Ratchet avait l’impression de se retrouver face à Tachyon. Un flot de souvenirs amers l’envahit. Il faisait encore des cauchemars de son passage sur Reepor. Séparé de Clank, livré à lui-même dans les profondeurs d’une planète en ruines et poursuivi par des monstres assoiffés de sang…

Un coup d’œil vers Rhivan suffit pour constater que le vétéran était dans le même état que lui. Le jeune Lombax inspira longuement et se força à mettre les mains dans les poches.

  - Voilà des invités pour le moins… inattendus, Amirale, souffla l’agarvad.

  - C’est drôle, répliqua Ratchet, j’allais dire la même chose.

  - Que nous vaut l’honneur d’une telle visite ?

  - Nous sommes en guerre contre les Lokis, répondit Rhivan. Vous les avez affrontés par le passé. Si nous voulons survivre, nous devons coopérer.

  - Survivre ? Nous sommes une espèce en voie d’extinction, Lombax. Contrairement à vous, nos congénères n’ont pas eu la chance de choisir une dimension douillette où s’installer. Vous allez devoir trouver autre chose à nous vendre.

  - Espèce de…

  - Du calme ! intervint Talwyn. Nous n’avons aucun ennemi dans cette pièce, rappela-t-elle en fixant tour-à-tour les deux groupes déjà à couteaux tirés. Pyrion, vous avez-vous-même prétexté l’instinct de survie comme raison de coopérer lors de votre départ de Kapeon.

  - Certes, Amirale. Mais je tenais à rappeler l’état des choses. Nous vous avons déjà dit tout ce que nous savions sur les Lokis. Si vous voulez lire le journal de Baggog, apprenez le Cragmite ancien vous-mêmes. Il est hors de question que nous traduisions cette langue sacrée pour votre plaisir.

  - Très bien, dit Ratchet. Dans ce cas, vous nous ferez la lecture vous-même. Que savez-vous de l’Unique ?

  - Qu’avez-vous dit ?


Le Cragmite nommé Pyrion sembla réellement surpris. Il tourna la tête un instant vers ses congénères, puis s’approcha d’avantage du jeune Lombax.

  - Où avez-vous entendu ce nom ?

  - Répondez à ma question, dit-il en s’agenouillant, plantant ses yeux verts dans les pupilles minuscules de l’agarvad. Baggog l’a approché en explorant le noyau de Toranux, n’est-ce pas ?

  - En effet. Il s’agit d’une sorte d’amalgame d’esprits Lokis. Il est à la fois seul dans sa logique et multiple dans ses actes.

  - Vous voulez dire qu’il peut se trouver à plusieurs endroits à la fois ? demanda Clank.

  - C’est ce que nous supposons. Son existence physique n’est cependant pas infinie, et il souffre de tous les défauts de ses congénères.

  - À savoir ?

  - Seul l’environnement de Toranux n’est pas toxique pour lui, même s’il est plus résistant que les autres. Ses pouvoirs sont démesurément plus puissants, de même que son intelligence. Enfin, il a peur.

  - Je vous demande pardon ? s’étonna Ratchet. De ce que j’en sais, il est plutôt du genre sûr de lui.

  - Tous les Lokis ont peur, rétorqua Pyrion en secouant résolument la tête, c’est la base de leur logique. Ils craignent leur propre vulnérabilité, leur condition de parasites, et sont tellement effrayés par la technologie qu’ils se sont persuadés que la force ne peut s’acquérir que par l’évolution biologique. Vous comprenez donc pourquoi ils sont tellement agressifs envers l’Intelligence Artificielle.

  - Je sais que tous les Lokis ne sont pas du même avis. Leurs ancêtres se sont laissé dominer par la technologie, et ceux de Toranux veulent leur déclarer la guerre.

  - C’est d’eux que vient cette peur. Ils ont constaté la dépendance dont ont souffert les anciens Lokis, et se sont enfuis dans cette dimension pour trouver une nouvelle voie.

  - Attendez, intervint Clank. L’Unique disait que c’étaient leurs ancêtres qui les avaient préservés en les envoyant sur une autre planète.

  - Mais d’où tenez-vous ces informations ?

  - Je suis entré dans la tête d’un Loki, répondit sèchement Ratchet. L’Unique disait que le Cœur de Toranux était la clé de leur conquête. De quoi s’agit-il réellement ?

  - Vous avez… Baggog n’a rapporté que ce qu’il avait découvert. Cette histoire d’ancêtres sauveurs ne doit être qu’une fable inventée par l’Unique pour mieux contrôler les Lokis. Et nous avons étudié le noyau de la planète. Il s’agit d’un cristal unique, possédant une structure similaire à celui qui composait le reste de Toranux. Ses propriétés permettent à celui qui sait s’en servir de se déplacer dans l’espace-temps. Je ne saurais dire si c’était d’une planète à l’autre ou entre les dimensions. En tout cas, il n’a pas été totalement détruit.

  - Nous nous en doutions, dit Talwyn, et le recherchons, de même que les fragments de la planète. Le Cœur sert-il également de vaisseau pour les esprits Lokis ?

  - C’est bien plus que cela. Ils ne l’appellent pas le Cœur par hasard : ce cristal est la source de leur pouvoir, et de leur essence vitale. Si le Cœur est détruit, les Lokis disparaissent, c’est aussi simple que cela. Si vous êtes en guerre avec eux, c’est qu’il doit en subsister un fragment, quelque part dans l’univers. Un éclat pas plus gros qu’un pouce suffirait.

  - Vous voulez dire qu’entre un noyau planétaire et un morceau de quelques centimètres, il n’y a aucune différence ? objecta Rhivan. Comment est-ce possible ?

  - Vous ne prenez pas le problème dans le bon sens. Il ne s’agit pas d’une batterie, mais d’un relais. Un lien avec leur plan d’origine. Si vous coupez le lien, c’en est fini des Lokis.

  - Alors vous étiez conscient du risque et vous n’avez rien fait ? s’écria Ratchet. J’ai vu la destruction de Toranux à travers les yeux du Loki. La planète s’est brisée, mais il y a maintenant des millions de fragments dans toute la galaxie !

  - Ce tir était parfaitement calculé. Nous savions que le noyau était plus fragile que le reste, et nous sommes arrangés pour que les Lokis ne disparaissent pas totalement. Vous auriez préféré un génocide ? ricana Pyrion. C’est vrai que les Lombaxs sont experts en la matière. Combien de temps attendrez-vous avant d’utiliser le Dimensionnateur ?

