Ratchet & Clank: Mind Games - Chapitre 16

Auteur : Arayn

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Un rayon de soleil filtrait au travers des volets, montant au même rythme que l'aurore. La chaleur et la lumière réveillèrent Ratchet, qui émergea du sommeil en bâillant. Au plafond, un hologramme de nuages cotonneux remplaçait le ciel étoilé qui emplissait la chambre lorsqu'il s'était endormi. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas dormi dans un vrai lit, et avait presque oublié à quel point c'était agréable. En s'étirant, il sentit la douce épaule de Talwyn sur sa gauche. Elle était encore endormie, sa respiration était lente et régulière. Sans un bruit, le Lombax se leva, s'habilla et se rendit dans le salon. Le ciel voilé de la veille avait laissé place à une étendue azur, seulement encombrée de quelques nuages. Alors qu'il finissait de préparer le café, la Markazienne le rejoignit.

  - Salut, dit-elle en s'asseyant en face de lui.


Ratchet lui tendit une tasse pleine. Tout juste sortie du lit, elle portait un pull trop grand et ses cheveux étaient en bataille. Mais ce long repos, après ces toutes ces nuits raccourcies, lui avait redonné un visage lumineux.

  - Tu es radieuse, déclara le Lombax avec un sourire.

  - Ne dis pas de bêtises, rétorqua-t-elle en étouffant un bâillement qui fit perler de petites larmes au coin de ses yeux.


Ils prient leur petit-déjeuner en silence. Sur le mur, la holovision faisait défiler des rapports sur la guerre accompagnés d'une flopée de graphiques, des journaux discutant des dernières mesures prises par le gouvernement, mais aussi des publicités et des programmes de divertissement. La galaxie ne s'arrêtait pas de tourner. Regardant l'écran d'un œil distrait, Ratchet se sentait un peu nerveux. Ce silence lui rappelait douloureusement la scène de la veille.

  - Euh, Tal'... commença-t-il. Concernant ce qu'il s'est passé hier soir...


La Markazienne le fit gentiment taire en posant un doigt sur ses lèvres.

  - N'y pense plus... Nous avions des comptes à régler, c'est tout. Cette guerre nous affecte tous les deux, mais nous avons plus important à faire que se disputer.

  - Tu as sans doute raison, soupira Ratchet, soulagé. Mais il y a quand même quelque chose dont j'aimerais te parler...

  - Je t'écoute, fit la Markazienne en levant un sourcil intrigué.

  - Je n'ai pas encore mis Clank au courant... J'ai fait une promesse à Rhivan. Lorsque les Lokis seront vaincus, je terminerai les réparations du Dimensionnateur, et nous partirons à la recherche des Lombaxs.


Talwyn faillit avaler de travers.

  - Je te demande pardon ?

  - Ce ne sera pas un allez simple, expliqua-t-il précipitamment. Enfin, j'espère...

  - Donc tu es sérieux ? Ratchet, c'est... si soudain ! Avec tout ce qui se passe en ce moment...

  - En fait, ça fait un moment que j'y réfléchis. Je sais que la dernière fois que j'ai tourné le dos à la galaxie, un fou furieux a commencé à voler des planètes, mais... Peut-être que quand cette guerre sera finie, Polaris sera enfin en paix. Et il faudra bien que j'assume mon devoir.

  - Mais il ne s'agit pas de prendre des vacances dans la galaxie voisine, c'est du voyage interdimensionnel ! Comment pourrais-je te savoir si... hors de portée, s'il vous arrive malheur ?


Ratchet prit les fines mains de Talwyn dans les siennes.

  - C'est justement pour cette raison que je te demande de m'accompagner. La dernière fois, j'ai été égoïste de partir sur Veldin. Je m'en suis voulu de t'avoir laissé seule alors que tu avais besoin de Clank et moi. Mais cette fois-ci, c'est différent. Je vais faire tout mon possible pour terminer cette guerre, et même plus. Et quand les Lokis seront vaincus, nous serons libres de toute responsabilité, et nous pourrons partir là où plus rien ne nous séparera. Seulement toi, moi, Clank et Rhivan. Imagine, toi qui as toujours voulu devenir exploratrice !

  - Je... Je ne sais pas, Ratchet, hésita-t-elle. Tu serais prêt à laisser derrière toi tous ceux que tu connais, à partir sans même savoir ce qui t’attend ?

  - C'est tout l'intérêt de la découverte, et je compte bien nous faire revenir, un jour ou l'autre. Mais c'est toute mon espèce qui nous attend, Tal'... et peut-être qu'on pourra retrouver ton père.


Une lueur d'espoir apparut dans les yeux bleus de la Markazienne, et sa main se serra un peu plus fort sur celle de son compagnon. Max Apogée, porté disparu depuis presque trente ans, était encore bien présent dans l'esprit de la jeune femme. Elle était persuadée que son père était encore en vie, et plusieurs indices laissaient penser qu'il avait suivi les Lombaxs dans leur exil. S'il y avait la moindre chance de le retrouver, lui aussi...

  - Nous avons encore beaucoup à faire dans cette galaxie, finit-elle par répondre avec un léger sourire. Il faut qu'on se concentre sur ce qu'on attend de nous pour le moment. Ensuite, nous...


Elle fut interrompue par la sonnerie de son communicateur. Esquissant un geste d'excuse pour Ratchet, elle s'éclaircit la voix et répondit à l'appel. Le Lombax la vit se tendre soudainement, et un air préoccupé s'était dessiné sur son visage lorsqu'elle coupa la communication.

  - Notre éclaireur dans la Nébuleuse de l'Abysse est de retour, lui annonça-t-elle. Réunion de crise aux Centre dans vingt minutes.

  - Pas de répit pour les braves, soupira Ratchet.

  - Pas de répit pour nous en tout cas, répondit-elle en déposant un baiser sur sa joue avant de se lever. En piste, Capitaine.


***


Cette fois-ci, l'assemblée avait lieu dans la salle de holoconférence. En arrivant au Centre de Défense Planétaire, ils furent accueillis par Clank et Rhivan.

  - Tu as mis ton plus beau costume ? le railla ce dernier en pointant son uniforme.

  - Je ne porte pas ce truc par choix, répliqua Ratchet en tirant sur le col à la coupe stricte pour s'aérer un minimum. Talwyn, je ne sais pas comment tu fais pour porter ça tous les jours.

  - Question d'habitude.


Rhivan ne pouvait pas assister au sommet, la Markazienne lui expliqua que la plupart des amiraux ne lui faisaient pas assez confiance pour lui confier des informations aussi sensibles. Le vieux Lombax s'en doutait, et n'était pas venu pour cela. Il remercia Talwyn pour son hospitalité et remit cinquante Boulons à Ratchet : son arrivée sur Iglak n'était pas passée inaperçue à la holovision, il avait donc perdu le pari de la veille, même si le gagnant avait complètement oublié de vérifier ! Il partit ensuite "se rendre utile" en attendant la fin de l'assemblée.


Le trio poursuivit son chemin et entra dans la salle circulaire plongée dans la pénombre, alors que la moitié des amiraux étaient déjà connectée. Le Président Wencalas était présent également, au moins pour recevoir le rapport de l'éclaireur. Lorsque la porte se referma derrière eux, Ratchet entendit les gardes se placer devant et activer un champ de confinement. Aucune information ne devait filtrer en dehors de cette pièce.

  - Messieurs-Dames, déclara Talwyn lorsque tout le monde fut en place, ce sommet a pour but de prendre connaissance des informations récoltées par nos éclaireurs dans la Nébuleuse de l'Abysse et d'établir une stratégie de contre-attaque. Si l'Amiral Ziering l'a convoqué, c'est qu'ils n'ont pas dû revenir les mains vides. Je vous laisse donc la parole, Amiral.

  - Je confirme que l'équipage du chasseur Pénombre est revenu sain et sauf à notre enclave du secteur Bernilius. Ils ont découvert un rassemblement important de forces ennemies au cœur de la nébuleuse.

  - Ont-ils pu effectuer des relevés détaillés ? demanda un autre amiral.

