Auteur : Ratchet_Dadou
Heureusement que j’étais proche de Rivebois, car marcher avec mes deux blessures à l’épaule gauche et au dos me faisaient mal.
J’atteignis enfin le village isolé. Comment faire pour convaincre ses habitants que tout ce que j’avais vécu était la vérité ? Je viens d’une espèce que je ne connaissais pas. Devais-je trouver de quoi me cacher les oreilles et la queue pour me faire passer pour une humaine ? Cela me paraissait être une bonne idée. Mais où trouver des morceaux de tissu ? La nuit était tombée et mes blessures, même peu profondes, saignaient encore. Il fallait stopper les hémorragies et me reposer. Je n’avais pas le choix. Déguisée ou pas, je devais pénétrer dans ce village.
Rivebois était petit. Toutes ses maisons étaient faites en bois et avaient d’un à deux étages. Le deuxième étage avait parfois une terrasse où l’on pouvait accéder de l’extérieur grâce à des escaliers. Des petits sentiers de terre séparaient les habitations.
Je marchais sur un chemin. Dans la nuit, peu de gens circulaient. Je cherchais des yeux une maison où dormir – en demandant ou à l’insu des propriétaires –, ne sachant laquelle choisir. Je regardais vers une direction quand quelqu’un qui courait, ne voyant rien dans la nuit, me percuta de plein fouet. Ne m’y attendant pas, je ne pus m’empêcher de tomber en arrière. La chute me fit mal et je gémis de douleur aussi bien pour l’incident que pour mes blessures.
-Oh, je suis vraiment désolé ! S’excusa une voix d’homme.
Il ne continua pas sa course, soudain l’air étonné. Mes yeux s’habituèrent enfin à l’obscurité et je pus le distinguer. Il était assez grand, ses cheveux étaient noirs et il semblait assez jeune – comme vers la trentaine –. Il était habillé d’un grand manteau sombre. Sans que je ne lui disse rien, il m’aida à me relever. Je grimaçai de douleur. Il me demanda, étonné :
-Mais tu n’es pas de notre village ? Et… tu as des oreilles pointues ?
Il m’avait découverte ! Que me voudrait-il ? Me chasser d’ici ? Quelle serait sa prochaine réaction ?
-S’il-vous-plaît, lui dis-je, je ne veux que me soigner et me reposer cette nuit. Je partirai demain, promis.
Il rapprocha sa tête de la mienne et me murmura :
-Viens dans mon auberge. Tu pourras te reposer. Mais ne te montre pas aux autres : ils ne t’apprécieront pas.
Il passa à côté de moi vers la direction qu’il prenait avant de me percuter puis s’arrêta.
-Suis-moi, me dit-il.
Je lui obéis.
« Quelle chance de trouver quelqu’un de sympa à chaque fois qu’on se rend dans un village isolé ! » pensai-je.
J’étais dans la chambre que l’homme et sa femme, qui dirigeait aussi l’auberge, m’avaient donnée temporairement et gratuitement, assise sur le lit doux et moelleux. Je ne possédais aucun sous, mais j’eus tout de même ce privilège. Quelle chance ! À part le lit, il n’y avait qu’une table basse dans la pièce. Je grimaçai, pour la cinquantième fois, de douleur.
-Essaie de ne pas bouger, s’il-te-plaît, me dit la femme.
Elle avait de longs cheveux châtains et un visage un peu rond. Elle portait une robe rouge. Elle était assise derrière moi, désinfectant à l’aide de plantes et bandant mes blessures.
L’homme se dressait devant moi, calme. Je demandai :
-Pourquoi m’aidez-vous ?
-Tu es blessée, répondit l’homme. Il faut être inhumain pour te chasser dans cet état. J’avoue que si tu étais en forme, je ne t’aurais pas accueillie de peur qu’on me découvre et qu’on me prenne pour un traître.
