Ratchet & Clank: Mind Games - Chapitre 21

Auteur : Arayn

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Sans la verrière d’Aphélion pour filtrer la lumière, Ratchet fut ébloui quelques secondes. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il crut que l’image s’était imprimée sur ses rétines : l’espace était figé.

Les astéroïdes avaient cessé de tournoyer. Les vaisseaux étaient suspendus en plein mouvement. L’océan de projectiles lumineux, d’explosions et de débris était comme gelé. Mais le plus impressionnant était le cuirassé Loki, arrêté en plein saut hyperspatial. Entouré d’une aura bleutée, ses contours semblaient flous, parcourus de nervures énergétiques.

— Clank, c’est…


Aphélion n’était pas affecté par l’interruption temporelle, et le Lombax ralentit pour éviter les obstacles immobilisés sur leur route.

— C’est toi qui as fait ça ?

— Plus ou moins, répondit le robot en se frottant le crâne.

— Cela ne ressemble pas à une faille temporelle. Les couleurs ont l’air trop… réelles.

— Ce n’est pas une faille temporelle. La Grande Horloge s’est arrêtée, ainsi que le temps dans tout l’univers.

— Wow… Depuis quand tu peux faire un truc pareil ?

— Depuis toujours, en fait. Disons que j’ai passé un accord avec les Zonis pour déclencher ce protocole d’urgence, et…

— Attends, l’interrompit Ratchet en élevant la voix, tu veux dire que tu aurais pu l’activer n’importe quand ?

— Techniquement, j’ai tout de même besoin de quelques secondes.

— Pourquoi tu ne l’as pas fait plus tôt ? s’exclama le Lombax d’un ton furieux. On aurait pu sauver Thoz ! Et tous les autres ! Qu’est-ce que tu attendais ?

— Ratchet, je suis désolé pour Thoz. Mais je ne peux pas solliciter les Zonis à volonté… L’arrêt de la Grande Horloge est dangereux, et nécessite beaucoup d’efforts. Je devais attendre que la situation soit réellement critique.


Le petit robot fit une pause, puis ajouta en affichant un air désolé :

— J’aurais aimé ne pas avoir à le faire.

— Ça va, répondit Ratchet en inspirant un grand coup. Maintenant qu’on en est arrivés là, autant faire en sorte que ce ne soit pas pour rien. J’imagine que ton arrêt d’urgence n’a pas une durée illimitée ?

— Nous avons une heure, tout au plus.

— Bien. Nous devons sauver le Gardien.


Le Lombax fixa le cuirassé Loki, puis le vaisseau amiral de leur armada. Durant cet instant suspendu, l’équipage à son bord devait à peine comprendre ce qu’il se passait. Si le temps reprenait son cours, ils mourraient tous dans la seconde.

— Le vaisseau Loki a lancé l’hyperpropulsion juste avant l’interruption, expliqua Clank. Un bâtiment de cette taille doit parcourir cinq fois sa longueur à la vitesse de la lumière avant de passer le seuil de l’hyperespace.

— Où se situe le point d’entrée ?

— Quelques centaines de mètres de l’autre côté du Gardien. Si aucun des deux ne bouge, ils seront désintégrés.

— Tu as une idée ?


Clank se pencha en avant en plissant les yeux. Mais quelques secondes plus tard, mais il secoua la tête.

— Non, pas la moindre.

— Bon, on ne va pas rester ici les bras croisés. Le cuirassé ne peut plus changer de trajectoire ?

— Maintenant que le saut hyperspatial est enclenché, c’est impossible.

— Donc c’est le Gardien qu’il faut dégager du chemin. Le truc, c’est qu’un vaisseau blindé de Lokis va partir on ne sait où… À moins qu’on ne le nettoie avant.

— Ratchet, il y a plusieurs milliers de personnes possédées à bord de ce vaisseau. Même toi, tu…

— Qui a parlé de moi ? Avec Aphélion, tu peux extraire les parasites dix fois plus vite ! Moi, je fonce sur le Gardien pour le bouger de là.

— Ton plan est pertinent, répondit Clank en secouant la tête, mais tu oublies deux choses : premièrement, Aphélion est trop endommagée pour se transformer à nouveau, c’est tout juste si elle peut voler…

— Tu as ton Chronosceptre, non ?

— … Deuxièmement, tout est figé dans le temps autour de nous, y compris les flux de gélatonium du Gardien et les électrons qui transmettent les commandes. Mais tu as raison, le problème d’Aphélion peut se régler aisément.

— Tu ne peux pas « dégeler » le vaisseau ?

— L’univers ne peut pas avancer sans la Grande Horloge.


Désespéré, Ratchet leva les bras en signe d’impuissance et s’avachit au fond de son siège. Ils ne pouvaient pas sauver deux cuirassés à la seule force de leurs bras !

— Il nous faut plus de mains, murmura le Lombax.

— Bien sûr, mais tous les Zonis sont occupés à…

Clank se tut soudainement. Intrigué, Ratchet fixa son ami, et crut déceler une étincelle dans ses yeux verts.

— … À réguler les boucles temporelles créées par l’arrêt d’urgence.

— Toi, tu as trouvé quelque chose.

— C’est possible. Je dois aller sur le Gardien.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Faire venir plus de mains !


Le petit robot s’échappa par la brèche dans la verrière du vaisseau, frappa le châssis d’Aphélion de son Chronosceptre, et déploya ses Ailorobots pour se propulser en direction du vaisseau amiral.

— Essaie de t’occuper des Lokis, dit-il par radio au Lombax resté en plan. Je me charge de libérer le passage.


Un rire jaune secoua la poitrine de Ratchet. Le Lombax avait-il pour habitude de prendre les devants sans prévenir ses amis ?

« À la réflexion, peut-être. »

— Tu comptes me dire ce que tu as en tête ? l’interrogea-t-il en reprenant les commandes d’Aphélion, à nouveau comme neuve.

— Navré, mais c’est un secret.

— Tu sais que toutes les fois où on s’est caché quelque chose, ça a fini par nous retomber sur le coin de la figure ?

— Cette fois-ci, tu devras me faire confiance.

— Sans blague ! Si le Gardien ne bouge pas, je finirai en touffe de poils éparpillée aux quatre coins de la galaxie.


Clank passa derrière un astéroïde, et le Lombax se dirigea vers le cuirassé, non sans pousser un soupir exaspéré.

— Il doit y avoir plus de six mille Lokis là-dedans, grogna-t-il en affichant le plan de l’énorme vaisseau. Comment veut-il que je m’en occupe tout seul ?

— Vous n’êtes pas seul ! rétorqua la voix chantante d’Aphélion. Clank a peut-être oublié de mentionner, mais mon châssis peut s’adapter à la morphologie lombax lorsque je change de configuration.

— Je te rappelle qu’il ne m’avait même pas dit que tu pouvais te transformer !

— C’était la volonté de Susie Binklemeyer.

— C’est une gamine !

— Elle a dit aimer les surprises. Nous approchons du sas, dois-je vous fournir les instructions du mode d’assaut terrestre ?

— Tu penses qu’on peut éliminer combien de Lokis à la minute ?

— Calcul en cours… Dans des conditions optimales, et en prenant en compte la configuration structurelle du vaisseau, je pense pouvoir neutraliser cent-vingt Lokis par minute.

— Oh… On va faire comme ça, alors.


Les boucliers du cuirassé avaient été détruits peu de temps avant de sauter en hyperespace. Sa coque fumait en plusieurs endroits, mais il ne semblait pas y avoir de brèche. Cela n’était pas un problème durant l’arrêt temporel, mais une dépressurisation était déconseillée en hyperespace… Pourtant, ils n’avaient pas d’autre façon d’entrer dans le hangar, et il faudrait compter sur le déploiement automatique des barrières atmosphériques. Une torpille bien placée eut raison du blindage, et Ratchet s’engouffra dans le cuirassé.

Il ne rencontra pas de résistance en pénétrant dans le hangar. Une partie de lui craignait que les parasites aient résisté à la suspension et ne l’attendent de pied ferme, mais les civils possédés étaient figés comme le reste de l’univers.

Aphélion se transforma avant même que le Lombax ne termine l’atterrissage, ses centaines de composants s’articulant pour former une armure culminant à plus de quatre mètres.

« Pourvu qu’ils ne se soient pas cachés dans les conduits », songea-t-il alors que les capteurs d’Aphélion reconstituaient son environnement sur la face interne du casque intégral.

Devant lui se trouvait une galerie des glaces : des centaines de Lokis, plus immobiles que des statues. Les visages de leurs hôtes étaient effroyablement neutres, quand on savait qu’ils se dirigeaient tous vers la mort à la vitesse de la lumière. Ne faisaient-ils vraiment aucun cas de leur existence ?

« Tant mieux, je n’ai pas de temps à perdre. »

— Aphélion, mettons-nous au travail.

— Activation des systèmes offensifs.


Trente-deux extracteurs jaillirent de ses avant-bras, chacun se verrouillant sur une cible différente. Ratchet resserra violemment les omoplates, ramenant ses mains en arrière, et faillit perdre l’équilibre, surpris par la vélocité de ses membres mécaniques. Les parasites arrachés à leurs hôtes se figèrent dans les airs à la seconde où les vrilles dorées les relâchèrent : sans influence externe, le temps ne pouvait faire agir la gravité.

Deux tourelles surmontées de Disques Ravageurs se déployèrent au-dessus de ses épaules et lancèrent une volée d’étoiles tranchantes, entraînant les corps immobiles des Lokis dans leur sillage. À vitesse réelle, ils auraient été fauchés en plein vol.

Le radar de Ratchet lui confirma l’élimination des cibles, et le Lombax passa aussitôt aux suivantes. Manœuvrant avec précaution pour éviter de bousculer les civils fraîchement libérés, il fut surpris par la précision et la fluidité de ses mouvements.

— Quel genre de servomoteurs Clank a installé ? Je sens à peine le poids de l’armure !

— Je suis déjà une hybride de technologie lombax et zoni, répondit Aphélion. Ces composants sont du même acabit.

— Fantastique, grogna Ratchet, un rictus vengeur aux lèvres. Faisons-leur payer.


Les uns après les autres, les rangs des Lokis tombèrent. Se frayant un chemin dans le hangar, le Lombax déploya ses tourelles plasmo-mitrail : les ennemis n’avaient littéralement pas le temps de déployer leurs barrières psioniques, et furent décimés par les rafales d’énergie.

Il ne perdait pas un instant, ne serait-ce que pour consulter son radar : Aphélion le faisait pour lui. Même en exterminant des parasites par dizaines, il n’était pas sûr d’avoir le temps de nettoyer le vaisseau. Lorsqu’il parvint à la sortie, il se retourna pour vérifier qu’aucune cible ne lui avait échappé, et se retrouva face à une foule immense. Concentré comme il était, il n’avait pas réalisé que la majorité des Lokis était concentrée dans le hangar, attendant d’être débarquée.

— Wow… Il y en avait combien ici ?

— Presque quatre mille. En retirant la cargaison et les appareils de combat, ils ont pu gagner suffisamment de place dans le hangar.

— Combien de temps nous reste-il ?

— Moins de trente minutes.

— Bon sang… le reste doit être dispersé pour faire fonctionner le bâtiment. Allons-y.


Arrachant une porte blindée à la seule force de ses bras mécaniques, il suivit l’itinéraire jusqu’aux systèmes de survie au pas de course, arrachant des morceaux du sol et des gerbes d’étincelles à chaque enjambée. Heureusement pour eux, les Markaziens concevaient des coursives assez larges, pour que mêmes les Agoriens les plus lourdement armés puissent circuler.

