Ratchet DeadZone - Chapitre 24

Chapitre XXIV : L’Enfer Aquatique

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Auteur : VideoGammerMan

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L’Enfer… Un mot qui fait trembler les uns, provoque une indifférence prononcée chez d’autres, tout simplement parce qu’ils n’y croient pas. Certains le décrivent comme terrifiant, d’autres encore pensent qu’ils y trouveront femmes et nourriture à souhait… Mais quoique l’on puisse penser de ce lieu de désolation, de cet endroit où tous les morts seraient envoyés, il existe bel et bien ; et les écrits y faisant allusion se multiplient encore et toujours, mais tous, quels qu’ils soient, sont loin de la vérité…

Les paupières de Ratchet se soulevèrent. Sa vue était trouble, et devant ses yeux dansaient quelques volutes rouges et noires, fumées se tortillant au gré d’un vent inexistant. Où était-il ? Il essaya de se remémorer les évènements passés, sans succès. Étrangement, il ne sentait rien. Ni chaleur, ni fraîcheur, ni même son propre poids pesant sur ses épaules. Il lui semblait être allongé, mais il n’en était pas sûr. Il arrivait à raisonner à peu près correctement, c’était déjà ça de gagné. Il essaya de bouger un bras et y arriva sans difficulté. Il se demanda alors pourquoi il restait ainsi, sans se mouvoir, si ses membres étaient intacts. Instinctivement, il se redressa, et remarqua alors qu’il était en effet allongé quelques secondes auparavant. Bizarrement, même assis, il ne sentait pas la consistance du sol sous son postérieur. Sa vue était toujours aussi instable. Ne comprenant pas ce qui lui arrivait, il se leva et fit quelques pas. Là encore, il ne sentit à aucun moment ses pieds fouler le sol. Et pourtant, le fait était là : il avançait. Il se demandait encore où il se trouvait lorsqu’un flash lui parvint. Alors il se souvint. Il se rappela de la bataille sur DeadFire, de la retraite d’Avatar, et du come-back de Kratos, de retour parmi les vivants après son séjour chez les morts. Les morts ? Mais oui ! C’était donc cela. Il s’en souvenait maintenant : il s’était écroulé, les lames du chaos l’ayant massacré, et il s’était retrouvé allongé à côté du Dieu, au bord du néant. Et puis il avait senti ses yeux se fermer et la vie le quitter… Il venait de comprendre, et cette pensée le pétrifia : aucun doute ne lui était désormais permis : il était mort.

Le lombax jeta un regard apeuré à son abdomen, là où l’arme de Kratos l’avait saigné à vif. Il n’y vit rien d’autre qu’un pelage soyeux et immaculé. Il remarqua alors seulement qu’il était nu, mais il s’en fichait. La fumée autour de lui se faisait plus claire. Il se déroula encore quelques secondes où Ratchet resta immobile, sans bouger un seul membre, puis elle disparut, dévoilant devant ses yeux ébahis les Enfers.

Une grande plaine s’étendant à perte de vue. Aucun relief, aucune végétation, aucun être vivant, non, rien de tout cela. Simplement un paysage plat, dénué d’un quelconque signe de vie. Le ciel était noir, entièrement noir, et cela n’empêchait pourtant pas l’endroit d’être éclairé d’une morne lumière. Mais à mieux y regarder, il semblait que cette dernière était émise par le sol lui-même, et non par la voûte céleste. Le lombax se posa alors une question dont il n’aurait la réponse que bien trop tôt. S’il était en Enfer, alors où étaient les morts ?

Ratchet commença alors à marcher, tout droit, sans savoir où il allait, ne ressentant toujours rien. Mais il avait à peine parcouru une trentaine de mètres que ses yeux rencontrèrent une forme assise sur le sol. Petite, de forme humaine, elle lui tournait le dos. Le lombax eut un mauvais pressentiment. Il était sûr que cette chose n’était pas là une minute auparavant, lorsqu’il avait balayé l’étendue des Enfers de son regard perçant. Néanmoins, ne ressentant aucune peur, il s’approcha. Et puis après tout, que risquait-il, puisqu’il était déjà mort ?