Alors c’était ça ? Il m’aurait chassée si je n’étais pas blessée ? J’avais de la chance alors d’avoir mal !
-Je m’appelle Alister Laré, continua-t-il sans me laisser le temps de dire un mot, et voici India, ma femme. Et toi, comment t’appelles-tu ?
Je marquai une courte pause avant de répondre :
-Aöny. Aöny Solitaire.
-Que fais-tu ici, Aöny ? Si c’est personnel, je ne t’embêterai pas.
-Au contraire, il faut que tout le monde le sache.
Je racontai donc ma perte de mémoire, mon séjour à Olluny et le drame. Je ne précisai aucune chose sur Dave. Lorsque je parlai de l’attaque des reps, cette fois je ne versais plus de larmes, mais je ressentais tout naturellement une intense émotion de tristesse.
-Et depuis, terminai-je, mon but est de voyager de ville en ville pour prévenir tout le monde de la menace. J’ai déjà traversé Eram.
-J’ai terminé, m’annonça India avant de se mettre debout. Il faudra ne pas trop bouger ton épaule, pour l’instant.
-Merci, madame.
-Et dans ton récit, demanda Alister, l’air de réfléchir en fronçant les sourcils, tu as dit qu’elle s’appelait Yrisha ?
Je me tins toute droite. En savait-il plus que les autres sur cette sorcière ? Il me fallait trouver autant d’informations que possible sur elle.
-Comment ? Vous la connaissez ? Haussai-je d’espoir.
-Non, désolé. Mais ce nom m’est étrangement familier, pour une raison inconnue. Je ne sais pas où mon subconscient veut en venir.
Dommage. Mais je n’abandonnai pas.
-Mais si vous vous rappelez quoi que ce soit à propos de ce nom, vous me le direz, hein ?
-Je te le promets.
Alister bâilla.
-Oh, je suis fatigué ce soir-là. Nous devrions dormir.
-Surtout toi, Aöny, ajouta India, vu ce que tu as vécu. Bonne nuit.
-Bonne nuit, répéta son mari.
Alors qu’ils se dirigeaient vers la porte de la chambre, je leur répondis :
-Bonne nuit. Et merci.
Le lendemain, après avoir pris un petit-déjeuner délicieux de la part d’India, il était temps de partir. Je me dirigeai vers la porte de l’auberge.
-Attends, m’arrêta Alister, tu peux rester encore un peu.
Je me tournai vers lui.
-Je suis désolée, mais il faut vraiment que j’atteigne Avariny le plus vite possible. C’est une question de vie ou de mort.
-Oui, je comprends. Écoute : en sortant de Rivebois, essaie de ne te faire voir de personne. Tu risquerais de passer un sale quart d’heure.
-Compris. Aurevoir.
Une fois sortie de l’auberge, je fis quelques mètres, cherchant des yeux où me cacher. Mais j’entendis :
-Halte !
J’aperçus plusieurs hommes armés m’encercler et pointer leur arme sur moi. Ils portaient tous une armure en mailles de fer légères et un peu colorées et un casque finissant en pointe. Sur les boucliers de certains étaient peint une tête majestueuse de cerf. J’étais découverte ! Alors était-il interdit de s’arrêter où même seulement de passer dans une ville isolée si on ne faisait pas partie de la même espèce que ses habitants, même si l’on était blessé ?
-Mais qu’est-ce que vous me voulez ? Demandai-je, agacée.
-Tu es accusée d’avoir fait ôter la vie de centaines d’innocents en invoquant des monstres, répondit l’un d’eux.
Je fus stupéfaite. Ils me prenaient pour Yrisha ! Quels crétins !
-Quoi ?! Je ne suis pas une sorcière ! Je ne suis pas Yrisha !
-On savait que tu dirais ça. Un jour, un homme digne de confiance nous a raconté ton histoire et révélé tes pouvoirs. Il nous a dit les précautions à prendre si tu arrivais un jour. Comme il l’a dit, tu as pris une apparence semblable pour tromper ton entourage.