Nettoyer les zones de machineries s’avéra autrement plus difficile : les conduits étroits étaient légion, et l’armure ne pouvait pas emprunter certains passages sans enfoncer les nombreux tuyaux et passerelles qui sillonnaient les espaces de maintenance. Dans ces cas-là, Ratchet devait sortir d’Aphélion pour aller s’occuper de l’ennemi lui-même. Chacune de ces manœuvres leur faisaient perdre un temps précieux…


— Il ne reste plus que la passerelle, affirma le Lombax, essoufflé par le marathon qu’il venait d’accomplir dans tous les recoins du cuirassé. Où en est l’Horloge ?

— Plus que cinq minutes.

— On n’aura pas le temps d’y aller à pied. Tu peux calculer une trajectoire sans personne sur le chemin ?

— C’est en cours. Prenez sur votre droite.

— Il y a un mur à droite.

— Vous avez demandé une trajectoire.


Ratchet acquiesça et se mit en position de départ, les genoux fléchis. Puis, il inspira un grand coup et fonça droit devant lui. Grâce aux réacteurs d’Aphélion dans son dos et au blindage de l’armure, il traversa la cloison comme un mur de fumée, le métal déchiré éraflant à peine la peinture du vaisseau lombax. Il parcourut ainsi une centaine de mètres, creusant un long tunnel à travers le vaisseau. Cela allait sûrement poser des problèmes à l’avenir, mais c’était toujours mieux que de finir en poussière d’atomes.

— Euh, Aphélion, interpella le Lombax en traversant une nouvelle cloison. Tu es sûre qu’on se dirige vers la passerelle ?

— Certaine. Arrêtez-vous !


Ratchet pila net, surpris une nouvelle fois qu’une telle masse de métal puisse autant contrer sa propre inertie.

— Il y a un sas à dix heures.

— Cette armure peut se déplacer dans l’espace ?

— Je suis un vaisseau ! s’écria l’IA d’une voix indignée.

— C’est vrai, désolé.


Il dut s’accroupir pour passer la porte blindée, ce sas étant réservé au personnel à pied. Son regard se posa sur le clavier de commandes, puis sur son énorme main. Autant essayer de manipuler une fourchette entre ses orteils.

— La porte intérieure est résistante ? demanda le Lombax en pointant son canon vers le sas externe.

— Assez pour supporter un passage en hyperespace.

— Parfait.


Ratchet tira, et la porte explosa en éclats rougeoyants. La dépressurisation les attira à l’extérieur du cuirassé, et Aphélion activa ses propulseurs pour se diriger jusqu’au-dessus de la passerelle.

— Montre-moi le sas le plus proche.

— J’ai peur qu’il n’y en ait pas de suffisamment large pour nous deux. Je dois vous faire passer à travers la coque.

— Tu débloques ! La passerelle n’a pas les boucliers automatiques du hangar, si on crée une brèche ici…

— Je peux la colmater. En me plaçant « à plat ventre » sur le toit, je peux vous déposer à l’intérieur tout en maintenant la pression de l’air.

— Et le saut en hyperespace ? Tu vas être éjectée !

— Mes verrous magnétiques devraient me maintenir fixée sur la coque. Nous n’avons plus beaucoup de temps.


Ratchet secoua la tête. Si les verrous d’Aphélion lâchaient, la passerelle allait se vider de son air sitôt le cours du temps rétabli… et surtout, le vaisseau lombax risquait d’être détruit !

Il jeta un coup d’œil au décompte : moins de deux minutes.

— Ça ne me plaît pas, mais on n’a plus le choix. Fais-moi entrer, et accroche-toi bien.


Aphélion déploya la pince à protons, et un intense rayon découpa la coque du cuirassé, les étincelles se figeant dans le vide, à peine arrachées du blindage. Le vaisseau s’approcha du rectangle incandescent et s’arrima fermement à la surface métallique. Ratchet ferma son casque et sortit de l’armure, défonçant le morceau de coque d’un coup de pied.

La gravité artificielle du cuirassé étant suspendue dans le temps, le Lombax dût se glisser à travers la brèche en zéro-g. Heureusement, son armure était munie de micro-réacteurs, et il entra dans la passerelle de commandement, armes aux poings.

Son détecteur signala la présence d’une soixantaine de Lokis, dispersés aux quatre coins de la salle. Ratchet s’élança sur le premier, l’extrayant de son hôte d’un coup sec avant de l’achever d’un coup de clé. Le mouvement se répéta sur le second, puis sur les dix suivants. Impulsion, extraction, exécution.

Alors qu’il abattait le parasite ayant pris possession du pilote d’une balle de plasma, son regard s’attarda sur les écrans. L’interface de contrôle de saut indiquait que la destination se trouvait à peine une dizaine de kilomètres plus loin. Ils avaient choisi une distance minimale pour un temps de calcul plus court, sachant qu’ils seraient vaporisés à l’impact.

— Clank, tu me reçois ? Où en es-tu ?


La radio resta silencieuse. Pourtant, son ami s’était assuré de l’immuniser contre les effets temporels. Par la verrière, il s’aperçut que le Gardien n’avait pas bougé d’un pouce. Le décompte indiquait moins d’une minute.

« Fais-lui confiance ».


Martelant cet ordre dans son crâne, Ratchet fonça s’occuper des derniers Lokis, à bout de souffle. Il en restait beaucoup trop…

Mais il frappa sans s’arrêter. Encore vingt Lokis. Plus que dix. Les secondes s’égrenaient. Plus que cinq !

La clé du Lombax se coinça dans la mâchoire d’une créature spectrale. Trois secondes. Il lâcha son arme et se jeta sur le dernier ennemi, arrachant le parasite en le tirant vers lui.

Le chronomètre arriva à son terme.

Une vive lumière bleue envahit la passerelle, et Ratchet eut un instant l’impression d’être plongé sous un océan. L’accélération le propulsa en arrière, l’espace se contractant à l’infini au-delà de la proue du cuirassé. L’image du Gardien se noya dans la lentille gravitationnelle, et le Lombax ferma les yeux. Une déflagration lui vrilla les tympans, et il fut tout à coup projeté en avant, l’accélération s’inversant brutalement.

Sonné, il se releva lentement, puis retomba à genoux. Sa tête tournait. D’où venait ce bruit ? Une poussière mauve tourbillonna devant son regard troublé. Les Lokis… l’explosion devait provenir des parasites, se désintégrant tous exactement en même temps. Il sentait une surface dure sous ses mains. Le cuirassé n’avait pas explosé ? Était-il en vie ?

Plusieurs plaintes et gémissements vinrent démanger ses oreilles, et il regarda autour de lui, retrouvant lentement la vue. Les occupants de la passerelle, au moins aussi étourdis que lui, reprenaient leurs esprits. Le choc avait dû en blesser plusieurs…


Soudain, une lueur dans le coin de l’œil l’interpella. Alors qu’une silhouette spectrale se jetait sur lui, il comprit : le dernier Loki ! Il n’avait pas eu le temps de l’achever !

Le Lombax se débattit, mais une sensation atrocement familière se répandit en lui, un froid mordant ses muscles et le moindre de ses nerfs. Le parasite était en train de prendre possession de son corps. Sa main remua faiblement, à la recherche de sa clé…

Et il sentit soudain que le Loki était arraché à sa poitrine. Au prix d’un effort titanesque, il parvint à tourner la tête, et vit sa clé s’abattre sur le parasite à plusieurs reprises, chaque coup plus violent que le précédent, jusqu’à-ce que la créature succombe dans un nuage de poussière. Plusieurs mains le saisirent délicatement, et un visage flou se planta devant lui.

— Ça va aller, Monsieur ?


Ratchet secoua la tête pour se débarrasser des miasmes Lokis encombrant son esprit, et sa vision s’éclaircit vaguement. Un jeune Markazien l’observait. Il ne devait pas être plus âgé que Susie.

— Ça va, souffla-t-il. Merci.


Il essaya de se relever, mais son corps était plus engourdi qu’il le croyait, et il perdit l’équilibre. Les civils rassemblés autour de lui le rattrapèrent avant qu’il ne tombe face contre terre.

— Vous devriez rester couché, dit une femme. Nous allons chercher de quoi vous soigner.

— Non, rétorqua le Lombax d’une voix enrouée. La radio… Je dois accéder aux communications.


La Markazienne obtempéra, et s’aida d’un autre civil pour le porter jusqu’à la barre du vaisseau.

— Nous sommes sur un cuirassé markazien. Il y a plus de six mille civils aussi perdus que vous. Certains sont peut-être blessés.

— On s’en occupe, le rassura-t-elle.


Elle fit un signe de tête à un groupe proche, qui quitta la passerelle au pas de course. Ils croisèrent un autre civil, qui revenait avec une trousse de soins. Ratchet refusa qu’on s’occupe de lui et pointa les autres blessés, et s’appuya comme il pouvait contre le pupitre de commandement. Il se sentait faible. Était-ce le Loki qui avait siphonné son énergie, ou était-il vraiment à bout de forces ?

— Ici Ratchet, déclara-t-il péniblement en allumant la radio. Clank ? Ziering ? Quelqu’un me reçoit ?


***


L’Amiral Ziering croyait avoir la berlue : pendant un instant, il était certain d’avoir aperçu des dizaines de fantômes ressemblant à Clank, éparpillés sur la passerelle. Le choc qui avait suivi l’avait empêché d’en référer au reste de l’équipage, et il cherchait à présent à comprendre ce qu’il se passait.

— Au rapport ! beugla-t-il pour couvrir le vacarme. Où est passé ce cuirassé ?

— Il semblerait qu’ils soient entrés en hyperespace juste avant de nous percuter, répondit un officier aux senseurs.

— La distance était bien trop courte !

— Affirmatif. Je ne sais pas…

— Amiral, l’interrompit un autre chargé de la propulsion, le Gardien s’est déplacé hors de leur trajectoire !

— Quand cela ?

— À l’instant… La salle des machines relève une sorte de surcadençage des moteurs, un pic de moins d’une seconde.

— Est-ce que quelqu’un sur cette passerelle pourrait m’expliquer ce qui se passe ?

— Je pense pouvoir, Amiral.


La voix venait de derrière lui, mais Ziering n’avait pas besoin de se retourner pour la reconnaître :

— Clank ? Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Ce serait long à expliquer, et la procédure est confidentielle, mais Ratchet et moi avons déplacé le Gardien.

— Mais comment… Non, laissez tomber. Où est Ratchet ?

— Sur le cuirassé Loki.

— Monsieur, vaisseau ennemi détecté en trois-cinq !

— Retenez le feu ! ordonna l’amiral. Ouvrez un canal vers ce cuirassé. Que fait-il sur ce bâtiment ? interrogea-t-il le petit robot.

— Ratchet l’a abordé seul pour éliminer tous les parasites.

— Seul ? répéta Ziering, éberlué. Et il a réussi ?

— Je l’espère de tout cœur. Le contact a été coupé.

— Nous allons bientôt le savoir. Ici le Gardien, nous recevez-vous ?


Pendant plusieurs secondes interminables, tous furent suspendus au bruit statique émanant de la radio. Puis, les haut-parleurs grésillèrent et une voix familière en émergea, illuminant le visage du robot.

— Ici Ratchet. Clank ? Ziering ? Quelqu’un me reçoit ?

— Liaison établie, répondit le Markazien en activant la transmission vidéo. Quoi que votre ami et vous aient fait, vous avez sauvé le Gardien.

— Il n’y a pas eu de pertes ? s’enquit le Lombax d’une voix enrouée. Ziering remarqua alors à quel point il avait l’air épuisé. Quelqu’un le soutenait pour l’empêcher de tomber.

— Aucune à déplorer.

— Tant mieux, souffla-t-il en fermant les yeux.

— Ratchet, tout va bien ? demanda Clank, visiblement inquiet.

— Il y avait six mille Lokis sur ce vaisseau. Ça fait… beaucoup. Je suis juste un peu essoufflé.