  - Les Lokis sont une menace pour la galaxie, cracha Rhivan en serrant les dents. Comme eux, les Cragmites mettaient en danger des trillions de vies.

  - Pas tous. Nous avions des familles. Des enfants, des chercheurs, d’honnêtes travailleurs.

  - Il fallait y réfléchir à deux fois avant de commencer à dévaster Polaris.

  - Nous devions nous nourrir. C’est dans notre nature, nous voyageons de planète en planète pour acquérir leurs ressources naturelles. Mais vos dirigeants étaient tellement occupés à condamner nos méthodes « barbares » qu’aucun n’a pris le temps de constater que ne préservions consciencieusement chaque écosystème pour leur laisser le temps de se développer à nouveau. Aujourd’hui, la vie a fleuri sur toutes ces planètes. Déclarez-vous la guerre aux extinctions de masse, aux catastrophes naturelles ? Et si les Lokis faisaient partie, eux aussi, de l’équilibre universel ? Existant pour limiter les excès de la technocratie ?

  - On croirait entendre les Enfants de Quantos, dit Talwyn.

  - Il y a du vrai dans leurs paroles.

  - Nous ne pouvons pas laisser des innocents mourir sous prétexte qu’une espèce prétend pouvoir décider de leur sort ! explosa Rhivan. VOS dirigeants ont fait exploser le passage Ublik, tuant au passage dix-neuf millions de civils et d’innombrables formes de vie ! Où est l’équilibre dans tout cela ?

  - Nous étions en guerre. Vous avez détruit des milliards de Cragmites. Mais mieux vaut prévenir que guérir, n’est-ce pas ? Comme vous avez décidé de bannir une espèce entière dans une dimension stérile, sans réfléchir une seconde aux conséquences ? Quand vous avez eu tellement peur d’une autre guerre que vous avez développé votre pouvoir militaire au-delà de toute mesure, à tel point que plus personne dans l’univers n’osait vous adresser la parole ?

  - La ferme, murmura le Lombax.


Mais Pyrion n’en avait pas fini. Derrière lui, les autres Cragmites commençaient à s’agiter. C’était comme si la cellule devenait plus sombre. Les gardes raffermirent la prise sur leurs armes.

  - Nous avons survécu sur Kapeon-VII par le biais d’inséminateurs et de couveuses artificielles. Nos œufs se trouvent encore là-bas, en sécurité. Qu’allez-vous faire, Lombax ? Les détruire ? Anéantir toute trace restante de Cragmites dans l’univers ?

  - La dernière fois que nous avons laissé un Cragmite sortir de son œuf, il a mis la galaxie à feu et à sang pendant presque vingt ans.


Ratchet regarda Rhivan d’un air inquiet. Il avait prononcé cette dernière phrase d’un ton absolument monocorde. Ses poings étaient tellement serrés que ses phalanges étaient devenues blêmes. À ce stade, il semblait capable de tuer tous les Cragmites dans cette cellule, puis de prendre son vaisseau et d’aller faire sauter le complexe de Kapeon. Une petite voix lui murmurait que c’était la meilleure chose à faire. Le jeune Lombax dut se faire violence pour l’ignorer.

  - Rhivan, allons-nous-en.

  - Je…


Rhivan cligna des yeux, plusieurs fois. Lentement, ses épaules se relâchèrent.

  - Tu as raison, lâcha-t-il. Nous n’avons plus rien à faire ici.


Il fit aussitôt volte-face et sortit en trombe de la cellule. Ratchet sortit à son tour, suivi de Clank et Talwyn, et vit les portes de l’ascenseur se refermer sur son ami. Le Lombax s’arrêta, et la jeune femme l’attrapa par le bras. Une expression désemparée se lisait sur son visage.

  - Je suis désolée. Je ne pensais pas que…

  - C’était à ce point ? termina Ratchet. Moi non plus. J’ai bien cru qu’il allait les exécuter… et j’y aurais peut-être pris part.

  - Que penses-tu qu’il va faire maintenant ?

  - Il ne va pas bien, c’est sûr. Clank et moi, on va d’abord le rattraper et l’empêcher de faire une bêtise.

  - Nous allons gérer cela, renchérit Clank. Ne vous inquiétez pas.


La Markazienne se détendit un peu, et lâcha le bras de Ratchet. Quelques minutes plus tard, les portes de l’ascenseur, vide, s’ouvrirent devant le trio.

  - Très bien, je vous fais confiance, déclara-t-elle alors qu’ils montaient à toute vitesse au-dessus des nuages. J’aimerais pouvoir m’excuser en face de lui… Je n’aurais jamais dû vous mettre dans cette situation.

  - Ça valait le coup, Tal’. Utilise ces informations du mieux que tu peux, et on va arranger notre problème.


Le jeune Lombax fit son meilleur sourire et sortit du Centre de Défense avec Clank, laissant la Markazienne retourner au travail. Rhivan n’était en vue nulle part.

  - À ton avis, où est-il parti ?

  - J’espère qu’il est assez avisé pour ne pas avoir quitté le système, répondit Clank.

  - Il a peut-être eu envie de retourner sur Fastoon… Attends, s’interrompit-il. J’ai une idée. Aphélion, tu me reçois ?

  - Cinq sur cinq, Ratchet, répondit la voix féminine du vaisseau. Que puis-je faire pour toi ?

  - Est-ce que Rhivan est passé prendre son vaisseau ?

  - À l’instant, oui. Veux-tu que j’extrapole sa trajectoire ?

  - Oui, s’il-te-plaît.


Ratchet s’assit sur les marches lustrées qui menaient au centre, se mâchouillant machinalement une griffe. Des passants le dévisageaient quelques secondes, puis reprenaient leur route. Finalement, son vaisseau lui répondit.

  - Je peux affirmer avec soixante-dix-huit pourcents d’exactitude que Rhivan est parti sur Maglaar.


Le Lombax soupira de soulagement, et demanda à Aphélion de venir le chercher. Estimant qu’il n’aurait pas besoin de l’aide de Clank, il laissa ce dernier à ses occupations, et s’envola vers la planète désertique.


***


Ratchet arriva au beau milieu d’une tempête de sable. Après s’être débattu contre les éléments, il parvint à poser son vaisseau dans l’un des hangars souterrains de la base. Il vérifia rapidement que celui de Rhivan s’y trouvait également et partit à sa recherche.