  - J'allais y venir, poursuivit Ziering d'un ton sec. Voici ce qu'ils ont rapporté.


Le Markazien entra une commande sur son écran et un hologramme prit forme au milieu de la table annulaire. Les centaines d'images et de relevés enregistrées par le chasseur, assemblées et enrichies par I.A, dévoilèrent les arabesques de gaz et de poussières de la nébuleuse, qui se répandirent dans toute la pièce. Les astéroïdes de tailles diverses qui flottaient librement dans le vide spatial étaient d'un réalisme saisissant, mais c'était la gigantesque flotte de guerre qui trônait au milieu de la projection qui déclencha de vives réactions au sein des officiers.

Ratchet se pencha en avant pour examiner les vaisseaux de plus près. Sur ses lentilles à réalité augmentée, des informations se superposèrent à l'hologramme, précisant les caractéristiques des différents bâtiments.


Une bonne partie de la flotte était constituée de vaisseaux volés aux Forces Défensives ou aux Kerchus, surtout ceux de grande taille, mais la plupart des appareils plus petits provenaient des pirates de l'espace, des Agoriens ou des Valkyries. Les espèces indépendantes étant plus faiblement défendues, les Lokis avaient sans doute pu s'emparer d'un grand nombre de vaisseaux, en concentrant leurs troupes sur les Forces Défensives pour capturer les plus gros.

Ce qui était sûr, c'est que peu de planètes pourraient résister à une telle puissance de feu.

  - A-t-on déjà une estimation précise de leur nombre ? demanda Wencalas.

  - Je me suis permis de renvoyer les éclaireurs plusieurs fois dans la nébuleuse pour évaluer l'évolution des forces ennemies, répondit Ziering. Nous avons repéré huit cuirassés, cinq porte-nefs, une centaine de croiseurs et de destroyers, plus de cinq cents corvettes et probablement quelques milliers de chasseurs. D'autres vaisseaux continuent d'arriver, mais nous pensons que le gros de la flotte est rassemblé ici.


L'énumération fit s'élever de nouvelles rumeurs parmi les officiers. Chacun d'eux était certainement en train de calculer leurs chances de victoire en cas d'affrontement avec une force pareille.

  - Ils n'ont pas baissé la fréquence des attaques et rassemblé cette flotte pour se contenter d'escarmouches, déclara Talwyn d'une voix forte pour couvrir le brouhaha. Ils préparent une attaque massive. Le problème est de savoir où et quand elle se produira.

  - D'après vos informations, intervint l'un des amiraux, ils prévoient d'attaquer Terachnos dans dix-huit jours. Nous devons détourner les flottes de Khortos pour soutenir celles de Vela dans la défense du système !

  - Et si ces informations étaient fausses ? rétorqua un autre. Ils prévoient peut-être d'attaquer Kortog, ou Iglak !

  - Iglak est trop bien défendue, objecta un troisième. Ils ne s'y risqueraient pas, et il faut faire en sorte que cela ne change pas !

  - Il faudrait déjà s'assurer que les espions Lokis soient démasqués avant que nos plans ne leur parviennent, sans quoi nous ne pourrons pas organiser notre défense ! Où en est la production des extracteurs de parasites ?


Les remarques fusèrent de part et d'autre de la table. Ratchet échangea un rapide regard avec Talwyn, assise à côté de lui, qui lui intima le silence. Le Lombax grimaça, mais il comprenait : il savait que certains voyaient d'un mauvais œil sa relation avec la Grande Amirale, et s'ils se soutenaient mutuellement pendant le débat, on risquait de les accuser de faire passer leurs sentiments en priorité. Il allait falloir la jouer fine. Clank, de son côté, pianotait à toute vitesse sur son écran, mais Ratchet savait qu'il ne perdait pas une miette des échanges autour de lui.

Talwyn écouta les différentes propositions, puis attendit une accalmie pour prendre la parole, ses yeux balayant toute l'assemblée.

  - N'oublions pas que cette flotte est déjà suffisamment puissante pour raser n'importe-quelle colonie se situant dans l'espace frontalier, peut-être même plus proche encore. Elle serait déjà en route que nous ne pourrions rien faire. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de disperser nos forces et attendre de connaître leur cible. Mais nous sommes sûrs d'une chose : si nous attendons qu'ils attaquent, cela entraînera des pertes civiles et matérielles que nous souhaitons par-dessus tout éviter, même si nous remportons la bataille.


La Markazienne fit une pause. Ratchet commençait à comprendre où elle venait en venir.

  -  Mais pour la première fois dans cette guerre, nous disposons d'une longueur d'avance, poursuivit-elle se levant, penchée vers les amiraux. Nous sommes sur le point de rétablir notre industrie d'armement et de mettre au point la technologie qui nous permettra de vaincre les Lokis. Nous savons où ils se rassemblent et quelles sont leurs forces. Je pense que nous pouvons en venir à bout, et je pense que nous avons passé trop de temps sur la défensive. À cet instant, notre meilleure chance de défendre nos colonies est de frapper les Lokis là où ça fait mal !


Ponctuant sa phrase en serrant le poing sur la table, elle désigna l'hologramme.

  - Détruisons cette flotte avant même qu'elle ne sorte de la nébuleuse.


Galvanisés à l'idée d'enfin obtenir une revanche sur les Lokis, l'état-major approuva vivement cette proposition. Cependant, la Nébuleuse de l'Abysse n'était pas une région réputée dangereuse pour rien, et l'ennemi était en position de force. C'était un pari risqué, et il faudrait une stratégie solide pour obtenir la victoire. Talwyn rassura l'assemblée et s'engagea à mettre au point un plan rapidement, mais Ratchet sentit que certains amiraux étaient encore réticents.

"Même si elle a fait ses preuves ces dernières années, ils lui reprochent encore de manquer d'expérience" comprit-il. "Quelle bande de vieux prétentieux !"


Quelques modalités plus tard, le sommet de guerre se clôtura. Ils saluèrent le président, qui s'en retourna aux préparatifs du redémarrage de GruminNet, et sortirent de la salle de conférences.

  - Alors comme ça, demanda le Lombax à sa compagne, c'est l'heure de la riposte ?

  - Tu n'es pas d’accord ?

  - Bien sûr que si ! On va enfin botter les fesses violettes de ces sales parasites.

  - Talwyn, ajouta Clank, si je peux me permettre, établir une stratégie d'attaque est une tâche très exigeante. Peut-être pourrais-je apporter mon soutien ?

  - Merci, mais je pense pouvoir me débrouiller seule. Je vous appellerai tous les deux en cas de besoin.


Le robot acquiesça et les quitta pour retourner travailler sur son projet secret. Ratchet gratifia la Markazienne d'un baiser d'encouragement et partit lui aussi du Centre pour se rendre quelques temps plus tard sur Maglaar, en compagnie Rhivan, pour continuer son entraînement.


***


Copernicus L. Qwark était au meilleur de sa forme. Les dernières années avaient été pour le moins... décevantes, bien que cela n'ait jamais vraiment été sa faute. D'abord la perte aux élections présidentielles, puis apprendre que le fondateur de son fan-club était devenu jaloux au point de vouloir sa mort, cela avait failli venir à bout de son moral de fer.

Malgré son aide inestimable lors de la crise du Nétherverse, sa cote de popularité n'était plus ce qu'elle était, et le héros était passé par une longue phase d'introspection. Comment avait-il pu chuter de son piédestal ainsi, lui qui était vénéré comme un dieu vivant ? Ratchet et Clank y étaient sûrement pour quelque chose, mais comment une aussi petite boule de poils et son ami le grille-pain avaient-ils pu concurrencer son héroïsme naturel et ses pectoraux d'acier ?

Quoi qu'il en soit, cette guerre était une véritable aubaine. Tous ces civils paniqués, à la recherche d'un sauveur, et que faisaient leurs deux « héros » pendant ce temps ? Ils parcouraient encore la galaxie, probablement pour affronter quelque armée de pirates morts-vivants sur une planète perdue. Un véritable héros se devait de rester auprès du peuple ! Lorsque l'appel du devoir avait retenti, il s'était rendu devant le président galactique pour proposer son aide généreuse. Il avait certes eu un peu de mal à se faire entendre, mais Wencalas avait fini par le promouvoir au rang de "Responsable Attitré du Transfert des Évacués". Aucune idée de ce que cela voulait dire, mais il lui avait assuré qu'il s'agissait d'un rôle important : on l'envoyait sur les planètes les plus importantes pour remonter le moral des réfugiés. Que rêver de mieux ?


