Auteur : Ratchet_Dadou
Le lendemain, je marchais dans le village en compagnie de Dave. Pour ne pas révéler que je suis d’une autre espèce – que je ne connaissais même plus –, le pêcheur m’avait trouvé un foulard, que j’enroulai autour de ma tête afin de cacher mes oreilles en pointe, et un grand carré de tissu bleu, que j’enroulai autour de mes jambes et épinglai pour m’en servir comme jupe pour cacher ma queue de souris. Nous passerions bientôt acheter une robe à ma taille, histoire d’être moins ridicule.
Quand des passants me voyaient, ils se disaient entre eux :
-Regarde. Qui est cette jeune fille ?
Et ils s’approchaient de Dave, qu’ils connaissaient plus ou moins, pour le lui demander. La première fois que cela se produisit, j’avais peur que l’hésitation de mon hôte nous trahirait et que je serais découverte. Mais heureusement, Dave répondit assurément :
-Voici Aöny Irhim, ma nièce.
Les deux hommes – un grand brun assez barbu et un plus petit, mince et blond –, les deux premières personnes à lui demander qui j’étais, se regardèrent d’un air étonné. Puis ils se tournèrent à nouveau vers lui. Le grand brun dit comme pour lui-même :
-Je ne savais pas que Lim avait une petite sœur.
J’appris au cours de cette discussion quelques choses sur le neveu de Dave.
-Mon frère se fait vieux, raconta le pêcheur. Il ne peut plus faire grand-chose. Il a donc envoyé sa fille chez moi pour lui trouver un travail et lui faire gagner de quoi faire vivre la famille.
-Cette histoire est donc si récente… fit le même homme. Très bien. Nous devons y aller, à présent. Au revoir, Dave et ?
-Et Aöny, lui rappela mon hôte.
-Au revoir, alors.
Je leur dis poliment au revoir aussi. Les deux hommes partirent.
-Ils ne se douteront de rien, ces deux-là, me murmura Dave. Je ne les connais pas très bien.
-C’est clair que l’un des deux ne doit pas souvent vous parler, constatai-je.
Un sourire se dessina sur les lèvres du pêcheur.
-Ah, le blondin ? C’est parce qu’il est muet.
Je compris alors pourquoi l’autre homme ne prononçait pas un mot.
Dave racontait la même histoire à tous ceux qui lui demandaient mon identité. Je leur répondais parfois poliment sans trop prendre de risques pour un peu participer. Lorsqu’il y avait trop de risques, Dave répondait à ma place. Peut-être que son récit à propos de Lim et de Retch, son frère, était un tissu de mensonges, ou bien une demie-vérité. Un moment où personne ne nous questionna, je demandai au pêcheur si ce qu’il racontait était au moins une demi-vérité. Il me répondit :
-Tout ce que je leur ai raconté est vrai. Je n’ai rajouté que ton existence dans l’histoire, car quand on ment et qu’il ne se passe pas quelque chose comme prévu, on est obligé d’inventer un plus gros mensonge. Et souvent tout cela se finit mal. Mentir sert à se sortir des situations critiques ; il ne faut jamais le faire pour le plaisir.
J’écoutai attentivement et en tirai une leçon. Je trouvais qu’il avait vraiment raison et je voulais à partir de maintenant essayer de mentir le moins possible ; je pensai alors que j’avais eu peut-être cette habitude auparavant… à moins que ce ne fût totalement le contraire ?
Mais mes questions ne s’arrêtèrent pas là.
-Pourquoi il faut que je me cache ?
Question importante, dont la réponse allait sûrement beaucoup m’éclairer.
Dave ne put répondre tout de suite car un couple était venu lui parler. Les jeunes gens voulaient surtout savoir qui j’étais, évidemment. Et une dernière discussion, comme toutes les autres, reprenait. Je ne vais pas vous décrire tous ces dialogues, car ils ne sont pas très importants et ressemblent beaucoup à ceux des deux hommes, dont l’un était muet. Une fois le couple parti, Dave me demanda tout bas :
-Que voulais-tu savoir, au juste ?
Alors je répétai ma question tout aussi bas.
-Pourquoi les habitants de ce village ne doivent-ils pas me voir telle que je suis ?