Un soldat finit par lui indiquer la direction des terrains d’entraînement. Le vieux Lombax était au milieu d’une large esplanade recouverte de sable. Des dizaines d’hologrammes se formaient dans les coins du terrain, et chargeaient vers le centre, où Rhivan virevoltait lames au clair. Ratchet reconnut sans mal les vagues d’ennemis virtuels : des soldats cragmites.

  - Je préfère que tu découpes ceux-là plutôt que d’autres, dit-il en montant sur le terrain.


Exécutant une attaque foudroyante, Rhivan transperça le dernier guerrier. L’ordinateur annonça la fin de la simulation, et les projecteurs se mirent hors tension.

  - Je me suis dit que votre état-major ne l’aurait pas très bien pris.

  - Tu… Tu vas bien ? demanda Ratchet, ne sachant pas vraiment pas où commencer.

  - Pourquoi cela n’irait pas ? répliqua le Lombax au pelage blanc en repliant sa clé dans sa forme d’origine.

  - Ne fais pas semblant. Tu allais tous les tuer.


Sans lui donner de réponse, il inspira longuement et s’assit en tailleur sur le sable. Ratchet le rejoignit et s’installa en face de lui.

  - J’allais le faire, oui, finit-il par avouer. Mais c’est ta guerre, pas la mienne. Je ne peux pas me permettre de réduire vos chances de victoire.

  - C’est la seule raison ? Tu avais pourtant l’air très concerné par la menace des Lokis.

  - J’ai eu l’impression de me retrouver soixante ans en arrière. Avant que le fragment de Surinox soit découvert, et que le Dimensionnateur ne soit mis au point, nous avons pensé très sérieusement à exterminer les Cragmites, purement et simplement.

  - Personne ne trouvait cela trop… extrême ?

  - Nous les haïssions. Azimuth, ton père… Quand la guerre était à son paroxysme, le gouvernement avait fait passer un référendum. Nous avions les moyens de commettre un génocide, et la population Lombax a voté « pour » à quatre-vingt-quinze pourcents. Nous étions en guerre depuis cinquante ans, Ratchet. Je ne te demande pas de comprendre, mais c’est la vérité.


Le jeune Lombax baissa les yeux. Rhivan ne connaissait pas Kaden personnellement, il y avait donc une petite chance pour qu’il ait été contre cette décision… Mais imaginer que ses parents aient voté en faveur d’une solution aussi effroyable l’ébranlaient profondément.

  - Et finalement, poursuivit le vétéran, regarde ce que nous avons fait. En bannissant les Cragmites dans une dimension stérile, nous les avons condamnés à mourir à petit feu. N’était-ce pas plus cruel encore que de leur accorder une fin rapide ? Pyrion avait raison, souffla-t-il, le regard perdu dans le vide. Les Lombaxs ont du sang sur les mains, autant que les Cragmites. C’est… ce n’est pas facile à digérer, quand c’est ton ennemi de toujours qui te le crache au visage.

  - Je comprends, hésita Ratchet. Je n’ai pas fait la guerre comme toi, mais je sais que c’est difficile d’accepter ses fautes quand on croit faire ce qui est juste. Les Lombaxs pensaient au bien commun…

  - Et ils ont fait le pire choix possible. Si ce que disait Pyrion est vrai, les Cragmites étaient bien plus respectueux de la vie que nous l’étions.

  - Ne crois pas ce qu’il te raconte. Il voulait te pousser à bout. Et même si c’était vrai, qu’est-ce que ça change ? Le passé doit rester là où il est.

  - C’est ce que je pensais. Pourtant, tu t’es posé la même question avec les Lokis.

  - Cela n’a rien à voir ! s’écria le Lombax en bondissant sur ses pieds. C’est…


La réponse mourut dans sa gorge. Il se rappelait avoir reproché au Cragmite de ne pas avoir détruit totalement le Cœur.

  - Si tu en as l’occasion, quel choix feras-tu ? l’interrogea Rhivan. Condamneras-tu une espèce pour en sauver des centaines d’autres ?

  - Je… ne sais pas. Mais j’ai vu trop de personnes se fourvoyer en restant prisonnières du passé. Toi-même, tu m’as dit qu’il fallait regarder devant soi pour ne pas tomber.


Le silence pesa sur le duo durant un instant. Puis un sourire compatissant se dessina sur le visage du vieux Lombax. Il saisit sa clé, se releva et lui tendit la sienne. L’outil pourtant si familier parut plus lourd dans sa main.

  - Je te souhaite de ne jamais te retrouver face à un tel dilemme, déclara son ami en lui empoignant gentiment l’épaule. Merci d’avoir éclairci mes idées. Je t’ai dit de te tourner vers l’avenir, alors j’essaierai de te suivre.

  - C’est d’accord, répondit Ratchet en se mettant en garde, son pied traçant une courbe régulière dans le sable. D’ici là, je dois toujours te mettre une raclée.


***


La porte du bar s’ouvrit sur un tumulte de rires et de chahuts. L’atmosphère enfumée sentait l’alcool et la sueur, et une forte musique répandait des pulsations agressives dans chaque recoin. Accoudés au comptoir ou le visage collé aux fenêtres, des fêtards scandaient et braillaient. Talwyn se demanda ce qui accaparait autant leur attention, et se dit qu’elle avait bien fait de troquer son uniforme pour une tenue plus… appropriée à cette ambiance. Elle avait revêtu un débardeur noir et un large pantalon vert foncé. Une veste décontractée et une paire de chaussures épaisses venaient compléter l’ensemble. Pour plus de discrétion, elle avait dénoué le bandeau rouge vif qui ornait habituellement ses cheveux et avait rabattu sa capuche, mais son visage était connu du grand public, et elle savait que cela ne changerait pas grand-chose. Au moins, elle n’était pas l’un des derniers représentants d’une espèce disparue…

Elle joua un peu des épaules et se fraya un chemin parmi les fêtards. Finalement, elle trouva un Lombax, mais pas celui qu’elle cherchait : un pelage blanc comme neige, de larges oreilles striées de noir. Rhivan se trouvait quelques mètres plus loin, et observait un groupe de pilotes. Talwyn reconnut les six candidats que Ratchet avaient recrutés pour son escadrille d’élite. Ces derniers étaient chacun assis devant une console électronique, et la foule hurlait derrière eux à coups d’encouragements, de jurons ou de moqueries. Ils devaient s’affronter sur un jeu.

  - Bonsoir, Rhivan ! cria-t-elle pour couvrir le raffut ambiant.