Le vaisseau de transport amorça sa descente vers Terachnos, et Qwark boucla sa ceinture, bousculant au passage le Terachnoïde qui était assis à côté de lui.

  - Hé, faites attention !

  - Désolé, citoyen, répondit-il en faisant de son mieux pour faire tenir son imposante carrure dans le petit siège.


"Il y a encore du travail pour retrouver mes lauriers d'antan", songea-t-il. "À commencer par quitter la classe économique."

Par le hublot, il discerna les contours de la station orbitale par laquelle le transit aurait lieu. À des centaines de kilomètres en-dessous se trouvait la planète mère des Terachnoïdes. L'un des piliers économiques - et surtout scientifiques - de Polaris. Bien que Qwark ne portât pas un grand intérêt à la recherche, il aimait bien ces grosses têtes, qui se révélaient particulièrement utiles pour résoudre des problèmes trop compliqués pour lui.

L'imposant vaisseau de ligne s'arrima à la station, et le flot de civils se déversa dans la baie de débarquement. La procédure était plus longue que d'habitude à cause des contrôles de sécurité, mais du temps était gagné sur la vérification d'objets dangereux : comme il était de notoriété publique que les Lokis n'avaient pas besoin d'armes technologiques pour attaquer, le gouvernement planétaire avait décidé d'en autoriser le port afin que tout citoyen puisse se défendre, au moins jusqu'à-ce que les autorités soient capables d'identifier et de neutraliser les parasites infiltrés.

Si l'opinion se confortait à l'idée que les habitants de la planète étaient assez sages pour n'utiliser leur arme qu'en cas de réel besoin, Qwark devait se retenir de rire rien qu'en imaginant un Terachnoïde se servir d'un Plasmo-mitrail.


Les portiques de sécurité passés, on le guida jusqu'à une navette qui l'emmènerait vers sa prochaine destination : Pollyx Industries. Là-bas, ce serait le défilé au sein des militaires, les poignées de mains, les discours de motivation et la vente de produits dérivés. Une journée classique, en somme.

Qwark soupira en tirant son énorme valise. On ne lui avait pas encore fourni un assistant personnel pour s'occuper de ses affaires, alors qu'il était déjà surmené par son travail. Il avait la nostalgie de ses années de président galactique, quand il suffisait d'un claquement de doigts pour que deux sublimes masseuses Valkyries débarquent dans son bureau. À présent, il n'avait plus qu'à espérer pouvoir s'offrir un robot majordome avec sa paye.


Son arrivée au siège de Pollyx Industries fut soulignée par un accueil en grandes pompes, ce qui le surprit et le ravit à la fois. Un tapis rouge, des confettis, des projecteurs et des caméras, qu'espérer de mieux ? Sous les yeux de dizaines de civils, il fut salué par Pollyx en personne, et eut le droit de prononcer un petit discours d'encouragement à la population. Il ne fut pas acclamé autant qu'il l'espérait, même avec des crustacés à plusieurs cerveaux pour public, mais la guerre devait les fatiguer.

En redescendant de l'estrade sous les applaudissements de la foule, il fut abordé par un Terachnoïde à l'allure loufoque : une seule mèche de cheveux partait de derrière son oreille gauche et était plaquée contre son crâne jusqu'à l'oreille droite, formant un étrange serre-tête capillaire. Avec ses lunettes de soleil - même en pleine nuit -, on aurait presque eu l'impression qu'il essayait de se donner un air "cool".

  - Capitaine Qwark ! lança-t-il. Ravi de vous revoir.

  - On me le dit souvent. À qui ai-je l'honneur, citoyen ?

  - Mais Capitaine, c'est votre bon vieux Mac Mackeroy ! Vous vous souvenez, à l'Arène Agorienne ?

  - Mac... Mac ! s'exclama Qwark en se souvenant enfin. Je reconnaîtrais cette paire de sourcils entre mille. Vous étiez responsable du vaisseau, c'est bien ça ?

  - Jusqu'à-ce que Zogg le réduise en miettes, oui. Depuis, je bosse pour Pollyx. Quand j'ai appris que vous veniez, j'ai organisé cette petite fête. Ratchet et vous avez donné un sacré spectacle la dernière fois, je vous devais bien ça... d'autant que ce n'est pas très fameux niveau popularité en ce moment, je me trompe ?


Qwark tira soudainement le Terachnoïde à l'écart des oreilles indiscrètes.

  - C'est donc à vous que je dois les remerciements pour tout cela ? Eh bien les voici. Mais ma cote de popularité n'a jamais été aussi haute !


Esquissant une moue sceptique mais préférant ne rien ajouter, le Terachnoïde le guida jusqu'à la balustrade qui ceignait une partie de l'étage. Le héros se pencha légèrement par-dessus et distingua les immenses entrepôts de Pollyx Industries, installés dans les plus bas étages de la tour, là où la couche nuageuse se formait. Sans doute pas un endroit très accueillant.

  - J'ai entendu dire que les Agoriens avaient reconstruit une arène sur une planète paumée de Khortos, lui dit Mac. Vous pourriez vous inscrire au tournoi... Vous ne seriez pas très bien vu par tous ces intellos de politiciens, mais vous gagneriez le respect absolu des Agoriens, et de tas d'autres personnes plus en bas de l'échelle. Mais l'intérêt, c'est qu'ils sont plus nombreux !

  - Oh, vous savez, les combats de gladiateurs, ce n'est pas vraiment mon truc, répondit Qwark en repensant à son combat contre le Grok de Guerre. Je préfère stopper les invasions de pirates de l'espace ! Vous avez vu Amour, Gloire et Plasmo-mitrail ?

  - Mouais... C'est bien dommage. Pour peu que vous surviviez, il y a des Boulons et de la gloire à volonté...

  - Des Boulons et de la gloire ? C'est plutôt tentant... mais j'emmènerai Ratchet avec moi. Tout bon héros a besoin de son fidèle acolyte !

  - Évidemment. Je comptais démissionner de chez Pollyx et retrouver mon job dans l'arène : quand on a goûté aux combats d'Agoriens, tout paraît fade en comparaison. Alors si vous décidez de vous inscrire, contactez-moi et je vous garderai une place au chaud.


Il lui tendit sa carte, que Qwark rangea dans sa botte. Le Terachnoïde plissa le nez - l'odeur n'était pas spécialement agréable - et s'éloigna, laissant le héros seul dans ses pensées.

  - Des Boulons et de la gloire... répétait-il.


***


Des centaines de mètres au-dessous, caché dans la brume, Harlan marchait en équilibre sur un tuyau de ventilation. L'air était humide en permanence à cette altitude, et le métal était particulièrement glissant. Tâchant d'oublier qu'aucun harnais de sécurité ne le retiendrait en cas de chute, le Cazar continua d'avancer, ses mains allant de câble en câble telle une araignée sur sa toile.

Il savait que ce tuyau le mènerait jusqu'à sa destination. Après tout, il s'agissait de s'introduire dans son propre lieu de travail. Et il n'aimait pas du tout cette idée.


Il arriva à proximité du siège de Pollyx Industries. L'immense tour était éloignée des bâtiments alentours d'environ cinquante mètres, pour permettre aux nombreux transports de circuler tranquillement. De plus, le vide entre les immeubles avait tendance à dissuader les fouineurs de s'aventurer à découvert... ce qu'il était exactement sur le point de faire.

Harlan s'agenouilla sur le tuyau et se remémora la position des caméras de sécurité. Le côté où il se trouvait était le moins protégé : une seule caméra balayait de son œil mécanique tout le périmètre, inlassablement. Cela dit, il n'y avait qu'un seul tuyau qui permettait d'enjamber le vide pour rejoindre l'entrepôt.

