Ratchet & Clank: Mind Games - Chapitre 15

Auteur : Arayn

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La vive lumière de Paraden, l'étoile d'Iglak, les éblouit un instant, puis la verrière d'Aphélion se polarisa. Sous leurs yeux se trouvait la planète capitale, dont les lueurs nocturnes s'éteignaient lentement pour laisser place à l'aube. Ratchet envoya une demande d'autorisation d'atterrir, et s'allongea sur son siège, les mains croisées derrière la tête.

  - C'est agréable de rentrer chez soi, lâcha-t-il dans un soupir, presque de soulagement.

  - C'est vrai, observa Clank. Peut-être devrais-je avertir Talwyn de notre arrivée ?

  - Pas la peine. Elle est sûrement déjà au courant.

  - Hm. Et... concernant tout ce qui s'est passé ces derniers jours...

  - Clank...

  - Je me fais seulement du souci pour toi, Ratchet. Rhivan et toi n'avez presque rien dit depuis que vous êtes sortis de la station mnémonique.

  - Et tu t'inquiètes parce que d'habitude, tu as du mal à me faire taire, c'est ça ?


Clank ouvrit la bouche pour rétorquer, mais Ratchet le coupa.

  - Ne t'en fais pas pour moi, mon pote. J'irai mieux quand les Lokis ne menaceront plus personne.


Le silence revint, rapidement interrompu par un signal radar. Une patrouille militaire venait à leur rencontre. D'habitude, leur simple statut faisait des contrôles de douane une simple formalité, mais les mesures de sécurité étaient, comme partout dans la galaxie, les plus strictes possible. La présence de Rhivan, citoyen non déclaré, ainsi que des trois Tharpods et de leur matériel de pointe déclenchèrent un beau remue-ménage au sein du réseau de défense orbital.

  - Cinquante Boulons que tu fais la une ce soir, glissa Ratchet à Rhivan, lorsqu'on les autorisa enfin à quitter l'avant-poste orbital Zénith, pour rejoindre la surface.

  - Tenu.


Ils reprirent les commandes de leurs vaisseaux et amorcèrent leur descente vers le port spatial de Meridian City. Deux drones militaires se détachèrent aussitôt de la station pour les escorter. À la vue de ces engins, Ratchet commença réellement à se poser des questions. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer pour que le niveau de sécurité soit aussi élevé ?

En survolant la ville pour rejoindre le port, ils espéraient obtenir un début de réponse, mais ce qu'ils observèrent ne les fit que s'interroger davantage. Plusieurs rues avaient été saccagées, des panneaux d'affichage détruits aux façades vandalisées. De nombreux véhicules des services publics étaient concentrés dans ces zones, occupés à réparer les dégâts. Le radar d'Aphélion indiquait une fréquence accrue de patrouilles de police, et les voies piétonnes paraissaient presque vides. Ratchet échangea un regard avec Clank, qui haussa les épaules. Il n'en savait pas plus que lui.


Quelques minutes plus tard, les trois vaisseaux arrivèrent en vue du port spatial. On leur indiqua une plateforme d'atterrissage, mais ils durent manœuvrer au sein du trafic, toujours aussi dense, pour la rejoindre. Sur ce côté-là, rien n'avait changé. Une intense activité agitait le port. Des dizaines de robots et de membres du personnel s'affairaient à transporter des conteneurs sur les énormes cargos, à entretenir et réparer les diverses avaries subies par les milliers de vaisseaux qui circulaient ici chaque jour, sans interruption.


Un comité d'accueil les attendait sur la plateforme. Ratchet pouvait distinguer une équipe de techniciens, ainsi qu'un groupe de militaires, dirigés par la personne que Ratchet désirait voir le plus sur cette planète. Sa simple vue lui arracha un sourire. Il posa doucement Aphélion et sortit de l'habitacle, suivi par Clank. Les deux autres vaisseaux firent de même un peu plus loin.

Les techniciens se mirent immédiatement au travail. Ratchet s'approcha de Talwyn. Elle était toujours vêtue de son uniforme d'Amirale, ses cheveux châtains impeccablement coiffés. En tant que l'une des plus hautes figures d'autorité de la galaxie, elle se devait de soigner son image, même si le Lombax lui préférait celle plus insouciante, qu'elle ne pouvait dévoiler qu'à l'abri des caméras. Mais peu importe, il la trouvait toujours aussi belle. Les quatre soldats qui l'escortaient lui étaient inconnus, et il ne savait jamais trop comment se comporter en public. Était-il nécessaire de faire jouer les grades, alors qu'ils n'avaient aucune importance, pour lui comme pour elle ?

Finalement, il se planta en face du groupe, esquissant un garde-à-vous qui se termina en simple signe de la main.

  - Salut.

  - Salut, vous deux, répondit-elle en souriant.


Elle se tourna légèrement pour fixer la porte de l'ascenseur de sortie.

  - Qwark avait un vol à prendre pour Terachnos. Il comptait venir vous passer le bonjour, mais je crois qu'il s'est perdu dans le port... Bref, je pense que le danger est écarté, messieurs, dit-elle aux soldats qui l'escortaient. Rompez.


Les intéressés obtempérèrent et quittèrent la plateforme d'atterrissage. Dès qu'ils furent partis, le sourire de Talwyn s'élargit et Ratchet se jeta dans ses bras.

  - Tu m'as manqué, murmura-t-il.

  - Toi aussi, répondit-elle. Quel dangereux psychopathe êtes-vous allés affronter, cette fois ?

  - Si tu savais...


Les occupants des autres vaisseaux débarquèrent. À la vue de Rhivan et des Tharpods, Talwyn déposa un léger baiser sur les lèvres de Ratchet et s'écarta.

  - Peut-être devrions-nous continuer cette conversation ailleurs. Je connais quelques officiers qui ont très envie de vous voir.


***


Une réunion exceptionnelle fut organisée dans le grand amphithéâtre de l'Académie militaire. Sur le chemin, Talwyn résuma à Ratchet et Clank ce qu’il s’était passé depuis qu’ils étaient partis, presque deux semaines plus tôt, et fit connaissance avec le reste du groupe. Elle ne connaissait les scientifiques Tharpod que par leur réputation, et se montra évidemment très intéressée par Rhivan, qui attira tous les regards comme une lampe au milieu d'un essaim d'insectes alors qu'ils circulaient dans l'Académie. Ce n'était pas la première, et loin d'être la dernière à vouloir lui poser des questions, et Ratchet se sentait soulagé de ne pas se retrouver au centre de l'attention, pour une fois. Susie, elle, vivait visiblement la plus grande aventure de sa vie, ce que le Lombax pouvait aisément comprendre : lui aussi était resté coincé sur Veldin pendant toute son enfance, avant d'enfin pouvoir partir et découvrir tous ces lieux et ces créatures qu'il n'avait même pas imaginées en rêve.

Finalement, ils arrivèrent dans la salle où le président Wencalas et plusieurs officiers les attendaient déjà.

La petite dut patienter à l'extérieur durant la réunion, et on lui confia la tâche de choisir l'appartement où elle et ses pères adoptifs allaient loger. Le reste du groupe se trouvait face au conseil des Forces Défensives, la plupart présents sous forme d'hologramme.


Avant même de commencer, le travail de Nevo fut immédiatement mis à contribution, et chaque officier se fit scanner par son instrument détecteur de Loki. Comme ce dernier ne pouvait fonctionner sur un hologramme, tous les absents durent en faire construire un dans l'urgence, mais il s'agissait heureusement d'un appareil de conception assez rudimentaire. La procédure dura tout de même quelques heures, et une certaine tension s'installa, pour ne retomber que lorsque tout le monde se fut assuré qu'aucun Loki n'avait infiltré l'état-major.

Les plans du détecteur et de l'extracteur de Loki, premiers objets de l'attention des officiers puisque nécessaires pour contrer la menace directe, furent immédiatement envoyés à GruminNet. L'entreprise aurait pour tâche d'en produire le plus possible tout en les miniaturisant pour les rendre transportables. Le clone du directeur était pratiquement reconstitué, et les responsables Grumins étaient plutôt optimistes sur leurs chances de succès, même s'il s'agissait de mettre à jour l'armement de tous les soldats de la galaxie en à peine deux semaines. Nevo et Frumpus avaient accepté de se joindre aux efforts des ingénieurs au centre de Recherche et Développement de GruminNet, situé sur Luminopolis.