  - Bonsoir, Talwyn, répondit-t-il tout aussi fort.

  - Je ne pensais pas vous trouver ici.

  - Vous seriez surprise. Vous êtes aussi venue admirer le jeune prodige ? l’interrogea-t-il d’un ton taquin.

  - Qui, eux ? répondit-elle en désignant les pilotes. Non, je suis venue chercher Ratchet. Clank et lui ne donnent plus de nouvelles, et leur dernière trace remonte ici…

  - Suivez-moi, je vais vous montrer.


Curieuse, la Markazienne obtempéra et suivit le Lombax jusqu’à une fenêtre. Après avoir bousculé quelques clients à moitié soûls, ils eurent une vue parfaite sur le circuit qui passait à côté du bar. Talwyn balaya son champ de vision, cherchant un vaisseau du regard. Puis elle vit comme une étoile filante longer la piste. La forme était trop petite pour être un véhicule, et ses mouvements étaient trop erratiques pour qu’il s’agisse d’un projectile ou d’un missile guidé. La traînée lumineuse semblait esquiver divers obstacles qui jaillissaient aléatoirement sur le parcours.

Il lui fallut une seconde pour réaliser de quoi – ou plutôt de qui – il s’agissait. Les yeux écarquillés, elle détourna son regard vers l’un des écrans qui surplombaient le comptoir, et le plan rapproché de la caméra drone lui confirma que c’étaient bien Ratchet et Clank qui volaient sur le circuit. Elle reconnut les Ailorobots et les Hoverbottes, et déduisit qu’il devait s’agir d’une nouvelle tentative de leur jet-pack amélioré. Ratchet portait une armure intégrale au profil aérodynamique, dont le casque ressemblait à celui de DreadZone. Elle remarqua également quelques améliorations dans l’équipement de vol, comme les micro-fusées à plasma accrochées aux poignets du Lombax, ou les ailerons qui ornaient le châssis de Clank.

Derrière elle, un « Prend ça ! » tonitruant retentit, et une poutre métallique jaillit au même moment droit devant Ratchet. Ce dernier réagit en une fraction de seconde. Les Ailorobots se replièrent, et Ratchet effectua une pirouette aérienne. Ils descendirent juste assez pour passer en-dessous de l’obstacle, et les ailes vertes se redéployèrent instantanément. Le Lombax donna une impulsion de ses bottes, et ils repartirent à toute vitesse. Talwyn se retourna et vit celui qui avait crié : l’Agorien nommé Thoz. Elle comprit que les camarades de course de Ratchet étaient ceux qui contrôlaient les obstacles sur la course.

  - C’est passé un peu trop près à mon goût, protesta la voix de Clank par la radio.

  - Tu te débrouilles comme un chef, petit gars ! affirma Jexica. Mais relaxe-toi, ou tes ailes risquent de se coincer.

  - J’essaie… Mais il ne me… Laisse pas vraiment le temps ! bredouilla le petit robot, secoué dans tous les sens par les manœuvres aériennes de son ami.

  - Alors Clank, railla la cousine de Thoz, je croyais que les robots ne pouvaient pas être malades !

  - Détrompe-toi, rétorqua Taelor. C’est plus fréquent que tu ne le crois.

  - T’es pas entièrement un robot, ça ne compte pas !

  - Les gars, insista Pagan, si ça continue, il va faire un sans-faute. Voyez si on ne peut pas le mettre dans une impasse. J’ai toute la rangée dix-huit de prête.

  - Le but n’est pas de le tuer, rappela Hisat. Oh, bonsoir Amirale, dit-il alors que Talwyn se rapprochait.

  - Inutile de le crier partout. Je suis là incognito.

  - Reçu. Mais un conseil : utilisez un Holo-déguisement la prochaine fois. Votre joli minois ne passe pas vraiment inaperçu.


Talwyn était tellement stupéfaite de ce qui se passait qu’elle ne releva même pas la remarque. Ratchet avait-il vraiment demandé à son escouade de lui envoyer des obstacles dans la figure pendant qu’il testait un jet-pack expérimental ? Quel pari Clank avait-il bien pu perdre pour se laisser embarquer dans cette histoire ?

  - En cela, nota Rhivan en regardant avec elle la rediffusion des drones, je n’ai rien à lui apprendre. Il a un talent inné pour le pilotage.

  - Je croyais que tous les Lombaxs étaient d’excellents pilotes ?

  - J’en suis la preuve du contraire, rétorqua le vieux Lombax en souriant. Même si j’estime me débrouiller convenablement.

  - Rhivan… Je sais que ce n’est sans doute pas le meilleur moment, mais concernant ce qu’il s’est passé hier…

  - Inutile de vous excuser. Ce qui est arrivé était entièrement ma faute. Heureusement, votre petit ami se trouve être un fin psychologue, de temps à autres.


Une ovation souleva le bar, alors que l’intéressé venait de passer la ligne d’arrivée. Il ralentit et se posa sur la rampe d’accès au circuit, les jambes flageolantes. Son amure fumait en plusieurs endroits, et Clank paraissait étrangement sur le point de rejeter son déjeuner. La caméra drone se coupa, et le duo fit son entrée triomphale dans le bar. Les spectateurs les acclamèrent et les soulevèrent dans les airs, les faisant passer de main en main jusqu’à les déposer devant les six pilotes, rassemblés à côté du comptoir. Ratchet retira son casque, et Talwyn se retint d’éclater de rire : son pelage était tout gonflé, comme s’il sortait d’un bain de vapeur. Le Lombax s’essuya le font et tenta de reprendre son souffle, une main appuyée sur le genou.

  - Pagan, s’exclama-t-il en soufflant bruyamment, prépare-toi à rouler sous la table ! Cette idée des propulseurs de direction sur les poignets était géniale.

  - Je t’aurai dépouillé de tous tes Boulons avant que tu me voies ivre mort, Lombax, ricana le pilote trapu. Prépare-toi à m’offrir la plus grosse tournée de ta vie !


Clank sauta du dos de son ami et s’assit au comptoir à ses côtés. La boisson coula à flots et les pilotes se joignirent à la fête. Ratchet ne prit pas d’alcool – il ne le tenait pas du tout, et Talwyn avait vu les ravages que cela pouvait occasionner.

La jeune femme attendit une accalmie et vint rejoindre le Lombax.

  - Moi qui allais te proposer un dîner au calme, plaisanta-t-elle en retirant sa capuche.