Il ne produisait presque aucun son en marchant, mais la créature sembla l’entendre et se retourna. Son visage était laid, et sous ses traits pourrissants, c’était à peine si on pouvait discerner des yeux et une bouche. Ceux-ci semblaient avoir été grossièrement taillés à coups de pioche dans la peau de la chose. Elle fixa le lombax d’un regard de revenant, puis se leva, sans toutefois le lâcher des yeux. Lorsque Ratchet, qui ne s’était pas stoppé, ne fut plus qu’à deux mètres d’elle, il s’arrêta et observa son corps. Celui-ci était maigre et décharné, et sa peau semblait tomber en loques. Il était nu, mais cela ne semblait pas le déranger. Enfin, sa bouche se tordit en une grimace de douleur, et il parla :
-Que fais-tu ici, étranger ?
-Aucune idée, répondit le lombax en haussant les épaules. On ne m’a pas demandé mon avis avant de m’emmener ici.
-Peu sont les morts qui se sont rendus ici volontairement, ricana la créature. Et oui, petit, si tu es ici, c’est que tu es mort. Mais ne t’inquiètes pas, tu ne le resteras pas longtemps. Tu vois cette étendue déserte et vide ? Il n’y a pas si longtemps, elle était peuplée à n’en plus finir. Les décédés de chaque galaxie erraient ici. Mais le spartiate est arrivé… Il a vaincu le Dieu des Enfers, mon Maître, Hadès, puis a fui en s’emparant de son pouvoir. Comment a-t-il fait ? Je ne le saurai jamais. Hadès est mort à peine quelques heures après l’affrontement. Le Dieu des Morts qui crève, n’est-ce pas là une douce ironie ? Tu dois sûrement te demander comment cela est seulement possible, ou pourquoi il n’a pas réatterri ici. Je ne peux pas te l’expliquer. Les Dieux sont des créatures spéciales, et l’on n’arrivera jamais à réellement les cerner. Mais je suis d’une impolitesse rare. À qui ai-je l’affaire ?
Ratchet avait laissé la chose parler, l’écoutant attentivement, et fut étonné de devoir prendre la parole.
-Mon nom est Ratchet, dit-il d’un air monotone. Ou du moins, c’est comme ça qu’on m’appelait, quand j’étais encore en vie.
-Ratchet ? Intéressant…
-Pourquoi cela ?
-Aucun intérêt. Moi, c’est Charon, légendaire berger des Enfers. J’étais celui qui s’en occupait, quand il y avait encore des gens ici…
-Vous ne m’avez pas dit pourquoi tout le monde est parti, relança Ratchet.
-Ah oui, en effet. Et bah, lorsque Hadès a été vaincu, le spartiate s’est servi de ses nouveaux pouvoirs pour creuser une gigantesque porte interdimentiospatiale donnant accès au monde des vivants. Je ne te fais pas dire que des masses et des masses de morts s’y sont précipités. Il a fallut moins de vingt-quatre heures pour que les Enfers se vident. Et maintenant, tous les nouveaux arrivants repartent juste après leur arrivée. Tant que ce passage existera, la mort ne sera plus qu’un désagréable passage de la vie. Car, comme tu as sûrement pu le remarquer, ici, tous tes sens sont inhibés. Tu ne ressens plus rien, et tu restes intact à toute agression extérieure. Il y a plus attrayant… De plus, la plupart des morts étaient autrefois incapable de penser, car trop faibles pour que leurs quelques neurones survivent au passage entre les deux mondes. C’était pratique. Ils étaient dociles, et tous les êtres pouvaient se mélanger entre eux, d’où ma réputation de berger. Mais tout a changé…
-Alors cela signifie que si j’emprunte ce portail…
-Tu retourneras à la vie, oui. Je pourrais essayer de t’en empêcher, mais je suis vieux, et un de plus ou de moins…
-Montrez-moi ce portail.
-Tu as vraiment cru que j’allais te faire quitter cet endroit encore plus vite ?
-Vous profiterez de ma compagnie durant le trajet, c’est déjà ça, non ?
Le vieillard souffrait très visiblement de solitude, et Ratchet avait vu juste en lui proposant cette excursion. Ses yeux s’allumèrent brièvement, puis il dit :
-Tu as gagné. Suis-moi.

Le trajet fut relativement court, ou du moins il ne leur sembla pas long. Le lombax et le gardien des Enfers parlèrent de choses et d’autres. Ils en vinrent rapidement à se tutoyer. Charon demanda des nouvelles du monde des vivants, posa des questions sur les galaxies, les planètes, les peuples, les tyrans, les femmes aussi.
-Des millions d’années que je n’ai pas vu une femme en vie, annonça-t-il un moment, une larme perlant au coin de son œil.
Ratchet apprit que le berger n’était pas un mort. Il avait été condamné à son poste il y a longtemps, par Hadès lui-même. Il avait voulu aller chercher sa bien aimée au fond des limbes pour la ramener à la vie, mais il y était resté, séquestré par le Dieu, et il n’avait plus jamais revu sa dulcinée. Son métier était d’une banalité rare, et il n’avait plus adressé la parole à quelqu’un depuis des dizaines d’années.
-Le dernier auquel j’ai parlé était un gosse, affirma-t-il. Il avait perdu ses parents dans la masse des morts, et il pleurait. Il arrivait encore à ressentir la tristesse. Le passage d’un monde à l’autre est sensé, comme je te l’ai déjà dit, annihiler tout sentiment, toute sensation de ton corps. Mais il y a des erreurs. Celle-la en faisait partie. Le gosse possédait encore tous ses sens. Il était vivant, mais perdu dans le monde des morts, perdu dans une tristesse éternelle.

