Auteur : Arayn
Avec une dernière giclée d'étincelles, la plaque d'acier fut scellée sur la brèche. Ratchet, magnétisé contre le plafond de la passerelle, tendit le chalumeau à un technicien et entreprit de vérifier l'étanchéité de son ouvrage.
— Aphélion, c'est bon de ton côté ?
— Affirmatif. Je me désarrimerai dès notre sortie de l'hyperespace.
— Parfait. Je te prépare un emplacement dans le hangar.
Le Lombax se décrocha et se réceptionna au sol avec moins de souplesse qu'il n'espérait. Il était épuisé, mais au vu de la situation, des stimulants semblaient plus adaptés qu'une sieste.
— Où en sont les dégâts ? demanda-t-il.
— La majeure partie des systèmes d'armement est endommagée, répondit le technicien, qui se trouvait être un membre de l'armée capturé par un parasite. Le bouclier tient le coup, mais on a dû dévier l'énergie des capteurs pour tenir en supraluminique.
— Et les systèmes de survie ?
— Pas de dépressurisation en vue, les écrans atmosphériques fonctionnent. Idem pour la propulsion.
— Bien. S'il faut plus d'énergie pour l'infirmerie...
— Le souci vient plutôt de la place disponible, grimaça le Markazien en resserrant la bande de Nanotechs sur son front. On a trop de blessés, et pas assez de lits. Ils ont aménagé un espace pour les blessés dans les quartiers de l'équipage et le hangar.
— Nous serons bientôt arrivés à l'avant-poste, le rassura Ratchet. Continuez comme ça.
— À vos ordres, Capitaine.
Le Lombax roula des yeux à la mention de son grade, mais se contenta de renvoyer le technicien d'un signe de la main, et retourna sur la passerelle. Dès le choc initial encaissé, tous les civils en état de bouger s’étaient rapidement organisés, trop désorientés pour remettre en doute ses ordres. Ceux qui savaient manœuvrer un vaisseau avaient pris leurs postes, les autres s’occupaient des blessés ou des réparations.
— Nous approchons, déclara l’un des pilotes. Temps d’arrivée estimé : six minutes.
— Branchez-vous sur cette fréquence dès notre retour en subluminique, enjoignit Ratchet en prenant place dans un fauteuil voisin. Coupez la propulsion en attendant que l’escorte arrive.
— Entendu.
Acquiesçant en silence, le Lombax balaya les fréquences radio et laser, sans succès. Avec l’énergie des senseurs détournée, ils ne pouvaient plus capter de communications depuis l’hyperespace. Un espoir mêlé d’appréhension lui noua l’estomac : une fois à l’avant-poste, il pourrait sûrement contacter Talwyn. Il voulait se persuader que Clank avait eu tort, et que la flotte de la nébuleuse n’était pas qu’une diversion. Se laissant prendre par un élan d’optimisme, il tâcha de se détendre. Toutes ces pertes n’étaient – ne pouvaient – pas être inutiles.
La décélération le réveilla. Surpris de s’être assoupi, il mit quelques secondes pour se remémorer la situation. Le cuirassé avait émergé à quelques milliers de parsecs de la nébuleuse, dans l’espace orbital de Zanifar. La teinte violette du sol de la planète faisait presque penser à une plaisanterie de mauvais goût, après l’enfer mauve d’où ils venaient d’échapper. Le radar indiqua la présence de l’avant-poste des Forces Défensives, entouré de plusieurs vaisseaux de guerre. Ratchet reconnut sans mal plusieurs cuirassés récupérés des griffes des Lokis. Que faisaient-ils encore ici ? Les civils auraient dû être évacués, et les navires envoyés au chantier spatial le plus proche…
Dès leur identité confirmée, une frégate accompagnée d’une escadre de corvettes vint les escorter jusqu’à la station. Un claquement métallique sur le toit lui indiqua que Aphélion s’était décrochée et rejoignait le hangar. La frégate s’arrima à leur vaisseau, et un officier débarqua sur la passerelle. Grand, couvert d’une peau parcheminée couleur terre, il salua le Lombax d’une de ses quatre mains griffues.
— Capitaine Ratchet, dit-il d’une voix cliquetante. C’est vous qui commandez ici, c’est exact ?
— On peut dire ça… À qui ai-je l’honneur ?
— Commandant Rassk, répondit-il en clignant de ses trois yeux verts aux paupières verticales. Bon retour chez vous. Mes hommes sont déjà en train de prendre soin de vos blessés, y’a-t-il quelque chose que je devrais savoir ?
— Des réparations mineures, répondit Ratchet en indiquant son technicien en chef, mais rien de grave. Quelle est la situation dans la galaxie ?
Rassk se renfrogna, et lui fit signe de le suivre dans la cabine du capitaine. Une fois certains d’être en privé, il s’adossa contre le bureau rudimentaire trônant au centre de la pièce.
— Tous ces vaisseaux repris aux Lokis sont ici depuis un certain temps, observa Ratchet. Pourquoi gardez-vous les civils ?
— Je ne sais pas comment vous annoncer cela en douceur, prévint le commandant. La vaste majorité des planètes centrales est attaquée par les Lokis.
— Je vous demande pardon ? s’écria le Lombax.
— Baissez le ton, je vous prie. Les civils l’ignorent, et je ne veux pas déclencher de panique inutile.
— Pourquoi je l’apprends seulement maintenant ?
— Ziering savait, et vous étiez sous ses ordres. S’il a décidé de garder cela pour lui, je ne peux pas le contester.
— Bon sang… Comment ça se présente ?
— Aux dernières nouvelles, pas très bien. Les défenses tiennent, mais personne n’est capable de dire combien de temps les batailles vont durer. Pour éviter de jeter de l’huile sur le feu, j’ai reçu l’ordre de garder tous les vaisseaux récupérés aux Lokis dans ce système.
— Et Iglak ? Comment se porte l’état-major ?
— Nous… avons perdu le contact avec la capitale. Désolé, ajouta-t-il en voyant le visage de Ratchet se décomposer.
Il eut l’impression d’être plongé dans un bassin d’eau glacé. Un poids insurmontable lui comprima la poitrine, et il lui fallut un effort immense pour parvenir à demander :
— Depuis combien de temps ?
— Environ quinze minutes. Tous nos techniciens font de leur mieux pour rétablir les communications. En attendant, précisa-t-il avec un regard appuyé sur le Lombax, nous avons ordre de tenir nos positions. Les défenses d’Iglak connaissent leur mission, nous devons exécuter la nôtre.
— Bien sûr, répondit Ratchet en tentant de se donner un peu de contenance. Prévenez-moi si je peux faire quoi que ce soit…
— Occupez-vous de ce cuirassé, et vous m’aiderez déjà suffisamment. Si vous n’avez rien à ajouter, on m’attend ailleurs.
Ratchet obtempéra, et Rassk quitta la cabine, le laissant seul.
— Aphélion ? appela-t-il dès que l’officier fut assez loin. En utilisant le combustible zoni, tu penses pouvoir rejoindre Iglak en combien de temps ?
— Calcul en cours… Pour un trajet d’environ soixante-mille années-lumière, estimation à un sixième du temps de voyage habituel, soit une heure.
— Fais chauffer le moteur, j’arrive.
Le Lombax sortit sur la passerelle et bifurqua immédiatement en direction du hangar. Il ne pouvait pas laisser Talwyn se battre seule, c’était impensable. Ignorant les remarques des membres d’équipage sur son chemin, il retrouva son vaisseau en s’efforçant de ne pas tomber sur le commandant Rassk, qui rejoignait sa frégate.
— Tout est prêt ? s’enquit-il en vérifiant ses réserves de munitions et de Nanotechs.
— Affirmatif, nous pourrons partir dès qu’une voie aérienne sera dégagée dans le hangar.
— Ce ne sera pas nécessaire.
Ratchet s’installa aux commandes et décolla, faisant rugir les propulseurs. Aussitôt, une alarme s’activa, la lumière rouge inondant le hangar aussi vite que les exclamations paniquées des civils.
— Décollage non autorisé ! s’égosilla l’interphone. Pilote, veuillez interrompre vos manœuvres immédiatement !
— Ratchet, intervint Rassk d’une voix furieuse, qu’est-ce que vous fabriquez ?
— Je vous confie ce cuirassé, Commandant. Bonne chance, lui souhaita le Lombax avant de couper la radio.
D’un mouvement fluide, il survola la zone de décollage et émergea de la proue du cuirassé avant que les portes blindées n’aient le temps de se fermer. Aphélion avait déjà calculé une trajectoire vers Iglak. Une manœuvre précise les plaça sur le bon vecteur de saut, et Ratchet activa le réacteur zoni. Des ondulations émergèrent des capteurs énergétiques du vaisseau, faisant vibrer l’espace tel un chant gravitationnel. Le vide enveloppa le chasseur lombax, qui s’évanouit dans un tourbillon bleuté.
« Tenez-bon, songea Ratchet, espérant que ses pensées pourraient transcender les frontières du temps et parvenir jusqu’à ses amis sur Iglak. J’arrive. »
***
Harlan s’assura que sa sacoche était bien harnachée en travers de son torse, s’échauffa les membres, et se plaça en position de sprint, les mains à terre et les genoux fléchis. Il n’eut pas à attendre longtemps avant que la rumeur ne lui parvienne : un tumulte métallique, résultat de dizaines de pas dans des couloirs exigus, tous convergeant dans sa direction. Ignorant les sueurs froides qui couraient entre ses omoplates, il compta diligemment les secondes.
« Trois... Deux... Un... COURS ! »
La horde de Lokis se déversa à l'autre bout du couloir. L'adrénaline lui donna un coup de fouet, et le Cazar détala sans se retourner. Tandis que les cliquetis des pattes de Terachnoïdes se rapprochaient dans son dos, il entendit le bruit caractéristique d'une pointe d'énergie psionique. Il se mit à zigzaguer, sans perdre de vue son objectif. Des projectiles mauves s'écrasèrent sur les parois immaculées, le frôlant au passage. Il tourna au coin d'un corridor, glissant sur le sol lisse et manquant de perdre l'équilibre. Le dos courbé, il se rattrapa et fonça jusqu'à la ligne d'arrivée : l'un des téléporteurs. Alors qu'il mettait le pied sur la plaque, un tir Loki se brisa sur le bouclier érigé par Vendra autour de lui. Soulagé que sa défense ait résisté, il écrasa la commande de téléportation, et s'évapora.
Il réapparut sur une plateforme jumelle, trois étages plus haut. Après s'être assuré qu'il n'était pas blessé, il ouvrit sa sacoche et en sortit un objet de la taille d'un pouce, qu'il fixa entre les conduits énergétiques du téléporteur.
— Blaze, bombe 74 en place.
— Une seconde... répondit le robot par radio. Ils n'ont pas repéré la précédente, bon boulot. Aucune trace de Neftin ?
— Pas encore, grimaça le Cazar. J'ai encore six bombes à installer, je finirai par attirer son attention. Où en êtes-vous ?
— J'ai rassemblé le matériel sur le toit, mais il me faudra un peu de temps pour assembler le canon. Vendra ?
— J'entre dans les étages sécurisés, répondit la sœur Prog. Le générateur ne doit pas être loin. Harlan, je sens la présence des Lokis près de vous. Préparez-vous à partir.
— Compris.
Le jeune homme dessina mentalement la trajectoire jusqu'au prochain téléporteur, et reprit son souffle. Même si la configuration de chaque étage variait, les plateformes étaient placées selon un plan précis. Sans la protection de Vendra, les parasites pouvaient le retrouver à tout moment, mais leur incapacité à emprunter les téléporteurs lui permettait de les distancer. Alors que la horde émergeait à proximité, Harlan s'élança vers l'autre bout de l'étage. Courant à perdre haleine, il se jeta sur la plateforme, glissa la bombe sous la plaque et s'échappa. Le comportement des Lokis l'intriguait : ils ne semblaient pas réfléchir, et le poursuivaient en ligne droite sans se préoccuper des téléporteurs ou des dispositifs qu'il installait partout dans le bâtiment. Peut-être que ces Lokis, tout juste échappés des fragments de Toranux, étaient plus "primitifs" que leurs congénères, et ignoraient tout de leur environnement ? Quoi qu'il en soit, tant qu'il parvenait à les distancer et que la barrière de Vendra tenait bon, Neftin était le seul à représenter un véritable danger.
Encore quatre bombes. Fonçant de plateforme en plateforme, d'étage en étage, esquivant les Lokis de justesse, Harlan commença à manquer de souffle.
— Le portail s'active dans moins d'une minute ! les avertit Blaze. Je suis prêt, où en êtes-vous ?
— Prête, répondit Vendra.
— Plus qu'une bombe ! s'écria Harlan en s'écrasant presque contre un mur dans un virage mal négocié. Je vois le téléporteur !
— Plante-la et tire-toi, on t'attendra dehors.
— Et Neftin ?
— Il finira par sortir, et si...
— Harlan, attention ! s'exclama la sœur Prog. Il approche de vous !
Le Cazar serra les dents et accéléra encore, sans prendre le risque d'un regard en arrière. Mais alors qu'il bondissait sur la plateforme, une main énorme et invisible l'empoigna violemment et le propulsa en avant. Impuissant, il ne put qu'effleurer le téléporteur, et traversa la baie vitrée au bout du couloir comme un boulet de canon.
Des étoiles blanches dansèrent devant ses yeux. Sonné, assailli par la douleur de multiples coupures, il mit quelques instants pour se rendre compte qu'il était suspendu dans les airs, stoppé la tête en bas dans son mouvement. Il se trouvait à plusieurs mètres de la paroi vitrée, désormais en morceaux. Les possédés se massèrent près de l'ouverture, telle une meute de bêtes sauvages, mais sans l'attaquer.
— Vendra ?
— Vous avez un certain talent pour fuir, lui répondit une voix gutturale.
La silhouette massive de Neftin émergea derrière les Terachnoïdes et les soldats, qui s'écartèrent docilement à son approche. Le géant avait drastiquement changé : ses membres et ses organes cybernétiques avaient été remplacés par une matière similaire aux fragments de Toranux, mais à l'aspect lisse et flexible, semblable à du cristal en fusion. Les ailes dans son dos, auparavant chétives et à peine visibles, avaient grandi et rappelaient celles des soldats Néthers. Son œil d'améthyste luisait d'un éclat mauvais.
— C'est que vos amis n'ont pas l'air d'apprécier la discussion, répliqua Harlan en tâchant d'oublier le vide qui l'entourait et le sang battant à ses tempes. Il devait gagner du temps…
— Excusez-les, ils viennent tout juste de renaître du Corps. Pour eux le meurtre de notre monde est encore récent… Ils sont en colère.
Il leva son bras de cristal, et un cylindre se matérialisa dans sa paume. Une forme spectrale se débattait à l'intérieur, impatiente de sortir. Harlan comprit ce qui l'attendait, et lutta contre l'étau invisible qui l'enserrait. Le portail allait s'activer d'une seconde à l'autre, il ne fallait surtout pas qu'un Loki le possède avant qu'il puisse activer les bombes !
Le géant s'avança en flottant, l'air vibrant sous ses ailes.
— Attendez ! s'écria le Cazar pris au piège. Qu'avez-vous fait à Neftin ?
— Il a laissé la technologie gangréner son corps. Nous lui avons offert l'évolution.
— Et maintenant ? Il va respirer en violet pour le restant de ses jours ?
Sans lui répondre, le géant fixa le ciel, embrumé par les volutes du bouclier, derrière lequel les combats faisaient toujours rage.
— Détruisez-le.
Aussitôt, les possédés se jetèrent dans le vide, et s'envolèrent vers la barrière énergétique. Des fenêtres explosèrent le long de la façade, et des dizaines de Lokis décollèrent à leur tour. Harlan redoubla d'efforts pour se libérer, sans succès. Au prix d'un effort titanesque, il parvint à saisir le détonateur, tandis que le colosse avait le regard occupé ailleurs.
Au même moment, un éclat violet jaillit à des centaines de mètres en dessous d'eux, et un portail gigantesque sembla engloutir le pied de la tour. Aussitôt, un point lumineux plus intense encore se superposa au tourbillon d'énergie. Vendra déploya un immense filet mental, empêchant le portail de remonter le long du bâtiment, comme un chasseur plaquant un monstre au sol. Elle généra ensuite un puissant rayon, qui se noya derrière l'horizon gravitationnel du gouffre. Le disque d'accrétion ainsi formé sembla exciter le vortex, qui redoubla de violence. La force d'attraction n'avait aucun effet sur Harlan, mais les Lokis semblaient lutter contre l'aspiration.
— Impressionnant, murmura Neftin avec un demi-sourire.
Parlait-il de Vendra ou du portail ?
— Pollyx espérait-il nous défaire avec ceci ? demanda-t-il d'un ton amusé.
— On l'a un peu aidé, grogna Harlan en pressant le bouton du détonateur.