  - Tal’ ? s’écria-t-il, surpris Qu’est-ce que tu fiches ici ?

  - Je vous cherchais, tous les deux. Tu ne voulais pas que je rencontre tes copains ?

  - Bien sûr que si ! se rattrapa-t-il précipitamment. Ou en fait non… Ah, je m’enfonce…

  - Si tu commences déjà à faire ce genre de cachotteries, intervint Rhivan, votre vie de couple est mal barrée.

  - Merci du soutien, l’ancêtre, grogna le jeune Lombax en tirant sur le col de sa combinaison pour évacuer la chaleur. Je… t’offre un verre ?

  - Volontiers.


Il fit un signe au barman, occupé à servir les clients assoiffés. Celui-ci écarquilla les yeux en se plaçant devant eux.

  - Bon sang de bois, s’exclama-t-il. La Grande Amirale Apogée, dans mon bar !


La Markazienne eut à peine le temps de lui dire de baisser la voix, et se rendit compte que le mal était déjà fait. Les pilotes, accompagnés d’un Hisat à l’air amusé, se rapprochèrent bruyamment du comptoir pour accueillir leur nouvelle cliente comme il se devait – et surtout pas comme un membre éminent des Forces Défensives de Polaris.

  - Alors, plaisanta Thoz en assénant une claque vigoureuse sur l’épaule du Lombax, qu’est-ce que ça fait de sortir avec la plus grande force de destruction de la galaxie ?

  - C’est à elle qu’il faut poser la question, répliqua Ratchet. Je garde sept T.E.L.T dans mon garage !

  - Sous très bonne garde, précisa Clank.

  - Si je me rappelle bien, intervint Talwyn, tu avais beaucoup de mal à suivre sur la Mer Azoréenne. Et je n’avais qu’un pistolet.

  - Je ne me balade pas en permanence avec un jet-pack sur le dos ! Enfin si, se reprit-il alors que Clank le fixait d’un regard entendu, mais il n’était pas là. Et je ne suis pas resté coincé derrière une vieille porte rouillée, moi.

  - C’est pourtant toi qui as fini dans un canon.

  - Hé, les interrompit Pagan. Si vous nous racontiez cette histoire, plutôt ? On pourra vous départager, et vous arrêterez de vous disputer comme deux Kerchus shootés au Confuzzlor.


Talwyn se tut et regarda en direction du pilote. Une quantité non négligeable de fêtards s’était rassemblés autour d’eux. Ils semblaient attendre qu’ils continuent. Rhivan sourit et fit signe au barman de baisser la musique. Ratchet haussa les épaules et lui adressa une moue faussement désolée. Apparemment, ils n’allaient pas y couper…

La soirée prit alors un tournant assez inattendu. Talwyn était venue chercher ses amis pour leur parler de la bataille à venir, et ils se retrouvaient à narrer leurs aventures devant une foule de pilotes bruyants. Elle n’avait pas son uniforme, et ils la considéraient comme une personne normale, pas comme la Grande Amirale. Depuis quelques années déjà, seuls Ratchet et Clank la voyaient encore comme la fille qui avait voulu les jeter par le sas lors de leur première rencontre. Faire la fête ainsi, « entre copains », lui fit beaucoup de bien, et elle eut l’impression qu’un poids qu’elle n’avait même pas soupçonné était retiré de ces épaules l’espace de quelques heures. Cela devait être pour cette raison que Ratchet aimait cet endroit, et ceux qui le fréquentaient.


Quelques heures plus tard, ils laissèrent les pilotes à leurs boissons et s’éclipsèrent dans l’air frais de la nuit. Talwyn respira un grand coup, l’esprit légèrement embrumé par l’alcool.

  - Avec tout cela, remarqua-t-elle, je n’ai même pas eu le temps de te demander comment Ratchet t’a convaincu de participer à cette course d’obstacles, Clank.

  - J’ai besoin d’Aphélion pour les jours à venir, répondit le robot, et Ratchet voulait quelque chose en échange de ne plus pouvoir voler…

  - Donc il vous a fait voler, littéralement.

  - Il a besoin de s’entraîner sur le vol en Ailorobots, de toute façon.

  - Avait besoin, corrigea le Lombax. Je pense que ce dernier parcours était assez concluant.

  - Et vous, Rhivan ? Vous n’avez plus besoin de retourner sur Maglaar ?

  - Je ne pense pas pouvoir lui apprendre grand-chose de plus, répondit-il en croisant les bras. Seule l’expérience peut l’aider, maintenant. Et puis, nous n’allons pas nous épuiser inutilement avant le début de l’attaque. Comment se porte la flotte ?

  - La machine est en marche, soupira la Markazienne. Tout le monde sait que nous rassemblons nos flottes à présent. Il faut seulement espérer que nos mesures de désinformation tiendront quarante-huit heures de plus et que nous n’arrivions pas au milieu d’une nébuleuse vide.

  - Ah, à ce sujet, intervint Ratchet. Tal’, il y a… quelque chose que je voulais te demander.


Ils s’arrêtèrent de marcher. Leurs vaisseaux étaient encore loin, et seule la lune d’Iglak éclairait le chemin poussiéreux qui menait au bar.

  - Je sais que tu comptes embarquer à bord du Gardien, reprit-il. Mais… J’aimerais que tu restes sur Iglak pendant la bataille.

  - Je te demande pardon ? Hors de question que je laisse y aller seul pendant que je me tourne les pouces !

  - Je ne serai pas seul, protesta le Lombax. Clank sera avec moi.

  - Raison de plus ! Il faut que je dirige cette flotte, la réussite de notre plan est primordiale.

  - Justement. Si je te sais à des milliers de Parsecs de cette nébuleuse, je me battrai en sachant que tu es en sécurité. Et puis, il ne s’agit pas que de moi. Toutes les Forces Défensives comptent sur toi, et si… la bataille tourne mal, ils auront besoin de toi pour les guider.

  - Je refuse de jouer ce rôle. Si nous devons affronter les Lokis, nous devons le faire ensemble. Je ne resterai pas dans un bureau si j’ai le pouvoir d’agir. J’ai prêté serment, comme tous les soldats qui embarqueront dans cette flotte.


Talwyn se tut, les bras croisés. Ratchet se mit à piétiner, cherchant sans doute à la contredire. Elle chercha de l’aide auprès de Rhivan ou Clank, mais ce dernier haussa ses frêles épaules, l’air embarrassé.