Après une petite heure de marche animée, ils arrivèrent à destination. Le portail se dressait devant eux, fier et majestueux, gigantesque spirale animée d’un mouvement perpétuel. On trouvait quelques morts dans les environs. Ceux-ci erraient, le visage morne, avant de se jeter à travers la porte interdimentiospatiale. Ils disparaissaient alors, sans bruit.
-Et voilà, annonça Charon avec une pointe de regret dans la voix. Nous sommes arrivés. Tu vas retourner vivre une vie palpitante et pleine d’aventures, et moi je vais rester là, à ressasser des souvenirs vieux de quelques lustrions…
Ratchet hésita un instant, puis demanda :
-Charon, je suis mort en même temps qu’un Dieu, Amon Râ. Sais-tu où il peut être désormais ?
-Non.
Il marqua un temps d’arrêt, puis reprit :
-Mais je peux facilement le savoir.
-Comment cela ?
-Je possède une sorte de pouvoir, quelque chose dont je ne me sers jamais d’habitude. Si ton Dieu a atterri dans cet Enfer-là, alors je peux le joindre télépathiquement.
-Tu peux parler aux morts par la pensée ?!
-Est-ce si étonnant ? Il fallait un moyen rapide et efficace pour que le berger puisse diriger ses moutons à sa guise.
-Mais… continua Ratchet, stupéfait, … tu n’as jamais songé à utiliser ton pouvoir pour retrouver la fille que tu étais venu chercher ?
-Bien sûr que si, j’ai essayé. Mais je n’ai évidemment jamais réussi. Hadès avait tout prévu… Mais peu importe maintenant. Je vais essayer de joindre ton Dieu.
Il ferma les yeux comme pour se concentrer, mais les rouvrit aussitôt.
-Il te cherche, murmura-t-il. Il n’attendait qu’une chose : que je lui ouvre mon esprit pour nous localiser. Les Dieux sont vraiment des créatures fantastiques.
-Et où est-il là ?
-Je n’en sais rien, il ne m’a pas laissé rentrer dans sa tête. Mais lui nous a trouvé, et il doit actuellement foncer vers notre position. Nous n’avons plus qu’à attendre.
Il avait à peine prononcé ces mots d’un grognement se fit entendre au loin, dans le ciel.

Fendant les airs d’un vol majestueux, d’un rouge éclatant, il était vraiment impressionnant. Il plana un instant, puis se posa à côté des deux êtres, qui se sentirent soudain éminemment petits comparé à la titanesque taille de la Divinité. Ratchet l’avait immédiatement reconnue.
-Et voilà, lombax, nous nous retrouvons de nouveau.
-Comment avez-vous fait pour nous rejoindre si vite ?
-Je suis un des six Dieux majeurs, répliqua-t-il avec orgueil, ce n’est pas pour rien… Maintenant, nous devons partir avant que Kratos ou Unknown~Soul ne mette la main sur les autres Reliques.
-Nous ne serons pas restés ici longtemps…
-Cet endroit n’a aucun intérêt de toute façon.
C’est alors que Ratchet remarqua qu’une lanière de cuir entourait le dragon, et qu’un fourreau y était attaché. Et dans ce fourreau…
-La Reaver ! s’exclama le lombax.
-En effet. J’ai réussi à l’emmener dans mon trépas. C’est une bonne chose que le spartiate ne s’en soit pas emparé.
-Donnez-la moi, lança soudainement Ratchet. Donnez-la moi ! répéta-t-il sauvagement.
La vue de l’artéfact l’avait rendu fou. Cela faisait tellement longtemps qu’il ne l’avait pas effleuré, tellement longtemps qu’il n’avait pas senti son poids sous sa main… Il la voulait, elle et elle seule.
-Qui es-tu pour donner des ordres à un Dieu, lombax ? grogna Râ. Je fais ce que bon me semble avec cette Relique, et je ne te la redonnerai que si tu sais te maîtriser. Maintenant, partons.
Ratchet, refroidi par la terrible voix d’Amon Râ, était retombé dans le vide émotionnel qui faisait des Enfers un lieu si particulier.
-Et Charon ? lança-t-il soudain. Que va-t-il faire maintenant ?
-Rester dans les Enfers et oublier son amertume, répondit l’intéressé d’une voix morne.
-Pourquoi ne pas venir avec nous ?
Ses yeux s’illuminèrent une seconde, mais leur éclat s’évanouit rapidement.
-Si je quittais ce monde, je mourrais sûrement, annonça-t-il plein de tristesse.
-Mais qu’est-ce que tu racontes ? La mort n’existe plus ! Tant que ce passage existera, la mort ne sera plus qu’un désagréable passage de la vie, c’est toi qui me l’as dit !
-Peu importe, Hadès a forcément posé un piège quelque part. Je ne peux pas prendre le risque de partir.
-Mais réfléchis un peu ! Quel risque cours-tu ? Tu n’as rien à perdre ! Tout à gagner…
-Ne perd pas ton temps à argumenter avec lui, intervint Râ. Il n’est rien d’autre qu’un lâche.
À la mention de ce mot, les yeux de la créature s’illuminèrent.
-J’ai été un lâche toute ma vie, murmura-t-il. Mais cela suffit désormais. Je vais venir avec vous.
-Cette idée ne m’enchante pas, clama le Dieu, mais je ne peux pas le refuser. Tu fais ce que tu veux.
-Très bien, annonça Ratchet. Et si on y allait maintenant ?
Ils acquiescèrent et, quelques secondes plus tard, disparaissaient dans la porte interdimentiospatiale.