On s'assura ensuite que le véritable Dimensionnateur était bien en sécurité. Ratchet et Clank étaient les seuls à connaître l'emplacement de sa cachette, tandis que Talwyn était la seule à connaître celui du fragment de la comète Surinox, l'élément clé du fonctionnement de ces dispositifs. Ratchet rassura immédiatement l’assemblée : si quelqu'un parvenait, même par accident, à s'approcher du Dimensionnateur, il serait emprisonné dans une faille temporelle de cinq kilomètres de diamètre jusqu'à ce que lui et Clank, immédiatement avertis, viennent le chercher.

Par la suite, la discussion était revenue sur le périple du petit groupe. Rhivan avait évidemment beaucoup attiré l'attention, mais le Lombax avait rapidement fait comprendre qu'il n'était là que pour combattre à leurs côtés, et que le reste ne concernait que lui. Clank s'était alors chargé de livrer les informations qu'ils avaient obtenu lors de leur voyage, ce qui avait captivé les officiers et alimenté des débats pendant ce qui sembla une éternité. Ratchet lui était cependant reconnaissant de s'en être occupé, car son ami était bien plus doué que lui pour résumer une situation avec justesse, sans saturer de détails inutiles. Finalement, le président Wencalas réclama le silence.

  - Messieurs-Dames, il nous faut prendre une décision. Clank, vous dites que les Lokis peuvent communiquer à une distance équivalente à nos émetteurs radio par télépathie, ce qui correspond aux témoignages que nous avons reçu des troupes les ayant affrontés. Est-ce que cette capacité pourrait mettre en danger la mission de reconnaissance dans la Nébuleuse de l’Abysse ? Certains soldats ont affirmé que les Lokis pouvaient voir à travers les murs.

  - D'après les analyses que j'ai pu effectuer sur notre prisonnier, répondit Clank, les Lokis semblent réagir aux ondes bêta émises par les cerveaux organiques. Si le moteur de furtivité des chasseurs Pénombre est capable de les masquer, ils devraient rester indétectables.

  - Dans ce cas, affirma Talwyn, nous n'avons aucune raison de perdre plus de temps. Notre éclaireur partira le plus vite possible. Si l'invasion de Terachnos doit réellement se produire, nous devons absolument nous préparer.


Cette déclaration fut se lever plusieurs objections. Certains amiraux pensaient à un piège grossier, d'autres qu'il fallait immédiatement évacuer la planète, et d'autres encore étaient pour une frappe préventive à coups d'armes de destruction massive. « Il n'y a que des pirates dans cette nébuleuse de toute façon », disaient-ils. Lorsque tout le monde eu donné son avis, les regards se tournèrent à nouveau vers Talwyn, en attente d'une décision. Cette dernière prit une seconde pour considérer toutes ces propositions, mais ce fut le président qui trancha.

  - Je pense que vous avez raison, Amiral, dit-il. Avant toute chose, il faut nous assurer que cette armada Loki existe, et confirmer la cible de leur prochaine attaque. Cependant, poursuivit-il en se tournant vers Ratchet, ma seconde préoccupation concerne la planète des Lokis. Ils semblent vouloir la reconstruire, d'après les informations restituées par les Cragmites de Kapeon-VII, informations que vous venez de confirmer. Tous les fragments que nous sommes parvenus à récupérer sont cachés sur Terachnos, et il ne fait aucun doute qu'il s'agirait de la principale raison d'une attaque de Lokis. Ratchet, vous avez précisé que Toranux était constituée de deux matériaux distincts, c'est bien cela ? Comment les différencier ?

  - C'est ça, confirma le Lombax en se levant. Ils l'appellent le Corps et le Cœur. Nous avions déjà vu des fragments de Toranux sur Magnus, mais le noyau de la planète... le Cœur... Il ressemble en tous points aux cristaux qui forment Corps, mais je me rappelle avoir senti quelque en l'approchant. Mais j'étais dans l'esprit du Loki à ce moment-là, je ne sais pas si un membre d'une autre espèce peut faire la différence.

  - Je vois. Nos forces en ont rassemblé une certaine quantité. Commandant Pallin, les équipes de Pollyx ont-elles décelé quelque chose d’anormal ?

  - Négatif, Monsieur, répondit la Cazare. Mais les analyses continuent.

  - C'est fâcheux, marmonna Wencalas. Ce "Cœur", d'après ce que vous avancez, représente la source du pouvoir des Lokis. Nous devons absolument le retrouver avant eux, et si nous n'avons aucun moyen de l'identifier...

  - Monsieur, objecta Talwyn, il reste encore les Cragmites. Ils ont promis de nous aider en échange de leur salut, mais ont refusé de traduire le journal de Baggog, qui aurait pu être une précieuse source d'informations. Il est peut-être temps qu'ils tiennent leurs engagements.

  - Excellente idée. Dans l'intervalle, nous mettrons en place une stratégie pour la suite des évènements. Si personne n'a quelque chose à ajouter, vous pouvez disposer.


Il y eut un instant de flottement, puis les officiers se saluèrent et les hologrammes disparurent, l'un après l'autre. Le président échangea quelques mots avec Talwyn avant de quitter l'amphithéâtre, suivi des amiraux qui avaient fait le déplacement. La Markazienne descendit de l'estrade et rejoignit le groupe.

  - C'est toujours aussi long ? s'enquit Ratchet, qui malgré la lassitude du long voyage depuis l'Horloge, se sentait prêt à encaisser un des parcours d'entraînement des Rangers Galactiques.

  - D'habitude, on se met d'accord plus vite, soupira Talwyn. Mais quand vous êtes là, vous deux, vous apportez toujours un sacré grabuge.

  - Je ne vous le fais pas dire ! s'exclama Nevo. Si vous saviez comment ils sont venus me chercher dans la tempête !

  - ... En effet, dit-elle en levant un sourcil, je suis curieuse de le savoir.

  - C'est une longue histoire, répondit précipitamment Ratchet en lançant un regard agacé au Tharpod : il aurait préféré aborder ce sujet lui-même.

  - J'imagine bien, rétorqua-t-elle avec un petit rire. Tu réussis à chaque fois à te mettre...


Elle fut interrompue par une sonnerie venant de la tablette qu'elle gardait sous le coude. Elle y jeta un rapide coup d'œil et soupira.

  - On dirait que ça va devoir attendre. Il faut que je file. Ratchet, tu as toujours les clés de la maison. Clank, veille à ce qu'il n'aille pas démanteler un réseau terroriste d'ici ce soir, s'il-te-plaît.

  - J'essaie toujours, répondit le robot. Mais cette fois-ci, j'aimerais accompagner les docteurs Croïd et Binklemeyer pour les assister dans leur travail. Il m'est venu quelques idées qui pourraient s'avérer utiles.

  - Oui, certainement. Je vais seulement devoir trouver quelqu'un d'autre pour le surveiller, ajouta la Markazienne en souriant.

  - Hé ! répliqua l'intéressé. Je me garde très bien tout seul !

Feignant de l'ignorer, Talwyn s'approcha alors du vieux Lombax, resté en retrait pendant la réunion du conseil.

  - Ravie de vous avoir rencontré, Rhivan, dit-elle en lui serrant la main. Je suis sûre que nous pourrons faire plus ample connaissance.

  - Sans aucun doute, répondit-il. Je vais veiller à ce qu'il ne fasse pas de bêtises d'ici là.


Sur ces mots, elle emmena avec elle la famille Tharpod et Clank pour les aider à s'installer et les guider vers le lieu de travail des scientifiques. Ratchet, l'air faussement agacé, se tourna alors vers Rhivan.

  - Bon, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

  - Et bien, comme on a l'air d'avoir la journée devant nous, dit Rhivan en s'étirant, je pense que je vais t'entraîner.


***


Ils se rendirent sur Maglaar, la cinquième planète du système, après Iglak. Il s'agissait d'une planète au départ stérile, mais ayant subi de puissants efforts de terraformation. Malheureusement, les entrepreneurs avaient fini par juger l'entreprise trop coûteuse et avaient annulé le programme. Aujourd'hui, la planète était désertique et à peine fertile, mais l'atmosphère épaisse et respirable, ainsi que le champ magnétique renouvelé permettaient de vivre à sa surface sans équipement de protection. Intéressée par l'emplacement de la planète et l'immense surface disponible, Maglaar avait été rachetée par les Forces Défensives, qui s'en servaient de base d'entraînement. Au fil du temps, c'était devenu l'un des plus grands complexes militaires de la galaxie. Des dizaines de biosphères éparpillées à sa surface permettaient de faire évoluer les troupes dans des environnements variés, on y trouvait aussi des champs de tir longs de plusieurs kilomètres et des centres de reconstitutions virtuelles. Une ceinture d'astéroïdes artificielle avait été aménagée pour que les soldats puissent s'entraîner en zéro-G ou que les pilotes apprennent à manœuvrer dans toutes sortes de conditions. Dans les stations orbitales, on enseignait la théorie aux nouvelles recrues.