Ziering jeta un œil dans le coin de l’écran. Les vaisseaux Lokis restants se rassemblaient, et le reste de sa flotte semblait ne pas avoir compris les événements récents.

— Clank, je vous fais confiance pour vous occuper de ce cuirassé. J’ai à faire avec ceux qui restent.

— À vos ordres.


L’amiral bascula la communication aux autres navires.

— Vous avez vu ce dont notre ennemi est capable ! Le Gardien a survécu par miracle, mais n’espérez pas qu’il se reproduise ! Que tous les vaisseaux se dispersent et engagent les Lokis à courte portée. Pas un seul d’entre eux ne doit sauter un hyperespace ! Déployez toutes nos armes de destruction massive, et pas de quartier ! Maintenant, c’est eux ou nous !


Les énormes réacteurs du vaisseau amiral se rallumèrent, bientôt suivis de dizaines d’autres, et la flotte s'ébranla pour l’assaut décisif. Rapidement, le calme relatif laissé par l’attaque kamikaze des Lokis se dissipa sous le tourbillon de feu et de métal embrasant une dernière fois la nébuleuse de l’Abysse.

— Ratchet, Clank, où en êtes-vous ? demanda Ziering entre deux salves.

— Le cuirassé sera bientôt sécurisé, répondit le Lombax. Vous devez envoyer une équipe pour en prendre le contrôle et l’emmener au point de ralliement.

— Non, Ratchet, refusa son ami. Reste sur ce vaisseau et conduis-le à bon port.

— Je peux encore combattre ! Je n’ai qu’à reprendre Aphélion et…

— Tu n’es pas en état, affirma le robot aux yeux verts. Personne n’est inépuisable, et tu viens d’affronter tout un cuirassé.

— J’avais de l’aide.

— Ratchet… Ne discute pas, s’il-te-plaît. Fais-moi confiance, nous rentrerons sains et saufs. Toutes ces personnes comptent sur toi pour les emmener loin d’ici.

Le Lombax détourna le regard et se mordit la joue, mais garda le silence. Ziering connaissait ce sentiment : être écarté du combat quand on ne rêve que d’y retourner, et l’impression d’abandonner ses camarades. Le Markazien était partagé : Ratchet et Clank étaient sans conteste ses meilleurs atouts. Mais pour cette même raison, il devait se fier au jugement du robot : si son ami était à bout de forces, il ne pouvait pas le laisser continuer.

— Ratchet, vous prenez le commandement du cuirassé jusqu’à son arrivée au point de ralliement. C’est un ordre.

— … Bien, Amiral.


Avant de couper le contact, Ratchet échangea un regard avec Clank. Ils n’avaient besoin d’aucun mot pour que le message traverse l’espace.


Lorsque le cuirassé disparut dans un flash doré, Ziering serra les dents. Il avait maintenant une promesse à tenir.


***


L’espace enfla et les recracha à plus d’un mètre du sol. Surpris par la gravité, Harlan poussa un juron et s’écrasa lamentablement.

— Juste quand on croit s’habituer à vos tours de magie, grogna-t-il en se relevant, vous nous infligez ça.

— Au moins, observa Blaze, c’est de la moquette.


Vendra flotta doucement vers eux, ignorant leurs plaintes.

— Où est Pollyx ?

— Je doute que ce cher monsieur ait insisté pour rester dans son bureau pendant que sa tour s’effondrait, répondit le robot.

— Pourtant, fit Harlan en observant l’auguste pièce, c’est le grand confort ici. Blaze, vous êtes sûr que le signal provenait de là ?

— Exact. Une clé d’activation est arrivée depuis l’extérieur, probablement de l’endroit où se cache Pollyx.

— Si la procédure est gérée depuis son ordinateur personnel, il doit contenir toutes les infos qu’on cherche.

— Qu’attendons-nous ? demanda Vendra.

— Vous avez raison, répondit Blaze. Miss Prog, vous devriez vous occuper de cette « ancre Loki ». Plus vite vous en serez débarrassée, mieux ce sera.


L’intéressée opina du chef et s’assit en tailleur sur les marches menant au bureau. Harlan s’accroupit devant la table tactile – les Terachnoïdes ne s’asseyaient jamais – et entreprit d’accéder au réseau. Blaze le regarda faire quelques instants, perdu dans ses pensées. Un « crible dimensionnel… »

Harlan n’en avait jamais entendu parler. Comme tout ce qui touchait aux manipulations dimensionnelles était prohibé depuis l’affaire du Voleur de Planètes, et que le signal provenait directement de Pollyx, Blaze soupçonnait ce dernier d’avoir conçu un appareil en cachette. La question était alors : sous quelle forme cela allait-il se manifester ?


Un gémissement provenant des marches l’interrompit : Vendra, les yeux fermés et le visage plissé comme lors d’un mauvais rêve, semblait à mi-chemin entre une souffrance intenable et une concentration extrême. Une veine palpitait sur son front, et ses ongles s’enfonçaient dans ses genoux.

Blaze faillit l’appeler, mais il se retint juste à temps : impossible de savoir ce qui se produirait. Il fit signe à Harlan de continuer son travail et observa la sœur Prog, prêt à intervenir.

Soudain, Vendra poussa un cri de douleur et décolla du sol, tirée par une main invisible. Elle grogna, les mains pressées contre ses tempes, puis ouvrit les yeux.

— Je n’y arrive pas, répondit-elle à la question silencieuse de Blaze.

— Quel est le problème ?

— Cette chose qu’ils ont planté dans ma tête… Ce n’est pas une aiguille, mais un harpon. Quand je tire dessus, j’ai l’impression d’arracher des lambeaux de mon esprit.

— Connaissant leurs méthodes, un truc aussi vicieux ne m’étonne pas. On peut peut-être vous aider ?

— Peut-être, hasarda Vendra. Si quelqu’un pouvait… Entrer dans mon esprit, il pourrait retirer l’ancre proprement.

— Vous voulez que j’entre là-dedans ? fit Blaze en pointant son front du doigt.

— Pas vous. Votre esprit est artificiel, il est comme invisible pour moi. Intangible. Si nous voulons que cela fonctionne, je dois accueillir un esprit organique.

— J’en connais bien un, mais je ne suis pas sûr que…

— Vous voulez que je fasse quoi ?


***


— C’est une très mauvaise idée, répéta le Cazar en s’agenouillant face à Vendra.

— Elle ne me plaît pas plus qu’à vous, rétorqua-t-elle en plantant ses pupilles fendues dans les siennes. Je ne vous fais toujours pas confiance. Si vous voulez partir, je suis sûre que ce téléporteur fonctionne encore.

— J’adorerais. Mais nous devons nettoyer le désordre qu’on a créé.

— Souvenez-vous de cela quand vous y serez. Je n’ai aucun moyen de vous préparer à ce que vous allez trouver.

— Évidemment, soupira Harlan en essuyant ses mains moites sur son pantalon. Vous… l’avez déjà fait ?

— Pas dans ce sens. Vous serez le second après les Lokis à visiter mon esprit… mais le premier à qui j’ouvre la porte. Restez concentré sur votre objectif, et vous trouverez le chemin.

— J’essaierai de ne rien casser. Finissions-en vite.


Vendra hocha la tête et plaça délicatement ses mains sur le crâne du Cazar, les pouces appuyés contre ses tempes. Les deux fermèrent les yeux, et leurs respirations devinrent doucement synchrones.

Blaze s’assura qu’ils restaient immobiles, puis revint derrière le bureau de Pollyx. Harlan avait redémarré l’ordinateur, mais le patron l’avait verrouillé avant de quitter l’immeuble. Le robot fronça le sourcil et s’attaqua à la sécurité, espérant trouver un moyen de contourner les autorisations…

— Où est-ce que vous vous croyez ? l’interrompit une voix croassante.


Une fenêtre recouvrit l’écran, affichant le visage d’un Terachnoïde, aux yeux enfoncés dans ses orbites, l’un d’eux équipé d’un monocle semblable à une lentille de microscope. Une coiffe de capteurs neuronaux couvrait son énorme crâne, s’illuminant au rythme de ses pensées.

— Pollyx, constata Blaze. Vous tombez à pic. Je présume que votre sécurité automatique a bloqué le terminal ?

— Parfait pour nous protéger des fouineurs comme vous !

— Je ne suis pas là pour fouiner, mais pour nous débarrasser des Lokis.

— Vraiment ? Vous n’êtes pas un parasite, observa Pollyx en le scrutant de près. Vous portez l’insigne des Forces Défensives ! C’est vous, la cause de ce chaos ! Avez-vous la moindre idée des risques encourus en envoyant une navette ici sans même me prévenir ?

— Votre rôle était de sécuriser la zone de stockage des fragments ! l’accusa Blaze en jouant le jeu. Nous avions pour mission d’intercepter des terroristes infiltrés dans votre tour !

— Des terroristes, vous dites ? répéta le Terachnoïde, pris au dépourvu.

— Exact. Nous sommes arrivés trop tard pour les intercepter, et ils ont eu le temps de libérer les Lokis. Mon escouade s’est fait décimer, et…

— N’étiez-vous pas équipés pour remédier à ce genre de situation ?

— J’allais y venir. L’un des Lokis semble plus puissant que les autres, j’ai l’impression que c’est une sorte de meneur.

— Vous l’avez-vu ? Dans combien de temps pourra-t-il détruire la Cloche ?

— Pourquoi cette question ?

— Répondez, le temps presse.

— Je dirais… une dizaine de minutes, tout au plus.


Il en jugeait par la puissance de Vendra. En réalité, Blaze n’avait aucune idée de l’étendue des pouvoirs du gros Loki. Mais comme le bouclier était encore debout, il pouvait espérer…

Pollyx poussa un soupir de soulagement.

— Bien, bien, gloussa-t-il. Tout sera fini d’ici là.

— Vous parlez du « crible dimensionnel » ? présuma Blaze. Nous avons intercepté votre signal, c’est pour ça que je suis ici. De quoi s’agit-il ?

— C’est top-secret.

— Je me fiche de ce qui est top-secret ! explosa le robot. Vous ne parlez pas à un de vos employés, mais à la main armée du gouvernement ! Et j’exige de savoir ce que vous trafiquez, pour la protection de tous ceux coincés dans cette tour !

— J’ai peur d’être mieux informé que vous. D’après mes senseurs, il ne reste plus que vous, et les deux autres personnes dans ce bureau. Tout le reste est tombé sous le contrôle des Lokis. Mais pas d’inquiétude : dès que le crible sera passé, des renforts viendront vous chercher.

— Dites-moi ce que c'est immédiatement, ordonna Blaze en s’appuyant sur la table, comme pour plaquer le Terachnoïde.

— Ma foi, pourquoi pas, répondit Pollyx en haussant les épaules, avant d’afficher un air nettement plus grave. J’ai le plein contrôle du processus. Le Crible est un générateur de faille dimensionnelle, caché au pied du bâtiment.

— Je pensais que ce genre de dispositif était interdit.

— Ils le sont. J’ai contribué au vote de cette loi.

— Ravi de voir que vous la respectez.

— À problème désespéré, solution désespérée. Nous avons commencé sa conception après avoir été chargés par le gouvernement de stocker et étudier les fragments de Toranux.

— Pourquoi ne pas l’avoir fait dans une station spatiale, au fond de la galaxie ?

— L’espace est moins grand qu’on ne le croit. Dans une station, même défendue, les Lokis allaient forcément réussir à s’échapper. Nous en savions trop peu sur eux pour nous permettre d’isoler des parasites avec des hôtes potentiels.

— Et vous avez choisi une planète entière ? J’ai du mal à suivre votre logique.

— Compte tenu de nos informations, cette solution présentait plus d’avantages. Si les Lokis devaient forcément s’échapper, l’entièreté des défenses de Terachnos était bien plus à même de les stopper qu’un simple bataillon. Nous pouvions mener nos recherches à large échelle, sans délais de transmission, et retransmettre à toute la galaxie grâce à nos antennes interstellaires.