-Tu as vraiment tout oublié… murmura le pêcheur en souriant. Je vais aller t’expliquer des trucs qu’on apprend à des gamins de cinq ans !
-Eh ! Je suis peut-être amnésique, mais je sais tout de même que ce n’est pas de ma faute ! Trouvai-je à protester, me sentant prise pour une imbécile.
Mon hôte ria doucement.
-Désolé ; je ne te critiquais pas. Je vais t’expliquer : dans la région, il y a deux sortes de villes : celles où une seule espèce civilisée vit, qui sont toutes des petites villes et des villages, tout comme Olluny ; et celles où il y en a plusieurs, jusqu’à même une dizaine. Celles comme Olluny s’appellent « villes isolées » et ne sont plus beaucoup aujourd’hui. Les autres sont les villes multiples, comme Avariny.
-Avariny ? Répétai-je.
-Laisse-moi finir ce que j’ai commencé, Aöny. Je te parlerai de cette ville plus tard.
-Désolée, Dave.
-Ça ne fait rien, rassure-toi, me dit-il en souriant. Les villes isolées peuvent abriter des humains, ou d’autres membres d’autres espèces à condition que ces villes accueillent respectivement ces races. Tout habitant d’une ville isolée qui va accueillir quelqu’un qui n’est pas de son espèce chez lui considéré comme un traître aux yeux des autres, un traître qui veut transformer la ville en une multiple. Il est donc banni. C’est ce qui est arrivé à mon frère qui habitait ici quelques années plus tôt. Transformer Olluny en village multiple n’était pas du tout dans ses intentions. Il avait juste invité un vieil ami, un asfard. Il a dû s’installer à Avariny. Sa famille n’était pas bannie, mais elle a décidé de le suivre. C’est pour ça que mon neveu peut venir chez moi quand il le souhaite.
-C’est quoi un afgar ?
-Un ASFARD ! C’est un être qui nous ressemble. Il a des oreilles pointues, comme toi ; mais pas de queue. Il a des yeux noirs sans pupilles et la peau gris clair. Bon, maintenant, Avariny. C’est une très grande ville multiple avec de merveilleux bâtiments en or, du grand luxe et habitée par neuf espèces, dont – je pense – la tienne.
-Et quelles autres espèces ? Demandai-je en imaginant la beauté de la ville, rêveuse.
-Ça, ce sera à toi de le découvrir ! Me dit le pêcheur d’une voix joyeuse en me tapant amicalement dans le dos. Je ne peux pas te garder ici, on finirait par s’apercevoir que tu viens d’une autre espèce, alors je t’amènerais à Avariny pour y vivre. Et si tu retrouves certains des tiens, tu en sauras peut-être plus sur ton ancienne vie.
J’étais tellement heureuse. D’abord, j’allais voir cette ville sûrement magnifique, mais en plus j’allais retrouver des membres de mon espèce ! Dave était décidément très sympa. Je restais sans voix, me demandant pourquoi il m’aidait comme il le faisait.
Mais malheureusement, ma joie fut de courte durée.
Une grosse boule de feu, qui semblait lancée par un tir de catapulte, atterrit brusquement sur une maison en bois à cent mètres de notre position et la fit exploser ! Nous sursautâmes. Étions-nous attaqués par une armée ? Étions-nous en guerre ? Je n’eus pas le temps de me poser d’autres questions. Nous vîmes à présent qu’il ne restait plus rien de la maison, que le sol était noirci sur une grande distance et que la végétation se trouvant autour de ce grand cercle était en train de brûler. J’entendis quelques cris. Heureusement, ce n’étaient pas des cris de douleur, mais plutôt de terreur ; personne n’avait été trop près de cette maison. Avant que l’un d’entre nous deux ne pût prononcer un mot, une femme apparut comme par magie au-dessus du lieu de l’explosion. Elle flottait dans les airs comme par lévitation.
Elle avait le visage blanc, des yeux bleu glacial et des lèvres et des longs cheveux de couleur de sang. Elle portait une longue tunique, des gants et des chaussures de couleur violette, ainsi que des chaînes se croissant sur sa poitrine. Elle souriait. Elle avait sûrement un lien avec cette boule de feu. Elle cria :
-Habitants d’Olluny, réunissez-vous !