Ratchet venait souvent ici, et connaissait la planète presque aussi bien que Fastoon. À la demande de Rhivan, ils se posèrent non loin d'un centre de simulation. Le vent âcre de la planète soulevait des nuages de poussière, rendant parfois la marche difficile. Un officier vint les accueillir et les guida à l'intérieur du bâtiment principal, aussi vaste qu'un circuit d'hoverboard, gradins compris. L'intérieur était divisé en deux parties : d'un côté se trouvait un large terrain, pourvu de cibles d'entraînement, de mannequins animatroniques et d'ateliers de modifications d'armes et de gadgets, pour que les fabricants puissent faire tester différentes versions de leurs produits directement "sur le terrain".

De l'autre côté se trouvait un ensemble de blocs de simulations. Chaque salle, cubique, mesurait huit mètres de côté. De l'extérieur, elles ressemblaient seulement à de gros conteneurs, mais les parois intérieures étaient en réalité des réservoirs contenant des millions de nanorobots, à peine plus gros que des grains de sable. Une fois déployés, ils se déplaçaient et reproduisaient l'environnement, les êtres vivants et tous les éléments auxquels un soldat pouvait être confronté lors d'une mission. Ce dernier, équipé d'un casque à réalité virtuelle, pouvait interagir avec ce qu'il voyait et revivre des centaines de scénarios préenregistrés.

Cette technologie avait à l'origine été développée après l'invention des Nanotechs, pendant la Grande Guerre. Elle avait été récupérée et perfectionnée par Tachyon, avant de revenir en possession des Forces Défensives. Malheureusement très coûteuses, on ne trouvait ce genre d'installation qu'à peu d'endroits dans la galaxie.

Ratchet avait déjà testé des dizaines de scénarios, mais il ignorait encore ce que Rhivan attendait de lui.

  - Alors ? s'enquit-il auprès de son ami. Tu veux que je lance une simulation ?

  - En effet, répondit le Lombax en faisant le tour du bloc qui leur faisait face.


Ses yeux balayaient la surface métallique et les écrans de contrôle.

  - Nous n'avons pas encore eu à combattre sur un champ de bataille, poursuivit-il en ouvrant l'interface de réglage. Avant que ça n'arrive pour de bon, je voudrais me faire une idée de ton style de combat. Nous allons y aller ensemble, et je te laisserai commander notre escouade, pour voir comment tu te débrouilles.

  - Ça marche ! répondit Ratchet avec un enthousiasme non dissimulé. Quel scénario vas-tu lancer ?

  - L'assaut du centre de recherches de GruminNet sur Rykan V, il y a onze ans. Environnement hostile, armée de Thug-4-Less, civils à évacuer, un commando de taille réduite... et tu ne l'as jamais essayé, conclut-il avec un sourire satisfait.


Rhivan confirma les paramètres de mission et les deux Lombaxs se rendirent au vestiaire pour revêtir leur équipement. Ce dernier était constitué d'une combinaison spéciale, conçue pour reproduire toutes les sensations subies par le porteur en lui évitant d'être réellement blessé, et d'un casque à réalité virtuelle. Ils entrèrent ensuite chacun dans un bloc de simulation. Dès que la porte se fut refermée derrière Ratchet, il fut plongé dans le noir complet. Il referma son casque, et un vaste arsenal s'afficha immédiatement devant lui. Il sélectionna son armure et son équipement habituel, mais hésita au moment de choisir ses armes. Il avait toujours sa clé, bien sûr, mais Rhivan disait vouloir évaluer son style de combat. Or, il avait toujours été assez versatile, compte tenu de l'incroyable quantité d'armes qu'il savait manier. Finalement, il choisit de prendre les trois armes de la gamme Constructo. Ainsi, il pourrait s'adapter au besoin.

Un compte à rebours annonça le début de la simulation, puis Ratchet sentit soudain tout son équipement se matérialiser sur lui. S'il n'avait pas porté ce casque, il aurait entendu les milliers de nanomachines s'assembler dans la salle comme un immense essaim d'insectes. Ces dernières appuyaient vers le bas pour lui faire sentir le poids de son armure et la prise familières de sa clé. Sa visière à réalité virtuelle appliqua une texture et un relief aux formes changeantes, qui formèrent l'intérieur d'une navette markazienne. Cinq des membres de son commando se trouvaient autour de lui, dont Rhivan. Le Lombax était, comme tout le reste, modélisé par les nanomachines, reproduisant ses mouvements depuis la seconde salle de simulation à la perfection. De son côté, il voyait Ratchet de la même manière. D'un rapide coup d'œil par le hublot, il vit qu'ils s'approchaient de Rykan V. La voix du pilote leur parvint du cockpit.

  - Bouclez tous vos ceintures, on est sur le point d'entrer dans l'atmosphère. Capitaine, nous sommes à soixante-dix kilomètres de l'objectif. Quels sont vos ordres ?


Ratchet ordonna à l'ordinateur de son armure de lui montrer la configuration de son équipe. L'espèce, le domaine d'expertise et l'équipement de chaque soldat sous ses ordres s'affichèrent devant ses yeux. Alors que la coque commençait à vibrer sous les turbulences de l'entrée atmosphérique, il s'assit et vérifia rapidement l'état de des armes.

  - Restez hors de portée de leur radar, ordonna-t-il. Nous allons les prendre par surprise.


***


Une tempête faisait rage dehors. En regardant par la fenêtre, on avait du mal à distinguer le soleil, caché par les tourbillons de poussière. Ratchet connaissait ce genre d’intempéries : ils seraient coincés ici pendant un bout de temps. Mais d'après Rhivan, ils avaient encore beaucoup à faire ici de toute façon. Le bloc de simulation savait parfaitement reproduire la chaleur infernale de Rykan V, et tous deux avaient eu grand besoin d'une douche froide en sortant. Malheureusement, aussi rafraîchissant que ce soit, cela n'atténuait que peu les courbatures. Cette bataille avait été éprouvante, malgré leur victoire. Ratchet avait mal à peu près partout, mais étrangement, n'avait pas envie de s'arrêter. Il était impatient d'apprendre ce que Rhivan avait pensé de sa performance, et comment un guerrier comme lui comptait l'entraîner. Le vieux Lombax le rejoignit alors, une serviette sur les épaules.

  - Tu te sens prêt à continuer ? demanda-t-il sur un ton de défi. Ou es-tu déjà à cours de jus ?

  - On remet ça quand tu veux ! répliqua Ratchet.

  - Parfait. Habille-toi et allons sur le champ de tir.


Le jeune Lombax s'exécuta et ils se rendirent à la prochaine étape de son entraînement. Rhivan le mena jusqu'aux ateliers, sur le côté du terrain. Les soldats s'arrêtaient de tirer ou de se battre lorsqu'ils passaient derrière eux, les yeux fixés sur le Lombax au pelage gris.

Les ateliers étaient constitués d'une large table, munies de tout le nécessaire pour modifier et tester de nouveaux composants, de l'assembleur assisté par microscope à la forge à plasma, en passant par les interfaces intelligentes et les outils de manipulation des munitions chimiques. D'ordinaire, on ne voyait que des Grumins et des Terachnoïdes autour de ces ateliers, les soldats ne disposant que peu souvent de la formation nécessaire pour s'en servir autrement que pour entretenir leurs armes.

Le duo trouva un emplacement libre et s'y installa. Rhivan posa un long sac sur la table. Ratchet, curieux, s'en approcha. Il savait qu'il contenait les armes de son ami, mais il n'avait encore jamais eu l'occasion de les observer de près. Le vétéran ouvrit alors le sac, et en sortit quatre objets. La double clé de la Garde Prétorienne était aisément reconnaissable, et Ratchet pouvait deviner que la deuxième arme était un revolver, même s'il n'avait jamais vu ce modèle. Les deux dernières pièces, en revanche, lui étaient inconnues.