Sur toute la hauteur de l'immeuble, les bombes se déclenchèrent. Il ne s'agissait pas d'explosifs à proprement parler, mais de « perturbateurs protomorphiques », développés par Pollyx Industries en s'inspirant de la technologie des extracteurs. Chaque grenade générait un champ capable d'expulser un Loki de son hôte, les rendant vulnérables. Ce projet n'étant pas classifié, Blaze en avait fait la découverte en fouillant dans la base de données, et avait chargé Harlan d'en coupler le plus possible aux téléporteurs, justement pourvus de dispositifs anti-parasites.
Une vague d'énergie dorée s'échappa du bâtiment et emplit l'espace confiné dans la Cloche. Une myriade d'éclats mauves dans les airs signala la séparation des Lokis. Privés des pouvoirs des créatures, les possédés commencèrent à chuter, mais les téléporteurs surchargés se mirent aussitôt en marche et ramenèrent sur eux tous les êtres vivants à proximité, excepté les parasites qui ne parvinrent plus à résister à l'attraction du portail. Les formes spectrales s'allongèrent, se transformant en longs filaments, semblant tomber à l'infini dans la brèche dimensionnelle.
Ébloui, Harlan crut être également tiré d'affaire, mais fut surpris de constater que Neftin et lui n'avaient pas bougé d'un pouce. Le conteneur cristallin dans la paume du géant était vide, le parasite expulsé par le pouvoir de Vendra. Comprenant que la puissance du chef Loki lui avait permis d'ignorer la déflagration, il pressa une nouvelle fois le détonateur, sans succès : les bombes avaient toutes explosé, et les téléporteurs étaient hors-service. Le monstre le fixa d'un air ennuyé, et fut soudain secoué d'un hoquet, faisant vaciller l'éclat des excroissances de cristal.
« Il a quand même encaissé l'attaque ! »
— Blaze, c'est quand tu veux ! hurla le Cazar à pleins poumons. Il…
Un choc au niveau du foie lui coupa le souffle, et une sensation glaciale lui saisit l'abdomen. Il baissa douloureusement les yeux, et remarqua un trou béant et fumant le traversant de part en part. Neftin, replia le poing et, esquissant une grimace de dégoût, le relâcha. Mû par un instinct primaire, Harlan tendit sa main gantée d'un Swingueur, et s'accrocha à la paroi métallique. Sa chute l'envoya s'écraser quelques mètres en dessous, et il pendit sans bouger au bout de la versa-ligne, incapable de faire autre chose que de s'efforcer de respirer.
Alors que le colosse se détournait de lui pour se diriger vers la barrière, un rayon doré l'enveloppa soudain, jaillissant du sommet de la tour.
— Touché ! s'écria Blaze depuis son poste de tir. Tiens-bon, petit !
Pendant que le Cazar faisait diversion, Blaze avait profité de sa furtivité face aux Lokis pour rassembler le plus d’extracteurs possible. Une fois assemblés, il espérait que ce « canon protomorphique » serait suffisant pour libérer Neftin de l'emprise du parasite.
Paralysé dans le vide, le géant se débattit, faisant jaillir des décharges psychiques tous azimuts. La concentration fit baisser la pression de l'air, et des nuages se formèrent autour de la tempête naissante. Harlan devait bouger, et vite. Toujours suspendu d'une main, il attrapa un injecteur de Nanotechs concentrés, se doutant bien que ce ne serait pas suffisant, et planta l'appareil au-dessus de la blessure. La sensation insupportable des tissus se reformant et se mêlant ensemble faillit le faire tourner de l’œil, mais le déchaînement des pouvoirs du Loki créait une différence de pression telle qu'il sentait son crâne sur le point d'exploser.
Péniblement, il rétracta son grappin et se laissa glisser le long de la paroi, jusqu'à atteindre une fenêtre brisée dans laquelle il se hissa. Les Nanotechs avaient stoppé l'hémorragie et refermé la plaie, mais il sentait que le moindre mouvement brusque le viderait de son sang. Il n'osa pas regarder sa blessure, et dégrafa son sac, dans lequel se trouvait un harnais gravitationnel. Normalement utilisés pour transporter du fret, il lui servirait à rattraper Neftin dès que le Loki quitterait son corps. Cependant, malgré le déluge énergétique s'abattant sur elle, la créature refusait de céder.
— Vendra ! cria-t-il pour couvrir la tempête. Il nous faut plus de puissance !
— Si je lâche le portail maintenant, il remontera jusqu’à vous et Neftin passera au travers ! Vous devez trouver un moyen !
— Je peux surcharger le flux ! dit Blaze. Mais si je perds le canon, vous devrez remonter tout de suite !
— Compris.
— Harlan, essaie de te mettre à l'abri ! Ça va chauffer.
Le Cazar fixa le harnais au bout de son grappin, prêt à être déployé, et rampa derrière une maigre cloison proche de la fenêtre brisée. La lumière dorée s'intensifia, suivie d'un nouveau déluge d'éclairs. Soudain, un mouvement sembla émerger du maelstrom. Interloqué, Harlan tenta de discerner la silhouette de Neftin au travers des nuages sombres. À la lueur des éclats énergétiques, il le vit la tête en bas, les bras et les ailes repliées le long du corps, comme un rapace en piqué.
— Il essaie de plonger vers le portail !
— Ce fumier veut embarquer Neftin avec lui ! s'exclama Blaze. Je n'ai pas assez de jus pour le retenir !
— Je vais lancer le harnais, ça nous fera gagner du temps !
Harlan se positionna au bord du précipice et tendit son poignet vers sa cible. Avec le tourbillon, il était impossible que le système de visée automatique du Swingueur puisse effectuer le tir seul. Tâchant de se souvenir de ses lointaines parties de chasse, il corrigea le ciblage au jugé alors que plusieurs liens dorés commençaient à se rompre. Sans attendre, il retint sa respiration et tira. Propulsé par le filin lumineux, le harnais déploya ses vrilles énergétiques et ligota Neftin. Plaçant un pied de chaque côté de la brèche, Harlan prit appui et tira de tout son poids sur le géant.
— Vendra !
Une onde de choc secoua le portail, qui sembla se résorber un instant. Vendra avait dû pousser un grand coup pour leur donner un peu de répit. Du coin de l'œil, il vit une silhouette nimbée de lumière mauve remonter le long de la tour. Harlan pria pour qu'elle arrive à temps, car ses jambes commençaient à trembler sous la pression, de même que les morceaux de murs qui lui servaient d'appui. Le rayon protomorphique montrait lui aussi des signes de fatigue…
Incapable d'émettre autre chose qu'un grognement, le Cazar redoubla d'efforts, lorsqu'une douleur vive dans l'abdomen lui fit soudain lâcher prise. Sa blessure s'était rouverte !
— Non ! s'écria-t-il en s'efforçant de raffermir sa prise, plaquant une main sur la plaie béante.
Mais le mal était déjà fait. Dans une ultime lutte, le géant se libéra de ses liens, éparpillant un nuage de lambeaux lumineux. Cependant, au lieu de poursuivre sa descente, il se figea et la tempête sembla se replier sur elle-même. L'atmosphère et le corps de Neftin se tendirent, chargés d'énergie, et une explosion éblouissante fit jaillir une silhouette spectrale, faisant voler en éclats les membres cristallins greffés par le Loki. Harlan reconnut la créature immense qui avait pris possession du frère Prog, qui s'échappa dans un hurlement à percer les tympans et se dirigea vers le portail, laissant une tornade sombre dans son sillage.
Vendra attaqua le Loki de plein fouet, et l'onde de choc brisa les dernières fenêtres intactes de la façade. Cependant, la créature ne répliqua pas et se contenta de se jeter au travers du portail, qui remontait toujours le long de la tour. Après un dernier soubresaut, la pression retomba, et il ne resta que le vortex dimensionnel.
Harlan, une main toujours appuyée contre sa blessure, chercha Neftin du regard, en vain. Le géant avait-il… ?
Soudain, Vendra apparut devant lui, ses yeux à peine visibles sous l'éclat de ses pouvoirs.
— Où est-il ? s'écria-t-elle en le projetant contre un mur.
— Je l'ai… perdu, souffla le Cazar, alors qu'une main invisible se pressait contre sa gorge et le maintenait en l'air.
— PERDU ?
La pression monta et Harlan, suffoquant, se débattit contre la poigne impitoyable. Ses mains cherchant à attraper la chose qui lui serrait le cou, il sentit un liquide chaud couler sur son flanc.
— J'ai essayé… De le sauver…
— Vendra ! intervint Blaze, qui arrivait par la fenêtre brisée. Qu'est-ce qui vous prend ? Où est Neftin ?
— Il l'a laissé tomber dans le portail ! fulmina-t-elle en accentuant encore la pression. Je vous faisais confiance et vous...
— Relâchez-le immédiatement, menaça le robot en la pointant de son arme.
— Essayez donc.
Vendra tourna à peine la tête, et le fusil de Blaze se décomposa dans ses mains. Le robot jura et recula d'un pas, tandis que le sœur Prog, imperturbable, continuait d'étrangler Harlan. Soudain, le Cazar toussa en cherchant de l'air, et une giclée de sang fut projetée sur le visage de Vendra. Surprise, elle baissa les yeux sur son flanc.
— Vous êtes blessé, constata-t-elle sans une once de compassion, et relâchant légèrement sa gorge sans le décrocher du mur. Que s'est-il passé ?
— Le Loki a essayé d'emmener Neftin... Je n'ai pas réussi à le retenir.
— Et cette explosion ? demanda Blaze en sortant prudemment un rouleau de bandes Nanotechs.
— Je ne sais pas. J'ai l'impression qu'il s'est extrait tout seul de Neftin, avant de l'emporter avec lui.
— Il est parti de son plein gré, devina le robot. C'était ce qu'il voulait… Il s'est juste amusé avec nous.
Harlan baissa la tête, incapable de réfuter ses propos. Il n'avait pas l'impression d'avoir causé le moindre mal au Loki. Mais pourquoi avoir quitté le corps de Neftin, et l'avoir emporté dans le Nétherverse ?
— Je suis désolé. Le Loki était...
— Peu importe, je pars à sa poursuite, déclara Vendra en le déposant au sol de façon moins brusque qu'attendue.
— Attendez ! clama le Cazar. C'est sans doute exactement ce qu'il veut !
— Il n'a pas tort, renchérit Blaze tout en lui appliquant les premiers soins. Je doute que Neftin représente le moindre intérêt pour lui. Cependant, votre frère est un appât parfait pour vous attirer...
— Ai-je le choix ? rétorqua Vendra. Il ne pourra pas survivre là-bas. Il a besoin de moi.
Le portail n'était plus très loin. S'ils ne partaient pas rapidement, Vendra allait passer au travers.
— Il y a autre chose, se souvint Harlan. Le Loki avait retiré les prothèses de Neftin pour les remplacer par un matériau étrange. Quand il est parti, je crois que ces greffes ont disparu.
— Dans ce cas, expliqua Blaze, ses chances de survie sont encore plus faibles. Il a de nombreuses cellules cancéreuses, qui risquent de se développer sans ses organes artificiels. J'ai épluché son dossier médical... Vendra, vous ne pourrez pas soigner cela.
— Je dois essayer. Vous deux, sortez d'ici.
— Je ne vous en empêcherai pas, soupira le robot. Mais je viens avec vous.
— Quoi ? s'exclama le Cazar. Blaze, vous...
— Vendra utilisera mes pièces pour sauver son frère. On n'a pas vraiment le temps de chercher un autre moyen, affirma-t-il en pointant la lueur violette qui se rapprochait.
— Pourquoi feriez-vous une chose pareille ? l'interrogea la sœur Prog, ôtant les mots de la bouche du jeune homme.
— Servir et protéger, répondit le robot en haussant les épaules. C'est ma raison d'exister. Mes pièces n'ont aucune valeur comparée à une vie, quelle qu'elle soit.
Harlan ne sut quoi répondre. Il n'avait pas côtoyé les jumeaux aussi longtemps que Blaze, mais comment pouvait-il encore être prêt à les suivre ? C'étaient des meurtriers, des terroristes, et leurs récentes actions ne faisaient que prouver à quel point ils ne pensaient qu'à eux-mêmes !
Un sentiment de culpabilité émergea des profondeurs de son esprit, à la fois surprenant et effrayant. Il avait laissé Neftin tomber dans le royaume des monstres. Vendra et son frère les avaient sauvés sur Vartax. Ils avaient épargné Blaze alors qu'il les suivait, et n'auraient peut-être mis personne en danger si Harlan les avait laissés faire dans le hangar de Pollyx. Malgré tout, il se refusait à les aider. Tout ce qui les attendait de l'autre côté de ce portail allait essayer de les tuer. Il ne voulait pas risquer sa vie une fois de plus. Il pouvait retourner sur Solana, s'abriter auprès de sa famille, et oublier toute cette histoire…
Il fixa Vendra, et une image se superposa aux yeux fendus et au visage d'une pâleur mortelle : celle d'une enfant apeurée et manipulée. Seule avec son frère, contre l'univers entier. Harlan n'avait pas seulement observé son passé, il l'avait vécu. À sa place, aurait-il agi différemment ?
— Je viens aussi avec vous.
— Harlan… commença le robot.
— C'est mon choix. Vous et votre frère étiez peut-être des criminels, mais les Lokis ne feront pas de distinction, alors moi non plus. Et puis… c'est ma faute si nous en sommes arrivés là. Je ne peux pas vous laisser réparer mon erreur à ma place.
— Tu es toujours blessé, insista Blaze, et tu as besoin de soins plus importants que de simples injections. Navré, mais dans cet état, tu nous ralentirais plus qu'autre-chose.
Poussant un grognement exaspéré, le Cazar saisit l'injecteur de Nanotechs et s'appliqua une dose si concentrée qu'elle frôlait le seuil maximal de toxicité. Sa vision se troubla et il tituba, sentant des fourmillements insoutenables au plus profond de ses entrailles.
— Espèce d'inconscient ! s'exclama Blaze en le soutenant, lui arrachant l'injecteur des mains. Tu essaies de te tuer ?
— J'essaie de ne pas être un poids, répondit-il en luttant pour retrouver l'équilibre. Vendra, laissez-moi vous aider.
— Ce sera peut-être un aller simple, le prévint l’intéressée d'un air impassible.
Elle fit volte-face, observant l'extérieur. Le bouclier, malgré sa puissance, commençait à céder. Le portail n'était plus qu'à une centaine de mètres en-dessous.
— Le temps presse, déclara Blaze. Miss Prog, je peux vous dire un mot ?
Ils s'éloignèrent, et Harlan se concentra sur la nausée provoquée par la surdose de Nanotechs. Au moins, sa blessure semblait solidement refermée. Ses organes étaient encore endommagés, mais sans mettre sa vie en danger… en tout cas, il n'avait pas l'appareil pour le vérifier. Il s'approcha du bord, et contempla le gouffre qui semblait dévorer l'immeuble. Une boule se forma dans sa gorge.
Il s'apprêtait – littéralement – à sauter dans l'inconnu. Il était terrifié, mais son calme l'étonnait. C'était comme une sensation de fatalité. Est-ce que les héros comme Ratchet et Clank ressentaient la même chose avant d'affronter une armée de Cragmites ou un monstre interdimensionnel ? Ce n'était pas le genre de détails auxquels les holofilms prêtaient attention.
— Très bien, conclut Blaze en s'approchant. Inutile d'attendre plus longtemps.
Le robot lui tendit un fusil anti-Loki et une bandoulière chargée de munitions et d'outils, avant de s'équiper de la même manière. Il lui remit également une combinaison de survie munie d'un casque étanche.
— Tant qu'à aller au casse-pipe, autant emporter un peu de matériel. Toujours partant ?
— Toujours partant, répondit-il en enfilant la tenue. Vendra, vous… ?
— Je n'en ai pas besoin. Donnez vos mains.
Le duo s'exécuta, se plaçant de part et d'autre de la sœur Prog. Flottant à leur hauteur, elle leur prit la main, et le Cazar sentit un fort picotement, se propageant de son poignet jusqu'au bout de sa queue. Son corps s'était mis à luire de la même couleur que le portail.
— Et si ça ne marche pas ? s'enquit-il.
— Au mieux, vous passerez au travers. Au pire, vous serez désintégrés.
— J'aurais mieux fait de me taire.
— On entre, on trouve Neftin, et on revient, déclara Blaze. Laissons les Lokis et les Néthers s'entretuer.
Vendra acquiesça, et les fit léviter hors de l'immeuble. Le gouffre dimensionnel leur faisait face, distordant l'air autour de son horizon. Harlan ne parvenait pas à voir de l'autre côté. C'était comme plonger dans un trou noir. Alors que Vendra les entraînait vers la faille, il sentit sa main se resserrer légèrement. Avait-elle peur, elle aussi ? Presque inconsciemment, le Cazar serra en retour, retenant sa respiration avant le grand saut.