— Vous avez donc mis en danger Axiom City seulement pour atteindre une meilleure productivité ? On croirait entendre un Grumin.

— Ne m’insultez pas. J’étais conscient du danger, et nous avons mis au point un système de défense.

— Comment diable en êtes-vous venus à un portail dimensionnel ?

— Nous avons envisagé plusieurs options… Comment se débarrasser du virus sans mettre l’hôte en danger ? Champ de stase cryogénique, impulsions protomorphiques…

— Et le « crible » ?

— C’était la solution idéale. La technologie lombax mêlée aux travaux de Croïd et Binklemeyer. Des messieurs tout à fait brillants.


Pollyx se pencha vers la caméra, une lueur d’excitation dans le regard.

— Un filtre à énergie protomorphique, calibré sur la signature des Lokis. La faille balaye toute la hauteur de l’immeuble, exilant tous les Lokis dans une autre dimension… sans échappatoire grâce à la Cloche, et sans remuer le moindre atome du bâtiment, ou de ses occupants. Cependant, une forte empreinte gravitationnelle est nécessaire pour stabiliser le portail. Celle d’une planète, par exemple.

— Ça semble trop beau, répondit Blaze, sceptique. Comment avez-vous développé un truc pareil en quelques semaines à peine ?

— Ce n’est que la combinaison de technologies existantes. L’extraction des Lokis était déjà au point, et j’avais moi-même conçu un Dimensionnateur sous la menace des Prog, fonctionnel bien qu’imparfait. Il a suffi de le calibrer pour une unique dimension, et le plus gros était fait.

— Et où mène ce portail ?

— Je vous l’ai dit : cette technologie est basée sur mes précédents travaux. Mon Dimensionnateur était conçu pour communiquer avec le Nétherverse, et c’est là que je vais envoyer les Lokis.

— Attendez une seconde. Vous allez ouvrir la porte aux Néthers ? Avez-vous conscience…

— Des risques ? le coupa Pollyx. Bien sûr. C’est un portail à sens unique : les Lokis n’auront d’autre issue que de se faire exterminer par des monstres encore plus féroces. C’en est presque drôle !

— Ça n’a rien d’amusant, marmonna Blaze.


Il avait un très mauvais pressentiment. En dehors du fait que tout ce qui touchait aux voyages dimensionnels s’était rarement prouvé une excellente solution par le passé, cette histoire de filtre à Lokis ne le séduisait pas le moins du monde. De plus, Vendra et Neftin venaient du Nétherverse ! Qui savait comment le portail allait réagir à leur contact ?

— À quel point êtes-vous sûr que ce crible affectera uniquement les parasites ?

— Nous avons mené des milliers de simulations, expliqua Pollyx comme s’il s’agissait d’une évidence. Nos tests ont confirmé un taux de réussite presque total.

— Des simulations ? s’exclama Blaze. Dites-moi que c’est une blague ?

— Nous n’allions pas prendre le risque d’effectuer des tests sur nos concitoyens.

— C’est exactement ce que vous vous apprêtez à faire ! Vous devez tout annuler.

— Vous avez une meilleure solution, peut-être ?

— Pas encore, mais il est hors de question d’exposer la planète à un danger pareil !

— Je crains que vous n’ayez pas le choix, répliqua le Terachnoïde en secouant la tête. Je contrôle le dispositif. Vous n’avez qu’à vous asseoir, et attendre que cela passe. Tout sera fini dans quelques minutes.

— Pollyx, je vous préviens !

— Champ de confinement en place, téléporteurs désactivés. Enclenchement de la procédure. Vous me remercierez plus tard.


L’écran s’éteignit, et Blaze abattit son poing de rage, brisant l’affichage high-tech. Vendra et Harlan n’avaient pas bougé. Le trio n’avait servi à rien dans l’évacuation des civils. En fait, ils n’avaient même pas essayé, trop occupés à assurer leur propre survie. Et maintenant, ils étaient à la merci d’un appareil expérimental qui pourrait bien tous les tuer, voire pire. Le robot regarda autour de lui, son regard s’attardant sur les ondulations bleutées du bouclier, et jura à pleine voix.


***


Harlan sentit quelque chose de chaud et spongieux sous ses pieds. Dans le noir complet, son esprit lui imposa aussitôt l’image d’une langue énorme menant droit au gosier d’un monstre. Le Cazar ferma les yeux et baissa lentement la tête, les épaules serrées, s'attendant au pire. Lorsqu’il écarta à nouveau les paupières, une faible lumière éclairait les alentours. Il se tenait sur une surface cristalline, embrumée de volutes de vapeur telle un bloc de glace sorti à l’air libre. Le sol était toujours chaud, mais avait perdu sa consistance pâteuse. Il se rendit alors compte qu’il était pieds nus. Lorsqu’il releva le regard, ils s’enfoncèrent à nouveau.

La lumière se diffusait sur les parois cylindriques d’une sorte de caverne, sans que Harlan ne puisse déterminer sa provenance. Un léger courant tiède soufflait dans son pelage. Il eut la fort désagréable impression de se trouver dans un système digestif.

« Calme-toi, se dit-il. Ce n’est certainement pas la chose la plus étrange qui te soit arrivée, pas vrai ? »

Rien n’était moins sûr.

— Vendra ? appela-t-il dans les profondeurs obscures du tunnel. Vous m’entendez ?


Seul son écho lui répondit.

— Génial, soupira-t-il. Je vais continuer à parler, si ça ne vous dérange pas. Et si vous m’entendez dans votre tête…

Harlan fit quelques tours sur lui-même. Une partie de lui le poussait à avancer, l’autre lui interdisait de faire le moindre pas dans ce boyau.

— Bon. En admettant que je sois bien dans votre esprit – ce qui ne me surprendrais pas, vu à quel point c’est accueillant, cette ancre loki doit se trouver quelque part. Vous pourriez peut-être m’indiquer le chemin ?


« Ça valait le coup de demander », songea-t-il lorsque le silence lui renvoya ses paroles.

Une goutte de transpiration mouilla le contour de son œil. Le courant soufflait toujours doucement, et bien que la chaleur ne soit pas pénible, l’air était lourd.

« Le corps émet de la fièvre pour se combattre un corps étranger. L’infection se trouve peut-être à la source… »


Sans autre conviction, Harlan décida de tenter le coup. Mais alors qu’il levait la jambe pour avancer, son pied décolla du sol, et il monta jusqu’à s’écraser mollement sur le plafond du boyau.

— En zéro-g ? s’exclama-t-il. Sérieusement, Vendra ?


Au moins, il ne sentait pas la nausée liée au flottement de ses organes. Mais sans microréacteurs, il allait devoir se déplacer en s’appuyant sur les parois. Avec leur forme cylindrique, il n’allait pas tarder à perdre ses repères.

Le Cazar gesticula jusqu’à se retrouver face à la surface cristalline, à l’apparence redevenue solide dès qu’il eut posé les yeux dessus. Le courait d’air soufflait par au-dessus, lui chatouillant la pointe des oreilles. Il tendit les mains, à la recherche d’une quelconque prise, et remarqua soudain que la paroi suintait.

De fines gouttes se formaient à sa surface, parsemées le long du boyau. Elles descendaient, poussées par le souffle tiède. Intrigué, Harlan en effleura une. Le contact provoqua une minuscule décharge électrique, que son cerveau interpréta comme un son : un murmure lointain, d’une voix qui n’était pas la sienne. Surpris, il regarda son doigt, parfaitement sec. La goutte s’était évaporée.

« OK. Quoi que ce soit, mieux vaut éviter d’y toucher. »

Le Cazar trouva un espace apparemment lisse et posa sa main, essayant de se pousser vers le haut. De façon surprenante, le cristal était assez rugueux au toucher, presque adhérant. D’une simple pression des doigts, il put remonter le long du boyau.


Rapidement, la caverne se scinda en plusieurs embranchements. Heureusement, le courant d’air lui indiquait la direction, il lui semblait même qu’il s’intensifiait. Cependant, le chemin était long. En l’absence totale de repères et de sensation de fatigue, il était impossible à Harlan d’estimer le temps qu’il passait dans cet endroit.

Malgré ses efforts pour ne pas toucher les gouttes dispersées sur la paroi, il ne put toutes les éviter. Chaque contact déclenchait une réaction différente : un chuchotement, une couleur, parfois même des émotions. Harlan avait déduit que les souvenirs et les pensées de Vendra se cachaient derrière le cristal, et que la « fièvre » générée par l’infection loki les faisait « transpirer » à travers. Rien de tout cela n’était de très bon augure.

— Vendra ? Si vous m’entendez, ce sera pas mal que vous indiquiez…


Une soudaine lueur au fond d’un embranchement l’interrompit. Le courant d’air, désormais beaucoup plus chaud et rapide, provenait directement de là. La respiration du Cazar s'accéléra. Il touchait au but. Il déposa la main sur la paroi la plus proche pour se propulser, mais un choc l'ébranla, déversant un flot de micro-souvenirs dans son esprit. La sensation s'estompa en un instant, mais avait été suffisamment intense pour lui faire mal.

Harlan fixa le mur et se rendit compte qu'il était presque recouvert de gouttelettes. Là où sa main avait essuyé la surface, d'autres se formaient déjà.

« La chaleur a augmenté, et la fièvre a suivi. »

En réalisant que cela n'allait qu'empirer en se rapprochant de l'infection, la peur le saisit : et s'il absorbait trop de souvenirs ? Cela pouvait endommager son propre esprit !

Tout en prenant garde à ne rien toucher, il fouilla le boyau à la recherche d'une zone plus "propre". Il tourna en rond sur quelques mètres, et finit par perdre de vue le chemin qu'il avait emprunté pour venir. Il avait peut-être passé des heures à remonter le long du conduit. Et s'il devait revenir à son point de départ pour sortir de cet endroit ? Vendra ne lui avait pas expliqué comment faire...

L'obscurité sembla se refermer sur lui, ne laissant qu'une lumière mauve au loin, là où se trouvait son objectif.

Il commençait vraiment à haïr cette couleur.

— Vendra, je vais aller confronter cette chose. Si… Si vous le sentez, essayez de me faire remonter ensuite, d'accord ?


Le silence lui tordit l'estomac. Harlan inspira longuement, et positionna ses mains au-dessus du cristal humide. Plissant les yeux, il donna une ferme impulsion dans la paroi. Un torrent de bruit et de couleurs se déversa derrière ses paupières fermées, alors qu'il dérivait dans le vide en direction de la lumière. Le choc avait été moins violent qu'il le pensait.

« Ça devrait aller tant que je ne reste pas trop longtemps en contact. »

Le tunnel formait un virage plus loin. L'air était sensiblement plus lourd. Sans être brûlant, une migraine commençait à appuyer sur le crâne du Cazar, au pelage trempé de sueur. D'une pression du coude, il tourna et découvrit enfin la source de ses problèmes : une lance d'améthyste, profondément plantée dans l'esprit de Vendra. Aussi précise que fût sa silhouette, elle ne semblait pas faite de matière. Pourtant, l'entaille dans la surface cristalline était bien réelle. Le flux de chaleur s'échappait de la blessure, ainsi qu'un fluide incolore flottant autour sans se répandre loin en l'absence de gravité.


« Il faut retirer cette chose. Vendra avait parlé d’un harpon… »

Harlan connaissait ce genre de pointe. Sa famille conservait une ancienne tradition de chasse, datant de l’époque où les premiers colons de son clan s’étaient installés sur une planète sauvage. Les moteurs hyperspatiaux étaient alors beaucoup moins performants, et les cargos de ravitaillement automatisés pouvaient mettre des mois à arriver. Coupés de l’espace cazar, et avec des munitions technologiques limitées, ils s’étaient rabattus à des techniques de chasse plus rustiques. La coutume avait perduré, et sa famille lui avait enseigné la pêche au harpon barbelé dès le début de son adolescence. La simplicité du mécanisme l’avait fasciné : la forme de la pointe la faisait pénétrer profondément dans la chair, et tenter de la retirer ne faisait qu’aggraver la blessure.