  - Tu n'avais pas ces armes pendant la simulation, fit-il remarquer.

  - Elles ne sont pas dans la base de données, expliqua Rhivan. J'ai dû m'adapter.


Sur ces mots, il lui tendit le revolver.

  - J'imagine que tu sais ce que c'est.


Le Lombax examina l'arme de plus près. À première vue, elle n'avait rien de spéciale, mais un doute planait sur son fonctionnement. Au lieu d'un tube, le canon était constitué d'une dizaine d'anneaux métalliques partants de la chambre. Le chargeur cylindrique était étonnamment léger, comme s'il était creux. À y regarder de plus près, le revolver ressemblait vaguement à un Combustor.

  - Qu'est-ce que ça tire ? demanda-t-il.

  - Tu entres immédiatement dans le vif du sujet, fit remarquer Rhivan. Il tire de l'antimatière. Les anneaux alignés sur le canon fonctionnent comme un accélérateur de particules.

  - Vraiment ? s'exclama Ratchet, impressionné.  Avec une arme aussi petite ? Je croyais que le Canon Alpha était l'arme à antimatière la plus avancée que vous aviez créée...

  - C'est la seule qui ait eu la chance de subsister, le corrigea-t-il. Quand Tachyon a dévasté Fastoon, il a détruit tout notre arsenal. Ses Drophydes étaient trop stupides pour manier des instruments aussi complexes et dangereux, alors il a fait en sorte que personne d'autre ne puisse s'emparer de cette technologie. Moi, j'étais déjà loin, et il ne m'a jamais trouvé. Pas plus que mes armes. D'ailleurs...


Rhivan saisit la seconde arme sur la table et lui tendit. Dès que Ratchet eut posé la main sur la poignée, des dizaines de pièces mécaniques se mirent en mouvement. Deux branches recourbées, reliées entre elles par des poulies, se déplièrent. Une barre composite et un viseur se déployèrent sur la partie centrale, et une corde jaillit de l'extrémité d'une des branches pour se fixer sur l'autre, achevant de dévoiler l'arme que Ratchet avait déjà reconnue.

  - Un arc ? constata-t-il, légèrement déçu. Ce n'est pas un peu... archaïque ?

  - Détrompe-toi, cet arc est capable d'abattre un transport blindé à plus de cent mètres. Ou un soldat en armure à huit cents mètres, au choix.

  - Il tire de l'antimatière aussi ?

  - Évidement. Mais tu as raison, c'est une arme peu répandue. À ma connaissance, on pouvait compter les archers lombaxs sur les doigts d'une main.

  - Alors pourquoi avoir choisi un arc plutôt qu'un fusil ?

  - Question d'affinité. J'ai passé toute mon enfance à m'en confectionner. Alors quand j'en ai eu l'occasion, je me suis créé cette arme. Ainsi que ce carquois.


Rhivan avait dans les mains le dernier cylindre, à l'apparence simpliste. L'une des bases était plus large que l'autre, ce qui, de loin, le faisait ressembler à un grand gobelet. Le "couvercle", en revanche, était plus complexe, constitué de plusieurs tubes se réunissant au centre, comme pour les tuyères d'un réacteur. Rhivan plaça sa main devant l'ouverture, et fit mine de tirer quelque chose de l'intérieur du carquois. À la surprise du Lombax, lorsqu'il éloigna sa main, il tenait un trait de lumière bleutée entre ses doigts. Rhivan continua son geste et sortit une flèche entière. Entièrement constituée d'énergie, elle semblait agir comme un matériau solide, alors que Rhivan la faisait tourner pour lui montrer. Ratchet remarqua que la "pointe" était en réalité une sorte de capsule, où flottait une minuscule bille d'antimatière.

  - J'ai conçu ce système moi-même, expliqua fièrement Rhivan. Le carquois focalise du plasma pour former un trait solide, que je peux encocher. Avec le poids ridicule de la flèche et la puissance de l'arc, sa trajectoire est pratiquement aussi rectiligne qu'une balle de sniper. Le groupe de supraconducteurs à la sortie du carquois permet aussi de créer la pointe, qui génère un puissant champ magnétique pour maintenir la charge d'antimatière totalement isolée, jusqu'à l'impact. En faisant varier la quantité, je peux tirer des flèches plus ou moins explosives ou perforantes, selon la situation.

  - J'ai du mal à y croire... souffla Ratchet.


Les champs de force "solides" existaient déjà, et on pouvait en trouver sur n'importe quelle planète suffisamment avancée technologiquement, mais nécessitaient toujours des infrastructures imposantes. Certaines armes pouvaient générer des champs de petite taille, mais il s'agissait là d'envoyer à très haute vitesse une sphère d'antimatière maintenue dans une flèche d'énergie. C'était d'un tout autre niveau.

  - Tu crois qu'elles seraient efficaces contre les Lokis ?

  - Je ne sais pas, répondit Rhivan en rangeant la flèche. Quand tu as tiré sur ce Tortilleur avec le Canon Alpha, son bouclier a dévié le rayon d'antimatière. Je ne sais pas de quel genre d'énergie sont faites ces barrières, à vrai dire je doute même qu'elles soient constituées de matière.

  - Il va donc falloir trouver un autre moyen...

  - Je te rappelle que le robot gardien a écrasé le Tortilleur avec sa main. Ils sont donc vulnérables aux attaques physiques. Ce qui m'amène au point que je voulais aborder concernant la simulation...

  - Et de quoi s'agit-il ?


Rhivan ne répondit pas, saisit sa double clé et lui fit signe de faire de même. Ils s'éloignèrent de l'atelier et se placèrent face-à-face sur un des carrés d'entraînement.

  - Tu comptes me répondre ? lança nonchalamment le Lombax en balançant sa clé sur son épaule. Ou on va juste rester là, à se regarder dans le blanc...

  - Attaque moi, le coupa Rhivan.

  - Je te demande par...


Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, il bondit dans sa direction et se fendit, tenant sa double clé comme une lance. Ratchet, surpris, n'avait pas le temps de parer et donna un coup de clé vers le haut pour dévier l'attaque. Rhivan se laissa entraîner par le mouvement de son arme, fit un tour sur lui-même et se servit de l'élan pour lui asséner un autre coup. Ratchet se baissa, et la clé siffla au-dessus de ses oreilles. Aussitôt, il vit le pied de son adversaire se rapprocher dangereusement de son visage. Un crochet de clé dévia l'attaque et déséquilibra Rhivan. Profitant de l'ouverture, Ratchet se releva, bondit vers le haut et frappa à pieds joints sur le dos du Lombax. Repoussé par le coup, Rhivan planta sa clé dans le sol et s'en servit de pivot pour se remettre d'aplomb, faisant naître une traînée d'étincelles sur le sol métallique.

  - Au niveau des armes, je n'ai pas grand-chose à t'apprendre, dit-il en repartant à la charge.

  - Ah oui ? répliqua Ratchet en parant le coup de justesse. Je n'ai encore jamais tiré à l'arc.


Il contre-attaqua vers la droite, et fut bloqué. Rhivan répliqua vers le haut. Esquive.

  - Ça viendra. En attendant, tu as d'autres choses à travailler.

  - Comme quoi ?


Coup foudroyant sur la gauche. Parée de justesse. La main gauche de Rhivan lâcha le manche de la double clé et son poing frappa l'épaule droite de Ratchet.

  - Le combat en mêlée, par exemple.


Il enchaîna sur un balayage des jambes. Le jeune Lombax esquiva en saut périlleux puis lança un uppercut en se servant de l'élan. Encore bloqué. Leurs corps se rapprochaient puis s'éloignaient, rythmés par les éclats des armes s'entrechoquant dans une danse féroce.

  - Ça ne m'a pas posé trop de problèmes jusqu'à présent.

  - Mais à présent, il y a les Lokis.


La notion du temps devint floue, alors qu'ils n'étaient plus qu'une succession d'actions et de réactions. Ratchet enchaîna les attaques les plus complexes et les plus rapides qu’il connaissait, mais rien ne perçait la défense de son adversaire. La clé commençait à peser lourd dans sa main. Repoussé avec un coup de paume en pleine poitrine, il tenta de changer de stratégie.

  - Un Loki peut t'étourdir en quelques coup. Si un Agorien possédé te charge, comment te défends-tu ?