L'espace obscur emplit son champ de vision, et il eut l'impression de passer à travers un jet d'eau à haute pression. Au même moment, le contact sur sa main disparut.
***
Le Capitaine Qwark n'aimait pas ça du tout. À peine était-il arrivé aux alentours de la tour Pollyx qu'un bouclier géant était tombé du ciel, suivi par d'innombrables vaisseaux occupés à se tirer dessus. Bien vite, des tirs perdus atteignirent la ville, certains appareils s'attaquant même directement aux bâtiments. Heureusement, la population était en sécurité dans les niveaux inférieurs… Ce qui n'était pas le cas de Qwark. Décidant que l'endroit le plus sûr était certainement à l'intérieur du bouclier, il s'était rapproché davantage.
Une salve s'écrasa sur la façade d'une tour, et le justicier accéléra pour esquiver la pluie de débris. Il arriva au bord de la voie piétonne qui menait au parvis du siège de Pollyx Industries, et constata que le pont énergétique avait été désactivé, le bouclier bloquant l'accès.
— Euh, hé ho ! appela-t-il en secouant les mains en l'air. Il y a quelqu'un ? Super-héros en détresse !
Personne ne daigna lui répondre. Il était difficile de voir de l'autre côté de la barrière, mais le bâtiment semblait désert. Alors pourquoi activer une telle protection ?
Soudain, une fenêtre explosa, et Qwark aperçut un feu mauve en émerger. Un Loki ! Alors que le Capitaine cherchait du regard un abri dans les environs, un phénomène immense se manifesta au pied de la tour. Le regard avisé et perçant du héros, confronté à maintes reprises à des portails dimensionnels, reconnut sans mal l'évènement. Un véritable spectacle de lumières se mit alors en marche : rayons dorés, tempêtes sombres et éclairs mauves… Pour Qwark, cela ne signifiait qu’une chose : « File d’ici ! »
Obéissant à son instinct, il commença à rebrousser chemin, mais une explosion plus violente que les autres déchira l’air, expulsant de la lumière au travers du bouclier. Le tourbillon disparut et le calme retomba, ne laissant que le portail remontant le long de la tour. Même dans le ciel, le ballet mortel des vaisseaux semblait avoir ralenti.
Après mûre réflexion, il en déduit que tout cela ne le concernait sans doute pas. Le Capitaine tourna les talons et se faufila hors de la zone : avec le portail qui se rapprochait, il valait mieux ne pas traîner dans le coin !
Il lui fallut quelques minutes pour quitter la place faisant face à la tour Pollyx. Alors qu’il entrait dans les petites rues à la recherche d’une porte ouverte où se réfugier, il fut surpris par l’apparition d’un éclat violet à quelques mètres du sol, tout près du bâtiment qu’il longeait ! Il s’abrita aussitôt sous un store métallique : un tir perdu avait dû heurter la façade, et des débris risquaient de tomber.
Cependant, il n’entendit qu’un impact lourd et un peu mou, accompagné de quelques brisures de verre. On aurait dit que quelqu’un avait chuté sur le store, juste au-dessus de lui. Glissant prudemment la tête en dehors de sa protection de fortune, il constata alors ce qu’il en était : un Cazar, vêtu d’une combinaison spatiale, venait de s’écraser sur le store !
N'écoutant que son courage légendaire, Qwark saisit délicatement le malheureux et l’allongea par terre, se servant de ses puissantes mains pour le soutenir. Il lui retira prudemment son casque, dévoilant un pelage roux et crasseux.
— Vous m’entendez, citoyen ? demanda-t-il. N’ayez crainte, car vous avez et secouru par…
— Vendra ? marmonna le Cazar en remuant avec difficulté.
— La sorcière ? s’étonna le héros. Ha ! Mon ami, vous avez affaire au Capitaine Copernicus L. Qwark ! Il est tout à fait normal que mon physique avantageux vous éblouisse, mais je n’ai rien à voir avec cette abjecte criminelle ! Vous vous êtes sûrement cogné la tête…
— Le portail… Où est le portail ? demanda-t-il en se redressant.
— Vous parlez de ça ? répondit Qwark en désignant le sommet de la tour Pollyx.
Le Cazar suivit son doigt et contempla la scène, l’air interdit : dans un dernier éclat, la faille dimensionnelle dépassa la hauteur du bâtiment et se résorba.
— Ils m’ont laissé ici… murmura-t-il.
— Qui donc ? Et qui êtes-vous, d’abord ? l’interrogea le héros d’une voix inspirant la crainte. Seriez-vous un Loki ? Je vous préviens, l’homme qui se tient devant vous détient une parfaite maîtrise de quatre arts de combats fongoïdes !
— Je ne suis pas un Loki.
— Ah, voilà qui est rassurant !
Qwark se redressa, satisfait d’avoir pu régler le litige sans recourir à la force – cela créait toujours des ennuis avec les journalistes. Son regard s’attarda sur le store où le Cazar s’était écrasé. Un objet qu’il avait pris pour un débris attira son attention : une sorte de petit disque.
— Hé, citoyen ! dit-il en lui tendant le bibelot. Je crois que vous avez fait tomber ceci.
— C’est… La mémoire de Blaze…
— Qui est-ce ? Votre copilote ? Vous étiez dans un de ces chasseurs, n’est-ce pas ?
Sans lui répondre, le Cazar se mura dans un silence inquiétant, examinant le disque sous tous les angles.
— Je dois partir, déclara-t-il enfin. Merci de m’avoir aidé, Capitaine.
— Attendez, citoyen ! l’arrêta Qwark. Je suis sûr que vous avez besoin de soins, et si vous aviez l’obligeance de m’indiquer le chemin de l’hôpital le plus proche, je me ferais un plaisir de nous y emmener !
— Ce n’est pas la peine, répondit-il en glissant le disque dans une poche de sa combinaison. Je peux me débrouiller.
— Vous m’indiquerez quand même le chemin de l’hôpital ? Je dois avouer que ce bon vieux Capitaine a besoin d’un peu de repos, et… Il doit sûrement s’y trouver des foules d’âmes en peine n’attendant que moi pour se remettre !
Le Cazar le fixa un instant, d’un air un peu incrédule, puis lui montra une direction, et chacun partit de son côté. Le Capitaine Qwark était fier de lui : n’écoutant que son instinct, il s’était une fois de plus trouvé au bon endroit et au bon moment pour venir en aide à un citoyen reconnaissant ! Bien que… bizarre.
Se retournant une dernière fois, il vit que son nouvel ami avait disparu dans une ruelle. La bataille aérienne reprenant de plus belle après l’interruption causée par le portail, il se hâta de rejoindre un endroit plus sûr pour les héros comme lui, sans néanmoins profiter du moindre transport motorisé. Décidément, les infrastructures étaient à revoir !
***
Ziering fixa une dernière fois le radar, puis se concéda un sourire victorieux. Après tant d’efforts et de sang versé, l’écran était enfin vierge de toute présence ennemie.
— Rapport de situation.
— Pertes estimées à soixante pourcents, Monsieur. Plusieurs vaisseaux sont encore en cours d’évacuation, mais la majorité des blessés a été rapatriée.
— Le Régulateur restera ici avec son escorte pour s’occuper des recherches. Que le reste de la flotte se prépare à sauter au point de ralliement.
— Si je puis me permettre, intervint Clank, pourquoi un tel empressement ? Il serait plus sage de laisser un maximum de nos forces ici pour effectuer les réparations.
— Nous avons d’autres obligations. Retrouvez-moi dans ma cabine une fois en hyperespace.
Le petit robot lui adressa une moue dubitative, puis sortit poliment de la passerelle. L’amiral vérifia rapidement le signal de l’ansible quantique, et ne reçut que des interférences. Iglak était toujours injoignable.
Alors que le Gardien se préparait à sauter, il se pencha sur le panneau de commandes et vérifia le compte-rendu de la bataille. Soixante pourcents… Ils avaient certes sauvé une quantité de civils bien plus importante que leurs propres effectifs, mais de telles pertes n’étaient jamais tolérables.
Ziering éteignit l’écran d’un geste rageur et quitta le pont, enjambant les monceaux de débris et de câbles sectionnés qui parsemaient le sol. Il arrivait à sa cabine lorsqu’un choc dans l’espace indiqua qu’ils avaient quitté la nébuleuse. Il baissa les yeux et découvrit Clank, adossé à la cloison.
— Vous êtes ponctuel, observa-t-il en l’invitant à entrer.
— Mon père est un Zoni, le contraire serait problématique.
— Certes… Nous arriverons bientôt à la station de ralliement et effectuerons un maximum de réparations sur place. Plusieurs unités attendent pour remplacer les matelots et soldats blessés. Ensuite, j'enverrai de nouveau ordres et la flotte se dispersera.
— Pour venir en renforts aux planètes attaquées par les Lokis ?
— On ne peut rien vous cacher.
— Vous avez bien fait de garder le silence, je doute que Ratchet soit resté concentré sur la bataille en sachant cela… Sommes-nous les seuls à le savoir ?
— Au sein de cette flotte, oui. Mais quand votre ami est passé par la station, il a sans doute été mis au jus par l'officier sur place. Quand j'ai su pour l'attaque, je lui ai donné l'ordre de garder les civils sur place et d'éviter la diffusion de l'information pour éviter la panique.
— Connaissant Ratchet, il a ignoré l'ordre et se trouve déjà en hyperespace.
— C'est que je pensais, dit Ziering en affichant un hologramme résumant la situation. Les principales cibles sont Terachnos et Kortog, ainsi qu'une douzaine d'autres planètes du moyeu. Nous enverrons nos vaisseaux en renforts en fonction des forces ennemies.
— Et Iglak ?
— Je l'ignore. Nous avons perdu le contact avec l'ansible de Paraden il y a vingt minutes environ.
— Cela ressemble fortement à une attaque.
— Évidemment. Mais le système est presque diamétralement opposé à nous, même le Gardien mettrait plusieurs heures pour contourner le noyau galactique. J'essaierai d'en apprendre plus une fois sortis de cette purée, mais je suppose qu'il faudra faire confiance aux armadas de défense à proximité.
Clank croisa les bras. Ziering hésita à lui proposer de monter sur le bureau pour mieux voir l'hologramme – le robot lui arrivait à peine au-dessus du genou, mais fut interrompu par le choc accompagnant le retour en espace subluminique.
— Je dois partir pour Iglak, déclara le robot.
— Vous ne préférez pas attendre qu'on en sache plus ? C'est inhabituel de votre part.
— L'instinct de Ratchet le trompe rarement, et je suis certain qu'il a mis le cap sur la capitale. Avec Aphélion, il y arrivera d'ici moins d'une heure. Quoi qu'il se passe là-bas, je dois le retrouver.
Ziering fit la moue.
— Je ne vous cache pas que j'aurais préféré vous avoir sur le Gardien.
— Je crains que ce ne soit pas négociable, Monsieur.
— Bien, bien, répondit-il en écartant l'hologramme d'un geste vif. Un vaisseau vous attendra dans le hangar. Bonne chance.
— Merci, Amiral. Bonne chance à vous.
Clank quitta la cabine d'un pas pressé. Ziering transmit l'ordre au pont d'envol, puis retourna sur la passerelle. Quelques minutes plus tard, une navette quittait le Gardien. Le temps d'évacuer les blessés sur la station et d'effectuer les réparations les plus critiques, l'amiral avait transmis tous les ordres, et la flotte se dispersa. Les Lokis allaient avoir une mauvaise surprise.
***
Susie faisait les cent pas dans la salle de réception. Quelques minutes plus tôt, un robot de sécurité l’avait laissée ici avec pour instruction d’attendre qu’on vienne la chercher. Bien sûr, la perspective de rester assise sur un siège inconfortable n’avait pas plu à la jeune fille, qui essayait désespérément de trouver quelque chose d’intéressant à faire dans cette salle affreusement vide. C’était ce qui lui manquait le plus de Magnus, où chaque maison était décorée et entretenue avec soin par ses propriétaires. Tout était vivant, coloré… sauf dans le laboratoire de la Foret Terrawatt, qui était resté vierge de toute trace de couleur malgré ses nombreuses tentatives. Dans cette cité gigantesque, en dehors des espaces naturels ou touristiques, tout ressemblait aux installations de travail de Frumpus et Nevo. C’était d’un triste !
— Susie ? appela une voix familière.
— Frumpus ! répondit-elle en se plantant en face de son père adoptif, les mains jointes dans le dos et un air innocent sur le visage.
— Tu attends depuis longtemps ?
— Non, mentit-elle. Mais ce vilain robot ne m’a même pas dit pourquoi il m’avait emmené ici, et m’a laissée toute seule !
— Il faut les excuser, les modèles de sécurité n’ont pas été programmés pour être très amicaux… Tu viens ?
Hochant vigoureusement la tête à l’idée de sortir de cette salle mortellement ennuyeuse, la jeune Tharpod le suivit dans le dédale de couloirs et de laboratoires. Il fallait avouer que, même s’il n’était pas très joyeux, le bâtiment en imposait : lorsque leur chemin les menait à contourner d’énormes machines, entourées de Grumins tellement occupés qu’ils remarquaient à peine leur présence, elle se sentait minuscule.
— On pourra rentrer à Uzo City quand vous aurez fini votre travail ici ?
— La maison te manque ?
— Un peu.
— Ne t’inquiète pas. Avec tout ce que Nevo et moi avons accompli ici, on aura bien mérité quelques vacances, tous les trois. On pensait passer une petite semaine sur Potikaru, qu’en penses-tu ?
— Sur Solana ? Mais c’est super loin !
— Il y a l’île d’Oulefar, si tu préfères. C’est plus tranquille… Mais c’est vrai que je commence à étouffer au milieu de tous ces gens.
— Moi aussi, bouda la fillette. J’ai fait comme tu m’as dit, et il y a plein d’enfants de mon âge ici, mais… C’est pas comme à la maison. Et puis, avec ce qui se passe dehors, je sais même pas s’ils vont bien…
— Je suis sûr qu’ils vont bien, la rassura Frumpus en s’agenouillant devant elle, les mains posées sur ses épaules en un geste tendre. Je suis content que tu n’aies rien, Susie.
Quand les émeutes avaient commencé, Nevo l’avait appelée et sommée de rester à l’abri dans l’appartement. Après s’être barricadée autant que possible, elle avait attendu pendant presque une heure. Elle avait bouché les fenêtres, mais le tumulte dans les rues parvenait jusqu’à elle. À plusieurs reprises, elle avait cru que la foule furieuse était parvenue à rentrer dans l’immeuble. Lorsque le robot de sécurité était venu la chercher, elle avait d’abord essayé de fuir, puis de l’attaquer. Il avait fallu que la machine lui explique que c’étaient ses pères adoptifs qui l’envoyaient pour qu’elle accepte de partir avec elle.
Bien que sa voiture soit passée loin des émeutes, elle n’avait pas pu s’empêcher de regarder les rues incendiées qui se détachaient du paysage nocturne, laissant son esprit vagabonder d’une idée cauchemardesque à une autre : et si quelqu’un parvenait à attraper leur véhicule ? Et si l’un de ses amis était perdu au milieu de cette pagaille ?
— Dis, pourquoi les gens se battent dehors ?
— C’est un petit peu long à expliquer. L’important, c’est qu’on reste en sécurité et que Nevo et moi finissions notre travail.
— Pourquoi ?
— Tu te rappelles ces choses violettes qu’on a croisé sur Magnus ?
— Oui. Il y en avait une qui t’a attaqué.
— C’est cela. Ces pauvres gens dans les rues sont aussi victimes de ces créatures. Mais nous sommes à deux doigts de mettre au point au solution !
— C’est vrai ?
— Vrai de vrai ! répondit Frumpus avec fierté. Viens, Nevo va te montrer.
Ils entrèrent dans un laboratoire spacieux en forme de U : des paillasses couvertes de matériel et d’instruments d’un côté, des ordinateurs et postes d’observation de l’autre. Une vingtaine de scientifiques Grumins et quelques Terachnoïdes circulaient d’un coin à l’autre de la pièce. Au centre du U se trouvait un mur de verracier oblong, de l’autre côté duquel se trouvaient plusieurs capsules et instruments de mesures sécurisés : une zone de test blindée, observable sous plusieurs angles.
Un Tharpod d’âge mûr était allongé sur un siège d’opérations dans la zone de test, et un médibot s’approchait de lui, un injecteur à la main.
— Test sur sujet volontaire Tharpod numéro trois, annonça Nevo. Niveaux stables, vous pouvez commencer.
— Qu’est-ce que vous faites ? s’enquit Susie d’une voix tendue, toujours mal à l’aise dans ce genre d’endroit.
— Chut, lui intima Frumpus. Il ne risque rien, tu vas voir.
Nevo nota leur présence d’un sourire rassuré, et fixa à nouveau ses écrans. Le médibot attendit l’aval du patient, puis injecta une fluide cyan dans son bras.