On lui avait enseigné comment faire en cas d’accident, mais le problème sous ses yeux était autrement plus complexe. Pour commencer, il devait tester la résistance du harpon. Il se positionna face à la lance et saisit la hampe à deux mains. Le contact était étrangement solide. Plantant fermement ses pieds autour de l’entaille, en prenant garde à ne pas entrer en contact avec le liquide, il tira lentement vers le haut.

Une pulsation secoua alors le tunnel, et le fluide jaillit de la blessure. Harlan lâcha aussitôt prise et recula en poussant un cri de surprise. En quelques instants, le flux se tarit et le harpon se remit en place.

— Mauvais plan. Désolé, Vendra.


Il avait senti une forte résistance en tirant sur le manche, comme si la pointe s’était enlisée. Le liquide n’avait pas l’air dense, à quoi les barbelures pouvaient bien s’accrocher ? Il repassa en revue tout ce qu’on lui avait enseigné. Pousser sur la hampe pour faire traverser ? Il pouvait bien y avoir plusieurs mètres de liquide sous ses pieds. Utiliser une pince en capsule pour isoler la pointe ? Il n’y avait aucun outil en vue. Élargir l’entaille pour libérer le chemin de la pointe ? Sans pesanteur, une hémorragie était la pire chose possible.

Frustré, Harlan manqua de donner un coup de pied dans la hampe. Il était coincé ici, sans aucun indice !

— C’est de la flotte, bon sang ! s’écria-t-il face au harpon indifférent. Comment peux-tu te planter dans quoi que ce soit ?

Une goutte flotta devant son visage et s'écrasa contre son front. Une sensation de joie immense l'envahit, et il ne put s'empêcher d'éclater de rire.

— Des souvenirs…


Il n'était pas au bord du lac, en train de dépecer un poisson. Il était dans la tête de Vendra, et quelles que fussent les lois régissant cet endroit, elles n’étaient pas les mêmes que dans le monde réel. Si la mémoire de la sœur Prog était contenue dans ce liquide, elle avait donc une consistance physique. Alors, si Harlan pouvait toucher les souvenirs, rien n'empêchait un harpon de s'y accrocher…

— OK. Je dois déloger la pointe des souvenirs qui l’entourent. Ce qui veut dire… Que je dois plonger là-dedans.


Le Cazar soupira et ferma les yeux, espérant se réveiller, mais sans succès. Il était toujours coincé dans cet endroit lugubre, et tout son être lui scandait de s’éloigner de l’unique porte de sortie, sous ses yeux. Il s’approcha de l’entaille et appuya sur le sol, qui se déforma tel un comme du plastique fondu. Il devait pouvoir se glisser dans l’ouverture.

Son cœur, réalisant ce qu’il s’apprêtait à faire, se mit à battre à toute allure. Harlan se mit à genoux face au harpon, inspira un grand coup et plongea ses mains dans l’ouverture.

Un flot de sensations le traversa. Une terreur presque animale et une immense solitude accentuèrent l’angoisse qui lui tordait déjà les entrailles, et il faillit lâcher prise. Une série d’images, de sons et d’odeurs défilèrent devant lui.


Il se retrouva enfant, recroquevillé dans un coin sombre au sous-sol de l’orphelinat. Les enfants n’avaient pas le droit de venir ici, mais il s’en fichait. Au moins, les autres ne pourraient pas lui faire du mal ici. Mais tout seul, dans le noir, des formes étranges prenaient vie et essayaient de l’atteindre. Il replia ses petits pieds le plus près possible du mur. Si seulement Nef’ était ici, avec lui…

— N’aie pas peur, lui souffla soudain une voix. Elle était grave, et pesait sur ses oreilles. Les mots sonnaient comme une autre langue, mais il les comprenait.

— Qui est-là ? s’écria-t-il d’une voix chevrotante, n’osant bouger le moindre muscle.


Des étincelles violettes coururent le long de ses bras frêles, noircissant ses haillons. La présence était palpable. Dans les murs, dans sa tête. Elle était terrifiante, mais étrangement réconfortante.


Harlan rouvrit les yeux - les avait-il fermés ? Ces souvenirs n'étaient pas les siens. Son image s'était superposée à celle de Vendra, recevant la moindre sensation, la moindre émotion. Son esprit de nouveau clair, il s'aperçut qu'il était toujours à genoux, les mains remuant dans le fluide mémoriel. Il saisit le manche du harpon, et tâtonna pour trouver la pointe, sans succès. Elle devait être enfoncée plus profondément.

Ressortant un bras pour se pencher davantage, il tendit la main le plus loin possible. Sa conscience commença à dériver de nouveau…


— Ton frère n’est pas avec toi ?

— Nef’ ne sait pas que vous me parlez, répondit-il en fouillant dans les recoins crasseux de la cave.

— Tu comptes beaucoup pour lui, tu sais ?

— Oui. Mais il ne comprendrait pas.


Ses doigts finirent par trouver ce qu’ils cherchaient : une ouverture dans le mur, juste assez large pour qu’il s’y glisse. Il avait découvert ce passage quelques années auparavant, un tunnel communiquant avec le réseau de cavernes s’étendant sous l’orphelinat. Il y faisait trop sombre pour qu’il puisse y voir, mais depuis quelques temps, sa vision s’améliorait. Ses pupilles se contractaient de plus en plus dans l’obscurité, jusqu’à ressembler à deux fentes noires. Au début, cela l’avait émerveillé, mais cela ne le rendait que plus repoussant aux yeux des autres enfants.

Cependant, son nouvel ami l’encourageait à explorer ses dons. « Tu es spéciale », lui avait-il dit après leur première rencontre. « Nous pouvons nous entraider, toi et moi. »

Il descendit dans les cavernes, s’orientant grâce à la faible lumière des plantes luminescentes.

— Continue... Je sens une faille plus loin.

— Une faille ?

— Je vis dans un endroit éloigné du tien. Les failles nous rapprochent, et me permettent de t'atteindre, de te parler.

— Pourquoi vous voulez vous rapprocher ? demanda-t-il en se laissant glisser en bas d’un énorme rocher. Cette planète est nulle.

— Tu ne plais pas ici ?

— Non. Tout le monde est méchant avec nous.

— Tu t’es déjà demandé pourquoi ?

— Nef’ et moi, on est différents.


Il arriva au bord d’un précipice. Dénué de toute peur, il s’avança dans le vide, et se sentit soudain plus léger. Il avait appris à faire ça en escaladant le toit pour s’y cacher. Plus le temps passait, plus il arrivait à flotter longtemps. Ses pieds se posèrent doucement de l’autre côté du gouffre.

— Différents comment ?

— On est malades, je crois. Le docteur dit toujours des mots compliqués quand il vient nous voir.

— Il est méchant, lui aussi ?

— C’est pas pareil. Une fois, j’ai trouvé un enfant en train de regarder un oiseau mort. Il dépliait ses ailes pour regarder les plumes. Le docteur a les mêmes yeux. Je crois qu’on lui fait un peu peur aussi. Comme les autres.

— Sur ta gauche. Tu es proche…


Il tourna au coin d’un gros rocher en forme de doigt, et posa par mégarde le pied sur un nid de Moustioles. Une nuée d’insectes lumineux s’envola et vrombit autour de lui. Il secoua la tête et les mains pour s’en débarrasser. Agacés, ils refusèrent de partir, et l’un d’eux le piqua, provoquant une infime douleur. Par réflexe, son corps réagit et un éclair violet jaillit de ses doigts, grillant tous les insectes sur place. Il s’ébroua pour chasser les cadavres fumants de ses cheveux magenta, et continua, cette fois en surveillant sa marche. Une boule se forma dans sa gorge. Il n’aimait pas tuer, même les bestioles les plus infimes.

— Quand je fais ça à l’orphelinat, je suis privée de repas pour un jour, des fois plus. Vous allez me punir aussi ?

— Bien sûr que non. Tes dons sont fantastiques, Vendra !

— Vous trouvez ? renifla-t-il, peu convaincu. Vous êtes bien le seul. Même Nef’ a peur quand ça arrive.

— Je vais te révéler un secret, si tu peux le garder.

— On n’a pas le droit de mentir.

— Je ne parle pas de mentir… simplement de tenir ta langue. Tu pourras même le dire à Neftin, plus tard. C’est d’accord ?


Il hocha la tête, et s’arrêta face à un immense étang, parfaitement lisse. La paroi opposée de la grotte se perdait dans le noir.

— Bien. Toi et ton frère n’êtes pas malades. Vous venez de loin, comme moi.

— Alors pourquoi on est ici ?

— Quand vous étiez petits, vos parents ont fait une bêtise. Ils vont ont emmenés loin de chez vous. J'ai mis beaucoup de temps à vous retrouver.

— Vous allez nous ramener à la maison ?

— Bientôt, Vendra. Mais je vais avoir besoin de ton aide. Tu veux bien ?

— Oui. Je veux voir à quoi ça ressemble.

— Je peux te montrer. Approche-toi…


Hésitant, il mit les pieds dans l'eau noire, frissonnant au contact glacé. Un éclat violet apparut au fond de la grotte, comme une fissure dans la roche. De nouvelles craquelures apparurent, s'élargissant au-dessus de l'étang. Soudain, un œil énorme et mécanique apparut dans l'ouverture, et un hurlement terrifié résonna dans l'obscurité.


Le cri de Vendra se poursuivit jusque dans la bouche de Harlan, qui ne put s’empêcher de reculer, retirant sa main de la blessure mentale. Les yeux écarquillés et le cœur palpitant comme après un cauchemar, il chercha l’œil monstrueux dans les ténèbres. C’était donc cette chose qui avait attaqué Meridian City deux ans plus tôt ? Il ne l’avait vu qu’en vidéo, de loin… Et Ratchet et Clank lui étaient presque montés dessus !

Il contempla son bras, sur lequel le fluide finissait de s’évaporer, et jura. Tout ça pour rien ! Mais il n’était pas préparé à ce genre de vision. Et Vendra en avait fait son ami d’enfance ?

« Pas étonnant qu’elle ait mal tourné… »

Cependant, quelque chose le chiffonnait. Les deux souvenirs qu’il avait vécus étaient trop rapprochés pour qu’il s’agisse d’une coïncidence. C’était comme si cette période de la vie de Vendra était enroulée autour du harpon. Cette mémoire était ce qui intéressait les Lokis… pour quelle raison ?

« Je n’ai pas atteint la pointe. Le moment clé doit se trouver au bout. »

Il devait y retourner, mais comment éviter que le dernier échec se reproduise ? Quand son esprit se mêlait à celui de Vendra, il perdait tout contrôle… Sauf si son corps prenait le dessus.

En fixant la lance lumineuse, il se demanda s’il pouvait respirer en étant immergé dans le liquide mental. De toute façon, il n’arrivait pas à atteindre la pointe en restant dehors, la question était donc vite réglée. En apnée, ses réflexes musculaires suffiraient à stimuler son cerveau pour qu’il ignore les réactions liées aux souvenirs… En théorie. Dans le cas contraire, il pourrait rester prisonnier de la mémoire de Vendra.

— J’espère sincèrement que vous ne m’entendez pas, dit-il dans le vide. Ou que vous n’avez aucun moyen de m’aider.


Sans vraiment attendre de réponse, le Cazar s’accroupit de nouveau face à l’entaille, inspira un grand coup, puis plongea tête la première.