  - Je l'abats avant qu'il n'arrive.


Rhivan gagnait du terrain. Le bras de Ratchet le brûlait douloureusement à chaque coup. Contraint de reculer, il ne trouvait que peu d'ouvertures pour riposter.

  - Tu es encerclé. Une dizaine de Lokis sont sur toi, avec un bouclier anti-énergie. Comment t'en sors-tu ?


Le jeune Lombax ne répondit pas. Il était essoufflé, et aucun coup ne passait la défense impénétrable de Rhivan. Ce dernier conclut le combat en se pliant en deux avec plus d'agilité que Ratchet au meilleur de sa forme. Prenant appui sur une main, il le balaya et le fit tomber à la reverse. Il commença aussitôt à se relever, mais un éclat métallique tout près de sa gorge le fit stopper net. Rhivan pointait sa double clé sur lui, mais l'arme avait changé. La pince qui se trouvait de son côté s'était allongée et affinée, formant une véritable lame, dont la forme rappelait la silhouette d'Aphélion. Un crépitement remonta le long du tranchant, qui se mit à briller d'un bleu incandescent. Devinant que la chaleur intense qu'il sentait sur sa gorge n'était qu'une fraction de la quantité d'énergie qui parcourait la lame, Ratchet, vaincu, laissa tomber sa propre clé. Rhivan sourit, et la lame se replia pour reprendre sa forme d'origine. Il tendit une main à son élève, que ce dernier saisit.

  - C'était pas mal, lui dit-il en l'aidant à se relever.

  - Tu plaisantes ? rétorqua Ratchet en reprenant son souffle. Tu m'as étalé !

  - C'est vrai, répondit-il en baissant la voix, mais tu t'en serais très bien sorti contre tous les autres soldats dans ce centre.


Ratchet, intrigué par ce changement de ton, regarda autour de lui et se rendit compte qu'une vingtaine de soldats avaient interrompu leur entraînement pour assister au combat. Se rendant compte qu'ils n'étaient pas invités pour un spectacle, ils retournèrent à leurs occupations, espérant que leur instructeur n'avait rien remarqué.

  - Tu aurais pu me prévenir pour la lame, maugréa Ratchet en massant ses côtes endolories.

  - Et risquer de transmettre une information capitale à mon adversaire ? ironisa son ami. Très mauvais plan.

  - Mouais... Comment fonctionne-t-elle ?

  - Tu n'as qu'à essayer.


Le vieux Lombax lui tendit l'arme, que Ratchet saisit avec un certain respect, le même que lorsqu'il avait utilisé la clé d'Azimuth pour la première fois. Il avait l'impression de tenir un morceau de l'histoire entre ses mains. La clé était parfaitement équilibrée, la longueur du manche et l'écart des pinces étaient variables et le matériau de la poignée, juste assez anti-dérapante, était parfaitement adapté à la prise. Il vit ensuite les deux cellules d'énergie, à la base de chaque pince.

  - Alister s'en servait pour envoyer des décharges d'électrons, fit-il remarquer.

  - Le général avait pour réputation de se battre uniquement avec sa clé, répondit Rhivan. Je ne l'ai jamais vu à l'œuvre mais ce système devait lui permettre de sa battre à distance. Moi, j'ai opté pour une arme de mêlée plus... agressive.

  - Comment ça, « opté » ? Vous aviez plusieurs choix ?

  - Non, on m’a remis une version d’usine, comme toi. Mais si la clé était l'outil emblématique du Lombax, elle ne t'appartenait pas vraiment tant que tu ne l'avais pas modifiée. D'ailleurs, tu as toi-même équipé la tienne d'une longe cinétique.

  - Ce sera sans doute moins efficace qu'une double lame pour affronter les Lokis.

  - Je l'ai construite pour la guerre, répliqua Rhivan en prenant un air sombre. Toi, pour traverser les obstacles qui te séparaient de ton ami. Ça en dit long sur ta personnalité, observa-t-il avec un sourire en coin.


Ratchet ne répondit pas et chercha le mécanisme d'activation de la clé, qui semblait introuvable. Soudain, les cellules d'énergie se mirent à briller et les deux pinces se muèrent en redoutables lames. Intrigué, il lança un regard interrogateur à Rhivan.

  - Émetteur synaptique, expliqua-t-il en pointant sa tempe du doigt. Ça évite de s'encombrer d'un bouton.

  - Pas bête. Tu contrôles tes autres armes par la pensée aussi ?

  - Pas du tout, dit-il en souriant. Reprend ta clé, maintenant. La pause est terminée.


***


En bordure du secteur Bernilius, la Nébuleuse de l'Abysse s'étendait sur des centaines d'années-lumière. Les nuages de poussière et de gaz ressemblaient aux milliers de griffes d'une créature informe, un béhémoth prêt à engloutir tout vaisseau suffisamment imprudent pour s'y perdre. Durant une fraction de seconde, un observateur attentif aurait pu discerner le tissu de l'espace-temps se tordre sur le fond noir et mauve de la nébuleuse. Un chasseur de classe Pénombre émergea de l'hyperespace, son moteur furtif masquant le tourbillon lumineux caractéristique d'un passage en vitesse subluminique. Vue de l'extérieur, la silhouette du chasseur ne ressemblait à aucune autre. Le module central, abritant les sièges des deux pilotes et la soute, était en forme de trapèze. Deux pylônes longs de douze mètres, légèrement recourbés et semblables à des mandibules, pointaient vers l'avant de l'appareil. Les capteurs d'énergie et le moteur furtifs se trouvaient dans ces pylônes, sous la forme de deux ailes en forme de demi-cercles et bardées d'électronique. Une fois déployées, le vaisseau ressemblait à un immense papillon, si on oubliait le générateur gravitationnel. Placé derrière le module central, il était constitué de deux larges anneaux perpendiculaires. À l'intérieur se trouvait une machine semblable à un gyroscope, constitué de plusieurs pièces circulaires en rotation constante. Ce moteur était capable de générer des "creux" gravitationnels pour faire bouger l’appareil : en maintenant ce creux devant la proue, le vaisseau "tombait" continuellement vers l'avant. Grâce à cette technique, la propulsion n'émettait ni lumière ni chaleur, seulement de faibles ondes gravitationnelles masquées par le moteur furtif.

Le pilote, les yeux rivés sur la coque, cherchait du regard le moindre élément suspect. Dans cette nébuleuse, il valait mieux se fier à ses yeux qu'aux instruments. Il vérifia que le moteur furtif fonctionnait bien. Et reprit les commandes manuelles.

  - Écho radar ? demanda-t-il à son copilote, installé derrière lui.

  - Les senseurs longue et moyenne portée sont inopérants, lâcha-t-il. Je n'ai aucune signature énergétique à proximité.

  - Où se trouve notre cible ?

  - Les coordonnées pointent à encore trois mille Kliks d'ici. Je vous indique la voie.


Le chasseur se mit en route, sa présence seulement connue de ses deux occupants. Ils devaient cependant avancer lentement, pour éviter que leur passage laisse une traînée dans les nuages de gaz et de poussière. Ce qui n'était d'ailleurs pas plus mal, car ils tombèrent rapidement sur des astéroïdes, mêlés des débris des milliers de vaisseaux s'étant perdus ici depuis des lustres. La luminosité était faible et les interférences brouillaient les senseurs et tous les appareils de communication, créant une terrible sensation de claustrophobie, ironique face à l'immensité de l'espace.

Alors qu'ils approchaient des coordonnées, ils en profitèrent pour cartographier la zone, de la manière la plus détaillée possible : si une bataille devait se dérouler ici, il fallait mettre toutes les chances de leur côté. Cependant, ils trouvaient étrange que la densité du champ d'astéroïdes ne diminue pas alors qu'ils étaient désormais tout proches de leur cible. Si une armada se trouvait ici, pourquoi la cacher dans un environnement si peu praticable ?

  - Entrez dans ce nuage droit devant, dit le copilote. Nous devrions être fixés après avoir contourné ce gros astéroïde.


Le pilote s'exécuta, et fit le tour du rocher, d'une masse de plusieurs milliers de tonnes. Le nuage couleur prune qui s'était posé dessus était particulièrement épais, et il devait manœuvrer prudemment. Après de longues minutes, il finit de contourner l'obstacle et s'apprêta à sortir dans une zone plus dégagée.

  - Sortie de l'hyperespace à dix heures ! s'écria soudain le copilote.