Ils ne sentirent aucune transaction entre les deux mondes, aucune pulsion, aucune douleur, aucun picotement. Ils se retrouvèrent à l’extérieur, tout simplement. La seule chose qui leur montra qu’ils avaient changé d’endroit, c’était le vent qui soufflait désormais en de fortes rafales, le ciel bleu, et le soleil qui rayonnait au-dessus d’eux. Le simple fait de sentir une bourrasque sur son visage procura à Ratchet un immense plaisir, comme s’il venait au monde. La chaleur générée par les rayons solaires parcourant sa peau lui apparut comme fabuleuse. Il jeta un coup d’œil au ciel, et n’aperçut aucun nuage. Seul l’astre du jour était là, répandant sa divine semence à travers l’espace. Il se rendit alors compte qu’il se déplaçait, et qu’il n’était pas debout, mais assis, agrippé à quelque chose de dur et de rugueux. Et puis tout d’un coup, la transe dans laquelle il se trouvait s’envola, et il prit conscience des circonstances. Un frisson lui parcourut l’échine et une goutte de sueur perla sur son front : il était à des dizaines de mètres au dessus du sol, au dessus des nuages, chevauchant Râ. Sa première surprise passée, il chercha Charon des yeux. En vain. Il avait disparu.

-On est où ?! cria le lombax à l’intention du dragon.
-Le portail te transporte où tu veux, annonça-t-il tout en fendant les airs avec une grâce majestueuse.
-Mais en l’occurrence, je pense que c’est vous qui avez choisi, donc je réitère ma question, on est où ?
-Sur AquaDeep.
-Relique ?
-Relique.
Et Râ plongea en piquée, traversant la masse nuageuse d’un seul trait. Une fois la barrière de cumulus franchie, Ratchet put apercevoir une ville en contrebas. Néanmoins, la vitesse clouait sa langue dans sa bouche, l’empêchant de prononcer un mot, et brouillait sa vue. Il ne pouvait donc pas satisfaire sa curiosité quant au nom et à l’apparence précise de la cité.
Ils se posèrent aux abords de l’agglomération pour éviter d’ameuter la population et Ratchet, enfin capable de se mouvoir, sauta au sol. Ils se trouvaient dans une plaine de quelques centaines de mètres carrés, seulement peuplée par quelques buissons et brins d’herbe. Au loin, on pouvait apercevoir l’immensité de la mer d’un côté, et la ville de l’autre.
-C’est JFSky City, répondit le Dieu à la question muette du lombax. La seule et unique ville d’AquaDeep. Tu dois bien te douter que je ne peux pas t’accompagner là-bas. Tu devras te débrouiller seul un moment. Renseigne-toi auprès du peuple, des serveuses, des clochards, des maîtres d’hôtel, … L’endroit où est caché la Relique doit être connu.
-Okey. Et Charon, où est-il passé ?
-Tombé dans le piège que lui a tendu Hadès.
-Quel piège ?
-Qu’est-ce j’en sais moi ? Tu as entre tes mains beaucoup plus de responsabilités que ce que tu ne pourrais croire. Arrête de te soucier des autres un peu, pense uniquement à la réussite de ta mission.
-Facile à dire.
-Et aussi simple à faire. Allez, tire-toi maintenant.
-Je veux la Reaver.
-Non.
-Alors je ne pars pas.
-Je peux te tuer comme je veux, alors va avant que je ne m’énerve !
-Vous êtes conscient de l’absurdité de ce que vous venez de dire ?
Râ foudroya le lombax du regard. Sans un mot, il détacha la Reaver avec ses griffes et la lui tendit.