— Nanotechs dispersés, énonça Nevo alors que les autres scientifiques s’approchaient à leur tour des moniteurs. Dispersion normale… Lancement du programme.
Susie ne vient rien changer sur le patient, mais les écrans furent tout-à-coup bombardés de relevés. Sur l’un d’eux était affiché une représentation en trois dimensions du corps du Tharpod. Une sorte de gangue semi-opaque recouvrit la projection fantomatique, comme si une couche de peau était en train de pousser sur le modèle.
— Réponse neuronale optimale, déclara un Terachnoïde. Ressentez-vous quoi que ce soit, picotements ou douleurs ?
— Rien, répondit le patient.
— Très bien, reprit Nevo. Nous allons procéder à quelques tests du système nerveux, puis nous passerons aux contre-mesures.
Le médibot déploya tout un attirail d’outils, et tandis qu’il se mettait au travail, Susie tira sur la blouse de Frumpus.
— C’est quoi, ce truc ? murmura-t-elle.
— Disons qu’il s’agit d’une sorte d’antivirus, répondit le Tharpod en saisissant un petit projecteur d'hologrammes.
— Contre les Lokis ?
— Exactement. Chaque créature pensante de l’univers émet des ondes mentales par l’activité de son cerveau. Ces ondes sont invisibles pour nous, mais les Lokis sont capables de les sentir, et surtout de s’interfacer avec.
— Ça veut dire quoi ?
— Souviens-toi, quand on t’a appris à te servir d’une radio. Tu sais, il fallait trouver la bonne fréquence pour capter la bonne personne ? Eh bien, imagine que chacun a sa propre radio, dans sa tête. Et les Lokis sont capables non seulement de capter ces radios, mais d’adapter leurs propres ondes pour remplacer celles des autres.
— C’est comme si quelqu’un venait sur ma radio pour mettre sa musique plus fort que la mienne ?
— Tu as tout compris, la félicita-t-il en attrapant ses petites cornes pour lui secouer gentiment le crâne.
Frumpus activa l’appareil, qui projeta le même modèle du sujet tharpod, et pointa la « peau » qui le recouvrait.
— Aujourd’hui, tout le monde utilise des Nanotechs pour se soigner ou se maintenir en bonne santé. Comme toute machine, ils peuvent être reprogrammés. Alors, Nevo s’est dit : « Utilisons-les pour bloquer les ondes mentales et empêcher les Lokis de nous contrôler ! »
— Et ça marche ?
— Il y a eu… quelques complications, précisa-t-il. Grâce à nos travaux sur l’extracteur, nous savions comment interagir avec les ondes mentales, mais si tu bloques toutes les ondes, tu empêches le cerveau de communiquer avec le reste du corps, et même avec lui-même ! La solution a été de créer une simple couche protectrice de Nanotechs juste sous l’épiderme, comme un isolant à chaleur. Ainsi, l’activité interne des neurones n’est pas dérangée. Enfin, en théorie. C’est ce que nous sommes en train de tester…
Ayant terminé les tests moteur et neuraux avec succès, le patient se rassit. Dans la salle, les scientifiques avaient déjà l’air plus soulagés.
— Le programme est certifié sans danger pour ce test, annonça Nevo. Reste à savoir s’il fonctionne. Déploiement des capteurs !
Une batterie de senseurs descendit du plafond, encerclant le Tharpod à diverses distances. Un tableau de relevés s’ouvrit face à Nevo. Après quelques secondes, chacune des lignes se colora en rouge.
— Aucune réponse des capteurs mentaux. Vous êtes aussi invisible qu’un robot.
— Ça veut dire qu’aucun Loki ne pourra le contrôler ? demanda Susie, cette fois à voix haute.
— Pas vraiment, répondit Nevo en l’invitant à s’approcher de la vitre. Mais si le parasite ne peut pas capter la radio, ses chances de se régler sur la bonne fréquence au hasard sont infinitésimales. Le temps qu’il la trouve… Il est vulnérable, à condition d’être à l’extérieur de son cristal.
— Génial ! exulta-t-elle, exprimant la pensée de tous les occupants du laboratoire. Il faut l’envoyer à tout le monde !
— Bien sûr, jeune fille, répondit Nevo en posant une main sur son épaule. Mais ce programme doit d’abord être calibré pour toutes les espèces, car il ne fonctionne pour le moment que pour les Tharpods. Cependant… J’aimerais que tu sois la première d’entre nous à le recevoir.
— Nevo ! s’exclama Frumpus. Il faut d’abord effectuer plus de tests !
— Tu as assisté à cela comme moi. Le test est concluant.
— Nous ignorons les effets sur le long terme !
— Hé arrêtez ! s’écria Susie. Vous pouvez faire plus de tests et je serai quand même la première, non ? Je peux attendre !
— …Tu as raison, admit Nevo. Excusez-moi, j’ai été trop impatient. Le test est terminé, déclara-t-il en se tournant vers le patient, toujours de l’autre côté de l’épaisse vitre. Vous pouvez sortir de la salle, nous suivrons l’évolution du programme dans les jours à venir. Les instructions…
— Votre attention, les interrompit la voix tonitruante de l’interphone, ceci n’est pas un exercice ! La planète est évacuée, tout le personnel est sommé de se rendre immédiatement aux navettes de sauvetage ! Ceci n’est pas un exercice, veuillez évacuer dans le calme…
Le message préenregistré se diffusa en boucle, et l’alarme teinta les murs aseptisés d’un rouge inquiétant. Le groupe de scientifiques eut à peine le temps de comprendre ce qu’il se passait que la porte du laboratoire s’ouvrit avec fracas, laissant entrer un peloton de robots de sécurité.
— Docteur Croïd, Docteur Binklemeyer. Veuillez former un rang avec les membres de votre équipe et nous suivre dans le calme. Vous allez être escortés au hangar.
— Que se passe-t-il, bon sang ? s’exclama Nevo alors que les Grumins se dirigeaient docilement vers la sortie.
Comme pour lui répondre, une secousse ébranla soudain le bâtiment. Plusieurs écrans se brisèrent, projetant une pluie d'étincelles. Susie connaissait ce genre de vibrations, trop courtes pour qu'il s'agisse d'un séisme : une explosion !
Un second impact suivit, brisant une partie des tuyaux courant au plafond. La jeune fille suivit du regard les nuages de vapeurs s'en échappant, et constata que la vitre était balafrée d'une large fissure.
— Une évacuation immédiate est requise, reprit le robot de sécurité. Embarquement des civils prêts au départ et séparation des effectifs.
Même les Terachnoïdes les plus réticents étaient prêts à obéir aveuglément, et se joignirent au groupe de Grumins. Escortés par une partie des robots, ils sortirent du laboratoire. Un autre s'occupa du sujet Tharpod.
— Docteur Croïd, Docteur Binklemeyer, répéta l'un des soldats mécaniques restants. Il faut partir.
— Attendez ! s'écria Nevo en se précipitant vers la console principale. Je dois absolument transférer le programme !
— Contrairement à la majorité des bâtiments de Luminopolis, ce centre est construit selon un axe horizontal. Il est donc plus vulnérable aux attaques.
— Qui nous attaque ? l'interrogea Susie.
— Une flotte de vaisseaux lokis ont pris la planète d'assaut.
— Et l'anneau de défense ? insista Frumpus.
— Il est probable que certains ennemis soient parvenus à franchir le périmètre. L'amirale Apogée a ordonné l'évacuation immédiate du système.
— Ça, on avait compris ! s'exclama-t-il alors qu'une nouvelle secousse faisait voler en éclats une partie de la verrière. Nevo !
— Le programme est sauvegardé ! répondit le Tharpod. Transfert aux archives de la Salle.
— Commande impossible, répondit l'ordinateur.
— Ce n'est pas le moment… Essaie Terachnos.
— Commande impossible.
— Que se passe-t-il ?
— Le protocole PHŒNIX a été activé. Tous les relais de communication interstellaire ont été réquisitionnés.
— Par qui ? s'énerva le scientifique. Pourquoi ?
— Cette information est classée secret défense.
— Évidemment ! Et les relais secondaires ?
— Nevo ! l'interrompit Frumpus. Nous n'avons plus le temps !
Au même moment, une nouvelle explosion déchira le plafond de la salle de test. En s'effondrant, l'amas de métal détruisit la grande vitre la séparant du laboratoire. Un minuscule débris érafla la tête de Nevo, tandis que les deux autres étaient protégés par le robot.
— Docteur Binklemeyer, le prévint celui-ci, dernier avertissement. Si vous refusez de vous conformer au plan de sécurité, cette unité se rendra aux navettes avec les civils restants.
— D'accord, d'accord ! fulmina le scientifique. Transfert sur disque de stockage externe.
Ramassant un palet noir contenant le précieux programme, Nevo les rejoignit, et ils partirent au pas de course à travers les couloirs en ruines.
— Désolé, dit-il entre deux enjambées. Ce programme est…
— Important, nous le savons, répondit Frumpus. Faisons en sorte qu'il quitte la planète.
— Et Rhivan ? s'enquit Susie. Et Talwyn, ils vont partir aussi ?
— Ne t'inquiète pas, ils sont sûrement déjà dans l'espace en ce moment. Nous les retrouverons une fois là-haut.
La jeune fille acquiesça nerveusement est pressa le pas pour suivre la cadence du robot de sécurité, qui faisait à peine mine de les attendre. Ils devaient éviter les couloirs obstrués et les incendies qui se déclaraient un peu partout dans le centre. L'odeur de brûlé, le hurlement de l'alarme et les flammes dévorantes ravivèrent de douloureux souvenirs, et Susie se retrouva tout à coup dans les rues de Tortem Fi.
Séparée de ses parents, perdue dans une ville dévastée par une armée de robots impitoyables, l'ombre gigantesque de l'Éphéméris masquant le ciel… Elle avait espéré ne jamais revivre un tel cauchemar, et voilà qu'elle se retrouvait à nouveau en enfer, à cause des mêmes créatures qui l'y avaient plongée la première fois !
Alors qu'ils passaient au détour d'un laboratoire, le plafond de celui-ci s'effondra, projetant un épais nuage de fumée et de cendres dans leur direction. Susie, essoufflée après leur course frénétique dans le centre, aspira une bouffée d'air toxique et toussa, les yeux brouillés de larmes. Lorsqu'elle les rouvrit, elle ne voyait plus les autres. Terrorisée, elle courut à l'aveuglette, cherchant une sortie dans les méandres brumeux.
— Au secours ! s’époumona-t-elle. Frumpus ! Nevo !
Une langue de feu s’échappa du laboratoire, ravageant le couloir déjà endommagé. Susie sentit la chaleur chauffer son visage et cacha ses yeux pour se protéger des étincelles, titubant au milieu des débris. Soudain, une poigne solide et métallique lui agrippa le bras et la tira fermement en arrière, lui arrachant un cri terrorisé. Une poutrelle d’acier s’écrasa là où elle se tenait une seconde plus tôt.
— Susie ! s’écria Nevo en l’enlaçant vivement. Tu es là…
— Je vous ai perdus dans la fumée, sanglota la petite. J’ai cru que…
— Chut… incita-t-il tendrement. Nous sommes avec toi. Ça va aller.
— Nous ne sommes plus très éloignés du hangar, fit remarquer le robot. Il faut nous hâter.
— Tu entends ? renchérit Frumpus. C’est presque fini !
— Je veux partir d’ici…
Le scientifique hocha la tête d’un air encourageant et lui prit la main, qu’elle serra fermement. Elle ne la lâcha pas sur les dernières foulées qui les séparaient du hangar à navettes… Puis, alors qu’ils passaient la dernière porte, le choc lui fit lâcher prise :
Le hangar, long d'une centaine de mètres et dont le mur du fond s'ouvrait sur l'espace aérien, était en ruines. À quelques pas de la porte et jusqu'à la plateforme d’envol, le sol s'était transformé en fossé dévoré par les flammes. À travers le rideau de fumée noire, Susie aperçut la silhouette d'une unique navette, la seule restante après l'évacuation du personnel.
— Elle fonctionne encore ?
— Affirmatif, répondit le robot en s'avançant au bord du gouffre. Il s'agit de votre unique chance de survie.
— C'est encourageant, commenta Frumpus. Comment allons-nous traverser ?
— Calcul en cours…
La tête du robot pivota, dardant l'espace de ses capteurs. Les attaques avaient cessé, mais le bâtiment était au-delà de toute réparation. Les épaisses poutres soutenant le plafond étaient à moitié fondues, et plusieurs avaient déjà lâché, dévoilant le ciel nocturne embrasé par les combats. Une secousse bouscula le petit groupe, manquant de les faire basculer. Le robot restait au bord, imperturbable.
— Pont énergétique hors-service, énonça-t-il avant de pointer le plafond du doigt. Plusieurs passerelles ont été endommagées au niveau supérieur, mais les probabilités de résistance à la traversée sont acceptables. Trajectoire calculée : quatre sauts, vingt-trois mètres…
— Je vous arrête, l'interrompit Nevo, nous ne pouvons pas sauter aussi loin. Il reste des morceaux de plateformes sur les côtés, peut-être pouvons-nous…
— Impossible, répondit la machine en scannant les ruines fumantes. Taux de fragilité trop élevé. Cette unité est capable d'effectuer la traversée avec un passager. Paramètre compromettant : l'intégrité structurelle du bâtiment atteint un niveau critique.
— Tout va s’effondrer ? s’inquiéta Susie.
— Affirmatif. D’après les paramètres actuels, une seule traversée est possible avant que le décollage soit compromis.
— Mais… cela veut dire que… bredouilla Frumpus.
— Nous ne pouvons pas partir, acheva Nevo d’une voix brisée. Tout est ma faute…
Le vieux Tharpod enfouit son visage entre ses mains et s’affaissa en sanglotant. Son partenaire posa une main réconfortante sur son épaule, puis la remua avec vigueur.
— Tu as fait ce qu’il fallait, dit-il d’une voix ferme. Mais tu dois finir le travail.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Susie, répondit Frumpus en s’agenouillant face à elle, tu vas partir seule avec ce robot. Il t’emmènera dans un endroit sûr.
— Mais… Et vous ?
— Nous ne pouvons pas venir avec toi.
— Non ! s’écria-t-elle, les yeux écarquillés d’effroi. Si vous restez ici, vous allez…
— Oui, avoua le scientifique en baissant les yeux.
— Il doit y avoir un autre moyen ! Quelqu’un va venir nous chercher !
— Le temps presse, déclara le robot en s’approchant. Cette unité ne pourra bientôt plus procéder à l’évacuation.
— Juste une minute, implora Nevo en se redressant. Je dois lui dire quelque chose.
— Accordé.
Hochant la tête avec reconnaissance, il s’accroupit à côté de Frumpus et saisit doucement la petite main de la fillette entre les siennes.
— Susie, écoute-moi bien. Que je l’aie voulu ou non, je me suis rendu complice de crimes abominables, pendant plus de la moitié de ma vie. Je t’ai privée de ta vraie famille, et je n’ai jamais pu me le pardonner. Même si on m’a donné une chance de me racheter, ce poids pesait beaucoup trop lourd sur ma conscience. Mais toi… Quand tu es entrée dans nos vies, et que tu as accepté de vivre avec nous, tu as allégé ce fardeau plus que tu ne pourrais l’imaginer.
— Ces quatre années passées avec toi furent les plus beaux cadeaux que de vieux Tharpod comme nous pouvaient espérer, ajouta Frumpus. Même si nous formons une bien piètre famille pour toi… Merci du fond du cœur.
Le visage trempé de larmes, Susie se jeta dans leurs bras, et serra de toutes ses forces.
— Vous serez toujours une vraie famille pour moi, sanglota-t-elle. Je veux rester avec vous…
— Nous serons toujours à tes côtés, l’assura Nevo. Tu es forte et courageuse, et il est temps pour nous de te passer le flambeau.
S’efforçant de retenir ses sanglots, la fillette recula, le visage tremblant. Nevo fouilla dans sa poche et en sortit le disque de données, qu’il plaça au creux sa main. Il referma délicatement ses doigts sur l’objet avant de la fixer du regard :
— Ces données sont capables de sauver beaucoup de vies. Je te demande de veiller sur elles, et de les confier à une personne de confiance. Tu comprends ?
— En tant que cadet, balbutia-t-elle en exécutant maladroitement le salut des Forces Défensives, j’accepte la mission, et… jure de la mener à terme, pour le bien de la galaxie.
— Bravo, la félicita Frumpus en l’embrassant sur le front. Au revoir, Susie.
— Quoi ? s’exclama-t-elle alors que le robot de sécurité la soulevait pour la porter contre son thorax. Non, attendez !
Les puissants moteurs de la machine s'enclenchèrent, et ils bondirent au-dessus de la mer de flammes. Serrant son précieux chargement d'une main, le robot se servit de l'autre pour attraper une plateforme à moitié effondrée et se hisser sur la grille d'acier, avant de repartir, la force du saut achevant de démolir la structure.