Le pilote vit une immense forme apparaître devant lui dans un tourbillon de lumière. Il vira immédiatement et esquiva le vaisseau, laissant derrière lui une traînée de gaz mauve. Heureusement, si près de l'énorme appareil, cela passerait inaperçu. Ils s'éloignèrent au plus vite et purent discerner de quel vaisseau il s’agissait : un cuirassé terachnoïde, long de presque trois kilomètres, suffisamment armé pour anéantir un avant-poste orbital en quelques minutes. L'engin avançait lentement dans la nébuleuse, poussé par des réacteurs dans lesquels pourrait tenir leur propre vaisseau.

  - Nous ont-ils repérés ? risqua le pilote, les mains serrées sur les manettes.

  - Leurs armes ne sont pas activées, répondit son partenaire sans détacher ses yeux des relevés des capteurs. Ils semblent seulement continuer leur route.

  - Très bien. Suivons-les.


Le cuirassé, qui ignorait être espionné, continua de s'enfoncer entre les nuages. Pour qu'un vaisseau de cette taille ait réussi une sortie en hyperespace si profondément dans la nébuleuse, il devait y avoir une balise de navigation tout près. Quelques minutes s'écoulèrent. Lorsque la vue se dégagea enfin, le pilote écarquilla les yeux sous le choc.

  - Nous... devons prévenir l'état-major, lui dit son copilote, qui se trouvait dans le même état.

  - Pas encore, répliqua-t-il. Préparez un saut en hyperespace d'urgence, au cas où nous serions repérés.

Il vérifia les niveaux d'énergie du chasseur, puis remit les gaz. Les Forces Défensives... elles devaient savoir ce qui les attendait.


***


Ratchet fut balayé et se retrouva au sol, encore une fois.

  - Pense à ce que je t'ai dit ! lui reprocha Rhivan. N'esquive pas qu'une attaque, esquive toutes celles qui suivent !

  - Facile à dire, grogna Ratchet en se relevant. Comme dans la tempête.


Lui que beaucoup considéraient inépuisable était à court d'énergie, et à peu près tous ses muscles étaient douloureux, à des degrés divers. Il avait bien réussi à placer quelques touches, mais Rhivan le battait à plate couture. Il n'était même pas sûr d'avoir progressé.

  - Reprenons encore une fois, dit calmement son instructeur. Mettons que je te frappe comme ceci, de quelles options disposes-tu ?


Rhivan mima le mouvement, un simple coup latéral vers la gauche. Ratchet prit une seconde pour considérer sa position, et leva sa clé.

  - Je peux parer par ici.

  - Très bien. Mais où est-ce que je peux frapper maintenant ?


Le Lombax ne mit qu'un instant à décrire toutes les attaques que Rhivan auraient pu enchaîner après sa parade. Ce dernier lui demanda alors de lui décrire la seconde option, esquiver son coup initial. Là aussi, Rhivan disposait de plusieurs ouvertures. Finalement, Ratchet prit position là où il estimait qu'aucune attaque, d'où qu'elle vienne, ne pourrait le toucher. Il lui fallait s'élancer en avant, esquiver le coup initial en se penchant en arrière, et se remettre debout d'une main. Il arrivait dans son angle mort, derrière lui, et disposait d'une ouverture idéale pour une contre-attaque.

  - Parfait ! le félicita Rhivan. Tu n'as plus qu'à appliquer ça en combat.

  - Comme je l'ai dit, répliqua Ratchet, c'est facile à dire. On ne pourrait pas simplement intégrer un programme de prédictions dans l'interface de mon casque ?

  - On pourrait, mais tu en serais dépendant. Je ne te le souhaite pas, mais il arrivera forcément un moment où tu seras dépourvu d'équipement, ou de Clank. Si tu n'es pas capable d'atteindre le maximum de tes capacités sans aide, tu finiras par tomber sur plus fort que toi. Mais... tu progresses, déclara-t-il avec un sourire. Avec suffisamment d'entraînement, tu pourrais devenir redoutable au corps-à-corps.

  - Si tu le dis, soupira le Lombax.

  - Aies confiance. Si tu le veux bien, nous continuerons demain. J'ignore de combien de temps nous disposons, et j'aimerais profiter le plus possible.


Ils récupérèrent leurs affaires et sortirent du centre. L'heure galactique indiquait seulement dix-sept heures, mais une nuit d'encre régnait dehors. En effet, Maglaar tournait sur elle-même pratiquement deux fois plus vite qu'Iglak, qui servait de référence à l'horloge. Le projet de terraformation comptait également ralentir la rotation de la planète, mais elle avait été finalement conservée pour habituer les soldats aux décalages horaires.

Les deux Lombaxs retournèrent à la capitale, et purent cette fois-ci passer outre le contrôle de douanes, leur présence étant déjà signalée dans le système. En revanche, des milliers de vaisseaux de toutes tailles étaient coincés dans l'orbite d'Iglak. Le système de sécurité commençait déjà à être saturé. À en juger par les différents modèles, Ratchet déduisit qu'il devait surtout s'agir de réfugiés, de marchands trop craintifs à l'idée de s'engager sur une route commerciale infestée de Lokis ou simplement de civils ayant préféré fuir leur planète et se réfugier sous la protection de la capitale galactique. Il fallait espérer que cet afflux constant de population ne cause pas trop de problèmes, mais c'était malheureusement peu probable.


Ils se séparèrent une fois arrivés au spatioport. Rhivan apprit que Talwyn lui avait, comme pour les Tharpods, fourni un appartement, et voulut prendre un taxi pour rentrer chez lui, mais Ratchet insista pour le raccompagner. Sa voiture était un petit bolide, et il disposait des autorisations pour voler hors des voies de circulation. Le vieux Lombax lui en fut reconnaissant : à cause des milliers de réfugiés débarquant au spatioport, les voies aériennes étaient complètement gelées. Ratchet compris alors à quel point l'attaque de Terachnos était problématique. Non seulement ils perdraient une planète d'une grande importance stratégique, mais des millions de réfugiés inonderaient Iglak, ou encore Kortog, qui était plus proche. Ce serait un cauchemar logistique.


Quand Rhivan fut installé, Ratchet retourna chez lui. Clank, Talwyn et lui vivaient au sommet d'une haute tour en périphérie du centre-ville, dans un appartement que l'immense fortune du Lombax avait pu leur offrir. Il avait fait bon usage des millions de Boulons qu'il avait accumulés au cours de ses aventures...

La demeure était assez luxueuse, mais suffisamment modeste pour ne pas se sentir mal à l'aise. Les architectes avaient parfaitement réussi à mélanger le style de Fastoon et de la station spatiale Apogée aux codes traditionnels de Meridian City. Lorsque Ratchet entra le code d'accès pour se poser sur la terrasse supérieure, il se rendit compte que cela faisait presque trois mois qu'il n'avait pas mis les pieds ici. C'était juste avant de partir à la recherche de Derek Corbar, après l'enlèvement du directeur de GruminNet. Tout s'était enchaîné si vite ensuite... ils avaient perdu la trace du Terraklon après l'explosion de l'immeuble, et aucun effort n'avait été réalisé pour sa capture, au vu de la menace posée par les Lokis. Ratchet avait fini par penser qu'il était sous le contrôle des créatures depuis le début, que ce meurtre n'était qu'une étape de leur plan... Il se souvenait encore des mots de l'Unique, à la Grande Horloge : "Nous allons frapper nos ennemis de l'intérieur et de l'extérieur, jusqu'à-ce que nous ne fassions plus qu'un".

Il savait que des Lokis s'étaient infiltrés sur Iglak. Trois avaient été arrêtés, mais qui sait combien en restait-il ? Plongé dans sa réflexion, Ratchet fit passer sa carte d'accès biométrique dans le lecteur sans remarquer que la porte était déjà ouverte. Une terrible idée commençait à germer dans son esprit.


Alors qu'il errait dans le salon, un bruit métallique retentit soudain au fond de la pièce faiblement éclairée par la lumière déclinante du soleil. Dégainant instantanément son arme, le Lombax avança à pas feutrés vers le coin du mur.

  - Qui est là ? demanda-t-il bien haut.

  - Ratchet, c'est moi ! lui répondit Clank en tournant au coin du mur. Je t'ai entendu arriver.

  - Clank, tu m'as fait peur ! s'exclama l'intéressé en riant de s'être inquiété pour rien. Désolé de ne pas avoir prévenu, j'étais distrait.