-Mais c’est quoi, cette histoire ? Si j’étais elle, je pourrais léviter dans les airs et me débarrasser de vous en une seconde !
-Ne te fatigue pas. On sait que cette apparence te prive de tes autres pouvoirs et que tu ne peux reprendre ta véritable apparence qu’au moins un jour après t’être transformée. Tu sais très bien que cette apparence était celle d’une fille que tu as massacrée. Il n’existe aucun membre de cette espèce. Aucun !
Je pâlis. Étais-je vraiment la dernière de mon espèce ? Yrisha avait-elle tué toute ma race ? N’y avait-il donc pas d’autres rescapés ? Voilà pourquoi je m’étais retrouvée en pleine mer : j’étais encore la seule survivante d’un terrible drame. Pourquoi ne suis-je pas morte aussi ? Après cette nouvelle, je ne voulus plus vivre. Mais je me ressaisis en pensant que le garde devait tout inventer ou qu’il avait été dupé. Tout n’était pas perdu. Rien n’était certain.
-Hier soir, un habitant t’a vue et accueillie en faisant semblant de succomber à tes jolis tours, continua l’homme. Il nous a prévenus cette nuit. Ton faux récit t’a trahie.
Alister ! C’était un traître ! Dave ne m’aurait jamais fait une chose pareille ! Je compris que j’avais été trop naïve.
-Si j’étais vraiment Yrisha, haussa-je, pourquoi est-ce que je me serais embêtée à vous donner des indices pour que vous trouviez ma véritable identité et que vous me capturiez ?
-On s’attendait aussi à ce que tu utilises toutes les ruses pour te sortir de là. On ne tombera pas dans le panneau. Tu vas nous suivre bien sagement et aucun mal ne te seras fait. Tu seras mise en prion, jugée puis condamnée.
En prison ? Jamais de la vie ! Si je me rendais, les deux autres groupes d’Eram – ou au moins l’un d’entre eux – arriveraient-ils à Avariny ? En tout cas, ce n’étais pas le moment de croupir dans une geôle. Il fallait trouver un moyen de m’échapper. Pour Dave.
Il me vint une idée. Ce n’était pas la meilleure, mais je pouvais toujours essayer.
Le plus vite que je pus, je fis un vive croche-pied au garde. Ne s’y attendant pas, celui-ci tomba en arrière. Les autres tentèrent de m’embrocher avec leur lance. Mais je quittai le cercle, désormais un peu ouvert, en courant si rapidement qu’aucune pointe ne m’atteignis. Je sprintai vers la sortie du village. On se lança à mes trousses. Les hommes étaient assez rapides, mais moins que les reps. J’étais moi aussi plus rapide qu’un humain. Je pus semer mes poursuivants lorsque je passai un petit pont de bois, qui m’apprit l’existence d’une rivière qui était une des frontières de Rivebois, et lorsque je m’enfonçai dans une autre forêt de la plaine.
Une fois entre les arbres, persuadée qu’on avait abandonné la partie, je me mis à marcher. Quelle serait ma prochaine destination ? Je n’en savais rien. J’étais consciente d’être devenue une fugitive. Comme j’avais révélé que je passerais de ville en ville à ce traître d’Alister sans me méfier, les gardes de Rivebois allaient forcément se trouver dans les autres villes, tandis que certains d’entre eux allaient me traquer. Il fallait passer par ailleurs, mais par où ? Je devais à présent réfléchir comme une folle pour retracer mon plan de route maintenant que ces imbéciles me prenaient pour Yrisha. Et Avariny ne serait-elle pas impénétrable pour moi lorsque j’y arriverais – si je n’échouais pas avant – à présent que j’étais une fugitive ?
« Comme si tout ce qu’Yrisha et ses sales reptiles avaient causé n’était pas suffisant, me voilà traquée ! » songeai-je en soupirant tristement.