Il observa la vitesse de rotation de la caméra et calcula le temps qu'il aurait pour traverser sans se faire voir... Une dizaine de secondes, peut-être moins.


L'observateur silencieux tourna lentement vers l'autre extrémité de son axe. Sans perdre une seconde, Harlan s'élança en avant, ses bottes antidérapantes résonnant à travers le tuyau métallique.

Le temps s'égrenait, et le Cazar faisait de son mieux pour ne pas glisser, les bras tendus pour garder l'équilibre. Ses yeux allaient et venaient frénétiquement entre la caméra et ses pieds, qui frappaient le métal à toute allure.

Soudain, la caméra commença à revenir dans sa direction. Abandonnant toute prudence, Harlan se précipita en avant, bien décidé à franchir les quelques mètres qui le séparaient de la tour. Un pas après l'autre, son cœur battait la chamade alors qu'il voyait du coin de l'œil l'objectif qui se rapprochait implacablement.


Puis son pied glissa. Tentant vainement de conserver son équilibre, il s'étala de tout son long sur le tuyau. Sans que la surface lisse et glaciale ne lui accorde le moindre répit, il fut entraîné sur le côté, comme si un monstre l'avait saisi pour le tirer vers le gouffre. Harlan battit désespérément des bras, cherchant la moindre prise qui pourrait le sauver.

Inexorablement, il glissa le long du tuyau. Mais au moment de lâcher prise, il aperçut un frêle câble d'alimentation qui passait sous le conduit d'aération. Dans un ultime réflexe, une de ses mains se referma sur cette ligne providentielle, rapidement suivie par l'autre.

Il se retrouva suspendu dans le vide, accroché à un câble plus fin qu'un pouce et manifestement pas prévu pour l'escalade. Son poids additionné au choc de la chute était de trop pour l'attache, qui céda brutalement. Harlan tomba encore d'une vingtaine de centimètres, mais la gaine du câble était heureusement faite d'un matériau rigide, ce qui lui donnait quelques secondes pour réagir.

Lâchant sa prise d'une main, Harlan attrapa la section suivante du câble et transféra le plus délicatement possible son poids le long de la ligne. L'adrénaline inondant son organisme, il avant l'impression de sentir chaque micro-imperfection dans le relief de la gaine. Lentement, prudemment, il se déplaça vers la tour. Là où il se trouvait, la caméra n'était plus un problème.


Quelques mètres plus loin, il put enfin toucher le mur de la tour, après avoir parcouru ce qui avait semblé des kilomètres. Il se hissa délicatement sur la petite corniche qui accueillait le conduit de ventilation. Suffisamment large pour qu'un Terachnoïde -harnaché, évidemment - s'y tienne debout, la plateforme était munie d'un pupitre de maintenance. Sur le côté, une trappe permettait à un drone de maintenance de sortir. Et justement, le câble cassé allait forcément déclencher une alerte d'incident. Un voyant lumineux se mit à clignoter et Harlan se plaqua contre le mur. Quelques instants plus tard, la trappe s'ouvrit et un robot sphérique en sortit. Sans remarquer le Cazar, le drone se dirigea docilement vers le câble sectionné, ses outils de réparation déjà prêts à servir.

Avant qu'il ne puisse se poser des questions sur la source de la panne, Harlan se glissa par la trappe et se mit à ramper dans le conduit du drone. Il fallait faire vite : si le drone revenait et que son trajet était obturé, il le signalerait à la sécurité... raison pour laquelle il n'avait pas cherché à entrer dans l'immeuble à l'intérieur du tuyau de ventilation au lieu de jouer les funambules.

  - Blaze, vous avez intérêt à ce que tout ce cirque vaille le coup, maugréa-t-il.


Son ami l'avait contacté quelques jours après son premier message, mais cette fois-ci de façon plus discrète. Il lui avait confié une mission qui, peu importe comment le jeune Cazar le retournait, le rendrait certainement coupable de haute trahison.

Il était loin d'être stupide, et avait compris que les jumeaux Prog avaient fait chanter Blaze pour livrer leurs informations sur la flotte Loki. Ce dernier l'avait assuré qu'il faisait confiance à Vendra et son frère, mais Harlan avait eu beaucoup de mal à accepter de se rendre complice de cette folie. Laisser ces deux criminels s'approcher du plus gros tas de cristaux alien de la galaxie ne présageait rien de bon.

Et pourtant, il était en train de ramper clandestinement dans un conduit de maintenance, afin de saboter le système de sécurité pour les laisser entrer à leur guise dans l'entrepôt. Dans ce genre de moments, il se disait qu'écouter son instinct n'était pas forcément une bonne idée.

Mais il était trop tard pour faire machine arrière. Il continua d'avancer le plus discrètement possible dans le conduit, sans savoir s'il se trouvait dans un mur ou au-dessus d'un couloir patrouillé... Le vrombissement du drone s'intensifia derrière lui, mais il avait dépassé la station de rechargement, et l'inquiétant bruit se coupa quelques instants plus tard. Cependant, Harlan continua à chercher une autre trappe pour se faufiler hors du conduit. D'après ses souvenirs, le réseau de maintenance était un gigantesque labyrinthe de tuyaux, tous interconnectés et étendus sur toute la hauteur du gratte-ciel. Il était donc fort probable qu'il tombe sur un autre drone, ce qu'il préférait éviter.


Quelques minutes plus tard, le Cazar parvint à trouver une sortie, et se glissa par la trappe pour atterrir dans un petit couloir. À partir de là, il avait bien mémorisé le plan du bâtiment.

Depuis que Pollyx Industries était plus ou moins sous le contrôle des Forces Défensives, ces dernières avaient augmenté la sécurité en y affectant des militaires. On l'avait jugé inapte à retourner au front pour quelques temps, et il sentait que les huiles voulaient l'avoir sous la main pour l'interroger sur Vartax au besoin. Il avait donc écopé d'un rôle d'agent de sécurité dans la tour de Pollyx.

Il avait rapidement pris ses marques et connaissait bien la configuration des étages et l'organisation de la sécurité, mais c'était Blaze qui lui avait appris ce qui se trouvait dans le plus vaste des entrepôts : Les fragments de Toranux, rassemblés ici depuis que la nature des Lokis avait été révélée et cachés du grand public.


Le Cazar avança prudemment dans les couloirs, adoptant un chemin de patrouille ordinaire : il portait son uniforme, il passerait donc inaperçu tant que les caméras ne voyaient pas son visage. Cela dit, mieux valait ne pas tomber sur un "collègue" en chemin.

Au bout de quelques encablures, il arriva enfin dans l'entrepôt principal. Une porte débouchait sur un espace aussi large que la tour. Des passerelles quadrillaient toute la zone, permettant de circuler à différentes hauteurs, et d'innombrables grues et drones de chantier étaient en service en permanence, donnant l'impression d'une véritable fourmilière.

Harlan était arrivé sur le "chemin de ronde", à savoir l'ensemble de passerelles le plus proche du plafond et qui faisait tout le tour de la salle. À des dizaines de mètres en contrebas, des milliers de tonnes de cristaux violets étaient examinés, rangés et empilés. Depuis que l'Amiral Apogée avait ordonné de chercher et récupérer les fragments de Toranux, ces derniers étaient cachés dans les locaux de Pollyx. La quantité réunie ici était considérable, et de nouveaux chargements arrivaient continuellement, mais qu'est-ce que cela pouvait représenter face à la masse totale d'une planète ? Les autres fragments avaient-ils été détruits, ou étaient-ils tellement dispersés qu'il était difficile de les retrouver ? Et si les Lokis s'étaient déjà emparés du reste des cristaux ? Le contenu de cet entrepôt paraîtrait bien dérisoire.


Cependant, ce n'était pas le moment pour ce genre de réflexions. Harlan détourna son regard des cristaux et se reconcentra sur son objectif. Il avait réussi à esquiver la sécurité, mais pour faire rentrer les jumeaux Prog - et Blaze, il l'espérait -, il allait devoir la désactiver complètement.