Sa gomme ripa, déchirant le papier. Frustré, il froissa la feuille en boule et la jeta dans la corbeille déjà remplie. Cette équation était fausse, autant reprendre depuis le début. Il dénicha le livre qui l’intéressait au milieu des ouvrages empilés sur son bureau, et fit défiler les pages. Il venait de trouver la formule qu'il cherchait lorsque la porte s'ouvrit. Surpris, il cacha précipitamment les feuilles couvertes de calculs, et se retourna.

— Salut, sœurette.

— Neftin ! s'écria-t-il en se jetant dans les bras de son frère.


Le géant le serra délicatement. Bien qu'adolescent, il dépassait déjà les adultes d'une tête et devait se voûter pour passer les portes.

— Ça s'est bien passé ?

— Vois par toi-même, répondit-il en écartant les pans de sa chemise.


Au niveau de son cœur, greffé à même la peau, une prothèse cybernétique ronronnait discrètement. Remontant le long de son torse, un tuyau reliait l'appareil à son cou. Une petite pompe se gonflait au rythme des battements.

— Les cellules cancéreuses se sont développées autour du cœur et du poumon droit, expliqua-t-il. Ils ont dû tout remplacer.

— Je ne pensais pas que c'était à ce point…

— La puberté a grandement accéléré le processus, d'une façon ou d'une autre. Les médecins n'ont pas pu l'expliquer.

— S'ils étaient compétents, ça se saurait.

— Hé, ils m'ont au moins sauvé la vie, c'est déjà pas mal. Et toi ? Tu n'as pas eu trop de problèmes ?

— Je suis restée ici. Personne n'est venu.

— Vendra, ça fait deux jours ! Tu dois être affamée… Viens, je t'accompagne.


Il roula des yeux, mais obtempéra. Son frère passa un bras massif autour de ses épaules, et son regard s'attarda sur le bureau encore couvert de notes.

— Tu as continué tes recherches.

— Nef'…

— Je t'avais dit de laisser tomber ! Qui sait ce que ces choses…

— Les Néthers, le coupa-t-il. Ce sont nos congénères, Neftin.

— Cela ne signifie pas qu'ils nous veulent du bien. Dois-je te rappeler que nos parents nous ont abandonnés ici ? J'ai déjà vu plus bienveillant !

— Ils ont fait une erreur. M. Œil…

— … T'a dit ce que tu voulais entendre ! Personne n'aide les autres sans attendre quelque chose en retour. Je pensais que cet endroit te l'aurait enseigné.

— Le Nétherverse n'est pas comme ici ! Tu as vu ce que M. Œil m'a appris. Il m'a donné les moyens de nous défendre, pour qu'on puisse rentrer chez nous !

— C'est impossible. Nos corps ont trop muté, nous ne survivrons pas là-bas.

— Je sais, c'est pour ça que mes recherches sont si importantes ! Pourquoi tiens-tu tellement à m'empêcher de les faire venir ? Tu ne veux pas retrouver ta famille ?


Un sanglot secoua ses maigres épaules, et Neftin le prit dans ses bras.

— Toute la famille dont j'ai besoin est ici, dans cette chambre. Je t'aime, et je ne laisserai rien t'arriver.


Il pleura à chaudes larmes, la tête reposant sur la poitrine de son frère.

— Dans quelques mois, dit-il en caressant ses cheveux magenta, on nous laissera quitter l'orphelinat en tant que citoyens libres. Ils ont besoin de matelots sur les vaisseaux marchands. J'irai parler au responsable du port spatial, et on partira de cette maudite planète ensemble. C'est d'accord ?


Il hocha lentement la tête, mais son esprit était déjà ailleurs. Yerek était isolée du reste de la galaxie, un trou perdu dans le secteur de Zarkov. Que rêver de mieux qu'une planète pour un terrain d'essai ?


Le souvenir s'éloigna, et Harlan reprit le contrôle de son corps. Il était à moitié immergé, et sentait la pression du liquide mental contre sa peau. Il devait se dépêcher avant de repartir à nouveau, et dût batailler avec lui-même pour ranger les évènements récents dans un coin de sa mémoire. Il n'avait pas le temps de s'interroger sur le passé troublé de Vendra. Agrippant fermement la hampe éthérée, il se tracta jusqu'au bout du harpon. Il sentit ses pieds entrer dans l'entaille, mais l'absence de gravité l'empêchait de couler. Il ouvrit les yeux, et sa vision se couvrit d'un patchwork de couleurs. Distinguant à peine la pointe, il continua de tirer. Peu à peu, une nouvelle mémoire s'imposa à lui, et ses muscles faiblirent...


— Le Dimensionnateur, murmura-t-il. Voilà ce qu’il nous faut.

— Qu’est-ce que tu dis ? demanda Neftin depuis l’autre bout de la pièce.

— L’info circule sur le HoloNet depuis quelques jours. Tu peux vérifier ?


Le géant, engoncé dans une épaisse armure de survie, acquiesça et pivota vers la dizaine d’écrans leur servant de centre de recherches.

— La Salle de la Connaissance ne contient aucune référence à un « Dimensionnateur », observa-t-il en pianotant sur un clavier holographique s’adaptant à ses énormes mains. Ah ! J’ai quelque-chose. C’est en rapport avec la défaite de Tachyon.

— C’était il y a plusieurs semaines ! Pourquoi maintenant ?

— J’imagine que les autorités ont mis du temps pour décider de ce qu’il s’est passé après l’attaque d’Iglak. D’après divers journaux, un Lombax aurait causé la perte de Tachyon sur Fastoon.

— Il ne les avait pas tous exterminés ?

— Il faut croire que non. Ce Lombax l’a éliminé avec un ancien artéfact conçu par ses congénères, surnommé « le Secret des Lombaxs ».

— Le fameux Dimensionnateur. Avec un nom pareil, ça ne peut être qu’intéressant pour nous.

— Les Forces Défensives n’ont pas l’air de vouloir faire circuler trop d’infos, mais il y a eu quelques fuites récemment… D’après les rumeurs, ce dispositif permet d’ouvrir des portails interdimensionnels. Ce qui expliquerait le retour soudain des Cragmites, quand Tachyon s’en est emparé.

— Je le savais ! s’écria-t-il en s’envolant pour rejoindre son frère. C’est la solution pour ouvrir la porte du Nétherverse ! On doit le récupérer.

— Attends. Cette chose doit être sous haute surveillance. Même avec tes pouvoirs, cela me semble risqué. Cependant… Nous pourrions essayer de reproduire cette technologie. Maintenant que le gouvernement l’a en sa possession, le secret ne sera pas gardé longtemps.

— Vous ne pourrez pas le reproduire, les interrompit la voix grave de M. Œil, résonnant dans chaque recoin de leur esprit. La source du pouvoir de cette machine…


Ils sentirent une sorte d’aspiration, et la luminosité de la pièce faiblit, comme si le Néther humait l’air de la galaxie.

— C’est un pouvoir ancien.

— Vous savez de quoi il s’agit ? interrogea Neftin.

— Je n’en suis pas sûr, répondit la créature d’un ton traînant. Mais si mon instinct est juste, vous devez à tout prix vous emparer de ce Dimensionnateur, et de son composant clé.

— Le Lombax qui le protège a vaincu l’empire de Tachyon à lui seul, grimaça le géant.

— Ne te préoccupe pas du Lombax, Nef’. S’il se met sur notre chemin, je le réduirai en cendres.


Harlan revint à lui, une soif de meurtre battant à ses tempes. Ce souvenir-là était beaucoup plus récent, âgé de moins de huit ans. Il n’imaginait pas que les Prog complotaient depuis si longtemps. Ses mains suivaient encore le dernier ordre donné par son cerveau, et le tiraient le long du harpon. Soudain, elle se refermèrent sur du vide. Le Cazar s’arrêta et scruta à travers les eaux troubles, ses doigts cherchant à tâtons la hampe d’énergie. Presque aveugle, il sentit un contact acéré, du fluide d’un côté, un manche solide de l’autre. Il avait trouvé la pointe. Il nagea pour se placer face à elle, et l’encapsula de ses mains pour l’isoler de l’esprit de Vendra, qui choisit ce moment pour l’envahir.


La porte de la cellule s’ouvrit sur une petite pièce plongée dans la pénombre. Ses pupilles s’accommodèrent promptement, mais son prisonnier ne possédait pas une vision aussi bonne. D’un mouvement de la main, elle anima le courant électrique et l’ampoule au plafond s’alluma. Le Terachnoïde tituba, se couvrant les yeux avec les appendices mous qui lui servaient de mains.

— Où suis-je ?

— Planète Yerek, secteur de Zarkov.

— Zarkov ? répéta Pollyx. Mais cette zone a été…

— Évacuée, oui. Certains la disent hantée. Qu’en pensez-vous ?

— Ce ne sont que des sornettes, répondit-il en se tournant vers lui, le regard à nouveau clair. Et vous êtes ?

— Vendra Prog.

— Je connais ce nom. Vous avez été…

— Condamnée à perpétuité quatre fois pour actes de terrorisme, notamment la dévastation d’un secteur entier de Polaris. Vous me remettez ?

— Je pense que oui. Pourquoi m’avez-vous enlevé ?

— D’abord, vous allez répondre à mes questions. Ensuite, vous allez m’aider. Vous me feriez plaisir en résistant.

— Je ne vous ferai pas cet honneur.

— Bien. Le Dimensionnateur et le projet Hélios ont un point commun. Quel est-il ?

— Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?

— Ne soyez pas idiot. Les meilleurs générateurs quantiques sont incapables de déplacer des planètes instantanément, et je ne parle même pas des moteurs hyperspatiaux. Seule la technologie lombax est arrivée à ce résultat, et je sais que le Dimensionnateur fonctionne grâce à un élément secret. Je répète donc ma question pour la dernière fois : quel est cet élément ?

— Cette information est classée top-secret…


Le Terachnoïde fut foudroyé avant de pouvoir finir sa phrase et s’effondra, gémissant, le corps fumant.

— Allons, Pollyx. Vous et moi savons que vous êtes dans les petits papiers du gouvernement.

— Sorcière !

— Je prends ceci comme un compliment. Cet interrogatoire peut se terminer en un instant ou durer des heures. Moi, j’ai tout mon temps. Vous êtes sûr de ne rien avoir à me dire ?

— Je ne sais rien ! Seules les personnes les plus proches du président Wencalas…


Il soupira et fit un léger mouvement du poignet. Une lueur mauve enveloppa Pollyx et le souleva aussi aisément qu’un sac de plumes. Le prisonnier se retrouva flottant à un mètre du sol de pierre, la tête en bas.

— En fait, je suis pressée. L’afflux de sang dans vos cerveaux vous aidera à réfléchir plus vite, si vous ne faites pas d’infarctus. Si vous ne savez vraiment rien, je regrette mais vous allez devoir me fabriquer un Dimensionnateur capable de fonctionner sans le composant clé. D’ailleurs, vous n’avez sans doute pas besoin de quatre jambes pour y arriver…


Illustrant ses mots, il étendit les doigts, et l’une des jambes de crustacé du Terachnoïde commença à s’étirer de façon assez douloureuse pour qu’il pousse un long cri strident, s’échappant dans les profondeurs des grottes.

— Arrêtez ! supplia-t-il, à bout de souffle. Je vais tout vous dire !

— Vous voilà enfin raisonnable, répondit-il sans le reposer par terre. Alors ?

— La comète Surinox. C’est un objet céleste transdimensionnel, avec une période orbitale de six cents ans par réalité.

— Continuez…

— Un fragment de cette comète s’est écrasé sur Fastoon il y a plusieurs siècles. Les Lombaxs l’ont utilisé pour fabriquer leurs Dimensionnateurs.

— Et j’imagine que vous l’avez récupéré pour concevoir Hélios ?

— Ce qu’il en reste oui. Tous les dispositifs ont été perdus ou détruits, sauf un, qui contient toujours un fragment. L’autre était le composant clé de Hélios.