Pendant ce temps, le bâtiment poursuivait sa lente agonie, les panaches noirs masquant la tôle fondue et les laboratoires réduits en miettes. Susie tentait de regarder par-dessus l'épaule de l'automate, cherchant Frumpus et Nevo du regard à travers un voile trouble de larmes et de fumée. Cependant, la succession de chocs et les changements brutaux de célérité l'en empêchaient, la forçant à se blottir contre le torse métallique, sa main crispée sur le disque froid.
Malgré la force extraordinaire du robot, la traversée sembla durer une éternité. Dans un dernier bond, la machine atterrit avec fracas sur la plateforme de décollage, non loin de la navette. Susie se libéra immédiatement de son étreinte et se précipita près du bord.
De l'autre côté du gouffre infernal, le couloir qui les avait menés au hangar était encore en place… mais les deux scientifiques avaient disparu. Peut-être avaient-ils trouvé un autre chemin pour s'échapper ?
Un débris plus massif que la navette s'écrasa suffisamment près pour qu'elle puisse sentir la chaleur de l'impact.
— Veuillez prendre place à bord, ordonna le robot. Ces civils sont hors de notre portée.
Son manque de tact la frappa, mais elle comprit le message. Avec un dernier regard en arrière, elle entra dans la navette, miraculeusement intacte.
Une rangée de sièges longeait chaque cloison latérale, et un unique fauteuil se trouvait à l'avant pour le pilote. Susie s'installa et boucla sa ceinture, laissant son protecteur prendre les commandes. Alors que les ultimes forces du centre de recherches cédaient, le véhicule décolla, ses bobines antigrav rugissant pour les extirper de la gueule fumante du hangar.
— Calcul de trajectoire en cours vers l'anneau orbital, annonça le robot. Préparez-vous à la sortie d'atmosphère.
La jeune Tharpod tendit le cou vers le hublot situé au-dessus des sièges. Luminopolis était dévastée, mais les combats semblaient avoir cessé dans les rues. Au loin, plusieurs escadrilles dansaient entre les gratte-ciels, l'avalanche de tirs donnant l'impression d'une myriade d'éclairs. Cependant, alors que son regard se perdait dans le ciel noir, quelque chose attira son attention : à cette heure-ci, ils auraient dû se trouver au milieu de la nuit. Pourtant, l'aube pointait déjà à l'horizon. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que la lueur n'était pas seulement visible à l'est, mais dans toutes les directions !
Elle se pencha vers la cabine pour demander au pilote ce qu'il se passait, mais un impact soudain la projeta au fond de son siège.
— Contact ennemi, énonça le robot d'une voix parfaitement neutre. Manœuvres d'évitement en cours. Ceci est un signal de détresse, demandons assistance immédiate.
Sans discontinuer, il énuméra le code de la navette et transmit sur toutes les fréquences en répétition. Susie jeta un coup d’œil à l'extérieur pour tenter d'apercevoir leurs poursuivants : un trio de chasseurs markaziens, mitraillant sans relâche. Slalomant entre les immeubles, ils tentèrent de les semer, mais la navette était désarmée et bien trop lente… cependant, son bouclier était résistant.
Plusieurs rafales de plasma s'écrasèrent sur les façades miroitantes, chaque tir qui atteignait la navette affaiblissant un peu plus ses défenses. Alors qu'ils sortaient d'un tunnel aérien, l'un des chasseurs apparut subitement en face d'eux : ils étaient encerclés !
L'ennemi commença à tirer, les réactions violentes de l'écran déflecteur aveuglant la jeune fille. Soudain, la grêle cessa, et le vaisseau loki disparut dans une boule de feu, laissant place à un nouvel escadron, qui prit en chasse les autres appareils.
— Ils sont venus nous aider ! s'écria Susie.
— Accrochez-vous. Le facteur de danger est encore…
Une déflagration sur le flanc de la navette l'interrompit. Volant en éclats, le bouclier ne put dissiper toute l'énergie du missile qui venait de les frapper, et la cloison se déchira dans un fracas de fin du monde, laissant Susie face à un trou béant cerclé de gerbes d'étincelles.
— Intégrité du véhicule compromise, constata le pilote. Commandes hors-services. Activation des mesures d'urgence.
Le robot quitta son poste et se dirigea vers la passagère, tandis que la navette tombait en tournoyant entre les immeubles. Alors que la force d'inertie entraînait les jambes de Susie vers l'extérieur, le robot vérifia qu'elle était solidement attachée à son siège et se plaça face à elle. Ses mains et ses pieds prirent la forme de grappins et se plantèrent dans la coque, de façon à entourer la jeune fille. De multiples panneaux s'ouvrirent le long de ses membres, faisant sortir de larges lames d'acier qui formèrent un cocon protecteur.
Piégée dans cette carapace, elle se retrouva dans le noir complet, mais sentait toujours son corps en chute libre et entendait les bourrasques s'engouffrant dans la navette. Incapable de tenir le choc, elle laissa un hurlement de terreur franchir ses lèvres, alors qu'un liquide épais et fluorescent s’écoulait dans la sphère de métal pour en recouvrir la surface.
Le temps de se demander de quoi il s’agissait, la navette heurta un obstacle et s’engouffra dans un immeuble. La force de l’impact lui coupa le souffle, et un voile rouge recouvrit ses yeux alors qu’elle sombrait dans l’inconscience.
***
Harlan leva les yeux, intrigué par les éclairs dorés illuminant soudain les nuages. Une flotte de vaisseaux de guerre surgit de l’hyperespace, assez proche de la planète pour que le Cazar puisse distinguer leurs formes. Le plus gros d’entre eux devait mesurer plusieurs kilomètres, c’était de toute évidence un cuirassé amiral. Aussitôt, un déluge de feu s’abattit sur les navires Lokis les plus imposants et une nuée de chasseurs fondit à la surface d’Axiom City pour repousser l’envahisseur.
Les combats n’allaient pas durer longtemps, mais risquaient de devenir trop intenses pour être à l’abri dans les rues. Harlan pressa le pas, empruntant les passages étroits entre les gratte-ciels. Il n’était plus très loin du port spatial. Pressant sa blessure d’une main et tenant le précieux disque mémoriel dans l’autre, sa démarche claudicante et son visage maculé de suie et de sang faisaient peine à voir. Malgré tout, il était plus déterminé que jamais. Tout ce qu’il lui fallait, c’était un vaisseau.
Il arriva à l’immense spatioport public d’Axiom City par un chemin détourné, s’attendant à ce que la zone soit bien gardée pour empêcher le trafic des civils durant les combats. Il n’en était rien : à l’exception des sentinelles gardant la zone en permanence, il n’y avait pas un seul Terachnoïde à l’horizon. Les habitants de la planète devaient être assez dociles – ou peureux – pour qu’un dispositif de confinement soit superflu. En tout cas, c’était une chance pour lui : Son badge des Forces Défensives ne lui avait pas été retiré, et Pallin avait sans doute mieux à faire que de signaler sa mise aux arrêts aux bases de données publiques. Il ne passerait pas inaperçu, mais il passerait.
Contrairement aux autres grandes planètes de la galaxie qui répartissaient une vingtaine de ports spatiaux à leur surface, les Terachnoïdes avaient fait le choix de se limiter à un seul par cité. En résultait des bâtiments aux dimensions colossales et à la hauteur vertigineuse. En forme d’hexagone, quatre côtés étaient accolés au reste de la ville, tandis que les deux restants servaient de piste de décollage et creusaient une longue tranchée entre les gratte-ciels pour permettre aux vaisseaux de manœuvrer. L’accueil des visiteurs et le centre administratif se trouvaient aux derniers étages, tandis que les secteurs industriels surplombaient les épaisses fondations du port. Entre les deux, occupant la majorité de la hauteur, se trouvaient les quais : un labyrinthe éberluant de voies terrestres ou aériennes serpentant entre les ponts d’envol.
Harlan esquiva les sentinelles et emprunta le seul moyen de transport viable dans un dédale pareil : une plateforme antigrav, déverrouillée grâce à son accès militaire. L’engin décolla en douceur et le fit descendre à travers les quais. C’est là que le Cazar fut frappé par l’atmosphère se dégageant du lieu : il était seul. Il n’y avait pas de sol entre les étages intermédiaires, et regarder vers le bas depuis les niveaux supérieurs donnait l’impression d’observer une forêt inextricable, si dense qu’on arrivait même plus à distinguer le plafond de la zone de maintenance, plusieurs kilomètres en-dessous. D’habitude, le port était actif en permanence, accueillant des millions de voyageurs. Dirigés par une logistique minutieuse, les milliers de vaisseaux allaient et venaient à un rythme soutenu, à tel point que tous les passages piétons et les plateformes antigrav étaient enfermés dans des bulles transparentes destinés à étouffer le vacarme insoutenable des réacteurs.
Alors qu’il descendait, il n’entendait que la pulsation des propulseurs, et la rumeur des combats loin dans l’atmosphère. Les centaines de vaisseaux accostés étaient à l’arrêt, dans un silence qui en devenait oppressant. C’était comme explorer un cimetière…
« Reste concentré, songea-t-il. Au milieu de tout ça, il y en a au moins un déverrouillé. »
Manœuvrant la plateforme dans l'enchevêtrement de béton et de métal, il chercha un appareil à l'aspect négligé, plus susceptible d'avoir un propriétaire étourdi. Il lui fallut du temps pour trouver un candidat intéressant : un transport léger terachnoïde. En général, les grosses têtes prenaient soin de leurs véhicules - ou plutôt, laissaient des robots s'occuper de la maintenance. La peinture de celui-ci était abîmée, les verrous magnétiques étaient lâches et les tuyères crasseuses. Tentant sa chance, le Cazar pressa le bouton d'ouverture de la soute. La mise en marche des vérins lui arracha un soupir de soulagement, et il monta à bord.
À première vue, l'intérieur du vaisseau avait été lourdement modifié : l'espace de la soute dédié au cargo avait été aménagé pour créer un espace de vie bien équipé, communiquant avec le cockpit. L'ensemble était conçu de façon ingénieuse, sûrement l’œuvre d'un Terachnoïde. Cependant, les décorations excentriques, riches en couleurs vives et en diodes lumineuses, faisaient planer un doute sur l'identité du propriétaire. Harlan referma vite la soute et entreprit d'explorer l'engin. Les réserves de carburant et de vivres étaient pleines, mais la couche de poussière sur les compartiments laissait supposer que personne n'était venu depuis plusieurs semaines. Heureusement, la nourriture était lyophilisée. Ne trouvant pas de zone à risque particulière, le jeune homme s'aventura dans le cockpit, où le siège de pilote classique avait été remplacé par un modèle plus confortable. Plusieurs modules avaient été greffés aux panneaux de commandes. De toute évidence, le propriétaire avait passé beaucoup de temps à personnaliser ce vaisseau, alors pourquoi le laisser ainsi à l'abandon ? Peut-être faisait-il partie des personnes disparues, capturé par les Lokis ou présumé mort… Cette pensée lui fit froid dans le dos.
Mais il avait besoin d'un moyen de transport, et où que fût le propriétaire, il n'en avait visiblement pas besoin. À présent, il devait parvenir à quitter la planète. Il tâcha de se souvenir des leçons basiques de pilotage qu'il avait reçues pendant sa formation. L'un de ses camarades de classe lui avait dit : « Pilote une fois, et tu n'oublieras jamais ! »
Espérant qu'il ne se soit pas trompé, Harlan glissa le disque de Blaze dans sa poche, prit place dans le cockpit et mit le générateur en route.
— Halte-là ! s'écria soudain une voix robotique au ton braillard.
Surpris, le Cazar se retourna, prêt à bondir sur l'intrus, mais constata qu'il était toujours seul. D'où pouvait provenir cette voix ?
— Hé ! reprit-elle. C'est à toi que je parle !
— Où êtes-vous ?
— Devant toi, imbécile !
Un voyant s'alluma sur le tableau de bord. Lorsque Harlan le fixa, un petit écran situé en-dessous afficha un visage grossier.
— Là, c'est bon ?
— Vous êtes le vaisseau ?
— Non, je suis ta conscience ! Tes parents t'ont jamais dit que c'était pas bien de voler les affaires des autres ?
Ignorant la question, le Cazar se pencha sous le siège et entreprit d'ouvrir le boîtier électrique.
— Depuis quand les IA conscientes sont autorisées sur les ordinateurs des vaisseaux civils ? marmonna-t-il.
— Depuis que des fouineurs comme toi se mêlent de ce qui les regarde pas ! rétorqua l'intéressée. Qu'est-ce tu fabriques là-dessous ? Je te préviens, je peux sceller et dépressuriser le vaisseau en moins de cinq secondes !
— Je n'essaie pas de te débrancher. Je me demande juste comment ton propriétaire est parvenu à t'installer.
— C'est pas mon propriétaire ! On est partenaires, compagnons d'armes ! Quand je l'aurai prévenu de ton intrusion…
— Parce que tu ne l'as pas encore fait ? s'étonna Harlan en refermant le boîtier.
— Il est… injoignable pour le moment. Mais quand il aura terminé, je te jure que–
— Du calme. Je ne vous veux aucun mal, à toi ou ton… partenaire, tu peux me croire. Quel est son nom ?
— Sa véritable identité doit rester secrète ! s'offusqua l'IA. C'est un Marcheur du Vide de niveau deux-cent-quatorze ! Ou peut-être un peu plus. Il ne me tient pas beaucoup au courant ces derniers temps.
— Ce vaisseau a l'air d'être à l'abandon depuis plusieurs semaines. Tu ne sais vraiment pas où il est ?
— Ben si, il est chez lui ! C'est juste que depuis la sortie de la dernière extension, il a besoin de rester là-bas pour avoir une meilleure connexion.
Harlan recula sur son siège, pensif. L'option la plus prudente était encore de trouver un autre vaisseau, sans une IA qui risquerait de compromettre sa fuite. D'un autre côté… Il pouvait peut-être retourner cette situation surréaliste à son avantage.
— Dis, euh… Quel est ton nom, déjà ?
— Appelle-moi Core.
— Ok, Core. Ton partenaire te laisse souvent comme ça ?
— Ouais, tous les ans. La dernière fois, ça a duré presque deux mois.
— Et ça te manque, de voler ?
— Un peu. C'est quand même mon job !
— Dans ce cas, je te propose un marché : J'ai un besoin urgent de quitter la planète, expliqua-t-il en montrant le disque de Blaze. Si tu m'aides, je te promets de te renvoyer ici dès que ton partenaire aura besoin de toi.
— Tu veux juste partir de Terachnos ? Tu sais que tu peux avoir un billet dans un transport public pour quelques boulons ?
— Plus depuis que la planète est confinée.
— Attends, quoi ? s'exclama l'IA. Qu'est-ce que j'ai raté pendant ma veille ?
— C'est assez long à expliquer… L'important, c'est que j'ai besoin de toi maintenant, Core. Un prêté pour un rendu, c'est d'accord ?
— M'a pas l'air très légal, tout ça…
— Je t'assure qu'on ne risque rien ! insista Harlan d'un ton implorant. C'est juste que… J'ai des amis qui ont besoin de moi, et je n'ai pas le temps de me régler mes comptes avec les autorités. Tu dois me croire !
— Oula, pas besoin de pleurnicher ! répondit Core. Bon, je veux bien t'emmener, mais à une condition : c'est moi qui conduis ! Et évidemment, si mon partenaire a besoin de moi…
— Je te ramène aussi sec.
— Ça marche ! Installe-toi bien, euh… C'est quoi ton petit nom ?
— Harlan.
— Reçu. Mets ta ceinture, et on décolle !
Le Cazar s'exécuta, et les moteurs du petit vaisseau rugirent dans l'astroport vide. Plaqué contre son siège, il vit défiler les quais, les immeubles bordant la piste d'envol, puis les nuages illuminés par les échanges de tirs. Lorsque la couche brumeuse s'ouvrit sur le noir de l'espace, le radar indiqua que quelques vaisseaux se détachaient de leur formation pour le suivre. Core mit les gaz, et leur avance s'élargit jusqu'à-ce que leurs poursuivants abandonnent. Alors que Harlan préparait le saut en hyperespace, il sentit le disque de Blaze dans sa poche. Si le robot et Vendra lui avaient confié, c'était forcément pour une bonne raison. Première étape : trouver un moyen de le décrypter. Ensuite…
« Je vais vous sortir de là, songea-t-il, envoyant un serment silencieux dans les ténèbres. Je vous le promets. »
***
Orion ouvrit les yeux, non sans gêne : celui fait de chair s’ajusta à la lumière un peu plus vite que l’autre, mécanique, qui semblait défaillir et l’assaillait d’interférences. Ses oreilles parurent se déboucher, comme en sortant de l’eau. À mesure que ses sens revenaient à la vie, il se rendit compte qu’il était allongé sur une civière, le regard rivé vers le ciel teinté d’orange. Cette vue l’intrigua : d’après ses souvenirs, il faisait nuit la dernière fois qu’il avait levé les yeux…
Sa tête lui faisait un mal de chien du côté cybernétique. Lorsqu’il essaya de lever le bras droit pour se tâter le crâne, la prothèse refusa de répondre. Agacé, il essaya avec le bras gauche. Sous ses doigts encore engourdis, il sentit avec effroi la présence d’un large creux au-dessus de son oreille, on aurait dit qu’un Agorien avait écrasé son poing sur son occiput.