Aucune barrière, aucun passage précis, aucune douane, aucun chemin en fait, ne délimitait la ville de la proche campagne. Aussi Ratchet pénétra-t-il dans l’enceinte de la cité seulement en passant de l’herbe aux pavés bétonnés cerclés d’habitations. Il n’avait pas fait dix pas qu’il faillit percuter une dame qui sortait de chez elle. Celle-ci ne se retourna même pas et continua son chemin d’un pas vif et alerte. À l’autre bout de la rue, deux autres personnes venaient d’émerger de leurs locaux pour prendre la même direction que la femme. Ratchet, n’ayant aucune idée de ce qu’il pouvait bien envisager de faire, choisit la voix de la facilité, et les suivit.
Tout du long que dura le trajet, des gens se joignirent à eux, formant un groupe compact. Certains d’entre eux jetaient un regard ambigu à la Reaver pendouillant à une lanière attachée à l’épaule du lombax, mais aucun ne lui fit un quelconque reproche. Ils finirent par arriver sur ce qui semblait être une jetée. Une gigantesque foule de plusieurs centaines de personnes était déjà ici. Ratchet se faufila entre les gens, usant et abusant de sa petite taille pour progresser vers les premières lignes. Ce qu’il vit alors l’estomaqua : ici, tout était détruit. Les pavés avaient volé en éclat, des morceaux de bois et de pierre gisaient partout, et du sang maculait le sol. Ratchet se rendit alors compte que sur sa gauche se trouvait un bâtiment entièrement écroulé sur lui-même, et que les débris jonchant le sol lui avait autrefois appartenus. Il entendit murmurer quelque part que cela avait autrefois été une auberge. Il réussit également à saisir les mots « sacrifice », « problème », « interruption », mais de comprit pas leur sens. Que s’était-il donc passé ici ? Il cherchait encore des indices lorsqu’une voix lui murmura à l’oreille :
-Suis-moi.
Il se retourna immédiatement, alerte, et aperçut une silhouette encapuchonnée, recouverte d’un long manteau, disparaître dans la foule. Il hésita un instant, puis la suivit.

Pendant ce temps, dans les profondeurs d’AquaDeep.
Odin était mécontent, fort mécontent. Les AquaDeepiens avaient essayé de se rebeller, et ceci le tracassait au plus haut point. Tous ces êtres qui l’avaient attaqué, lui, le Dieu de la planète, ne savaient visiblement pas à qui ils avaient à faire. Des étrangers donc… Mais des étrangers engagés par les habitants de JFSky City, comme il le supposait depuis le début, ou des étrangers travaillant pour leur propre compte ? C’était ici une problématique non négligeable. Et puis, ils avaient demandé la Relique. Les pauvres fous… Si seulement ils savaient. Mais peu importait, ils étaient désormais hors d’état de nuire. Il aurait pu les laisser couler, les laisser se noyer dans l’océan d’AquaDeep, mais il avait trouvé plus amusant de les attirer jusqu’à son arène personnelle. C’était un grand bâtiment reposant sur le fond sous-marin, autrefois construit par des tritons. Désormais, il n’avait rien à envier aux plus grands stades de la galaxie. De plusieurs kilomètres carrés, il adoptait une forme ovale et était composé de centaines de gradins, composés eux-mêmes de centaines de sièges. Le peuple de la mer pouvait ainsi assister à tous les spectacles sous marins que donnait le Dieu, spectacles souvent sanguinaires et barbares. D’énormes spots lumineux éclairaient constamment l’intérieur du gymnase, lui donnant un air particulièrement irréaliste au milieu de l’obscurité des grands fonds. Enfin, l’arène en elle-même était enfermée dans une gigantesque bulle d’air, permettant ainsi à tous les types de spectateurs d’accéder aux gradins, et surtout autorisant tous les gladiateurs possibles, comme les humains et les robots, qui n’auraient pu survivre en milieu immergé. Odin sourit. Les profanateurs avaient été de vaillants combattants, et il serait très plaisant de les voir mourir au cœur du stade.

Cervantes voulut ouvrir les yeux, mais ses paupières refusèrent de se soulever. Il avait l’impression qu’un énorme poids pesait sur ses épaules et sa tête. Il fit un effort pour contracter ses muscles et, l’instant d’après, s’en servit pour s’extraire de la masse sous laquelle il était coincé. Il se retrouva assis sur un monticule de sable, et comprit alors que c’était sous une masse de cristaux jaunes qu’il était enfoui quelques secondes auparavant. Il entreprit d’observer les alentours, se demandant où il avait encore bien pu atterrir. Il se trouvait dans un grand espace plat entièrement recouvert d’un joli sable cristallin. Les autres membres de l’Elite étaient là, eux aussi. La plupart étaient écroulés sur le limon jaune, d’autres étaient quelque peu recouverts pas la roche. Le pirate remarqua que le plafond, arrondi comme une coupole, semblait bizarrement mou et était d’un joli bleu. Il réfléchit rapidement. Il avait été emporté dans les abysses de la planète, et se retrouvait désormais sous une surface flasque et bleutée. Une bulle géante… déduisit-il presque immédiatement. Fier d’être aussi intelligent, il entreprit de se lever. Alors il était encore au fond de l’océan… Étrange. Les contours de la bulle étaient flous et ne permettaient pas de voir à l’extérieur, mais Cervantes fut soudain ahuris par son incapacités à discerner les choses correctement ; car tout autour de lui, au-devant même de la turgescence aquatique, se trouvaient des dizaines et des dizaines de gradins, surélevés par rapport au sable de ce qu’il identifiait désormais comme une arène. On les avait donc déposés ici, dans cet amphithéâtre, cet endroit sableux dont le pirate pouvait désormais sentir les effluves de sueur et de sang qui y émanaient. Il remarqua alors que Soul Edge et Nirvana gisaient à ses pieds. Il ne se fit pas prier et s’en empara. Il sentait qu’il allait se battre, tuer des choses, massacrer des trucs, égorger vif des créatures, et cela le remplissait d’une joie implacable.