Le Cazar s'engagea sur la grille de passerelles, en direction d'un terminal qui lui permettrait de pirater les protocoles de détection. Il fallut de nouveau se soustraire au regard des caméras et des gardes, mais l'entrepôt était bien trop vaste pour que la sécurité puisse le couvrir en entier. À la place, ils avaient décidé de d'avantage surveiller les différentes issues. Il n'eut donc pas trop de problèmes pour trouver un terminal en toute discrétion.

Après un regard nerveux pour vérifier que personne ne venait, Harlan ouvrit l'interface et introduit le disque de données qui contenait le programme de Blaze. Il ne voulait pas savoir où son ami se l'était procuré, mais il se doutait bien que ce n'était pas son technicien de maintenance mensuelle qui lui avait donné.

Le code pirate s'infiltra dans le protocole de sécurité de l'immeuble. Un virus informatique serait vite repéré dans un réseau comme celui-ci, détaché du HoloNet, c'est pourquoi le programme simulait une interaction extérieure, sans chercher à modifier le code initial. Les identifiants biométriques de Vendra et Neftin apparurent dans la liste des personnes autorisées, de même que celui de Blaze.

Finalement, c'était comme si les Prog étaient venus directement inscrire leur code sur ce terminal, et l'IA de sécurité n'y vit que du feu. Harlan vérifia rapidement qu'aucune faille n'était détectée dans le réseau et se prépara à répartir, mais hésita avait de couper sa connexion. Blaze avait écrit son programme pour que les Prog et lui aient un accès illimité et confidentiel à l'entrepôt. Mais le jeune Cazar avait définitivement plus de mal à faire confiance aux jumeaux que son ami. Si quelque chose devait mal tourner, il ne voulait pas que Neftin et sa sœur aient autant de libertés. Les enjeux étaient trop grands.

Mais s'ils s'apercevaient qu'ils avaient été roulés, Blaze ne ferait pas long feu. Comment s'assurer qu'il reste en vie, et qu'il puisse le prévenir en cas de pépin ?


Une idée finit par germer dans son esprit. Une idée toute simple, et assez facile à appliquer. Harlan ouvrit à nouveau l'interface des personnes autorisées. Son nom y figurait.

"Plus pour longtemps si je suis grillé", songea-t-il.


Il retrouva le faux nom que les jumeaux avaient inscrit, et modifia leur autorisation pour que seule la présence de Blaze à leurs côtés ne déclenche pas l'alarme. De cette façon, il s'assurait de sa survie...

Satisfait, le Cazar ferma le terminal et jeta un coup d'œil vers la sortie, au loin.

À présent, il fallait quitter cette tour sans se faire prendre. Et être à l'heure au boulot le lendemain, de préférence.


***


Le soleil se levait à peine sur Meridian City, mais le laboratoire central du segment R&D de GruminNet ne dormait jamais, et surtout pas en temps de guerre.

C'était aujourd'hui que les responsables avaient prédit la reconstitution du directeur. L'arrivée des chercheurs Tharpods trois jours plus tôt était presque providentielle, car l'entreprise remise en forme pourrait consacrer tous ses moyens au développement d'un arsenal anti-Loki.


Comme chaque matin, les chercheurs se réunirent dans la grande salle de clonage, où étaient produits les différents employés de GruminNet. Tous étaient programmés génétiquement pour assurer une fonction précise, et munis d'une batterie de souvenirs et de connaissances stockées sur leur disque-mémoire, c'est pourquoi il était très coûteux de créer un Grumin. Ils étaient finalement plus proches de "robots organiques" que de véritables clones doués de consciences et de personnalités propres, ce qui était à la fois une force et une faiblesse : l'idée de corruption, d'ambition personnelle ou tout autre sentiment qui pourrait nuire au développement de l'organisation était inexistant chez les clones.

Cependant, ils n'étaient pas produits à la chaîne et la perte d'un membre pouvait porter gravement atteinte à la production, en particulier lorsqu'il s'agissait du directeur. Ce dernier était conçu pour s'occuper seul de l'entreprise, sans s'encombrer de conseillers inutiles, et personne n'avait pu prendre le relais durant sa reconstruction.


Mais ce matin, la situation allait enfin revenir à la normale. Assistés par quelques Terachnoïdes, les chercheurs firent sortir la cuve de clonage de la "ruche", le mur alvéolaire où étaient cultivés tous les clones. Un bras mécanique saisit le caisson transparent et le déposa délicatement sur la plateforme située devant le centre de contrôle, séparée par un écran assurant la parfaite stérilité de la zone de culture. Suspendu dans l'épais liquide nutritif, le corps du directeur était inconscient, mais visiblement complet.

Les observateurs, le visage de marbre, se contentèrent de vérifier que tous les niveaux étaient stables avant de lancer la procédure d'éveil. Les quelques spectateurs firent part de leur enthousiasme, qui fut rapidement réfréné par l'air impassible des Grumins : seuls ceux en contact avec la clientèle étaient capables d'émotions, inutiles dans le cadre de la recherche.


Lentement, et d'une manière légèrement dramatique, le caisson s'ouvrit. Le liquide grisâtre fut aspiré sous les pieds du Grumin, qui fut déposé au pied de la cuve. Son corps créé artificiellement savait déjà se tenir debout et se déplacer.

De l'autre côté de la barrière énergétique, on vérifia que tout allait bien pour le clone : circulation, contrôle moteur, infections... Quand le directeur fut assuré qu'il pouvait reprendre son service, il quitta la "ruche" sans dire un mot et partit s'habiller, totalement prêt à endosser le rôle qui lui revenait.

Dans la salle de contrôle, les spectateurs furent les seuls à applaudir. Les Grumins se remirent seulement au travail.


***


Talwyn se massa les tempes et reprit ses calculs depuis le début. Tout autour d’elle, les volutes holographiques de la nébuleuse tourbillonnaient entre les deux armadas. Elle jeta un œil à la composition de la flotte Loki, puis modifia l’emplacement et le vecteur d’approche des escadrons de chasseurs. De nouvelles séries de données tombèrent en cascade devant ses yeux. Elle écarta les bras, puis joignit rapidement les mains.

Le projecteur d’hologramme, sensible à ses mouvements, diminua le zoom jusqu’à ce que tout le champ de bataille soit visible. La Markazienne prit une chaise et fixa les astéroïdes.

Le chasseur Pénombre avait été renvoyé à plusieurs reprises pour évaluer les déplacements des Lokis. Mais seulement quelques corvettes supplémentaires avaient rejoint la flotte, et les vaisseaux déjà présents ne bougeaient pas. Elle ignorait les raisons de cette passivité, et imaginait qu’ils attendaient l’arrivée d’un élément crucial pour leur garantir la victoire. Une armada de cette taille pourrait certes dévaster Terachnos, ce qu’il fallait de toute façon empêcher, mais les défenses du système seraient en mesure d’affaiblir gravement les forces Loki, donnant du temps aux Forces Défensives pour riposter.

Si une attaque devait avoir lieu, ils devaient disposer d’une arme, ou de renforts considérables, et rassemblaient leurs vaisseaux avant d’être prêts. C’est pourquoi il était vital de frapper avant. Cependant, ils avaient l’avantage du terrain : la Nébuleuse de l’Abysse brouillait toute communication avec l’extérieur et les senseurs longue portée. Cela n’influerait pas sur le dénouement de la bataille, mais la flotte serait livrée à elle-même.

Les vaisseaux Lokis étaient rassemblés sur un plan parallèle à une zone d’astéroïdes très dense, formant un véritable océan de roches et de poussières, qui rendait une attaque par cet angle pratiquement impossible. Sur l’hologramme, on pouvait presque discerner une forme, comme les anneaux d’une planète. Cela était sûrement dû aux courants gravitationnels qui parcouraient la nébuleuse, mais ceux-là étaient sans danger pour les pilotes ou leurs appareils.

La flotte ennemie avait adopté une formation défensive : au lieu de s’aligner dans une seule direction, ils étaient orientés horizontalement de façon à former un hémisphère, couvrant tous les angles d’attaque à l’exception du champ d’astéroïdes qui se trouvait en dessous et du vide au-dessus.