— Par ici ! s’écria une voix féminine.
Il y eut un raffut de bruits de pas, quelques gémissements, des ordres lancés à droite et à gauche. Puis, une intense lumière bleue l’éblouit, et un souffle chaud le força à détourner le regard. Le vrombissement sourd d’un moteur antigrav résonna dans son estomac avant de s’éloigner. Il tourna la tête, et vit deux longues jambes s’approcher de lui au milieu du rideau de lumière.
— Orion, vous êtes réveillé ! s’exclama Jillian en se penchant au-dessus de lui. Comment vous sentez-vous ?
— Pas très bien… Qu’est-ce qui m’est arrivé ?
— Un panneau vous est tombé sur le coin du crâne. Heureusement, c’était la partie mécanique… Dans le cas contraire, vous seriez mort sur le coup. Vous avez perdu connaissance, et on vous a transporté ici.
— Combien de temps j’ai… ?
— Environ une heure. Nous sommes sur la grande terrasse derrière la clinique, on vous y a transporté avec les autres blessés.
— Quels autres… ?
Une douleur fantôme derrière l’œil droit lui coupa la parole, laissant les souvenirs se remettre en place. Ils étaient descendus dans la rue pour venir en aide aux civils piégés dans les émeutes…
— Les combats ont cessé, poursuivit l’infirmière, mais les Lokis ont débarqué et…
— Attendez, la stoppa-t-il. Des Lokis ? Et si j’ai dormi une heure, pourquoi le ciel est-il de cette couleur ?
— Je ne suis pas sûre de ce qu’il s’est passé, c’est allé très vite. Il y a bientôt une demi-heure, les émeutes se sont arrêtées subitement. Au même moment, une flotte Loki a débarqué et l’évacuation générale a été ordonnée. Pour le ciel… Je n’en sais rien. On s’est abrités du mieux que possible en attendant la navette.
— C’est le vaisseau qui vient d’arriver ?
— Celle-là s’est posée plus loin, mais d’autres arrivent pour embarquer tout le monde.
— Je dois leur parler, affirma le Markazien en tentant de se lever.
Malheureusement, sa moitié cybernétique refusait toujours de lui répondre. Il parvint difficilement à se redresser, mais ses membres étaient pris de hoquets aléatoires et semblaient comme grippés.
— Vous devriez rester allongé, recommanda Jillian. Vous étiez encore en phase d’acclimatation bien avant que votre crâne soit endommagé.
— Je peux bouger, répliqua Orion. Laissez-moi… Juste une minute.
— La navette arrive ! s’écria l’un des infirmiers.
Le vaisseau descendit entre les bâtiments et se plaça en vol stationnaire au bord de la terrasse. Cette dernière, cachée de la rue par la clinique, ne s’encombrait pas en décorations : une esplanade de béton, justement conçue pour que des vaisseaux de taille modeste puissent y accéder. La rampe arrière s’ouvrit et une escouade de soldats débarqua pour venir en aide au personnel.
— Je dois y aller, dit la Cazare au pelage doré. Ne faites pas de geste brusque.
Orion acquiesça et tâcha de reprendre le contrôle de ses membres, tout en se maudissant de ne pas avoir pu esquiver le panneau. Une foule de questions piétinaient dans son esprit : l’évacuation générale ? L’anneau de défense n’était-il pas sensé retenir toute tentative d’invasion ? Les Lokis devaient être trop nombreux, à moins que la cause d’une telle panique soit ce ciel étrange… Il devait se passer quelque chose de grande envergure à Meridian City.
Quoi qu’il en soit, la meilleure façon d’obtenir des réponses était de se relever. Il ignorait quelles parties de sa motricité avaient été altérées par le choc, mais il semblait que le problème soit limité à la transmission : ses prothèses agissaient par à-coups, comme si le signal était émis par intermittence. En se concentrant bien, il pouvait garder un flux de pensée assez épais pour se mouvoir correctement… ou plutôt, pour se mettre maladroitement debout et boitiller en direction de la navette.
— Jillian ! s'écria un infirmier tharpod depuis la rampe de la navette. Il ne reste plus que vous !
— On arrive ! répondit la jeune femme en s'approchant d'Orion. Attendez, je vous aide.
Elle passa le bras mécanique du Cazar par-dessus son épaule et avança en le soutenant. Orion tenta de marcher à son rythme, mais sa jambe droite fonctionnait de façon trop erratique, alors il se résigna à sautiller sur un pied en tâchant de peser le moins possible sur le dos de Jillian. On l'avait allongé assez loin du bord, et la distance à parcourir les essouffla rapidement. Arrivés à proximité de la navette, Orion laissa l'infirmière se hisser sur la rampe et s'apprêta à monter, lorsqu'un soldat pointa le ciel du doigt :
— Contact ennemi !
Une demi-douzaine de chasseurs légers descendait dans l'atmosphère, poursuivis par deux chasseurs lourds aux couleurs des Forces Défensives. Passant en rase-mottes entre les bâtiments, la pluie de projectiles réduisit les façades en miettes. Plusieurs balles de plasma explosèrent sur la terrasse, faisant fondre le béton à quelques pas d'Orion.
— Ils visent notre navette ! s'écria le soldat. Dépêchez-vous !
L'un des chasseurs lokis parvint alors à se placer derrière son poursuivant et déchargea ses munitions sur lui. Incapable de manœuvrer avec précision à cette altitude, le vaisseau imposant partit en vrille et s'écrasa au milieu d'un gratte-ciel, le coupant presque en deux. Le sol se mit à trembler sous le fracas titanesque des milliers de tonnes de gravats, et les jambes d'Orion le trahirent. Au-dessus d'eux, libérés de l'un de leurs ennemis, une partie des vaisseaux lokis piqua soudain vers la navette.
— On décroche ! hurla le pilote.
— Attendez ! s'écria Jillian. Il reste quelqu'un sur le toit !
— On n’a plus le temps !
L'adrénaline donna un coup de fouet au Markazien, qui parvint à se remettre sur pieds. La navette commença à décoller. Jillian, penchée vers l'extérieur sur la rampe toujours ouverte, lui tendait la main. Serrant les dents, il se précipita vers le bord, luttant contre le souffle grandissant des réacteurs. Trois éclats flamboyants dans le ciel apparurent dans son champ de vision, le stoppant net : des missiles ! Impossible que la navette puisse les éviter…
— Jillian, sautez ! hurla-t-il en se précipitant vers le bord, contrant son instinct qui lui martelait la direction inverse.
La jeune femme eut à peine le temps de lever les yeux avant que la première charge ne frappe le vaisseau. L'onde de choc la projeta hors de la navette, que les deux autres missiles transformèrent en boule de feu. Orion se jeta du bord de la terrasse, s'étendant à travers la fumée ardente. Sa main mécanique agrippa la gouttière, freinant sa chute, et l'autre se referma comme par miracle sur celle d'une Cazare. Ils heurtèrent violemment le mur, mais la prise du soldat était plus ferme encore que sa prothèse.
— Jillian ? appela-t-il entre deux quintes de toux.
— Je suis là !
Le voile sombre se dissipa, et Orion put distinguer la silhouette gesticulante de l'infirmière. Réalisant que ses jambes ballottaient dans le vide, elle poussa un cri et agrippa des deux mains le poignet du Markazien.
— Essayez de rester calme ! ordonna-t-il, de peur que la gouttière ne cède sous leur poids.
Donnant raison à ses craintes, la tôle commença à ployer, les phalanges métalliques du soldat s'imprimant dans la fine structure. Pris de panique, il chercha une plateforme sur laquelle se réceptionner, mais la colonne de fumée laissée dans le sillage de la navette était trop opaque pour distinguer la moindre corniche. Son regard s’attarda sur sa jambe droite, bien plus puissante qu’un membre organique…
Saisi d’une idée, il se mit à frapper le mur de la pointe du pied. Le métal pénétra facilement le béton, et il parvint à se creuser une prise stable en quelques coups. Prenant appui sur ses membres mécaniques, il souleva péniblement Jillian à sa hauteur, lui permettant d’attraper le rebord, puis l’aida à se hisser. Aussitôt hors de danger, la jeune femme se pencha et le saisit sous les aisselles pour le secourir à son tour. Grognant d’effort sous le poids des prothèses, elle le fit basculer par-dessus la gouttière, qui termina de se décrocher, et ils roulèrent tous les deux dans la poussière, hors d’haleine.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda la Cazare d’une voix mal assurée.
— Les Lokis ont abattu la navette. Vous étiez sur la rampe et l’explosion vous a projetée à l’extérieur, mais les autres…
— Ils sont morts ?
— Désolé, Jillian. Si j’avais été plus rapide…
— Contre des chasseurs ? Ne dites pas de bêtises, ce n’est pas votre faute.
Laissant sa tête reposer contre le sol dur, elle lâcha un juron en soupirant. De rage, Orion frappa le béton du poing, suivant son regard vers le ciel.
— Bon sang ! s’exclama-t-il en se saisissant les tempes. Rien ne change, nous sommes toujours aussi impuissants !
— Il faut essayer de rester positifs… Aucun de nous n’est blessé.
— Je suis encore coincé dans un corps qui ne m’obéit qu’à moitié… Il n’y a plus de navettes qui passent dans le coin, vous devez trouver un moyen de communiquer avec l’orbite et partir d’ici.
— Et vous ?
— Je vous ai déjà assez ralentie.
— Je pensais vous avoir dit d’arrêter avec vos âneries.
— Mais…
— C’est mon dernier mot ! le coupa-t-elle en se relevant. Nous partons ensemble, ou nous ne partons pas.
Elle lui tendit la main. Le Markazien hésita un instant, puis soupira et la saisit.
— C’est vous le chef. Qu’est-ce que vous… Il se passe quelque-chose.
— Vous avez raison, répondit Jillian en se tâtant le visage. Il fait plus chaud… C’est sans doute l’adrénaline.
— Visez le ciel. Il fait beaucoup trop clair !
Leur regard fit un tour d’horizon, constatant que le jour s’était totalement levé. Le ciel bleu marine était dégagé, mais l’absence de soleil rendait d’autant plus étrange la montée de chaleur et la lumière ambiante.
— J’ai un mauvais pressentiment, déclara la Cazare.
— Si c’est ce que je crois, il faut absolument qu’on trouve une navette. Si je me souviens bien, il y a un garage pas trop loin de la clinique, il reste peut-être des véhicules…
Soudain, le ciel se couvrit d’un voile bleuté, parcouru de veine laiteuses. La lumière voyageant plus vite que le son, il se passa quelques minutes avant que le son d’un coup de tonnerre ne leur parvienne dans toutes les directions, comme si un géant avait frappé sur une cloche sous laquelle ils étaient enfermés.
— Ça vient de l’orbite, confirma Orion. C’est… le bouclier planétaire.
— Nous sommes coincés ici ? paniqua Jillian.
— Pas encore, répondit le soldat en lui prenant la main. Quittons ce système au plus vite.
***
Lorsque le bouclier planétaire se matérialisa, Rhivan venait d'arriver au-dessus du centre-ville. Luminopolis n'était pas en meilleur état que Meridian City : de nombreux immeubles détruits par les Lokis, les rues dévastées par les émeutes, désormais remplies de centaines de civils paniqués. Alors que les navettes se frayaient désespérément un chemin pour les secourir, un ballet incessant de vaisseaux se battait depuis l'orbite jusqu'aux toits des gratte-ciels. Lorsque l'éclat provenant du soleil avait embrasé le ciel pendant un court instant, il se trouvait encore de l'autre côté de la planète. Ne connaissant que trop bien ce genre de phénomène, il avait maudit la distance séparant le Centre de Défense du port spatial. Avec son vaisseau, il aurait pu effectuer le voyage jusqu'à Luminopolis en quelques minutes, mais entre les meutes hystériques et l'invasion des Lokis, il avait perdu un temps précieux avant de pouvoir embarquer. Si le bouclier avait été érigé, c'est qu'il ne lui en restait plus beaucoup.
— Talwyn, vous me recevez ? appela-t-il en accélérant. Comment se passe l'évacuation ?
La radio lui répondit par un silence de plomb. À en juger par la quantité de civils dans les rues, la réponse était sans doute : "pas très bien". Apogée devait être débordée, ou avait déjà quitté la planète... Et il ne devait pas tarder à la rejoindre, après avoir accompli sa mission.
— Susie ? Tu me reçois, petite ?
Toujours sans réponse, il poussa un grognement exaspéré et mit le cap sur le centre de recherches de GruminNet. Pourvu qu'il ne soit pas arrivé trop tard...
— Docteur Croïd ? Binklemeyer ? Un ping radar me suffira, répondez !
Le Lombax fixa ses écrans, et tenta de modifier les réglages des senseurs. Soudain, deux points apparurent juste en face de lui. Il jura et donna un coup sec sur le manche, le faisant partir en vrille. Les rafales de plasma des chasseurs lokis le manquèrent, et il passa entre les deux appareils à toute vitesse.
— Je n'ai pas de temps à perdre, dégagez !
Il arma ses canons et engagea un assaut frontal. Le premier chasseur se lança dans une nouvelle joute, tandis que l'autre se déportait pour le prendre à revers. Une technique d'amateurs. Quelques cascades aériennes et tirs bien placés plus tard, il en était débarrassé, et redressa son cap. Ces combats ne duraient qu'une poignée de secondes, mais c'était déjà trop. La température commençait sérieusement à monter, et la luminosité grandissante dans le ciel n’annonçait rien de bon.
L’ordinateur de bord lui indiqua que l’objectif était en vue. Rhivan plissa les yeux, mais une épaisse colonne de fumée masquait une partie de son champ de vision. À moins que…
Il lança une impulsion du sonar. Sur sa visière, les contours des bâtiments se superposèrent à son point de vue, indiquant la position du centre de recherches au pied de la colonne. Le Lombax jura et piqua vers le champ de ruines. Après plusieurs passages à ras du bâtiment, il ne détectait aucun signe de vie. Cependant, les incendies étaient en train de mourir et les dégâts subis par la structure indiquaient que sa destruction avait pris du temps, assez pour permettre une évacuation. Avec un peu de chance, ils avaient pu s’enfuir.
— Ici Rhivan, est-ce que quelqu’un me reçoit ? émit-il sur toutes les fréquences.
Visiblement, la zone était déserte. Les seuls échos lui provenaient des rues alentour, encore remplies de civils paniqués et de navettes débordées. Pour ceux-là, il ne pouvait rien faire. Il tenta une mise en relation avec l’anneau de défense, mais les interférences envahissant l’atmosphère se faisaient trop fortes pour contacter une station aussi éloignée. Sans cesser d’émettre, il tourna autour du centre de recherches, ses scanners à pleine puissance peinant à traverser le brouillard électromagnétique.
Quelques minutes plus tard, la température de l’air avoisinait les cinquante degrés. Le temps allait lui manquer. Les rues s’étaient calmées, et la plupart des vaisseaux avaient quitté le ciel devenu presque aveuglant. Certains, ne supportant plus la chaleur, s’étaient écrasés. Que faisaient les civils qui n’avaient pas eu le temps d’évacuer ? S’étaient-ils résignés et attendaient la fin, ou le ciel de plomb leur avait-il ôté toute vigueur ?
Le vaisseau du vieux Lombax pouvait encore tenir. Et si les Tharpods s’étaient déjà enfuis ? Peut-être l’attendaient-ils sur une barge d’évacuation aux côtés d’Apogée, peut-être était-il la dernière créature encore en vie sur cette planète…
Un signal ! Une forme de vie se trouvait en-dessous de lui, au milieu d’un immeuble en ruines. Sans perdre une seconde de plus, Rhivan piqua du nez. Même s’il ne s’agissait pas de Susie, il pourrait au moins sauver quelqu’un…
Soudain, un rayon aveuglant traversa l’aile droite de son vaisseau. Le Lombax jura et prit aussitôt de l’altitude, sa direction endommagée. Les radiations rendaient son radar inopérant, et il dut lever les yeux pour distinguer une silhouette imposante à travers les aurores boréales se détachant du ciel incandescent.
Une frégate markazienne ! Ils lui avaient tiré dessus et ne se préoccupaient nullement de leur mort imminente : c’étaient des parasites à la barre de ce vaisseau.