Odin s’avança entre les gradins déjà pleins à blocs. Dès qu’il avait ouvert les portes du stade, les guichets vendant des places pour le spectacle s’étaient fait submerger par la foule, et maintenant, le peuple de la mère attendait. Le Dieu leur avait promis un spectacle ahurissant. Il jeta un coup d’œil négligeant dans l’arène et reconnut quelques-uns de ses adversaires, comme ce pirate arrogant, ou cet être sans bras ni jambe. Il aperçut également les triplées, et eut une once de regret quand il les imagina dans son lit. Tant pis, il les remplacerait bien dans une semaine. Il irait voir du côté des sirènes en attendant. Il se dirigea vers son trône, situé au plus haut des gradins, dans le centre droit du gymnase. Il était magnifique, orné par des fresques divines, avec des accoudoirs en or massif et taillés en pointe. Il s’assit. Son armure lui pesait sur le torse. Un artéfact d’une telle puissance magique n’était pas toujours facile à porter… Il reporta son attention sur l’arène. Ses gladiateurs étaient réveillés et armés, la foule assise et bruyante. Le spectacle pouvait commencer. Assis sur son trône, Odin présidait leur destruction. Et il en était heureux.

Le Dieu hocha la tête. Aussitôt, un mur de l’arène commença à s’enfoncer dans le sol, dévoilant derrière la paroi un trou obscur d’où se dégageait un couloir à l’air sombre et malsain. La seconde suivant le déclenchement du mécanisme, un silence de plomb s’abattit sur l’assistance. L’arrivée des choses qui allaient se confronter aux membres de l’Elite était imminente. Un grognement sourd émergea des profondeurs du tunnel, faisant se hérisser les écailles du peuple de la mer. L’instant d’après, une bête sortit de l’interstice en fonçant droit sur ses proies. Elle ne les atteignit jamais. Ils n’avaient même pas vu à quoi elles ressemblaient que les gladiateurs improvisés avaient déjà fait feu. La créature s’écroula au bout d’une dizaine de mètres à peine. Deux secondes plus tard, elle avait disparu. Transformée en eau une fois morte, elle s’était aussitôt infiltrée dans le sable. Dante, qui avait toujours les deux Smith & Wesson pointés vers le sombre corridor, ne put s’empêcher de frissonner devant tant de magie, devant tant de rapidité. Sur son trône, Odin aussi fut agité de tremblements. Cela commençait mal, très mal. Il lui fallait dès maintenant sortir le grand jeu.
-Vous avez expédié l’apéritif au lieu de le déguster, cria-t-il d’une voix qui résonnait dans tout le stade. Tant pis pour vous.
Aussitôt, la bulle dans laquelle le gymnase était isolé se fissura en plusieurs endroits, et de minces cascades d’eau se mirent à couler dans l’arène. Tout d’abord, le sable aspira le liquide, mais cela ne dura pas. Il devient plus moulant, plus casse-gueule, se transformant progressivement en vase. Et alors que l’eau commençait à s’élever de quelques centimètres au-dessus du sol, des bruits précipités accompagnés de grognements de firent entendre dans la pénombre du corridor. Le plat principal allait être servi.