Talwyn étudia la façon dont les plus gros vaisseaux étaient protégés par les plus petits, cherchant une faille dans la défense... L’hologramme bougeait à sa guise, faisant d’elle une spectatrice invisible, qui avait l’impression d’être à bord d’un chasseur Pénombre, zigzaguant entre les bâtiments de guerre.


Soudain, la sonnerie de son terminal privé l’interrompit dans sa réflexion. Elle avait réussi à déléguer une partie moins importante de son emploi du temps pour s’occuper de la bataille à venir, mais continuait de recevoir des rapports.

D’une pression du doigt, la lumière revint dans la pièce et les documents officiels s’étalèrent sur le bureau. La lecture arracha un sourire à la Markazienne : la production de détecteurs et d’extracteurs portatifs de Lokis avançait à grands pas. Elle s’attendait à ce résultat, mais la rapidité avec laquelle les Grumins avaient redémarré leur entreprise l’impressionnait. En à peine deux jours après la résurrection du directeur, des milliers de tonnes de matériel étaient déjà produites et acheminées aux quatre coins de la galaxie. À ce rythme, elle pensait pouvoir équiper chaque soldat des Forces Défensives avec un équipement anti-Loki d’ici l’attaque sur leur flotte.

Ses mains glissèrent avec fluidité sur le clavier. Malgré la précarité de la situation, les récents événements lui avaient redonné l’énergie dont elle avait besoin. Le retour de Ratchet et Clank en particulier, accompagnés d’alliés de poids, et la perspective de la contre-attaque décisive contre leurs ennemis la galvanisaient.

Elle terminait son dernier courrier lorsque la porte du bureau s’ouvrit. Un Lombax au pelage jaune se disputait avec le garde posté devant l’entrée, brandissant sa carte d’accès sous son nez.

  -  J'ai quand même pas besoin de vous prouver qui je suis ! s’écria Ratchet. Vous connaissez beaucoup de Lombaxs ?

  - Navré monsieur, s’excusa le pauvre bougre, mais je ne fais qu’appliquer la procédure…

  - Ce ne sera pas nécessaire, intervint Talwyn. Vous pouvez nous laisser.


Le garde s’exécuta et s’écarta du chemin, laissant entrer Ratchet avant de refermer la porte. Le Lombax s’assit en face d’elle et s’affala sur le dossier de son fauteuil.

  - Tu sais, soupira-t-il, si les Lokis attaquent Iglak, ils mourront d’ennui avant de passer tous les contrôles de sécurité.

  - Je ne crois pas qu’ils s’embarrasseront du règlement.

  - Et ils ne savent pas ce qu’ils ratent.

  - Comment était ta journée ?

  - Je suis presque sûr que Rhivan a essayé de me tuer. Deux fois. Mais il me dit que je fais des progrès… Et toi, tu as des nouvelles des éclaireurs ?


Talwyn acquiesça et réactiva la projection holographique. La salle fut à nouveau plongée dans le noir et ils se retrouvèrent au milieu de la nébuleuse.

  - Voilà le positionnement de la flotte Loki, expliqua-t-elle en affichant les vaisseaux en formation, et voici les forces dont nous disposons.


Des dizaines de projections s’accumulèrent à côté de Ratchet, qui fit un pas de côté pour avoir une vue d’ensemble. Il fit rapidement le compte des bâtiments. La flotte des Forces Défensives était certes plus importante que celle des Lokis, mais ces derniers étaient avantagés par leur posture défensive.

  - Est-ce que ça suffira ? demanda-t-il.

  - Je l’espère. Tout dépendra de notre stratégie, et je ne peux de toute façon pas me permettre d’affaiblir d’avantage nos défenses. Il faut que je garde de la marge si les choses venaient à mal tourner.

  - Je vois… Et cette stratégie ?

  - C’est là que ça se complique, répondit-elle avec un air gêné. Contre une armada ennemie, je peux savoir quoi faire, et ce n’est pas la première fois que je prends part à une bataille de cette envergure…

  - Et en quoi est-ce différent ?

  - Ces vaisseaux ne sont pas remplis d’ennemis, Ratchet. Mais de personnes arrachées à leur foyer et contrôlés contre leur volonté. Je me fiche des pertes matérielles si nous avons la moindre chance de libérer des civils. Et grâce à toi et tes amis Tharpods, nous avons cette chance. Seulement, il nous faudra endommager les vaisseaux Loki le moins possible, et nous concentrer sur des abordages, tout en protégeant nos propres bâtiments.


La Markazienne se plaça au centre de la pièce et montra à son ami les dizaines d’approches qu’elle avait envisagées.

  - Je saurais détruire cette armada avec les effectifs dont je dispose, mais pour mener à bien une telle opération de sauvetage, il nous faudrait deux, ou trois fois plus de vaisseaux !


Un silence pesant s’installa. Ratchet saisit distraitement l’hologramme d’un chasseur et lui fit faire des cascades entre les astéroïdes.

  - Si je te suis bien, dit-il en brisant le silence, il faut qu’un maximum de navettes atteigne les vaisseaux ennemis, récupère le plus possible de civils et reviennent sains et saufs dans les transporteurs, tout en protégeant ces derniers.

  - Oui. Je sais que des pertes seront inévitables, mais chacun de ces cuirassés transporte des centaines de personnes. Si nous pouvions en récupérer la moitié, ce serait déjà une victoire.

  - OK. Le premier défi est donc d’amener notre flotte au contact et de désarmer les vaisseaux ennemis. Pourquoi ne pas attaquer par le champ d’astéroïdes ? Ils ne nous verraient pas arriver et auraient du mal à tirer au travers.


Ratchet rassembla les vaisseaux en une formation de pointe approximative et les plaça sous le périmètre de défense ennemi.

  - Tu viens de le dire, rétorqua Talwyn, nos vaisseaux ne pourraient pas plus manœuvrer que les leurs au milieu de ces rochers.

  - J’y viens. Euh, vos cuirassés ont toujours des bombes à vortex ASG-7 ?

  - C’est un vieux modèle, et on s’en sert surtout pour désorienter les essaims de chasseurs, mais on doit pouvoir s’en procurer. Pourquoi ?

  - Laisse-moi trouver ça dans la base de données…


Le Lombax fouilla un instant dans l’inventaire virtuel, et saisit l’image d’une bombe à vortex. L’engin n’explosait pas à proprement parler : la collision de particules concentrées en un point créait une minuscule singularité, attirant tout ce qui se trouvait à proximité avant de s’effondrer. Cette dernière était enfermée dans une structure en forme de dodécaèdre, qui agissait comme une cage pour l’empêcher de s’évaporer au bout de quelques microsecondes. Quand le champ de confinement finissait par céder, l’énergie accumulée provoquait son explosion.

Aujourd’hui, la technologie avait suffisamment évolué pour se passer de l’armature externe, mais c’est précisément ce dont Ratchet avait besoin.

  - Si on tire cette bombe au milieu du champ d’astéroïdes, expliqua-t-il, elle ne pourra jamais passer. Mais si on équipait un escadron de chasseurs avec des longes cinétiques, et qu’ils s’arrimaient tous à la cage, ils pourraient tracter le trou noir à travers, et emporter les rochers derrière eux. Ils continuent de monter jusqu’à la flotte ennemie, lâchent la bombe en plein milieu, et BOUM ! Le confinement lâche, et la flotte ennemie se prend une volée d’astéroïdes et une impulsion ionique. Leurs boucliers sont affaiblis, ils sont désorientés et notre flotte peut foncer dans le tas !


Concluant sa démonstration, Ratchet fit un pas en arrière pour admirer le chaos qu’il venait de répandre dans la simulation. On aurait dit qu’il venait de remporter une partie de jeu vidéo.

Cependant, Talwyn étudiait le plan de son compagnon avec beaucoup d’attention. Il manquait de détails et ne prenait pas en compte les caractéristiques des différents modèles de vaisseaux lors de la phase d’approche, mais restait néanmoins prometteur. À un détail près.

  - J’ai peut-être raté quelque chose, supposa-t-elle, mais tu parles bien d’envoyer sept chasseurs – dont tu feras partie, te connaissant – reliés à un trou noir à travers un parcours d’obstacles de plusieurs milliers de kilomètres, qu’ils devront franchir en à peine dix secondes ?