Rhivan, laissant une traînée noire dans son sillage, s’éloigna du signe de vie pour éviter qu’un tir perdu ne l’atteigne. Il fallait qu’il descende le chercher, et ces Lokis ne pourraient pas l’en empêcher. Le chasseur lombax faiblissant engagea alors un duel avec le bâtiment de guerre. Il n’avait pas à craindre les missiles, inopérants dans une atmosphère pareille. Et si ses ennemis avaient pu profiter de la chaleur pour traverser ses boucliers, cette faiblesse était réciproque.
Le vétéran ne fit pas de quartier, et déversa sur l’assaillant toutes ses munitions, tirant ses propres missiles au jugé sur le navire trop lent pour les esquiver. La chaleur le faisait transpirer à grosses gouttes, malgré la climatisation gémissante de son armure, et l’empêchait de se concentrer. Cependant, un vaisseau de cette envergure n’était pas de taille face à un chasseur lombax, même si le pilote était loin du niveau de Ratchet. Une dernière salve pénétra le blindage et détruisit le générateur, déclenchant une réaction en chaîne qui se répandit dans toute la frégate. Alors que le vaisseau s’enfonçait lentement vers le sol, donnant l’impression de couler dans une mer d’or, Rhivan fit volte-face et mit les gaz pour échapper à la déflagration.
Le vaisseau Loki explosa, créant un éclat plus brillant encore que le ciel. L’onde de choc embrasa l’atmosphère, dégageant une chaleur telle que le sommet des bâtiments les plus proches commencèrent à fondre. La boule de feu rattrapa brièvement le vaisseau de Rhivan. Incapables de supporter la surcharge calorifique, les propulseurs rendirent l’âme.
— Non, pas maintenant ! fulmina le Lombax en essayant de planer sur l’aile restante. Ne me lâche pas !
Ses suppliques restèrent sans réponse, alors que l’ordinateur allongeait la liste des avaries critiques. Comprenant qu’il ne faisait que retarder l’inévitable, il s’efforça de placer le vaisseau sur une trajectoire le rapprochant du signe de vie, qui n’avait pas bougé. Il s’approcha le plus possible, et lorsque les commandes finirent par l’abandonner, il saisit son équipement d’une main et s’éjecta.
Les micro-fusées de son armure guidèrent sa chute jusqu’au toit le plus proche, et il roula violemment sur la surface dure. Une seconde plus tard, une secousse lui indiqua que son vaisseau avait fini dans un immeuble. Haletant, peinant à bouger sous la chaleur, il se redressa et chercha sa cible. Sa visière lui indiqua la distance, et il dut plisser les yeux pour lire quelques centaines de mètres.
Sans s’en rendre compte, il tomba à genoux. C’était fini. Quelle que fût cette forme de vie, elle était aussi condamnée que lui, sans vaisseau pour quitter cet enfer.
— Qui que tu sois, dit-il d’une voix rauque, je suis navré.
Le vétéran fixa le ciel, son casque se polarisant pour éviter à ses yeux de brûler. Le bouclier planétaire s’était dissipé, il n’y avait désormais plus rien entre lui et l’apocalypse. Il sortit le médaillon de Clank de son compartiment, et en admira les rouages sous la lumière flamboyante. L’objet restait inerte. Un petit rire secoua sa poitrine, et il s’allongea sur le dos, laissant son esprit dériver. Il aurait tant aimé que ce dernier soit en paix au moment de partir…
Il voulait croire Talwyn et les Tharpods en sécurité, être rassuré que sa mission soit achevée. Mais l’incertitude l’empêchait d’accepter la lumière qui approchait pour l’emporter.
— Désolé, Ratchet. Je fais un bien piètre Garde…
Rhivan ferma les yeux. À travers ses paupières, il lui sembla percevoir une faible lueur verte. C’était probablement une réaction de ses nerfs à la chaleur, mais cette couleur évoqua un souvenir lointain, un visage aux traits saisissants et aux yeux d’une beauté à couper le souffle…
Un léger sourire étira les lèvres gercées du vieux Lombax.
***
Le tunnel lumineux semblait s'étendre sans fin. Ratchet, exaspéré, lâcha les manettes et s'avachit au fond de son siège.
— Tu es sûre qu'on ne peut pas aller plus vite ? demanda-t-il en vérifiant les niveaux d'énergie.
— Certaine, répondit Aphélion. De plus, même avec les réparations de Clank, nous sortons d'une longue bataille.
— Je pensais que son Chronosceptre pouvait te ramener à ton état initial ?
— Au niveau matériel, c'est techniquement le cas. Mais comme je suis intrinsèquement liée au vaisseau, un retour complet dans le passé risquerait d'altérer ma mémoire. Le moteur zoni est peut-être fonctionnel, mais mes fonctions ne sont pas à pleine capacité.
— Je vois… Tu ne reçois aucun signal ?
— Toujours rien. L’ansible hyperspatiale ne doit pas être opérationnelle.
Le Lombax grogna. Cela faisait beaucoup trop de choses qui ne fonctionnaient pas à son goût. Quoi qu’il se passât sur Iglak, c’était très mauvais… Et il était réduit à attendre ! La simple idée de savoir Talwyn et ses amis en danger le rendait malade.
Trépignant d’impatience, il revérifia une énième fois son équipement. Sa nouvelle armure avait tenu ses promesses, tout comme l’extracteur de parasites. Cela faisait au moins une bonne nouvelle. En voulant poser sa clé à portée de main, ses yeux tombèrent sur le siège vide de Clank. Le doute lui serra la poitrine : son ami était-il aussi sorti de cette bataille ? Aurait-il dû ignorer ses consignes et retourner dans la nébuleuse sitôt le cuirassé en sécurité ? Et si les Lokis avaient reçu des renforts ? Il était peut-être à la dérive, coincé dans une capsule de sauvetage solitaire…
Une boule douloureuse au fond de la gorge, Ratchet abattit son front sur les manettes. La frustration lui démangeait les poings. Il avait abandonné ses compagnons avant même la fin de la bataille ! Le reste de son équipe de pilotes était-il en sécurité ? Qui allait annoncer à Knox la mort de son cousin ? Désintégré dans l’hyperespace, le corps de Thoz ne pourrait jamais être retrouvé…
— Passage en subluminique dans trois minutes.
La voix désincarnée du vaisseau le ramena à la réalité. Il poussa un long soupir, tâchant d’expirer ses inquiétudes, et se ragaillardit. Si Clank avait eu besoin de lui, il l’aurait demandé. Son ami allait remporter cette bataille, et revenir sain et sauf. Maintenant qu’il était là, Ratchet n’avait d’autre choix que de continuer.
— Dès notre arrivée, mets le cap sur Iglak, ordonna-t-il. Ensuite, prépare les–
— Attention ! le coupa Aphélion. Pic d’ondes gravitationnelles détectées !
— D’où viennent-elles ?
— Droit devant. Sortie d’hyperespace recommandée.
— Devant nous ? C’est Iglak ! Il doit se passer quelque chose, on doit absolument passer au travers !
— Commande impossible. Taux de réussite : Moins d’un pourcent. Collision imminente, déclenchement des mesures d’urgence.
— Aphélion, je t’interdis… !
— Coupure du moteur principal.
Tous les écrans virèrent au rouge. Une déferlante laiteuse apparut au fond du tunnel, faisant onduler sa surface comme un séisme cosmique. Alors que l’espace semblait sur le point de se briser, le tunnel implosa et une brusque décélération projeta Ratchet sur le tableau de bord. Un voile lumineux recouvrit sa vision et son oreille interne se brouilla, lui faisant perdre tous ses repères. De fortes turbulences agitèrent le vaisseau, amplifiant encore la nausée qui lui tordait l’estomac. À moitié inconscient, il sentit une piqûre sur son avant-bras : une injection destinée à contrer les effets d’inertie. Sa vue et son équilibre revinrent peu à peu, et après un dernier haut-le-cœur, le Lombax retrouva ses moyens.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? marmonna-t-il.
— Nous venons d’encaisser l’onde de choc de plein fouet, répondit Aphélion. Si nous étions restés en hyperespace, nous ne serions plus là pour en parler.
— Qu’est-ce qui a pu générer une…
Les mots moururent dans sa gorge. Ils étaient suspendus dans le vide interstellaire. Pourtant, au lieu du noir constellé d’étoiles, l’espace était illuminé par d’immenses panaches de gaz et de poussières aux couleurs pastel. Ils avaient émergé en bordure d’une nébuleuse planétaire. Le spectacle était à couper le souffle, s’élevant à une échelle qu’il était tout simplement incapable de concevoir. Mais le vertige cessa lorsqu’une question terrifiante se fraya un chemin jusqu’à ses lèvres :
— Aphélion, parvint-il à articuler, localise Paraden.
L’IA déploya ses capteurs, puis sembla hésiter un instant. Finalement, elle déclara de sa voix la plus délicate :
— Une naine blanche se trouve maintenant à son emplacement. Ses couches externes forment la nébuleuse qui nous entoure. Le pic d’ondes gravitationnelles était probablement dû à l’effondrement rapide de l’étoile, puis sa transformation en supernova.
Chaque mot sonna comme un coup de poignard en plein cœur. La gorge nouée, Ratchet baissa les yeux. Cette vue lui était insupportable.
— Et Iglak ? demanda-t-il dans un souffle.
— Je ne capte aucun signal. Il semble que… la planète ait été détruite avec le reste du système. Je suis vraiment désolée, Ratchet.
— Scanne toutes les fréquences, toutes les traces de sauts. Ils ont peut-être pu évacuer…
— Avec le niveau d'interférences, cela va prendre du temps. Je vais essayer.
Un silence pesant tomba dans le cockpit. Ratchet attendit patiemment que les résultats s'affichent sur l'écran, une mince flammèche d'espoir brûlant dans sa poitrine. Mais lorsqu'ils arrivèrent enfin, un vent glacial le traversa de part en part.
Il n'y avait rien. Pas le moindre résidu de distorsion, pas le moindre écho radar. Tout s'était évaporé.
Une chape de plomb se saisit de lui, et l'air sembla se raréfier. Comme pris d'une crise de panique, il chercha frénétiquement l'ouverture sur sa nuque et arracha son casque, laissant échapper une longue plainte de douleur qui se perdit dans le vide spatial. Certains vaisseaux avaient peut-être pu évacuer, mais il connaissait trop bien Talwyn. Elle était comme lui, et serait restée jusqu'au bout tant qu'il restait des personnes à sauver. Quant à Rhivan, il lui avait promis de la protéger et ne serait jamais parti sans elle. Ses amis pilotes, Susie, Nevo, Frumpus, et des milliards d'autres… Ils avaient disparu.
Un sanglot lui déchira la gorge, et il s'effondra sur le tableau de bord, enfouissant son visage sous ses mains et serrant à s’en faire mal. Comment avait-il pu laisser cela arriver ? Comment ?
— Ratchet, dit Aphélion avec douceur, ce n'est pas votre faute…
— Bien sûr que si ! explosa le Lombax d'une voix brisée. Le Loki m'avait montré que ça allait arriver ! Je l'ai vue ! J'ai vu Talwyn, blessée, face à une étoile mourante. Elle était seule, et terrorisée… Je le savais, et je n'ai rien fait pour l'empêcher. C'est même moi qui leur ai demandé de rester sur Iglak ! C'est comme si je les avais tués moi-même !
L'IA, ne sachant quoi répondre, observa un silence respectueux. Ratchet, éperdu de douleur, sentit ses yeux s’emplir de larmes de rage, contre les Lokis puis contre lui-même, qui coulèrent sur son visage en creusant des sillons brûlants dans sa fourrure. Il voulait refuser d’y croire, se battre contre l’univers entier pour prouver que rien de tout cela n’était réel. Mais la vérité s’étendait devant lui, dans un panache de lumière aussi magnifique qu’indifférent. À ce moment, alors qu’il se reflétait sur les larmes du Lombax, cet éclat représentait la pire de horreurs.
— Ratchet, se risqua Aphélion au bout d’un long moment. Je pense détecter quelque chose.
Il ne répondit rien, mais s’essuya les yeux et valida l’affichage. Le radar se déplaça jusqu’à des coordonnées situées à un point éloigné, mais également sur la frange de la nébuleuse. Les données avaient quelque-chose d’étrange.
— Ce n’est pas un signal standard, expliqua le vaisseau. C’est peut-être dû aux interférences.
— Essaie de l’améliorer.
La voix de Ratchet était croassante, mais une étincelle d’espoir lui donna la force de parler. S’il s’agissait d’un vaisseau, aussi petit soit-il, alors il restait une chance infime…
— On dirait une sorte d’astéroïde, reprit Aphélion. La signature énergétique ne correspond ni à un phénomène naturel connu, ni à un réacteur à gélatonium. Je détecte des émissions d’ondes gravitationnelles, mais aucun résidu. Comme si un trou noir se rendait détectable.
— Tu peux obtenir une image ?
— À cette distance, notre télescope manque de précision. Je peux tenter de reconstituer une maquette à partir des relevés.
— Vas-y.
Le Lombax, une boule de plomb dans l’estomac, retira son casque du projecteur holographique. Un nuage de points reliés entre eux par des fils de lumière émergea de la diode, formant une image semblable à une sculpture abstraite : un ensemble de longues pointes protubérantes aux tailles variables, comme les pétales d’une fleur acérée refermées autour du pistil.
— Quoi que ce soit, c’est artificiel.
L’espoir enfla dans sa poitrine comme un brasier. Il était presque certain que c’était un vaisseau, même s’il n’en avait jamais vu de ce genre. Peut-être était-ce un appareil zoni ? Il se souvint du talisman que Clank avait confié à Talwyn avant leur départ. Son ami avait refusé de lui révéler sa fonction, mais…
Ses mains se saisirent des manettes sans qu’il y pense, et mirent le cap vers le vaisseau inconnu.
— À quiconque peut m’entendre, émit-il sur toutes les fréquences, ici Ratchet ! J’arrive pour vous secourir, me recevez-vous ?
Malgré l’absence de réponse, il poursuivit sa route en répétant le message. S’il s’agissait d’un vaisseau zoni, il n’était sans doute pas équipé des mêmes technologies de communication que lui.
— Le télescope peut capter une image suffisante à cette distance, l’informa bientôt Aphélion.
Ratchet ralentit l’allure pour permettre une meilleure capture. À mesure que la lumière frappait le senseur, la vision éloignée se précisa sur l’écran. Aussitôt, la flamme d’espoir qui animait le Lombax se mua en un incendie féroce : il avait reconnu le vaisseau, dont l’apparence cristalline et l’aspect teinté d’un violet obscur ne laissaient aucun doute sur leur propriétaires :
— Les Lokis, fulmina-t-il. C’est ce vaisseau qui a détruit Paraden.
— Cette hypothèse demande une élaboration, répliqua l’IA. Aucun appareil de ce tonnage ne serait capable de délivrer la puissance nécessaire pour accomplir un tel acte.
Le raz-de-marée d’émotions qui déferla sur Ratchet ne l’incitaient en aucun cas à étudier la situation.
— Peu importe. Ils auront disparu dans cinq minutes.
— D’après les directives de Clank, je–
— Clank n’est pas là. Où en sont nos réserves ?
— Je doute que nous puissions venir à bout d’un engin pareil, d’autant que nous ignorons tout à son sujet.
— Affiche toutes nos munitions restantes sur mon ATH et désactive tous les modules inutiles au combat.
Il reprit sa trajectoire en direction de la frégate loki. Leur absence de mouvement laissait supposer qu’ils ne l’avaient pas détecté, ou qu’ils l’attendaient pour lui tendre un piège. Ratchet savait bien qu’il s’agissait de la seconde option, mais il s’en fichait. Il fonça en ligne droite, déployant ses canons et concentrant les boucliers vers l’avant pour encaisser le choc frontal.
Ce dernier ne tarda pas : sitôt arrivés à quelques kilomètres de leur cible, une demi-douzaine d’excroissances de cristal se formèrent sur la surface, telles des bourgeons sortant de l’écorce. Prenant vaguement la forme de tourelles, elles se tournèrent dans leur direction et firent feu, projetant de longs rayons distordus et craquelants, semblables à une foudre blanchâtre.
Le Lombax avait anticipé l’assaut, et partit en vrille pour éviter les décharges. L’une d’elles ricocha sur le bouclier, explosant en une pluie d’étincelles.
— Une partie de l’énergie a endommagé l’aile droite ! prévint Aphélion. Nous ne pourrons pas essuyer beaucoup d’attaques comme celle-ci.
— Compris. À notre de tour de tester leurs défenses, mangez ça !
Poussant un hurlement sauvage, il effectua plusieurs passages à ras des pointes de cristal, déchargeant ses condensateurs de plasma sur la frégate. Les projectiles ne rencontrèrent pas de barrière énergétique, mais s’écrasèrent sur la surface scintillante comme des pierres jetées dans l’eau.
— Analyse ça immédiatement ! ordonna-t-il en évitant la contre-attaque. Les tourelles se résorbaient et se reformaient à n’importe-quel point de la coque, lui donnant peu d’ouvertures.