— Où sont-ils ?

— Le Dimensionnateur se trouve au Muséum d’Histoire Galactique, sous étroite surveillance. L’autre fragment de Surinox… je l’ignore. Je le jure ! s’écria-t-il alors que la pression s’intensifiait sur sa jambe.

— Qui possède l’information ?

— La Commandante Apogée. Il a été convenu qu’elle seule détiendrait son emplacement, pour éviter un nouvel Artémis Zogg. Pitié ! C’est tout ce que je sais…


Il le relâcha, laissant le Terachnoïde s’écraser sur le sol froid de la cellule, puis ressortit de la pièce, sentant le poids du regard de M. Œil. Le désir du Néther de s’emparer des fragments de Surinox était si palpable, qu’elle commença à s’immiscer lentement dans les recoins de son esprit.


Soudain, ses poumons se mirent à le brûler. Ses mains étaient toujours serrées sur la pointe, mais il allait manquer d’air. Harlan se mit à battre des jambes, espérant que l’air dans ses poumons l’aiderait à remonter à la surface. Ne voyant pas plus loin que le bout de la hampe lumineuse, il eut tout à coup peur de se retrouver coincé, comme lors d’une plongée sous la glace. Mais le seul moyen d’en être sûr était de nager. Le harpon suivit son mouvement sans opposer de résistance. Il avait l’impression d’avoir coincé un obstacle entre deux aimants, les barbelures mentales ne parvenant plus à s’agripper aux souvenirs de Vendra. Encouragé par sa bonne intuition, il redoubla d’efforts. Cependant, l’esprit de la sœur Prog n’en avait pas fini avec lui.


Il vit un environnement à la fois calme et torturé, tel l’œil d’un cyclone. Une lumière violette perça le mur de ténèbres.

L’image clignota, semant la confusion dans l’esprit du Cazar, alternant entre deux corps différents.

Le décor avait changé. Le mur était encore là, mais il se trouvait face à son frère.

— Vous n’êtes pas Neftin, dit-il. Bizarrement, il était toujours à la place de Vendra, mais se sentait comme un spectateur.

La créature acquiesça, et l’image sauta à nouveau.

— Nous sommes un fragment d’une volonté, et la volonté de tous, répondit la chose qui portait les traits de son frère.

— Donc c’est vous qui commandez ? Que voulez-vous ?

— Te rencontrer, Vendra Prog.


Le souvenir s’altéra, tel un battement de paupières. Le mouvement du harpon devait déstabiliser le flot mémoriel. Au milieu de ce diorama erratique, Harlan comprit qu’il revivait la discussion entre Vendra et les Lokis dans l’entrepôt de Pollyx. La créature se présenta comme un gardien de l’évolution, un zélote chargé par le cosmos de détruire les civilisations technocratiques. Il lui parla de leur objectif : récupérer le Cœur de Toranux afin de poursuivre leur mission. Il accusa Vendra d’avoir été en contact avec l’artéfact et lui somma de lui livrer, sans succès. Puis, il la confronta à ses pouvoirs et à leurs ennemis communs : les Néthers. Alors qu’une dernière poussée rapprochait le Cazar de l’entaille mentale, harpon en main, un dernier échange s’imposa à son regard :

— Vous délirez, dit-elle. Nous n’avons rien en commun.

— C’est vrai, nous n’avons rien en commun. Mais si nous avons pris des chemins différents, notre origine est immuable : nous sommes les enfants du Nétherverse.

— Vous mentez, souffla Vendra.

— Ce que vous appelez Toranux n’est qu’un fragment de notre ancien Corps, sauvegardé de la folie des Néthers. Lorsque le Cœur nous sera enfin restitué, nous effacerons cette erreur de la ligne du temps.


Il tendit la main vers elle, en un geste bienveillant.

— Vendra. Tu peux nous aider à atteindre le sommet de l’évolution, à sauver la vie de sa propre destruction. Ta place est à nos côtés.


Toussant et crachant le fluide mémoriel, Harlan s’extirpa de la blessure, roulant sur le sol cristallin. Dans un éclat de lumière, le harpon Loki s’évanouit. Ébloui, le Cazar cligna des yeux : l’entaille avait disparu. Un voile noir tomba devant ses yeux, et il sombra dans l’inconscience, des souvenirs cauchemardesques l’accompagnant dans les ténèbres.


***


Blaze n’en pouvait plus d’attendre. Dès la fin de sa « discussion » avec Pollyx, un compte à rebours de dix minutes s’était affiché sur l’écran à moitié détruit par le poing du robot. Vendra et Harlan n’avaient pas bougé pendant un temps qui lui avait semblé interminable. Il ne pouvait pas s’éloigner et les laisser sans défense, et aucune de ses tentatives pour désactiver le Crible depuis le bureau n’avait abouti. Alors qu’il commençait à tester ses chances de réveiller les deux dormeurs sans déclencher une catastrophe, ils s’étaient mis à remuer et gémir, sans que la connexion soit rompue, tels des somnambules. Il lui avait même semblé entendre des mots, mais le plus étrange était leur degré de synchronisation : ils réagissaient exactement en même temps. Ne sachant quoi faire, Blaze s’était fixé un nouveau compte à rebours, au terme duquel il les secouerait jusqu’à leur réveil. Alors qu’il s’apprêtait à mettre son geste à exécution, Harlan poussa et cri et tomba à la renverse, rapidement suivi par Vendra.

— Hé ! s’écria-t-il en se précipitant à leur secours. Ça va, vous deux ?

— L’ancre… murmura Vendra en se frottant la tempe. Elle a disparu.

— C’est au moins une bonne nouvelle. Maintenant, ce n’est pas pour vous presser mais…

— Blaze, écarte-toi ! l’avertit Harlan en se relevant d’un bond. C’est un Loki, elle est avec eux !

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— J’ai vu ses souvenirs. Je sais pourquoi les Lokis ont attaqué Vartax, pourquoi elle se sentait connectée à eux ! Elle et son frère sont de la même espèce !

— C’est vrai ? interrogea le robot en se tournant vers Vendra, dont le teint était encore plus livide qu’à l’accoutumée.

— Je sais ce que vous avez vu, siffla-t-elle. Vous n’aviez aucun droit…

— J’y ai été contraint pour vous sauver ! explosa Harlan. Ne me parlez pas de droits alors que vous n’avez pas été honnête avec nous, ne serait-ce qu’une seconde !

— J’ignorais que les Lokis et les Néthers ne faisaient qu’un ! riposta Vendra en lévitant jusqu’à dépasser le Cazar d’une tête. Si je l’avais su, je serais déjà avec mon frère à l’autre bout de l’univers !


La tension monta encore d’un cran. Blaze, persuadé que les deux allaient se jeter à la gorge de l’autre, tenta de s’avancer, mais Vendra l’immobilisa d’un claquement de doigts.

— Vous n’avez pas tout vu. Le Loki m’a proposé de les rejoindre, car mes pouvoirs ne dépendent pas du Cœur de Toranux. J’ai vu clair dans son jeu : il voulait me séduire pour faire de moi un instrument, se servant de Neftin comme otage. Les Lokis et les Néthers sont bien les mêmes : des manipulateurs, cruels et sans plus de considération pour ma vie que pour les vôtres. Hors de question que je tombe deux fois dans le même piège.

— Vous ne valez pourtant pas mieux ! Rien de ce que vous avez vécu sur Yerek ne justifie la mort de centaines, de milliers d’innocents pour servir vos plans tordus ! Je vous ai vu torturer un Terachnoïde sans défense…

— Je sais tout cela bien mieux que vous ! Les souvenirs que vous m’avez volés, je les ai vécus et regrettés, encore et encore, jusqu’à être dégoutée de moi-même ! s’écria-t-elle en les relâchant, avant de poser doucement les pieds par terre, comme à bout de forces.

— Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est, d’être l’instrument d’un monstre, poursuivit-elle d’une voix peinée. On finit par en devenir un, qu’on le veuille ou non. Mais Neftin m’a montré qu’on pouvait toujours essayer de racheter nos actes, aussi impardonnables soient-ils. Il n’a pas eu d’autre but depuis notre emprisonnement. Je suis peut-être une sorcière au-delà de toute absolution, mais Neftin ne mérite pas cela. Je dois le sauver, même si je dois vous tuer. Vous ne m’en empêcherez pas.


Elle les fixa tout à tour, guettant en une réaction. Harlan soutint son regard un instant, puis baissa les yeux, songeur. Blaze s’apprêta à dire quelque chose, mais une alarme se déclencha, noyant le bureau sous une lumière orange. Le robot jura et se précipita vers l’écran, où le compte à rebours venait de passer sous les cinq minutes.

— Navré, mais on a un plus gros problème. J’avais un mauvais pressentiment concernant le Crible, mais je crois que c’est encore pire.

— Vous avez trouvé de quoi il s’agissait ? demanda la sœur Prog en tournant le dos à Harlan pour s’essuyer un œil. Blaze fit mine de n’avoir rien vu.

— Ça ne va pas vous plaire. Un portail dimensionnel ouvert droit sur le Nétherverse va engloutir le bâtiment.


Le regard de Vendra se durcit aussitôt, effaçant toute trace de culpabilité.

— C'est un coup de Pollyx.

— En effet. Il m’a assuré que la technologie des extracteurs permettra de filtrer le passage pour n’emporter que les Lokis, sans leurs hôtes. Je me souviens que les scanners à parasites avaient réagi à votre passage lors de notre arrivée sur la planète, ce qui veut dire…

— Que Neftin et moi sommes menacés par le portail ! conclut-elle, une ombre de panique passant sur son visage. Sans l'ancre mentale, je peux sortir d'ici. Je vais trouver Pollyx !

— Attendez ! s'écria-t-il alors qu'elle commençait à se téléporter. Je ne sais pas si le processus peut être interrompu, Pollyx avait l'air assez confiant. Si vous n'arrivez pas à arrêter le dispositif, vous n'aurez jamais le temps de revenir sauver votre frère.

— Que suggérez-vous ? Que je réussisse à défaire le chef des Lokis et à sortir d'ici avec Neftin en moins de cinq minutes ?

— En gros, oui. J'ai peut-être un plan, mais on aura besoin de toute l'aide possible.


Le robot lança un regard entendu vers Harlan. Le Cazar soupira, se mordit la joue. Lorsqu'il ouvrit la bouche, Blaze devina qu'il allait refuser…

— Dites-moi ce que je dois faire, déclara-t-il d'un ton ferme. On s'occupera des Prog ensuite.


***


— Capitaine, où en sont les réparations ? s’enquit Talwyn en écartant le bras de l’infirmer pour saisir un communicateur portatif.

— L’antenne principale sera bientôt rétablie, répondit Lennox. En nous connectant au réseau de communication interstellaire public, nous pourrons atteindre la même puissance qu’avant le sabotage.

— Et l’anneau de défense ?

— Mes techniciens sont en train de calibrer le faisceau laser du Sérénité pour passer à travers les interférences. Je vous tiendrai au courant.

— Faites donc. Apogée, terminé.


La Markazienne déposa la radio et laissa l’infirmer reprendre son travail.

— Augmentez la dose, ordonna une voix non loin.

— Monsieur, s’excusa une Cazare en blouse blanche, vous êtes déjà au maximum de Nanotechs recommandé…

— Je connais mes limites. Allez, bougez-vous.


L’infirmière lui adressa un regard interrogateur, et Talwyn acquiesça avec un sourire en coin.

— Rhivan, elle ne fait que son travail.

— C’est l’armée ici, non ? Vous voulez une demande par courrier avec les formules de politesse ? Aïe ! s’écria le Lombax alors que la Cazare serrait le bandeau de Nanotechs un peu trop fort.

— Vous auriez peut-être eu droit à un traitement plus sympathique, railla Talwyn. Laissez-nous, je m’en occupe.