  - C’est tout à fait ça.

  - Je m’y attendais, soupira-t-elle en roulant des yeux. Cela dit… je connais tes talents de pilote, et ton idée ne manque pas d’intérêt, aussi folle qu’elle puisse paraître. Je peux me charger des détails de la phase d’approche et des tactiques d’abordages, et soumettre ce plan à l’état-major…

  - Et je m’occupe de trouver une équipe pour composer l’escadron.

  - Je peux te fournir une liste des meilleurs candidats d’ici demain. En attendant…

  - J’ai déjà les meilleurs candidats possibles, la coupa-t-il. Ne t’embête pas avec ça.


Talwyn hocha la tête et éteignit l’hologramme. Alors que la lumière revenait dans le bureau, elle constata le sourire qui ornait le visage du Lombax.

  - Je connais ce regard, dit-elle d’une voix amusée. Tu ne vas pas me refaire le coup de l’attaque suicide ?

  - Le risque est calculé…

  - Mais tu es très mauvais en maths, je sais, conclut-elle en souriant. Va chercher tes têtes brûlées, et je ferai en sorte de vous garder en vie.

  - C’est vous le chef, madame.


La Markazienne lui donna une légère tape sur la poitrine, et il prit congé, heureux d’avoir pu se rendre utile.

Elle se rassit derrière son bureau et se tourna vers la fenêtre. Le trafic en contrebas ne ralentissait jamais. Le soleil n’avait pas encore embrassé l’horizon que les éclairages urbains illuminaient déjà le ciel. C’était son rôle de protéger tous ceux qui rentraient chez eux après le travail, ou qui ressortaient pour se retrouver entre amis. Pas seulement elle, mais aussi Ratchet, Clank, et tous ceux qui se battaient aux quatre coins de la galaxie.

Talwyn resta longuement assise, à contempler les taches de lumière qui dansaient devant elle.

Elle n’avait plus besoin du projecteur pour voir la nébuleuse, et la bataille qui l’attendait.


***


Dès le lendemain, Ratchet s’excusa auprès de Rhivan et ne se rendit pas sur Maglaar. Au lieu de cela, il partit en direction de la zone industrielle de Meridian City. Au beau milieu des usines et des centrales énergétiques se trouvait le lieu de rassemblement des meilleurs pilotes de course de la galaxie. La plupart préféraient l’ambiance décontractée et isolée de ce circuit d’entraînement, loin des projecteurs et des caméras du Grand Prix.

Pour l’occasion, le Lombax était venu en vaisseau plutôt qu’en voiture. Connaissant ses confrères pilotes, ce qu’il allait leur demander allait certainement se finir par une course.

Il se posa à proximité du bar. Une dizaine de vaisseaux étaient garés un peu partout, de manière complètement désordonnée. La plupart des appareils étaient de différents modèles, mais tous étaient personnalisés, à un degré plus ou moins important. Au milieu des peintures vives et des accessoires de tuning, son propre vaisseau ressemblait à une version d’usine.


Il entra dans le bar, qui ne ressemblait en rien aux bâtiments qu’on pouvait trouver ailleurs sur la planète. Les matériaux étaient rustiques, l’air sec et la décoration faisait penser à une planque de pirates qu’on trouverait sur Ardolis. À vrai dire, les pilotes qui l’occupaient étaient pour la plupart d’anciens hors-la-loi, qui n’avaient que peu d’intérêt pour la célébrité des champions du Grand Prix. Ceux-là étaient souvent arrogants, et de mauvaise compagnie. Ratchet s’amusait beaucoup plus avec ces braillards, casse-cous et comme lui, assez indifférents au règlement.

Aujourd’hui, le comptoir était étrangement vide. Le barman n’avait pas l’air de s’en faire, et regardait la holovision en astiquant une chope.

Thoz, un Agorien recouvert de peintures de guerres, renversa bruyamment sa chaise quand il le vit entrer.

  - Ratchet ! rugit-il en accourant vers lui. Comment ça va, boule de poils ?


Le Lombax fit de son mieux pour encaisser la claque qu’il reçut dans le dos, qui se voulait affectueuse mais qui faillit lui décoller les poumons.

  - Je vais bien, toussa-t-il, mais attends que j’enfile une armure la prochaine fois.

  - Ha ! Avec un corps aussi frêle, j’me demande comment tu fais pour pas être écrasé par l’accélération !

  - Il utilise sa tête, répondit Hisat, un Markazien dont le casque ne suffisait pas à contenir ses épaisses dreadlocks. Tu devrais essayer plus souvent, Thoz.

  - Le cerveau est bien trop lent sur le circuit, grogna l’intéressé. Ce qui compte, c’est l’instinct. T’es pas d’accord ? demanda-t-il en secouant Ratchet.

  - Je dirais que sans cervelle, ton instinct ne te servira pas à grand-chose. Ça me fait plaisir de vous revoir, les gars. Comment va le circuit ?

  - Plutôt bien, affirma Hisat. Les autres sont en train de courir, tu devrais jeter un œil.


Suivant son conseil, Ratchet s’approcha de la fenêtre. Dehors, une vingtaine d’appareils de course fonçaient à travers les anneaux qui matérialisaient le parcours. Le bar était quasiment collé au circuit, et le passage des vaisseaux faisait trembler le bâtiment. Il les observa pendant quelques tours, puis retourna s’asseoir au comptoir.

  - Alors, demanda Hisat en faisant glisser un verre jusqu’à lui. Il paraît que tu n’as pas trop le temps de piloter en ce moment. Clank et toi, vous allez au front ?

  - J’aimerais bien, mais on a eu d’autres obligations. On a est allé enquêter sur les Lokis, chercher des infos et des armes à utiliser contre eux. Mais je ne peux pas donner plus de détails, pour le moment.

  - Secret défense, c’est ça ? s’esclaffa Thoz en passant un bras autour des épaules du Lombax. Je préférais quand on se battait contre Tachyon. Au moins, on savait sur qui taper.

  - Il n’a pas tort, soupira Hisat. Hâte que tout ça soit fini, que je puisse à nouveau t’étaler sur le circuit !

  - Compte là-dessus, ricana Ratchet. Mais en attendant… J’ai un service à vous demander, les gars.

  - C’est pas encore une fichue inspection des inspecteurs sanitaires ? tonna une voix au fond du bar.


Le Lombax se retourna, et discerna dans l’entrée de service la silhouette massive de Knox, une Agorienne à l’air aussi redoutable que son cousin, Thoz. Derrière elle se trouvaient les autres pilotes, et tous avaient l’air de revenir d’un champ de bataille.

Ratchet fut submergé par un flot de poignées de mains et d’accolades. Cela faisait bien longtemps qu’il ne les avait pas vus, et leur présence lui faisait chaud au cœur. Il prit de leurs nouvelles, et constata que même des personnes aussi insouciantes qu’eux étaient affectées par la guerre : tous avaient un ami ou un proche qui se trouvait sur une colonie attaquée par les Lokis. Certains étaient maintenant des réfugiés, d’autres avaient disparu. Certains pilotes que Ratchet connaissait en faisait également partie. Dans l’ensemble, ils se contentaient d’oublier leurs problèmes par la course, mais il sentait bien que le moral n’était pas au plus haut.

  - Bon, finit par demander Hisat, qu’est-ce que c’est que ce service dont tu voulais parler ?


Tous les regards convergèrent vers le Lombax, qui se gratta derrière les oreilles, soudainement mal à l’aise.

  - C’est… assez particulier, répondit-il. Et je ne vous demanderais pas ça en temps normal. Je monte un escadron de combat, et j’ai besoin des meilleurs pilotes. De vous.

  - La boule de poils veut aller cogner du Loki ! tempêta Thoz. J’en suis !

  - Calme tes ardeurs, cousin, répliqua Knox. En quoi il consiste, cet escadron ?

  - Je ne peux rien révéler pour le moment, hésita Ratchet en faisant la moue. Il s’agit d’une mission secrète. J’ai besoin de six volontaires. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce sera très risqué. Et Thoz a raison, je compte aller cogner du Loki.