Ils étaient cinq. Guerriers des profondeurs, chevaliers des abîmes, parés d’une armure bleue complète, le buste lisse, les jambières taillées en pointe et le casque les protégeant jusqu’à la nuque, ils étaient tout simplement terrifiant. Il émergeait de leur apparence quelque chose de surnaturel, quelque chose d’anormal, de fantastique. Ils étaient tous armés de la même épée gigantesque. La lame faisait plus d’un mètre cinquante, et son poids devait être conséquent. Néanmoins, ils semblaient la porter sans aucune difficulté. En les voyant, Cervantes éclata d’un rire sourd. Ils allaient s’enfoncer dans le sable et rouiller dans une eau qui les gênerait dans leur progression, pensait-il. Mais il était loin de la vérité. Les cinq guerriers se mirent en marche, fendant l’eau sans aucune difficulté, survolant un sable dont ils ne semblaient pas se préoccuper. Le pirate se jeta sur le premier venu, mais les vingt centimètres d’eau et la vase le gênèrent, et il ne fut pas assez rapide. Son coup fut paré, et une contre-attaque le projeta à terre. Il resta là, un instant, sans bouger, écoutant le son des coups de feu qui avaient envahis l’arène. Puis il se reprit et se releva. Son adversaire avait attendu qu’il se redresse. C’était une provocation, un affront, et cela, Cervantes ne pouvait pas le tolérer. Ils se tournèrent autour, le pirate cherchant l’ombre d’un œil dans les deux fentes noires du casque du chevalier. Mais il ne trouva rien. Enfin, une lame fendit l’air et le combat s’engagea.

Autour, la bataille faisait autant rage. Il s’avérait que les balles n’étaient d’aucune utilité contre les guerriers des mers, aussi les membres de l’Elite se tournaient-ils vers les armes blanches, plus à même d’entailler les armures. Dan et W3RM allièrent toutefois les puissances de feu du lance-roquettes et du TELT IV, et les concentrèrent sur un de leurs ennemis. La déflagration fut terrible, et le chevalier visé disparut dans une gerbe de fumée. L’eau arrivait désormais au-dessus des genoux des survivants, et la neige dont était constitué Dan ne semblait pas apprécier. Il fut bientôt dans l’incapacité de se mouvoir. Il sentit à peine l’épée le taillader, puis il se décomposa, monticule de liquide sans émotion, et ses molécules se joignirent à celles de l’eau remplissant l’arène.

Farah avait depuis longtemps renoncé à user de son arc contre ses adversaires, les flèches ne pouvant strictement rien contre leur indestructible armure. Elle avait désormais dégainé son couteau et se battait avec hargne, esquivant habillement les coups d’épées. Kaileena était à ses côtés, et les deux jeunes femmes arrivaient ainsi à porter alternativement des coups au guerrier. Malheureusement, leurs futiles lames n’entaillaient en rien la protection de la créature, et ce qui devait arriver arriva : un coup mieux placé que les autres toucha Farah à l’épaule. La douleur lui fit lâcher sa dague. L’énorme épée s’abattit de nouveau, mais Kaileena se jeta au devant de sa camarade, parant le coup à sa place. Néanmoins, la puissance du choc lui broya les bras, et elle s’écroula. Elle avait voulu réaliser un acte d’amitié, faire preuve d’humanisme dans un monde qui en manquait cruellement. Elle avait réussi, mais à quel prix ? Étalée dans l’eau et la boue, la douleur lui sciant les bras, elle ne se faisait pas d’illusion : son combat était perdu. À ses côtés, Farah essaya de la relever, mais en vain. L’épée fendit l’air, arrachant la vie à l’Impératrice du Temps.

La jeune perse recula, effrayée, impuissante, mais son pied droit s’enfonça dans le limon boueux et elle chuta. Odin avait vraiment bien préparé son coup. Son piège était terrible, indomptable. Il allait tous les tuer. L’eau qui leur arrivait désormais à la taille les empêchait de se mouvoir correctement, et la vase les faisait trébucher. Elle était une des premières victimes, et comme Kaileena et Dan, elle était persuadée qu’elle ne serait pas la dernière. Elle en était là de ses réflexions pro-mortem, lorsqu’elle ressentit tout d’un coup un choc d’une violence rare. Puis tout bascula.

Cervantes retira sa lame du trou béant de l’armure du chevalier. « Un adversaire coriace, pensa-t-il, mais pas à la hauteur. » Et il s’en retourna aider les autres à anéantir les trois derniers guerriers.
Les douze êtres restants étant concentrés autour des trois gladiateurs en armure, ces derniers ne firent pas long feu, malgré leur aisance à se déplacer dans l’eau. Lorsque le dernier fut achevé, l’eau atteignait les poitrines, mais cela n’empêcha pas les survivants de laisser éclater leur joie. Daxter et Clank, trop petits s’étaient réfugiés sur les épaules de Jak et Kilik. Alors que la foule était toute excitée et que les survivants pensaient avoir gagné, un remous agita le couloir souterrain, que l’on pouvait désormais caractériser de sous-marin. En effet, il était désormais presque entièrement immergé. Cinq secondes plus tard, un horrible cri déchira l’air. Ce fut une plainte rapide et terrifiante, et le silence qui suivit dans l’arène prouva son rôle cathartique. Les spectateurs eurent à peine le temps de voir une triplée disparaître sous l’eau que le hurlement s’estompa dans un bruit étouffé. Alors seulement tout le monde remarqua qu’il ne restait plus qu’une seule des trois filles. Une venait de disparaître sous l’eau, où était la seconde manquante ? Morte sûrement… Mais ce n’est pas ce qui préoccupait le plus les survivants ; leur attention étant plutôt portée sur l’éventuelle chose ayant happée la triplée. Car en fixant la surface, on pouvait en effet apercevoir quelques agitations périodiques. Le silence était total. Qu’était-ce donc que cette chose ? La tension était palpable, les doigts crispés autour des manches et les dents serrées. Et puis soudain, les remous s’intensifièrent, se dirigeant d’une traite vers Kung Lao. Celui-ci n’eut absolument rien le temps de faire. Il fut attiré dans l’eau comme si une chose lui avait attrapé les jambes, et, bien qu’essayant de se débattre, il disparut bientôt du champ visuel des spectateurs. Mais dans son agitation, ses compagnons avaient pu apercevoir un aileron crever la surface. Un aileron gigantesque. Et maintenant que la plupart d’entre eux avait de l’eau jusqu’au cou, cela était relativement inquiétant…