  - Ce n'est rien.


Clank pressa une commande murale et le salon s'illumina d'une douce lumière agréablement incrustée dans l'architecture.

  - Ton entraînement avec Rhivan s'est bien passé ? reprit-il.

  - On peut dire ça, grimaça le Lombax en posant sa clé sur le bar de la cuisine. J'ai mal absolument partout, et je n’aurais pas assuré si des voleurs s'étaient réellement introduis chez nous... Tu permets que j'aille prendre une douche ? On parlera plus reposés.


Le robot acquiesça et Ratchet s'efforça de retirer toute la crasse de la journée - Rhivan lui avait bien fait mordre la poussière - et de calmer ses courbatures à l'eau brûlante. Malheureusement, ses membres étaient encore endoloris en sortant de la douche, mais il enfila tout de même des vêtements de ville et rejoignit son ami dans le salon. Quand il s'affala dans le canapé, Clank désigna d'un air interrogateur le pack de canettes vert pomme estampillés d'un Q dans l'entrée de la maison. Ratchet secoua la tête et leva les yeux au ciel. Il n'avait évidemment acheté aucune de ces boissons au goût plus que discutable, et il valait sans doute mieux se passer d'un tel apéritif. C'était sûrement un cadeau de départ de la part de Qwark.

  - Alors ? demanda le Lombax à son ami. Comment était ta journée ?

  - J'ai aidé Talwyn à installer les Tharpods, puis j'ai tenu compagnie à Susie. Elle m'a aidé à travailler sur un projet.

  - Un projet ? Quel genre de projet ?

  - Navré, Susie m'a fait promettre de ne pas t'en parler. Après tout, c'est elle qui a eu l'idée. Mais cela devrait nous aider à combattre les Lokis.

  - Très bien... et Talwyn, elle va bien ?


Clank fit la moue, ce qui était assez impressionnant sur un robot avec aussi peu de muscles faciaux.

  - J'ai beaucoup discuté avec elle, et je pense que toute cette situation la travaille énormément. Elle a beaucoup de responsabilités.

  - C'est bien ce que je pensais, répondit Ratchet, préoccupé. Elle a besoin d'une pause... Et si on l'invitait quelque-part, afin de décompresser ? Au restaurant, ou alors...

  - Vous pourriez aller au « Nid du Sharok » ? Je crois me souvenir qu'elle n'a aucune réunion de crise prévue ce soir.

  - Super idée !


Le Lombax fila à l'étage et redescendit quelques minutes plus tard, chargé d'un sac de vêtements.

  - C'est pour Tal', expliqua-t-il. Tu viens ?

  - Non, je vais rester ici pour travailler, répondit Clank. Profitez de ce moment tous les deux.

Ratchet le gratifia d'un pouce levé et sortit sur la terrasse pour prendre sa voiture. Il décolla à toute vitesse et rejoignit le Centre de Défense Planétaire.


***


Talwyn entra dans son bureau pour la énième fois aujourd'hui. Une forte pluie, durant depuis le début de l'après-midi, martelait la baie vitrée, et le ciel était d'un gris morne. Elle se disait souvent qu'elle gagnerait du temps en examinant les rapports dans un couloir, entre deux rendez-vous, mais elle avait besoin de calme pour réfléchir, et l'agitation quasi-permanente au Centre la dissuadait rapidement d'essayer de se concentrer. Cela dit, tous ces allers-retours avaient un avantage : elle connaissait le bâtiment comme le fond de sa poche.

Elle prit place sur son fauteuil, et remarqua vite que le fouillis de documents indiquait une légère baisse d'activité des Forces Défensives. Elle en connaissait la raison : tout l'état-major attendait les résultats de la mission de reconnaissance dans la Nébuleuse de L'Abysse. Si les Lokis rassemblaient effectivement une flotte là-bas, cela expliquait également que leurs attaques se faisaient plus rare ces derniers temps. Cependant, cela ne réglait ni le problème des réfugiés, ni celui des Enfants de Quantos, qui se montraient de plus en plus violents.


Les yeux plongés dans la carte de Polaris, elle étudiait plusieurs stratégies à adopter pour la défense de Terachnos en cas d'attaque, lorsqu'un bruit sourd derrière elle attira son attention. Elle se retourna pour voir qui toquait sur la vitre et découvrit Ratchet, au volant de sa voiture. Surprise, elle ouvrit une fenêtre par laquelle il se faufila, laissant son véhicule en vol stationnaire à l'extérieur. Avant qu'elle ne puisse esquisser une question, il la prit par la main et l'embrassa fougueusement. Elle répondit en passant ses bras autour de son cou, faisant glisser ses doigts dans son pelage mouillé, et ils laissèrent planer ce court instant de bonheur.

  - Alors, demanda Talwyn lorsqu'ils se furent séparés, quel bon vent t’amène ?

  - Je viens vous délester de votre travail, Amirale, répondit Ratchet d'une voix pompeuse en se mettant au garde-à-vous. Vous êtes sommée de me suivre pour prendre part à une expédition extra-centre-de-défense-planétaire.

  - Êtes-vous sûr d'être en droit de me donner des ordres, Capitaine ? ironisa-t-elle d'un air sévère, les mains sur les hanches.

  - Aïe. Très bien, je ne recommencerai plus.

  - Alors ? Si tu voulais simplement me voir, tu n'avais pas à utiliser ton accréditation pour passer le bouclier du centre.

  - Et me farcir toutes les procédures sécurité ? Je préfère encore la pluie ! Et puis ce sera plus rapide pour partir d'ici...


Ratchet se dirigea vers la fenêtre encore entrouverte et saisit le sac posé sur la banquette arrière. Il le déposa à côté de Talwyn, qui commençait à comprendre.

  - Qu'est-ce que tu entendais exactement par « sortie » ? l'interrogea-t-elle.

  - J'entendais que je t'emmène passer la soirée dans un endroit bien plus accueillant que ce bureau. Et en fait, je ne te demande pas vraiment la permission.

  - Ratchet... soupira Talwyn en écartant les bras d'un air désabusé. Notre éclaireur peut revenir d'une minute à l'autre, et je ne peux pas me permettre de...

  - Ils sont partis il y a à peine huit heures, la coupa-t-il. On a encore du temps devant nous. Allez, Tal'...

La Markazienne leva les yeux au ciel, puis fut prise d'un léger rire en voyant l'air presque suppliant de son ami.

  - OK, céda-t-elle en souriant. Où allons-nous ?


***


La nuit était tombée, mais des milliers de véhicules circulaient encore à perte de vue, comme des files interminables de fourmis luminescentes. Ratchet faisait glisser son véhicule sur le haut des nuages. Loin au-dessus des lumières de la ville, de la pluie battante et de la circulation, ils avaient l'impression d'être seuls au monde. Aucun des deux n'avait vraiment envie de parler des Lokis, mais la curiosité de Talwyn concernant Rhivan était insatiable. Après tout, comme beaucoup d'autres dans la galaxie, c'était le premier Lombax qu'elle rencontrait en dehors de Ratchet. Ce dernier fit de son mieux pour préserver l'intimité de son ami et se limita aux expériences qu'il avait partagées avec Rhivan - hormis à la Grande Horloge - et son entraînement : ce n'était pas à lui de divulguer tous les détails de sa vie privée. Talwyn se montra compréhensive, mais Ratchet craignait un peu qu'elle soit déçue qu'il ne soit pas une seule fois parvenu à tenir tête au vétéran. Au contraire, elle fut ravie qu'il puisse profiter d'un instructeur d'un tel niveau.


Le "Nid du Sharok" était, comme son nom l'indiquait, perché au sommet d'une immense tour, en bordure du centre-ville. Le Sharok était une espèce d'oiseau originaire de Solana. Dotés de deux paires d'ailes d'une envergure de plus de vingt mètres, d'un plumage couleur ocre rouge, excepté pour la tête et le ventre blancs rayés de noir, cette bête majestueuse était le plus grand rapace connu. La gravité réduite et la fine atmosphère de leur planète d'origine leur avaient permis d'atteindre ces dimensions démesurées, raison pour laquelle on n'en trouvait nulle part ailleurs, et pour laquelle des milliers de touristes s'y rendaient en voyage tous les ans, pour les observer dans leur environnement naturel. Les Cazars, qui ne construisaient que des vaisseaux à la silhouette aviaire, s'en étaient inspirés pour créer certains de leurs chasseurs lourds.