L’enthousiasme de l’Agorien n’avait visiblement pas atteint tout le monde, mais Ratchet savait qu’il avait peu de chances de trouver des volontaires ici. Même si la plupart savaient se battre aux commandes d’un chasseur, il y avait une différence entre attaquer un convoi de marchands Vullards et prendre part à une guerre.

Thoz fut le premier à le rejoindre, suivi par sa cousine. Les deux étaient inséparables, et aussi féroces l’un que l’autre dans un cockpit.

  - Ça me démangeait depuis un petit moment de mettre une raclée à ces parasites, grogna Knox en donnant une bourrade à son cousin. Et il faut bien que je protège ce bébé Kerchu.

  - Si cela ne nous vous dérange pas, je me joindrai à vous également, dit Taelor, un cyborg dont seul le cerveau était organique.


Avant sa transformation, il était membre d’une espèce originaire de la galaxie Bogon, aux membres longilignes, à la peau verte et dont la tête allongée était ornée de deux antennes. Dallas Wanamaker, le présentateur de Dreadzone, était le seul autre membre de cette espèce que Ratchet connaissait. Taelor avait troqué les bras de son corps mécanique contre huit tentacules indépendants, lui donnant une précision hors du commun aux commandes de son chasseur personnalisé.

  - Tu essaiera de tenir le rythme, tête de gelée ! railla Jexica, une Valkyrie qui avait abandonné son clan toute petite. Je viens aussi !


Taelor et la guerrière robotique s’avancèrent aux côtés de Ratchet. Cela faisait quatre pilotes. Le Lombax se retourna vers Hisat, et ce dernier vida son verre avec un sourire en coin.

  - Très bien. Hors de question que vous alliez au casse-pipe sans moi.


Le Markazien se leva à son tour, et mit sa main en porte-voix.

  - Hé Pagan, tu n’avais pas un compte à régler avec les Lokis ?


L’intéressé, un petit gaillard à la peau gris-bleu et aux articulations hérissées de petites pointes noires, se fraya un chemin jusqu’au comptoir. Son espèce était surtout présente dans la galaxie Solana, et Pagan rappelait à Ratchet le Plombier qu’il avait maintes fois croisé au cours de ses voyages.

  - C’est pas à toi de me rappeler ce que je dois faire, Hisat, rétorqua-t-il d’une voix bourrue. Si cette bande de grands imbéciles voulait bien me laisser passer, j’aurais été le premier à rejoindre Ratchet !


Avec un regard noir en direction des pilotes amusés, Pagan se glissa dans le groupe.

  - C’est quand tu veux, Lombax.


Ratchet fit rapidement un tour d’horizon des personnes restantes. Aucun autre volontaire ne sortit du rang, mais il avait ce qu’il était venu chercher. Restait maintenant à leur expliquer ce qui les attendait… Mais d’abord, un endroit plus discret que ce comptoir.

  - Je n’aurais pu espérer mieux, dit-il à son équipe nouvellement formée. Prenez vos vaisseaux, il est temps que je vous parle du plan.


***


« Tout le monde au gouvernement n’est peut-être pas celui qu’il prétend être. »

Cette phrase trottait dans la tête de Griffin depuis qu’il était sorti de L’Étoile Binaire. Un Loki avait pris possession de quelqu’un suffisamment haut placé pour avoir accès aux chasseurs furtifs. Était-ce un membre de l’état-major, L’Amiral Apogée ou un proche du président ?

Il s’était rapidement fait une raison. L’important était de débusquer l’espion au plus vite. Le moteur furtif était sa seule piste, mais il n’était officiellement même pas au courant de l’existence des chasseurs de classe Pénombre. La police avait bien déniché un « moteur furtif d’une technologie inconnue », et il ne pouvait pas débarquer chez GruminNet et exiger de voir les chasseurs. Étaient-ils seulement produits par les Grumins ?

Il devait agir en toute discrétion, et ne faire confiance à personne. En soi, cela ne changeait pas beaucoup de ses habitudes, mais il aurait préféré mener l’enquête plus librement.

Les quelques jours qui avaient suivi sa découverte s’étaient révélés infructueux. Le Dimensionnateur volé avait disparu, les trois prisonniers Lokis étaient toujours en stase et l’ordinateur de bord de leur voiture ne contenait aucune donnée intéressante : le véhicule avait été loué par trois civils, qui souffraient de la même amnésie que la famille de Markaziens, signe qu’ils étaient déjà possédés. Au-delà de la location, la piste se brouillait. Qui qu’il soit, celui qui avait orchestré le vol du Dimensionnateur avait le bras long. Entre le piratage, le moteur furtif et les enlèvements de civils, Griffin commençait à croire qu’il n’y avait pas qu’un seul Loki au gouvernement.


Cependant, après presque une semaine à compulser tous les indices dont il disposait, l’inspecteur avait reçu un colis anonyme : le contrebandier lui avait envoyé les plans du moteur, sans ajouter de message ou de demande particulière. Gardant ses questions pour plus tard, et ayant accès aux composants, il entreprit des recherches sur la provenance de chacun d’entre eux, séparément. Ainsi, il évita d’éveiller les soupçons tout en restant dans le cadre de son enquête. Le commissaire Meryl ne savait pas ce qu’il cherchait, et c’était mieux ainsi.

Ses perquisitions le menèrent aux quatre coins de la galaxie, de GruminNet à Pollyx Industries, en passant par des constructeurs Vullards et des fragments d’anciennes technologies Lombax. Le moteur était une machine complexe, et il crut ne jamais voir la fin de la liste des composants. De plus, il n’aimait pas l’espace, et avait dû passer plus de temps dans un vaisseau que sur terre en à peine quatre jours, ce qui eut pour effet de le mettre dans une humeur massacrante.


Finalement, il était rentré chez lui. Avec tous les indices en sa possession, il ne lui restait plus qu’à déduire où est-ce que les éléments convergeaient.

Écoutant distraitement les informations rapportant une multiplication des manifestations des Enfants de Quantos, Griffin recoupa patiemment chaque information, tissant sa toile telle une énorme araignée.

Lorsque la conclusion se révéla enfin, le sentiment de victoire se mua en incompréhension, puis en frustration. Il revérifia plusieurs fois ses données, refit tous les calculs, mais le résultat était le même : Gadgetron était le constructeur des moteurs furtifs, et certainement des chasseurs qui les embarquaient.

Confus, Griffin se demanda comment une technologie aussi précieuse pouvait être développée sur Solana. Même si Gadgetron était une entreprise privée, ses actions étaient sévèrement contrôlées par le gouvernement galactique de Phyronix. De plus, Polaris et Solana étaient certes alliées, mais ces appareils militaires constituaient un avantage stratégique certain, et les partager serait une erreur stratégique monumentale. Après tout, il n’y avait aucun vaisseau Cazar dans les Forces Défensives de Polaris, ou inversement.

C’était très louche, et l’inspecteur n’aimait pas la tournure que prenaient les évènements. Avec la guerre, les frontières galactiques étaient fermées, et il ne pourrait espérer trouver un transport public pour l’emmener sur Kalebo III, le siège de Gadgetron… à moins de ne pas emprunter de transport public.


Son regard lorgna sur son bureau, où se trouvait le numéro de contact du contrebandier. Griffin saisit son communicateur et entra le numéro.

« Oui ? » demanda une voix rauque au bout du fil.

  - J’ai encore besoin de votre aide, répondit Griffin sans ménagement. Je dois aller sur Solana, et il me faut un passe-muraille.



Commentaires (2)

Avatar - Onitron
Onitron 16 juil. 2020 14:21:05

"Lorsque les Lokis seront vaincus, je terminerai les réparations du Dimensionnateur, et nous partirons à la recherche des Lombaxs." : Ce serait une idée pour une prochaine fan-fiction ? ^^
A part ça c'est toujours aussi bien écrit. emoji

Avatar - Arayn
Arayn 20 juil. 2020 20:19:47 | en réponse à Onitron

Qui sait ? ;-)
Et merci !