  - Désolé Talwyn, mais je dois reconnaître que Ratchet a raison. Vous jouez un rôle trop important pour vous permettre de prendre un tel risque.

  - Je suis d’accord, renchérit Rhivan. D’un point de vue stratégique, c’est une mauvaise idée d’y aller, vous le savez. Il faut penser sur le long terme.

  - Mais…


Désemparée, la jeune femme hésita. La température semblait avoir brutalement chuté. Elle voulait leur rétorquer qu’ils n’avaient pas le droit de l’empêcher de sa battre, qu’elle ne supporterait pas de rester derrière en envoyant ses amis face à l’ennemi, mais sa conscience finit par lui murmurer qu’ils avaient tous raison, aussi désagréable que cela puisse paraître.

  - Et… s’il vous arrive quelque chose ? Je ne pourrai jamais me le pardonner !

  - Ne vous en faites pas, la rassura Clank. Tout se passera bien, j’y veillerai.

  - Très bien, abdiqua-t-elle après un long silence. Je ferai le nécessaire pour connecter une ansible de communication à l’intérieur de la nébuleuse, et j’enverrai les instructions depuis le Centre.


Elle tourna les talons, prête à partir.

  - Merci pour la soirée, dit-elle en marquant une pause. Je me suis bien amusée. On se retrouve demain.


***


Blaze posa le vaisseau volé au Vullard sur une des trois lunes de Terachnos. Deux d’entre elles étaient exploitées pour leurs matières premières et leur faible gravité, mais la troisième, Tera-003, était un minuscule caillou d’une douzaine de kilomètres de diamètre, dénué d’intérêt économique ou scientifique. Cependant, sa position particulière en avait fait un lieu particulièrement touristique : le satellite orbitait à seulement dix mille kilomètres du niveau de la mer. En réalité, il s’agissait d’un astéroïde capturé par la force d’attraction de Terachnos quelques décennies plus tôt. Sa trajectoire l’amenait à entrer en collision avec la planète, mais les Terachnoïdes avaient utilisé une panoplie de réacteurs ioniques pour repousser l’objet. À l’origine, il devait être renvoyé dans l’espace profond, mais sa proximité avec l’astre garantissait une vue imprenable depuis sa surface. Des opportunistes avaient saisi l’occasion d’en faire une station d’observation naturelle, et aménagé ce nouveau satellite pour accueillir touristes et astronomes.

Un générateur de gravité avait été placé au centre de la lune, et un écran énergétique retenait l’atmosphère artificielle et bloquait les radiations de l’étoile. Comme les capacités du recycleur d’air étaient limitées, son accès était strictement réglementé, mais les dizaines de milliers de touristes qui le visitaient chaque jour circulaient de façon relativement fluide, et Blaze n’eut pas de mal à réserver trois places dans un hôtel pour une nuit.


Le robot avait été surpris par la rigueur des contrôles de sécurité. Ils durent passer trois postes douaniers différents – à l’entrée du système, en entrant en orbite de Terachnos et une fois sur Tera-003. À chaque fois, il craignit d’attirer un peu trop l’attention des autorités, ou pire, que les holo-déguiseurs bon marché achetés sur le chemin ne les trahissent. Il fallait dire qu’un robot de sécurité, un Agorien et une Markazienne dans un cargo Vullard formaient un ensemble pour le moins hétéroclite. Mais mieux valait cela que se promener en compagnie de deux criminels recherchés dans tout l’univers…

Ils arrivèrent à leur hôtel de façon assez miraculeuse. Si ce n’était pour discuter du plan, les jumeaux n’avaient pas été particulièrement bavards ces derniers jours. Blaze savait qu’ils ne lui faisaient pas confiance, et cela lui était bien égal. Cependant, il sentait que tenter d’infiltrer les entrepôts sécurisés de Pollyx Industries dans ces conditions n’était pas idéal. Quelques heures avant le début de l’opération, il faussa compagnie à Neftin, occupé à préparer le vaisseau en faisant semblant de se comporter en Agorien, et partit chercher Vendra, qui était partie sur le chemin d’observation.


Ce dernier était aménagé en pavés de pierre. De grands parcs remplis de verdure et de fontaines ponctuaient le parcours, qui faisait le tour de la lune, pour un total de presque trente-huit kilomètres. Par endroits, le terrain devenait carrément sauvage, pour le plus grand plaisir des randonneurs courageux. Les autres prenaient des navettes pour se rendre aux points de vue les plus intéressants. Comme le satellite était en rotation synchrone avec Terachnos, une horloge locale permettait de savoir où et quand se positionner.

L’éclairage le long du chemin était particulièrement discret, afin que les touristes puissent profiter pleinement de la voûte céleste, même sur le côté éclairé par le soleil.


Pour des raisons de sécurité, chaque visiteur était équipé d’un bracelet localisateur, et Blaze n’eut aucune difficulté à retrouver Vendra. Elle s’était isolée dans un parc désert. De ce côté du satellite, il faisait nuit. Terachnos emplissait l’horizon, un disque sombre strié de toiles de lumière géométriques, et de taches d’un noir profond là où s’étendaient les océans. Tera-001, la plus massive des lunes, était dans sa phase pleine et faisait baigner le paysage dans une faible lumière laiteuse.

Blaze s’approcha d’elle, et remarqua que son holo-déguisement était désactivé. Les jambes en tailleur, les mains posées sur les genoux, elle lévitait à une vingtaine de centimètres de la végétation, qui ondoyait lentement sous l’impulsion de l’énergie psychique qui la parcourait. Ses longs cheveux magentas étaient détachés et se mouvaient au même rythme, et des reflets argentés parcouraient sa peau blanche, comme si elle se trouvait immergée sous l’eau.

  - Bonsoir, Blaze, dit-elle sans se retourner.

  - Depuis quand pouvez-vous sentir les êtres synthétiques ? questionna le robot en s’approchant.

  - L’herbe que vous foulez m’a indiqué votre présence.

  - Oh.

  - Que faites-vous ici ?

  - Nous allons bientôt partir. Votre frère m’envoie vous chercher.

  - Vous mentez. Neftin ne vous fait pas assez confiance.

  - Et vous ?

  - C’est… Difficile à dire. Je n’arrive pas à lire les intelligences artificielles.

  - Parfois, il suffit de leur demander ce qu’elles en pensent.