— Il semble que la couche extérieure de leur blindage fasse office de bouclier, et amortisse les impacts avant d’en disperser l’énergie. C’est un matériau morphique.
— Comme un élastique ?
— Plutôt comme une planète encaissant une météorite. La croûte se soulève et se fracture, mais reste assez malléable pour amortir le choc.
— Une idée pour en venir à bout ?
— En restant dans cette analogie, une météorite assez massive peut briser la croûte. Seconde hypothèse : utiliser de l’antimatière pour annihiler la croûte.
— Mais on n’a rien de tout ça sous la main.
— Précisément.
— Dans ce cas, changement de plan ! On passe à la chirurgie. Analyse la résistance des différentes zones du vaisseau et compare au blindage de nos appareils pour savoir où se trouvent les points sensibles.
Quelques secondes plus tard, alors qu’une nouvelle volée d’éclairs manquait de griller les propulseurs, un plan hypothétique de la frégate se superposa à sa vision. Cela confirmait ce que Ratchet avait deviné en mitraillant la coque : sa conception semblait semblable aux vaisseaux modernes sur de nombreux points. Il avait également repéré deux zones dont les tourelles n’émergeaient jamais : le « cœur de la fleur », d’où partaient les longues pointes de cristal, et l’endroit situé à l’opposé, qui servait sans doute de tuyère pour le moteur, si cette technologie avait encore besoin d’échappement.
— On attaque par le milieu ! rugit le Lombax en se positionnant comme pour disputer une joute. Pinces à protons au maximum, missiles parés ! Arme tout ce qu’on a !
— Selon toute logique, c’est de cette zone que provient la chose qui a détruit Paraden. Êtes vous sûr de ce que vous faites ?
— Parfaitement !
Sur ces mots, Ratchet poussa les moteurs au maximum et déclencha l’apocalypse sur son chemin. Tous les missiles restants après cette longue bataille provoquèrent un geyser lumineux sur les pointes entourant le noyau de la frégate, les éclats incandescents des billes de plasma se mêlèrent aux éclairs d’améthyste. Avant même d’être à portée de tir, il activa les pinces à protons, et les deux rayons dorés se concentrèrent sur un point lisse juste au-dessus du noyau. Oubliant tout le reste, le Lombax fixa le nuage de fumée qui se formait autour de la zone d’impact du flux de protons. Alors qu’ils se rapprochaient dangereusement de la frégate, plusieurs éclairs traversèrent le bouclier, et les alarmes se mirent à hurler.
— Ratchet, nous devons décrocher ! s’écria Aphélion.
— Encore une seconde… Là !
La coque de cristal se fissura sous la pression chirurgicale de la pince. Aussitôt, Ratchet lâcha les manettes, s’équipa de ses armes et ouvrit le cockpit.
— Qu’est-ce que vous faites ?
— Je vais passer le bonjour à ces enfoirés ! Toi, tire-toi d’ici !
Le Lombax bondit dans le vide alors qu’ils passaient à l’intérieur des pétales. Aphélion replia ses ailerons et passa entre deux pointes dans un mouvement fluide, tandis que son pilote, entraîné par son inertie, fonçait vers la brèche qu’il venait de créer. Instinctivement, il plaqua ses bras le long du corps et se retourna pour entrer les pieds devant.
Lorsqu’il passa à travers la coque, il se rendit compte avec stupeur qu’elle était plutôt fine, et même semi-transparente par endroits. Une forte impulsion des hoverbottes lui permit d’amortir sa chute, et il se releva aussitôt, arme au poing et prêt à en découdre.
L’environnement entier était constitué de cristal. Le vaisseau était pressurisé et semblait pourvu d’une gravité artificielle, mais sa tête était légèrement attirée vers le haut, comme si chaque mur générait sa propre pesanteur. De plus, l’atmosphère n’était pas respirable pour bon nombre d’espèces de Polaris. Dépourvue d’éclairage, la salle dans laquelle il se trouvait lui était révélée par sa vision nocturne. Il n’y avait ni écran, ni le moindre câble ou tuyau en vue. Les parois semblaient parcourues de veinures luminescentes, comme si l’énergie et l’information circulaient directement à travers elles. La coque elle-même était semblable à un épiderme, plus ou moins flexible, et dont le « cartilage » formait les pointes acérées qui structuraient le vaisseau.
Alors que Ratchet effectuait un tour d’horizon de l’endroit où il se trouvait, une salle de forme cylindrique aux arrêtes lisses et totalement dépourvue d’équipement, une ouverture se découpa – littéralement – à l’opposé de la brèche, qui s’était refermée comme une blessure cicatrisante. La porte ainsi créée se fragmenta et s’effondra, avant d’être absorbée par la paroi.
Dans l’ouverture circulaire se tenait une créature à l’aspect familier : dépourvue de jambes, flottant à un mètre du sol, la silhouette était constituée d’un large torse rétrécissant en une flagelle ondulant dans les airs, et pourvu de deux bras puissants. La matière qui la composait semblait plus minérale qu’organique, comme un cristal liquide et translucide, de la même couleur que le vaisseau. Au cœur des méandres sombres de son corps, une lueur malsaine palpitait en murmurant un écho spectral. Sa tête, affublée d’une puissante mâchoire digne des pires monstres marins, était surmontée de deux yeux bleu électrique. Enfin, des plaques et des pointes défensives lui ceignaient les membres, mais cette armure ne semblait pas artificielle : elle était comme fondue sur lui, et composée d’une version plus sombre du cristal de Toranux.
— Un Loki ? devina Ratchet, un peu interloqué : la créature différait légèrement de ses souvenirs du parasite de Magnus. Ou un Néther ?
La chose, restée impassible jusque-là, poussa un cri strident à l’évocation du second nom et se jeta sur le Lombax. Esquivant sans difficulté, il s’apprêta à asséner un coup de clé fatal lorsqu’un deuxième ennemi fit irruption par une autre porte, et lui lança une décharge d’énergie mauve. Pris de cours pour éviter l’attaque, Ratchet saisit la gorge du premier Loki entre les pinces de son arme et le traîna entre lui et son congénère. Le parasite prisonnier fut réduit en poussière par l’assaut. Profitant que sa clé soit libérée, le Lombax se jeta sur l’ennemi restant, et lui asséna un coup assez puissant pour le projeter au sol.
— Alors voilà votre environnement naturel, observa-t-il en plaçant sa clé sur la gorge de la créature. Ça tombe bien, je préfère vous massacrer à armes égales.
Une sensation de froid se propagea soudain dans ses chevilles. Le Loki, allongé sur le dos, l’avait saisi et commençait à s’infiltrer en lui.
— Même pas en rêve ! rugit Ratchet et appuyant d’un coup sec sur sa clé, séparant le corps spectral en deux parties.
Le froid s’évanouit en même temps que le parasite. Le Lombax en avait assez d’être la victime de ces monstres, et sa colère était telle qu’il parvenait à surmonter la paralysie qui le saisissait à leur contact. Puisqu’elles ne jugeaient plus nécessaire de s’abriter derrière des civils innocents, il allait leur faire regretter.
Les minutes qui suivirent se mêlèrent en une succession de combats à la violence grandissante. Ratchet, prêtant à peine attention à la structure de la frégate destructrice d'étoiles, se fraya un chemin parmi les Lokis, laissant derrière lui des nuages de poussière et l'écho de ses cris de rage et de douleur. L'armure Apogée vola en éclats, de même que son épaule. Un filet de sang coulant le long du bras, il changea sa clé de main et reprit l'assaut de plus belle. Alors qu'il plaquait un ennemi sur un mur, bloqué par le canon de son fusil à pompe, il hurla :
— Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour subir tout ça ?
La créature se contenta de se charger d'énergie. Sans lui laisser le temps de porter son attaque, il pressa la gâchette, le Répulseur Temporel éparpillant les restes éthérés du Loki dans les ténèbres.
— De quoi étaient coupables les milliards de gens que vous avez tués ? rugissait-il en essuyant son arcade sourcilière fendue. Qu'est qu'ils vous ont fait ?
Un goût métallique dans la bouche, il continua à se battre, encore et encore. Comme ces montres l'avait fait dans ce système, il allait pulvériser ce vaisseau et tous ses occupants. Ils ne feraient plus jamais de mal à personne. Le sang du Lombax se mêlait à ses larmes, maculant le cristal dans chaque recoin de la frégate où s'exprimait sa furie vengeresse. Avec la gravité étrange de ce lieu et le noir de l’espace qui l’entourait, il avait perdu toute notion de haut et de bas. La seule chose qui importait, c’était sa prochaine cible. L’un après l’autre, les Lokis tombèrent sous ses coups.
Finalement, il parvint jusqu’à la seule salle du vaisseau qui ne semblait pas vide d’équipement. Il avait perdu son casque, ne gardant qu’un respirateur sur le bas du visage. Son bras droit pendait le long de son flanc, l’épaule disloquée par une attaque. Une longue et profonde entaille avait sectionné plusieurs tendons de sa cuisse, l’obligeant à boîter sur une jambe, l’autre traînant derrière. Un filet de sang se mêlait à la fourrure de son crâne, contournant son œil pour couler dans les replis de l’armure en morceaux. Un état déplorable, mais aucun Loki ne l’avait suivi. Il les avait probablement tous éliminés. En d’autres circonstances, la victoire qu’il venait d’obtenir l’aurait empli de soulagement, avant que ses blessures ne le fassent s’évanouir. Cette fois, il ne ressentait rien d’autre qu’une colère insatiable.
Il analysa rapidement ce qui semblait être la salle du générateur. Devant lui, constituant le seul relief dans ce lieu aussi lisse que le reste du vaisseau, se tenait une machine faite de cristal. Cinq capsules émergeaient d’une colonne centrale, ressemblant à des versions énormes des petits conteneurs dans lesquels les parasites se cachaient. Le matériau transparent laissait deviner la silhouette de plusieurs Lokis, visiblement reliés à l'appareil. Un flux d’énergie s’échappait des créatures avant d’être collecté par les capsules.
— Vous nous exterminez pour avoir développé notre technologie, constata Ratchet avec dégoût, mais vous faites la même chose. Seulement, vous traitez vos congénères comme du bétail pour les alimenter.
Le Lombax cracha, espérant que l’Unique l’entende, puis se dirigea vers le premier caisson.
— N’espérez aucune pitié de ma part ! s’écria-t-il en abattant sa clé.
Le cristal se brisa au premier coup, et le Loki fut tué au second.
— Pour Iglak ! hurlait-il en couvrant le vacarme des éclats scintillants. Pour Susie ! Pour Rhivan !
Alors qu’il assénait un coup à la dernière capsule, son corps meurtri le trahit et la clé rebondit mollement sur la coque. Serrant les dents, il secoua son bras brisé et leva son arme à deux mains, faisant éclater une tempête de douleur en même temps que la vitre de cristal.
— Pour Talwyn ! rugit-il en exécutant la dernière créature.
Titubant, haletant, il recula pour observer le générateur. Brutalement privé d’alimentation, les conduits semblaient déstabilisés. À l’intérieur des caissons, le tuyau collecteur d’énergie tentait d’aspirer les dernières volutes mauves flottant dans les airs. Ratchet saisit son gant à Fusio-Grenades, et prit toutes ses munitions au creux de la main.
— Et pour tous les autres ! croassa-t-il en les lançant de toutes les forces qui lui restaient.
Les bombes rebondirent sur la machine. Quelques-unes furent happées par les tuyaux et disparurent dans la colonne de cristal. Un instant plus tard, une lumière flamboyante engloutissait la frégate loki.
***
Les rémanents d’une supernova brillaient longtemps après la mort de l’étoile. Cependant, lorsque la corvette des Forces Défensives parvint dans ce qui était quelques heures plus tôt le système Iglak, il était possible de voyager dans la nébuleuse, à condition d’être suffisamment protégé. Après avoir surmonté le choc initial, l’équipage se mit au travail. Le reste de la flotte arriverait bientôt pour chercher d’éventuels survivants, mais ils avaient une mission bien précise à accomplir avant.
L’épave ne fut pas difficile à trouver : située en bordure de la nébuleuse, les résidus énergétiques étaient les seuls détectables dans cette zone. À peine arrivés à quelques kilomètres, un second signal fut détecté non loin : un chasseur lombax, fortement endommagé et dépourvu de pilote. Le capitaine de la corvette s’empressa de le récupérer pour interroger son IA, qui lui raconta en détail leur arrivée, l’attaque de cet étrange vaisseau, jusqu’à-ce que le pilote ne s’éjecte pour l’aborder et que le contact soit perdu.
Plusieurs équipes furent immédiatement dispersées au milieu des débris. Au bout d’une attente semblant interminable, l’un des soldats contacta la corvette.
— Monsieur, nous l’avons trouvé.
— Comment va-t-il ? s’enquit le petit robot.
— Ses signes vitaux sont faibles, il a besoin d’une assistance médicale immédiate.
— Ce sera fait. Rentrez vite.
Sitôt le précieux chargement sécurisé, le capitaine ordonna le déploiement d’une balise à proximité de l’épave. Il était trop hasardeux d’en embarquer les fragments, mais les informations qu’ils pouvaient leur apporter étaient considérables. D’ici peu, un groupe d’analystes serait dépêché ici.
En attendant, le capitaine devait retrouver son ami. Courant au milieu des soldats avec un manque de politesse qui ne lui était pas familier, il se fraya un chemin jusqu’à l’infirmerie. Le Lombax, entouré par une équipe complète de médecins, avait été placé en soins intensifs. Les restes de son armure avaient été retirés, et il gisait sur une table d’opération, un masque respirateur sur le visage. En le voyant approcher, on fit comprendre au petit robot que l’état de son ami était critique. Cependant, on lui laissa un peu de place pour l’observer un instant. Clignant de ses grands yeux verts en signe de reconnaissance, Clank se hissa sur un tabouret et posa une main sur le bras ensanglanté du Lombax. Son regard brillant d’intelligence était empli de chagrin, et c’est avec une infinie tendresse qu’il laissa échapper dans un murmure :
— Tiens bon, Ratchet. Nous rentrons à la maison.
FIN DE LA PARTIE 1
Cher lecteur, chère lectrice,
Je vous félicité pour être arrivé jusqu'ici, et je vous dis surtout un grand MERCI, que vous suiviez cette fiction depuis le début ou que vous ayez trouvé ce chapitre par hasard.
J'espère que vous aurez apprécié cette histoire autant que j'ai aimé l'écrire durant ces six années.
Cependant, mon travail n'est pas terminé : Pour ceux qui voudront bien m'accorder un peu de leur temps, je vous invite à échanger dans la section commentaires ci-dessous. J'aimerais receuillir vos avis pour me permettre de retravailler, si besoin, certaines parties de cette fiction avant de pouvoir la considérer comme terminée. Je reste évidemment joignable sur le Discord RG si l'envie vous prend de discuter (je ne mords pas, c'est promis !)
Une fois que ce sera fait, et que j'aurais pris une petite pause, je m'attèlerai au chantier de la seconde et dernière partie de cette histoire.
D'ici là, portez-vous bien et encore merci !
Wow... Je m'attendais pas à une telle fin. J'en ai eu des sueurs froides. Je ne sais trop quoi dire...
Mais merci à toi de nous avoir offert une fan-fiction de cette qualité. C'est très impressionnant le travail que tu as abattu. J'ai honnêtement eu beaucoup de plaisir à la lire cette histoire. Je te souhaite bonne continuation dans tes projets.
Hello, j'espère que tu n'es pas resté sur ta fin ! (badum-tss)
Ravi que ça t'aie plu, ça a été un plaisir de l'écrire et une joie immense de recevoir vos retours.
Je compte bien poursuivre sur ma lancée et conclure cette histoire dans la partie 2, mais pour le moment j'essaie de peaufiner la première.
Je compte corriger certaines scènes ou chapitres au niveau de la forme pure, mais au niveau du fond justement, y'a-t-il une ou plusieurs scènes, arcs narratifs ou enjeux qui t'ont parus de moins bonne qualité, ou un élément t'a-t-il déçu ? (perso pas assez développé, pas assez "mémorable", scène un peu lente ou trop chargée ?)
Ou au contraire, quels ont été tes passages ou tes personnages préférés ?
Si tu veux bien m'accorder un peu plus de ton temps pour répondre à ces questions, ça m'aiderait énormément pour la suite, j'ai ma petite idée sur les points à améliorer mais l'opinion des autres a toujours plus de valeur.
Quoi qu'il en soit, encore merci d'avoir lu jusqu'au bout !
Difficile de répondre à ta question. Ça fait un moment que j'ai lu les premiers chapitres et pour tous te dire, j'ai un peu oublier ce que ça racontait x). Il va falloir que je relise si je veux de donner un avis correcte.
Comme ça je peux déjà dire que j'ai beaucoup aimé les séquences avec les frère et soeur Prog, Blaze et Harlan. Le fait que d'anciens criminels et des soldats doivent collaborer malgrè leur différents, je trouve ça palpitant.