Un grand admirateur de ces volatiles avait ouvert un restaurant à l'endroit le plus approprié pour faire sentir la puissance et la majesté du Sharok : juste en face du circuit principal du Grand Prix Intergalactique. Long de plusieurs kilomètres, il était tracé par un ensemble d'anneaux holographiques que les pilotes devaient traverser, rendant les changements de parcours pour chaque saison très simples. Ratchet préférait les circuits un peu moins "propres", ceux où les pilotes devaient faire la course en rase-mottes ou esquiver les astéroïdes des anneaux de Maglaar, mais les concepteurs débordaient d'idées pour rendre la course finale encore plus ardue que les précédentes, malgré le manque d'obstacles. Le circuit était encerclé de hautes tours, culminant toutes à sa hauteur, qui communiquaient entre elles et abritaient parkings, galeries marchandes et zones réservées aux membres du championnat et aux organisateurs. Au sommet de la plupart des tours se trouvaient divers restaurants, juste au-dessus des gradins.


L'établissement en lui-même ressemblait aux stations flottantes servant à observer les Sharoks sur leur planète : les matériaux décoratifs étaient nobles, du bois blanc aux immenses toiles rouges triangulaires servant de plafond, donnant aux clients l'impression de se trouver sur une barge volante. Le tout était réparti sur plusieurs étages, chacun offrant un point de vue différent sur le circuit.

Lorsqu'ils furent garés, Ratchet et Talwyn montèrent jusqu'au sommet de la tour. De nombreux passants s'arrêtaient pour les dévisager. Leur relation était connue du public, mais il était rare de les voir en « simples civils » : Ratchet portait des vêtements de ville classiques, mais avait retiré ses armes et sa clé, et Talwyn avait troqué son uniforme contre un ensemble constitué d'une longue veste, d'un pantalon et de bottes, en nuances bleu nuit qui se mariaient parfaitement avec ses yeux. Habitués à ce genre de visibilité, ils se contentèrent d'ignorer les regards, ou de répondre par quelques signes de main.

Il était encore tôt, et le circuit n'était utilisé ce soir que pour les entraînements, et ils purent s'installer sur la terrasse supérieure. Protégés des intempéries par les toiles judicieusement placées, ils avaient une vue sans pareille sur le circuit, la ville en contrebas, et la mer de nuages, tout autour d'eux. Assis en tête-à-tête, dérangés seulement par une douce brise, ils profitèrent de leur soirée, loin de leurs responsabilités, loin de la guerre, et loin de leurs problèmes.


Lorsque le repas fut terminé, ils restèrent sur la terrasse. La plupart des autres clients s'étaient abrités de l'air frais de la nuit à l'intérieur et profitaient du bar encore ouvert, tenu par des serveurs robots infatigables. Le couple était seul, mais restait silencieux. Aucun des deux n'avait véritablement envie d'aborder des sujets fâcheux, mais cela aurait été un mensonge de prétendre qu'ils n'occupaient pas leurs pensées. Ratchet, faisant tourner doucement son verre, décida finalement de se lancer.

  - Alors... il paraît que tu as beaucoup de boulot en ce moment.

  - C'est peu dire... avoua Talwyn en soupirant. Entre les Lokis, la gestion des réfugiés, les manifestants et la crise des industries, je commence à avoir du mal à dormir. Le président, les autres membres de l'état-major, et des dizaines de personnes sont là pour m'aider, mais je pense qu'on est tous débordés.

  - J'aimerais pouvoir faire quelque chose...

  - Inutile de t'en faire pour moi, j'ai déjà toute l'aide disponible, y compris la tienne. Mais c'est plutôt pour toi que je m'inquiète...


Talwyn se pencha et prit sa main. Les couleurs chaudes de la décoration et de l'éclairage contrastaient sur son visage avec la lueur blafarde de la lune.

  - Ratchet, reprit-elle en parlant plus bas, j'ai parlé avec Clank, aujourd'hui. Il m'a dit que pendant votre voyage, il s'était passé... plus que ce que tu as raconté lors de l'assemblée. En particulier lors de votre passage à la Grande Horloge.

  - Alors il t'en a parlé... Exactement ce que je lui avais demandé de ne pas faire !

  - C'est ce qu'il m'a dit, mais il tient trop à toi pour garder le secret. Je ne t'en veux évidemment pas de ne pas m'en avoir parlé, mais je sais à quel point tu risques ta vie, alors pourquoi vouloir tout garder pour toi ?


La voix de Talwyn s'était tendue, et le Lombax regrettait déjà d'avoir abordé le sujet. Cette soirée commençait si bien !

  - Je ne voulais pas que tu ne t’inquiètes pour rien, finit-il par avouer.

  - Pour rien ? Tu crois que ça ne me fait rien, de vous savoir tous les deux en train d'affronter je ne sais quel monstre à l'autre bout de la galaxie pendant que je me tourne les pouces ici ?

  - Tal', tu ne peux pas dire ça. Tu as autant de responsabilités que le président, et tu gères les Forces Défensives encore mieux que Sasha !

  - Même si c'était vrai, ça n'a aucune importance s'il vous arrive quelque chose ! répliqua-t-elle, les yeux brillants de larmes. Tu comptes pour moi, Ratchet. Tu comptes pour nous tous sur cette planète, où même dans cette galaxie, et si je le pouvais, je vous accompagnerais au bout du monde ! Alors si je m'inquiète pour vous deux, ce n'est jamais pour rien. N'essaie pas d'affronter les Lokis à toi seul, et ne t'avises pas de me mettre en retrait. Toi et Clank vous... vous êtes tout pour moi.


Les minces épaules de Talwyn furent secouées d'un sanglot, et Ratchet s'en voulut terriblement. Toute cette pression accumulée au cours de ces dernières semaines, elle ne pouvait pas en supporter plus. Avec une douceur infinie, il se leva et la guida jusqu'au bord de la terrasse, où quelques banquettes avaient été installées pour permettre aux clients de mieux profiter des courses. Il s'assit tout près d'elle et la prit tendrement dans ses bras.

  - Quand je suis entré dans l'esprit du Loki, il a utilisé mes propres souvenirs pour se défendre. J'ai vu Alister, Cronk, et Zéphyr, comme je te vois. Je les ai revus mourir. Après ça, je voulais faire payer le Loki. Le faire souffrir. Mais quand j'ai accédé à sa mémoire, il s'est passé quelque chose avant que les autres me sortent de la chambre mnémonique.


Il passa doucement sa main dans les cheveux châtains de son aimée. Des vaisseaux de course filaient dans le ciel nocturne et passaient devant eux, le souffle des réacteurs ballotant les toiles tendues au-dessus de leurs têtes.

  - Je t'ai vu partir, reprit-il, la gorge nouée. J'ai vu le soleil se changer en nova, et tu étais là, entourée de cadavres. Je ne sais pas où, ni quand, mais cette sensation... c'était si vrai. Je ne voulais pas t'en parler. Ce que je souhaite par-dessus tout, c'est qu'il ne t'arrive rien, que cette vision ne devienne pas réalité. Alors j'ai gardé le secret, pour que tu ne t’inquiètes pas, en espérant trouver un moyen de nous débarrasser des Lokis avant que cela n'arrive.

  - Ratchet... Désolée.

  - Tu ne pouvais pas savoir.


Elle hocha lentement la tête, et se redressa pour mieux le regarder.

  - Mais je suis heureuse que tu me le dises. Je n'ai pas combattu les Lokis d'aussi près que toi, mais je sais qu'ils jouent sur nos craintes, nos faiblesses. S'il t'a montré ces... visions, c'est pour te faire croire que tu ne peux pas sauver tout le monde. Mais si cela a marché, c'est qu'au plus profond de toi, tu es persuadé que tu dois combattre seul avec Clank, et que tu es le seul fautif si les autres... disparaissent. Et c'est totalement faux, Ratchet. Tu n'es pas seul. Tu n'as pas à donner autre chose que le meilleur de toi-même, et c'est déjà ce que tu fais, pour les autres comme pour moi.


Elle se pencha vers lui et l'embrassa. Le cœur de Ratchet fit un bond dans sa poitrine, même si le goût salé des larmes retirait la magie de cet instant. Il la serra dans ses bras, et ils restèrent blottis l'un contre l'autre, silencieux dans l'air frais de la nuit.



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