Les deux infirmiers s’éloignèrent, la laissant seule avec le vétéran. La Markazienne saisit le bandeau enroulé sur le biceps de Rhivan et changea quelques réglages sur l’affichage holographique. Le Lombax poussa un soupir de contentement alors que les anesthésiants se diffusaient dans son organisme.

Ils se trouvaient dans le hall du Centre, à l’écart des allées et venues incessantes des soldats. Certains accompagnaient des groupes de réfugiés, d’autres éteignaient les incendies. Une demi-douzaine de navettes antigrav remplaçaient les ascenseurs hors-services pour gravir les kilomètres de hauteur jusqu’aux étages de commandement galactique dévastés par les combats.

— Alors ? demanda-t-il. Je n’ai pas réussi à compter tous les ordres que vous avez donné depuis que le gros affreux est parti.

— J’ai dispersé des troupes dans le Centre pour remettre les systèmes en place. Tout le personnel non-essentiel est évacué. Le conseil de guerre a été déplacé dans une salle secondaire, l’installation est bientôt terminée.

— Allons-y.


Une navette les emmena le long de la façade de verracier, balafrée par le passage du Loki.

— Il n’y est pas allé de main morte, fit remarquer Rhivan.

— Vous non plus.

— Vous rigolez ? Je suis plus rouillé qu’un pirate d’Ardolis.

— Vous m’avez sauvé la vie.

— Je me répète, vous vous êtes sauvée toute seule. Vous avez une idée de la nature de ce Cœur ?

— Pas la moindre. Je n’ai jamais été en contact avec un fragment de Toranux, de près ou de loin.

— Vous l’avez peut-être été sans le savoir ?

— Ce qui ne m’arrangerait pas plus. Il a dit qu’en le détruisant, je mettrais fin aux Lokis…

— Et à Iglak. Si vous voulez mon avis, c’est du bluff. À moins que ce truc ne soit une bombe galactique, ou un gadget du genre.

— Et si c’était la vérité ? Il ne m’aurait pas proposé cela sans être sûr que je choisisse l’autre option : conserver l’artéfact et sauver la planète.

— La sauver de quoi ? l’interrogea Rhivan d’un ton exaspéré. Quel artéfact ?

— Je l’ignore.

— C’est ça. Cessez de cogiter alors qu’il vous manque la moitié des infos ! Iglak a besoin de vous tout de suite, concentrez-vous là-dessus.


La navette se positionna face à une ouverture découpée dans la paroi vitrée. Un soldat aida Talwyn à passer par la porte improvisée, mais la Markazienne se figea à mi-parcours :

— Les Tharpods.

— Qu’y a-t-il ?

— Croïd et Binklemeyer, précisa-t-elle en franchissant le vide. Ce sont nos meilleurs experts en Lokis. Ils savent peut-être quelque chose.

— Si je me rappelle bien leurs rapports – et c’est le cas, ils ont précisé ne rien savoir sur le Cœur.

— On ignorait que j’avais été en contact avec lui. Cela leur donnera peut-être une idée.

— Vous pouvez les appeler ?

— Dès que les communications seront rétablies. Mais d’ici là, j’aimerais que vous partiez les retrouver à Luminopolis.

— Pour quelle raison ?

— J’ai un mauvais pressentiment. Après le gouvernement et les Forces Défensives, ce sont sûrement les deux personnes les plus dangereuses pour les Lokis. Je sais que je peux compter sur vous pour les protéger.

— Très bien, accepta le vétéran après une brève réflexion. Mais je veux une promesse en échange : si l’Unique se pointe pour un match retour, fuyez sans vous retourner. C’est d’accord ?

— Je vous le promets. Quant à vous, dit-elle en lui tendant le pendentif de Clank, prenez ceci. Vous en aurez plus besoin que moi.

— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Rhivan en le passant à son cou.

— Un porte-bonheur… Je ne sais pas comment il fonctionne.

— Espérons que je n’aurai pas à le découvrir.

Il lui saisit fermement l’épaule, et lui adressa un sourire encourageant.

— Dès que les deux scientifiques et leur gamine seront en sécurité, je vous appelle. Arrangez-vous pour être au bout du fil. Bonne chance.


La navette repartit, laissant Talwyn seule face au ciel enfumé de Meridian City. Elle n’avait pas eu de nouvelles de Meryl depuis l’attaque, et les émeutes ne semblaient pas avoir régressé. Dans le ciel, les points lumineux apparaissaient de plus en plus proches.

La Markazienne serra les poings et entra dans la salle de projection, peuplée de divers officiers et techniciens.

— Capitaine Lennox, salua-t-elle en rejoignant un homme à la carrure fine, couvert d’épaisses écailles bleu marine. Situation ?

— Le personnel et les civils ont été évacués dans les avant-postes en périphérie du Centre, Madame. Wencalas a été embarqué sur une navette blindée, il vient de partir pour Zordoom en attendant que la situation se tasse. Les amiraux Bradly et Shov viennent d’arriver sur l’anneau, et commandent les flottes de défense.

— Ils tiennent le coup ?

— Les renforts des Lokis ont cessé d’arriver, mais leurs vaisseaux sont dispersés sur tout l’orbite, et nos flottes ont des difficultés à les maintenir. Certains réussiront sans doute à passer.

— Nos défenses au sol sont là pour ça. Si le moindre bombardement ou arme de destruction massive est détecté, activez le bouclier planétaire.

— Je transmets l’ordre, Madame.


Talwyn activa l’affichage holographique, et une image d’Iglak lui montra la progression des émeutes.

« Voilà en tout cas qui explique ce chaos. Si l’Unique les contrôle… »

Non, cela ne collait pas. Si les Lokis pouvaient prendre le contrôle des esprits à distance, pourquoi seulement une partie de la population était-elle affectée ? Un frisson glacé remonta le long de son échine.

« Ils veulent qu’on s’entretue. Comme ils ne peuvent pas accéder à nos souvenirs, ils se servent de cette débâcle comme moyen de chantage pour que nous leur livrions ce qu’ils veulent. »


Le Cœur. L’objet au centre de toutes les convoitises… Malgré les conseils de Rhivan, des questions revenaient la tarauder. Pourquoi l’Unique avait-il refusé de lui décrire ? Était-ce un objet si sacré que cet acte simple était interdit ? Était-il à ce point similaire aux fragments de Toranux que seul un Loki pouvait sentir la différence ?

Elle l’avait touché. Il pouvait sauver ou détruire une planète, mettre fin à une civilisation. Les Lokis l’avaient utilisé pour fuir leur plan d’origine : Ratchet l’avait vu à travers leur mémoire.

« Un plan d’existence, c’est comme une dimension. » L’esprit de la Markazienne tournait à toute allure. Lors de leur discussion avec les Cragmites, ils avaient révélé que le Cœur leur servait pour se déplacer dans l’espace-temps. Mais aussi entre les dimensions ? Les Lokis n’avaient cessé de répéter cette histoire de plans, d’abord avec Ratchet, puis avec elle. Ils avaient tenté de voler le Dimensionnateur… et elle avait été en contact avec le dispositif ! Et s’il s’agissait du Cœur lui-même ?

Non, c’était impossible. L’Unique disait que le Cœur était sur Iglak, alors qu’elle savait le Dimensionnateur caché sur Fastoon par ses amis. Cependant… Les Lombaxs l’avaient conçu bien après l’explosion de Toranux. Peut-être avaient-ils utilisé le Cœur dans leur invention sans le savoir ? Un fragment, trouvé par hasard dans les plaines ensablées de Fastoon, après une longue chute dans l’atmosphère…


« Non. »

Soudain, Talwyn blêmit. Elle avait compris ! Elle savait ce qu’était le Cœur, et elle était la seule de la galaxie à savoir où il se trouvait. Un vertige s’empara d’elle, et le sol se déroba sous ses pieds.

— Amirale ! s’exclama Lennox en la rattrapant. Tout va bien ?

— Ce n’est rien, mentit-elle d’une voix mal assurée. Les effets secondaires des calmants, ça va passer.

— Vous en êtes certaine ? Je peux…


Le bip de sa radio l’interrompit. Remettant doucement la Markazienne sur pieds, il saisit l’appareil, et son visage s’éclaira un bref instant, avant de s’assombrir.

— Les senseurs longue portée sont rétablis, expliqua-t-il en basculant l’affichage sur une vue du système stellaire. Mais nous avons un problème…


Il pointa les satellites en orbite proche autour de Paraden. Tous avaient cessé d’émettre simultanément. Un horrible pressentiment saisit la jeune femme. Comme pour confirmer ses soupçons, l’icône du commissaire Meryl apparut dans sa vision virtuelle.

— Ici Apogée, j’écoute.

— Amirale, vous allez bien ? D’ici, j’ai vu les dégâts sur le Centre.

— Je suis opérationnelle. Que se passe-t-il, Commissaire ?

— Les insurgés ont soudainement cessé le combat ! déclara-t-il d’une voix exténuée, mais triomphante.

— Vous avez une explication ? Il s’est passé quelque chose ?

— Rien d’anormal, si on considère que cette situation a le moindre sens. Ils ont tous l’air perdus, et laissent mes hommes nettoyer les rues pour rassembler les blessés. Je dois avouer que j’aurais bien besoin de Griffin : c’est complètement incompréhensible.

— L'inspecteur a dû être évacué. Il va bien, ajouta-t-elle pour couper court à toute question. Il a juste été sonné pendant le combat. Vous pensez pouvoir gérer la situation ?

— Les émeutes ont l’air d’avoir cessé dans toute la ville, et j’attends des réponses de mes collègues sur les autres continents. Si tout ne repart pas à vau-l’eau, ça devrait aller.

— Bien, tenez-moi au courant. Terminé.


À peine avait-elle raccroché que la table indiqua une communication entrante depuis l’anneau orbital.

— Centre de Défense, ici Shov, dit l’amiral d’une voix teintée d’inquiétude. Les vaisseaux Lokis… ils foncent vers la surface.

— Pouvez-vous les arrêter ?

— C’était si soudain que plusieurs ont pu passer le périmètre, surtout des chasseurs. J’ai envoyé des escadrilles à leur poursuite, mais attendez-vous à du grabuge en surface. Bradly et moi allons placer nos vaisseaux en tactiques d’interception, mais ils sont beaucoup plus nombreux que nous. Je recommande l’activation du bouclier planétaire.

— Refusé, objecta Talwyn. Nous contiendrons l’envahisseur avec nos flottes. Mais que le bouclier soit prêt à être déployé à puissance maximale.

— Bien, Madame, obtempéra l’amiral avant de couper le contact.

— Meryl, je ne veux voir personne dans les rues. Faites rentrer la foule dans les bâtiments en urgence, énonça-t-elle en tant que message vocal.


Un nœud au ventre, elle baissa la tête, ferma les yeux et pria pour que tout s’arrête.

— Lennox, dites- moi que les satellites en orbite n°2 émettent encore.

— Nous avons perdu le contact à l’instant, Madame. Je suis désolé, s’excusa l’officier, devinant qu’il confirmait les pires craintes de la jeune femme.

— Combien de temps avons-nous ?

— Les données évoluent rapidement… bafouilla-t-il en jetant un coup d’œil aux ingénieurs affolés. D’après les estimations… La première vague de radiations atteindra Iglak dans environ cinq minutes. La chaleur va monter, et… dans moins d’une heure, nous…


Il ne finit pas sa phrase. Il n’en avait pas besoin. Talwyn sentit un étau de resserrer sur sa poitrine, et sa respiration s’accentua. L’ordre qu’elle s’apprêtait à donner n’avait jamais franchi les lèvres d’un seul officier dans l’histoire de cette planète.

— Qu’on me prépare le véhicule le plus rapide disponible. Enclenchez le protocole PHŒNIX et évacuez le système.



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