Et, comme si tout le village l’avait entendue, tout le monde se tenait devant elle au bout de quelques minutes. Ives nous rejoignit parmi la foule en courant. Il nous murmura, haletant :
-Vous allez bien ? Je vous ai cherchés partout pour vous prévenir : avant l’explosion, j’ai vu une grosse boule de feu dans le ciel. Mais je vois que c’est trop tard…
Je restai muette. Cette boule de feu était déjà là depuis tout ce temps ?! Comment ne l’avions-nous pas vue ?
L’étrange femme continua :
-Nous avons besoin de toute la participation du monde. Chacun d’entre vous, tel qu’il soit, peut être utile. Je ne peux rien vous dire pour le moment. Rendez-vous et vous aurez la vie. Refusez et vous mourrez.
-Qui est-elle ? Demandai-je à Dave et Ives. Qui est cette… ?
Soudain, ma bouche ne m’obéit plus. Elle restait fermée, immobile comme celle d’une statue. J’entendis l’étrange femme crier :
-Silence ! Je ne veux entendre que votre réponse !
Elle tendait le bras et avait la main ouverte, paume dirigée vers moi. Je compris qu’elle utilisait ses pouvoirs pour me bâillonner à distance. J’allais sortir mon pisto-laser de ma ceinture pour me délivrer mais, comme elle me regardait, elle comprit ce que je voulais faire er me bloqua le bras le bras droit de la même manière. Elle ria doucement :
-Pauvre sotte !
Puis elle se tourna vers les habitants d’Olluny.
-Alors ? Demanda-t-elle. Votre réponse ?
-D’accord, nous allons vous suivre ! S’écria une femme de la quarantaine qui s’avançait, d’une voix angoissée.
-Tu es folle ? L’interpella un homme – sûrement son mari – en la retenant par l’épaule.
Tout le monde se mit à murmurer à voix basse, sauf nous trois, qui étions bouche bée et abasourdis.
-Je perds patience ! S’exclama la femme surnaturelle.
-Vous ne nous prendrez jamais notre liberté ! S’exclama un homme.
-Tu veux nous voir tous morts ?! Repartit un autre.
-Je vous en prie ! Supplia la même femme.
Et de nouveaux murmures, encore plus nombreux, reprenaient le dessus. Au bout d’un moment, la magicienne menaçante ria doucement. Elle lâcha ses emprises sur moi et je n’eus pourtant aucune satisfaction de pouvoir à nouveau bouger mon bras et ma bouche tant j’étais inquiète.
-Très bien, dit-elle. Aucun choix peut être un très grand choix, n’est-ce pas ?
Elle marqua une courte pause durant laquelle mon cœur tambourinait dans ma poitrine.
-Faîtes vos prières.
Elle ouvrit des portails magiques tout autour d’elle. Des sortes d’hommes-lézards verts et bleus en sortirent et commencèrent à massacrer les habitants d’Olluny. Des cris de terreur et de douleur, des grognements et des hurlements fusèrent. La méchante femme lança un rire glacial qui me gela les os et disparut comme elle était venue. Les reptiles n’ayant atteints ni moi, ni Dave, ni Ives, je sortis mon pisto-laser et les visai un par un avant de tirer. Deux tirs suffisaient pour en tuer un. Mon arme se révéla efficace, mais les villageois avaient beaucoup de mal à les repousser. Ils utilisaient un peu de tout ce qu’ils trouvaient en guise d’armes, mais ils ne purent tuer que quelques hommes-lézards ; et beaucoup d’entre eux se firent massacrer. Les monstres foncèrent vers moi ; je pouvais les blesser avec mon pisto-laser pour les ralentir, mais il y en avait tellement qui voulaient fondre sur moi que je ne les éliminerais pas tous à temps.
-Courez vous mettre à l’abri dans la forêt ! Hurla un homme. On aura plus de chance de les semer !
Cet homme se mit à courir vers l’Ouest. Tout le monde l’imita. J’entendis Dave me crier :
-Abandonne la bataille, Aöny ! Cours !