Blaze s’approcha encore et se plaça devant elle. Il constata que ses paupières étaient fermées. Son visage était parfaitement impassible, si bien qu’il se demanda si la voix qu’il avait entendue provenait réellement de sa bouche. Ses vêtements pourpres ressemblaient à des haillons, et lui donnaient des airs de fantôme. Peut-être était-ce voulu.

  - Je vous fais confiance, Blaze, répondit-elle sans ouvrir les yeux. Vous êtes loyal, et vous savez faire la part des choses.

  - J’ai été programmé pour ça. C’est plutôt à Harlan qu’il faut réserver ces compliments. Ce petit gars risque beaucoup en vous aidant.

  - Vous également. Pourquoi ?

  - Vous voulez entrer en contact avec les Lokis. C’est l’occasion de glaner des informations importantes sur l’ennemi.

  - Vous n’avez pas peur que nous nous joignions à eux ?

  - Honnêtement, je ne vois pas ce que vous auriez à y gagner, avoua Blaze en croisant les bras. Mais si c’était le cas, et que vous nous tuiez, Harlan et moi, eh bien j’imagine que Ratchet et Clank viendraient s’occuper de votre cas.


Vendra ouvrit les yeux. Ses pupilles se dilatèrent pour s’adapter à l’obscurité, lui donnant un air presque gentil. Mais elle ne s’arrêta pas de flotter.

  - Demain, ils attaqueront l’armada Loki, déclara-t-elle.

  - Qui, les Forces Défensives ? Comment le savez-vous ?

  - Comme j’ai appris qu’ils se cachaient dans la nébuleuse pour attaquer Terachnos. J’ai écouté les murmures.

  - Attendez, les Lokis savent pour l’attaque ?

  - Non. J’entends la voix des Lokis, piégés dans les fragments du Corps sur cette planète. Ils ne savent rien. Mais j’ai écouté la radio. Les agents de sécurité. Ils rassemblent les flottes autour des grandes planètes. Ils chassent les espions Lokis avec de nouveaux appareils. Cela peut ne signifier qu’une chose.

  - Nous allons nous infiltrer dans Pollyx Industries pour que vous communiez directement avec eux au même moment. Vous ne trouvez pas cela un peu gros, comme coïncidence ?

  - L’univers a un sens de l’humour particulier.

  - Ce n’est pas une réponse.

  - Je sais. Je ne suis pas divinatrice. Si les choses doivent se passer ainsi, il y a forcément une raison. Peut-être que nous sommes tous des pions, et que les Forces Défensives se jettent dans un piège. Mais qu’allez-vous faire ? Débarquer au Centre de Défense Planétaire, accompagné d’une « sorcière de l’espace » et prévenir Apogée que vous avez un mauvais pressentiment ?

  - Vous marquez un point. Mais avouez que c’est très louche.

  - J’ai déjà été manipulée, dit Vendra en décroisant les jambes, ses cheveux tombant sur ses épaules comme un voile de mariée. Je sais à quel point cela peut être… rageant. Mais au lieu de tirer sur vos liens, cherchez les mains qui vous dirigent.

  - « Et aidez une sorcière de l’espace à s’infiltrer dans le cerveau de vos ennemis ». C’est bien cela ?

  - Pourquoi nous aidez-vous, Blaze ?

  - J’ai déjà répondu.

  - Non. Même l’être le plus rationnel ne placerait pas autant d’espoir en nous. Dites la vérité.


Blaze détourna le regard et afficha une expression exaspérée. Pourtant, le visage de Vendra ne bougea pas d’un millimètre. Clignant lentement des yeux, elle attendait une réponse.

  - Il se trouve que j’ai été en contact avec des criminels pendant un bout de temps. La plupart des individus avec un tableau de chasse comme le vôtre sont, quoi qu’en disent les psychologues, irrécupérables. Mais vous… Vous êtes une anomalie. Ma programmation me pousse à contacter immédiatement les autorités. Mais une autre partie de moi vous croit capable de racheter vos fautes, et c’est cette partie que j’ai décidé d’écouter.


Vendra flotta vers lui, ses pieds effleurant les brins d’herbe sans laisser de trace. Une ombre traversa son visage – était-ce un sourire ? – et elle le dépassa.

  - Venez, dit-elle en s’éloignant. Mon frère ne va pas tarder à croire que vous nous avez trahis.


***


Ratchet prit une longue inspiration et revérifia encore une fois la soute d’Aphélion. Un pistolet anti-Loki, un gant à Fusio-Grenades modifié pour des munitions incapacitantes, un Répulseur Temporel, une quantité absurde de munitions et de Nanotechs. Le Lombax soupira et referma le compartiment. Il releva la tête et vit Clank, en train de vérifier les systèmes du vaisseau.

  - Alors, ça tourne ? demanda-t-il.

  - On ne peut mieux, répondit le petit robot.

  - Tu ne veux toujours pas me parler de ton projet secret ?

  - Ce ne serait plus un secret.

  - J’espère juste que tu n’as pas transformé Aphélion en bombe à antimatière…

  - Cela m’arrangerait aussi, plaisanta le vaisseau.


Le Lombax recula de quelques pas, et regarda autour de lui. L’agitation qui régnait dans le hangar du Gardien était digne d’un jour de soldes dans une boutique d’armes agorienne. Les gigantesques grues qui entouraient le chantier naval de l’anneau chargeaient les derniers conteneurs de matériel dans la soute du cuirassé. Des centaines de soldats vérifiaient leur équipement sous l’œil attentif de leurs supérieurs. Certains se trouvaient aux côtés de civils venus leur dire au revoir. D’autres étaient assis dans des recoins, seuls ou en groupe, prenant une dernière pause avant le départ. La bombe ASG-7 était lentement acheminée jusqu’au canon principal. La structure métallique de cinq mètres de diamètres était vide, mais tous savaient les ravages qu’elle pouvait causer en cas d’activation accidentelle, et manipulaient l’arme avec d’infinies précautions.

Ratchet vit que son équipe de pilotes semblait prête également. Les deux Agoriens échangeaient bourrades et cris de guerre. Jexica riait à côté d’eux. Pagan et Hisat s’affrontaient sur un jeu de holo-cartes, et Taelor les regardait d’un air impassible.


Quelqu’un toussota derrière le Lombax, qui fit volte-face et découvrit Rhivan, accompagné de Talwyn, restée en retrait. Le vétéran s’approcha de lui et vérifia que son armure Apogée était bien harnachée. L’entreprise dont avait hérité Talwyn excellait dans le matériel de pointe, et préférait la qualité à la quantité. Ils étaient en partenariat avec GruminNet depuis la disparition de leur fondateur, Max Apogée, et fournissaient notamment des équipements de survie et des armures de combat. L’armure Apogée était leur dernière création, et nommée ainsi car elle représentait le summum de ce dont leurs ingénieurs étaient capables. Ratchet les avait prévenus qu’ils n’auraient pas l’air malin lorsqu’ils inventeraient une meilleure armure, mais personne au marketing ne l’avaient pas écouté.


Le design s’inspirait de l’armure de trillium, conçue par les Lombaxs, mais avait été repensée pour être moins encombrante. Les plaques renforcées étaient composées de trois couches : l’alliage de trillium galvanisé bloquait les attaques cinétiques et dispersaient les décharges énergétiques dans la couche inférieure, composée de matériaux composites redirigeant les flux vers les condensateurs situés sur les omoplates. Ces derniers distribuaient l’énergie emmagasinée dans la troisième couche, qui se confondait avec la combinaison isotherme. Ce tissu synthétique était parcouru de bobines magnétiques, semblables à des feuilles métalliques à l’œil nu. Lorsqu’elles étaient alimentées, elles dispersaient des Nanotechs qui formaient un champ répulsif autour de la zone d’impact, agissant comme une dernière ligne de défense. En somme, plus cette armure encaissait de dégâts, plus elle se renforçait, à condition de ne pas surcharger les condensateurs. De plus, elle était extrêmement légère et ne gênait pas le Lombax dans ses mouvements, même en transportant Clank et plusieurs armes.

  - Ne l’abîme pas, lui conseilla le vieux Lombax en réajustant une épaulière. Tu pourrais acheter une lune avec ce bijou.

  - Je la ramènerai sans aucune égratignure, promit Ratchet en souriant. Merci de veiller sur elle en mon absence, chuchota-t-il en essayant de ne pas regarder Talwyn.

  - Elle n’a pas besoin de moi, le sermonna-t-il. Mais si les Lokis tentent quelque-chose, je serai là, c’est promis. Je surveillerai aussi la petite Tharpod. Quant à toi, je veux que tu t’arranges pour que vous reveniez en vie, tous les deux.

  - On est d’accords. On se retrouve au bar, Rhivan.


Ce dernier sourit et laissa la place à Talwyn, s’avançant vers lui d’un air impassible.

  - Amirale, salua Ratchet en se mettant au garde-à-vous.

  - Qu’est-ce qui te prends ?

  - Je te vois avec ta tête sérieuse, je me suis dit que c’était une délégation officielle, et que…


La Markazienne l’interrompit et l’enlaça. Ratchet sentit son souffle sur sa combinaison, et ses bras musclés le serrer fort contre sa poitrine. Il l’étreignit à son tour, enfouissant son visage dans son cou et savourant le doux parfum de ses cheveux sombres. Ils restèrent ainsi durant un long moment, puis Talwyn se retira. Ses yeux azur brillaient.

  - Faites attention, vous deux.

  - Clank a de la prudence pour quatre. Tu verras, ce soir je t’invite à la plus longue soirée « ciné-resto » de ta vie.

  - Tu seras un peu occupé, rétorqua-t-elle en souriant. C’est moi qui réserve les places.

  - Comme tu voudras.


Elle l’embrassa langoureusement, puis fit demi-tour et partit avec Rhivan. Ignorant les sifflements des pilotes qui n’en avaient pas raté une miette, Ratchet ferma le cockpit d’Aphélion, accrocha sa clé sur son dos et se dirigea avec Clank vers le poste de commandement.

Ce dernier était situé au-dessus du pont du cuirassé, garantissant une vue dégagée jusqu’à la proue, presque deux kilomètres plus loin. Il était impossible de voir en-dessous du vaisseau de cette manière, mais les pilotes préféraient se référer à leurs instruments avec un engin de cette taille. Une cinquantaine de personnes se trouvaient au poste de commandement, chargés de traiter l’impressionnante quantité d’informations et de directives nécessaires au fonctionnement de l’appareil. Le capitaine était installé à la « barre » : un ensemble d’écrans permettant d’avoir une vue d’ensemble de l’état du vaisseau et de communiquer avec l’équipage.

L’Amiral Ziering en personne avait prit le commandement du Gardien, fer-de-lance de la flotte. Ce modèle de vaisseau capital était principalement d’origine terachnoïde, mais plusieurs espèces avaient apporté leur contribution lors de son élaboration. Il pouvait remplir à la fois le rôle de cuirassé et de transporteur, un monstre de puissance à la pointe de la technologie. Il n’y en avait que trois dans la galaxie, et celui-ci était le vaisseau personnel de Ziering, l’un des seuls officiers des Forces Défensives apte à commander un bâtiment de guerre deux fois plus imposant que les transporteurs markaziens.


Lorsque l’ascenseur déposa Ratchet et Clank sur le pont, l’amiral était en train d’aboyer les derniers ordres de vérification avant sonner le départ. Il les salua d’un signe de tête, et le duo se rapprocha de la verrière. Loin derrière le vaisseau s’étendaient les agglomération d’Iglak. Ratchet se perdit quelques instants dans la contemplation des nappes blanches qui parvenaient à passer au-dessus des gratte-ciels.

  - En avant, doucement ! ordonna Ziering.


L’énorme cuirassé se désarrima de l’anneau. À travers le verracier, le Lombax distingua des centaines d’appareils s’élancer dans le vide. L’un des pilotes annonça la mise à feu du propulseur principal. Une intense vibration ébranla le sol, alors que le bâtiment de guerre prenait lentement de la vitesse. Bientôt, toute la flotte était orientée sur le vecteur de saut, presque parallèlement à la planète. Ratchet se pencha contre la verrière pour mieux distinguer la lueur irisée de l’atmosphère.

Un enseigne lança le décompte du saut hyperspatial. Toute la flotte allait effectuer un saut groupé, les plus petits appareils se servant du sillage des vaisseaux capitaux pour se propulser. L’officier égrenait les secondes, et des voyants colorés s’illuminèrent les uns après les autres sur les écrans du pont. Quelques instants avant le saut, Ratchet releva les yeux et fixa l’océan noir qui s’étendait devant lui. L’espace se déforma, se contracta en un point se trouvant vers l’avant du vaisseau. Au moment où le ciel semblait sur le point de se rompre, un éclair lumineux enveloppa la flotte, qui disparut en ne laissant qu’une traînée diffuse d’énergie dorée.



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