Je me retournai et l’aperçus. Il n’avait pas eu le temps de se retourner vers moi. Je m’élançai derrière lui sans ralentir. Les lézards, plus rapides que les humains, semble-t-il, menaçaient de nous rattraper. Je me retournai souvent pour tirer et abattre un reptile qui était trop près. Mais, ne pouvant être partout à la fois, je vis quelques villageois mourir. Un reptile qui courait après l’un d’eux lui sauta dessus et lui déchira la chair de ses dents. Ces morts brutales se répétaient inlassablement.
Soudain, Dave s’arrêta. Je m’arrêtai immédiatement derrière lui, ne voulant pas le laisser tomber.
-Mais qu’est-ce que vous faites ? Criai-je.
-Où est Ives ? Répondit le pêcheur en regardant dans toutes les directions, inquiet. Il était avec nous il y a quelques minutes !
Il fut soudain frappé par une vision d’horreur qu’il voyait derrière moi. Je me retournai et fus bouleversée : à quelques dizaines de mètres de là, le corps étendu d’Ives gisait dans une mare de sang, la gorge rouge ; un homme-lézard s’était baissé et déchirait le ventre de la pauvre victime.
-Ives !!! Noooooon !!! Hurla Dave en pleurant et en tombant à genoux.
De grosses larmes roulèrent sur mes joues, mais je ne me laissai pas abattre. Je l’obligeai alors à se relever et courir en le tirant par le bras et en lui criant :
-Courez ! On ne peut plus rien pour lui !
Il me suivit à toute vitesse en sanglotant. Mais quelques secondes plus tard, un homme-lézard sauta sur le pauvre Dave et le fit tomber. Heureusement que je m’en rendis compte à temps. Je me retournai immédiatement, tirai et, par coup de chance, le laser traversa la tête du monstre qui tomba sur mon nouvel ami. Je me précipitai vers Dave, dégageai le reptile et m’accroupis pour l’aider à se relever. Je pensais l’avoir sauvé.
Malheureusement, je me trompais.
Le lézard lui avait gravement mordu le cou, qui ruisselait de sang.
-Tiens bon, Dave ! Haussai-je, toute en larmes. On va s’en sortir !
Le blessé toussa et cracha du sang en essayant de parler. Puis il put me dire :
-Laisse-moi… sauve-toi…
-Jamais ! Je ne veux pas vous abandonner !
-Vas à Ava…riny… Les…défenses…de cette villes sont…solides… Préviens-les…de ce qu’il se passe…
Dave fit un dernier souffle, puis posa sa tête sur le sol, les yeux dans le vide. Je pleurai près de lui quelques secondes ; en voyant les monstres foncer vers moi, je me remis à courir. Comme l’un d’eux allait me rattraper, j’enlevai mon morceau de tissu qui me servait de jupe et mon foulard, car ils me gênaient dans ma course, et les jetai derrière moi. Je pus donc accélérer. Les lézards ne pouvaient plus me rattraper, mais je ne pouvais plus les semer. Pendant quelques minutes de course encore, j’étais en tête et je ne pouvais qu’entendre les humains hurler, pleurer et mourir.
J’atteignis enfin la forêt ! J’avais enfin une chance de semer mes poursuivants ! Je risquai tout de même un coup d’œil en arrière. Je n’en revenais pas : j’étais la seule survivante ! Tous les reptiles couraient après moi ! Ils n’abonnaient pas la moindre proie, alors ! En courant parmi les arbres, je crus que je ne m’arrêterais jamais.
Je vis devant moi, à quelques mètres, un obstacle : une énorme pierre. Je pris alors mon élan, n’ayant pas le choix, et sautai le plus haut que je pus par-dessus. J’atterris sur la terre de la forêt, mais ne pus retomber sur mes pieds. Après une chute qui me fit mal de la hanche au bras droits, je roulais sur le sol et tombai dans un profond trou se situant entre les racines sorties d’un arbre et ayant un diamètre à peine plus grand que ma largeur. C’était sûrement un terrier abandonné.
Un reptile essaya d’entrer dans le terrier, mais il était trop grand, comme ses congénères. Il tenta alors ensuite de me blesser à coups de griffes. C’était encore sans succès : il avait beau étirer ses bras, le trou était tellement profond qu’il ne m’atteignait pas. Je lui tirai dessus à l’aide de mon arme. Un autre monstre tenta de me tuer comme son semblable défunt ; je recommençai. Je pus tuer, ainsi, quelques hommes-lézards.