Un rire tonitruant emplit la bulle du stade.
-Bravo, vous avez consommé le plat principal ! tonna Odin. Vous avez maintenant le droit au dessert. Un conseil… Mangez-le avant qu’il ne vous dévore !
Et le rire recommença de plus belle, sadique, grave et démesuré.
En bas, les survivants nageaient désormais en eau libre. Et les gradins se trouvaient encore à trois mètres au-dessus d’eux. Sachant qu’une bête sous marine gigantesque finissait de déchiqueter Kung Lao sous leurs pieds, ils n’étaient pas des plus tranquilles. De plus, l’eau était trouble, mélange de sang et de vase, et son opacité ne laissait rien entrevoir de ce qui se passait dans les profondeurs de l’arène. Mais cette créature, cette chose, quelle qu’elle soit, commit une erreur, une erreur irréparable : elle s’attaqua à Cervantes.

Le pirate sentit les mâchoires se refermer sur ses jambes avec une force extraordinaire. N’importe qui d’autre aurait eu les membres inférieurs broyés, mais le forban n’était pas ce « n’importe qui d’autre ». Il se sentit aussitôt aspiré dans les profondeurs de l’arène. Mais il n’avait pas dit son dernier mot. Même s’il ne voyait rien, même s’il n’apercevait en aucun cas son agresseur, même si une douleur lancinante le tiraillait, il tenait encore Soul Edge & Nirvana au creux de ses mains ; et c’était là tout ce qui lui importait. Visant au hasard, il abattit ses deux épées qui rencontrèrent aussitôt une résistance à la fois dure et moelleuse. Il aperçut un éclat rouge dans l’obscurité sous-marine, et sentit d’un coup les mâchoires se desserrer. La bête avait lâché. Mais lui ne comptait pas en faire autant. Profitant de que ses lames soient encore enfoncées dans la chair de l’animal et ses jambes libérées, il se tracta afin de se retrouver sur le monstre. Désormais, c’était lui le maître. Il tira Soul Edge & Nirvana vers lui, de toute ses forces, et il sentit les organes se déchirer sous la pression des lames. Aussitôt, la créature accéléra, fonçant au fond de l’arène. Mais les poumons de Cervantes commençaient à le faire souffrir. Aussi tira-t-il encore plus fort. Suivant un réflexe inné, la bête se redressa et, accélérant, creva la surface. Elle resta un instant en l’air, puis retomba… dans les gradins. Sa force de propulsion avait été telle qu’elle avait sauté au-delà de l’arène. Les spectateurs s’écartèrent, terrifiés. Maintenant qu’ils pouvaient apercevoir le monstre en entier, ils ne pouvaient s’empêcher de frémir. C’était un requin, mais un requin de plusieurs mètres de long, dont les mâchoires étaient garnies de dents qui dépassaient les cinquante centimètres. Il se débattit, sa queue projetant un pauvre type à l’eau, mais le pirate, aidé de ses deux épées, le fit taire. Définitivement.

Le silence s’était de nouveau installé dans les gradins. Seul le bruit de l’écoulement de l’eau en minces cascades se faisait entendre. Cervantes regarda sa proie d’un air amusé et, oubliant le sang qui coulait abondamment le long de ses jambes, il commença à gravir les marches, se dirigeant vers le trône d’Odin, un air sadique affiché sur le visage. Les spectateurs s’écartaient sur son passage. Il avait parcouru la moitié du trajet lorsqu’il cria :
-Cervantes ! Vous vous souviendrez de ce nom, tous autant que vous êtes !
Toujours sans s’arrêter, il toisa quelques êtres marins, et en repéra un qui le fixait intensément. Ses yeux noirs défiaient l’orgueil du pirate. Celui-ci ne put le supporter. L’instant d’après, Soul Edge se plantait dans l’abdomen du spectateur, lui ôtant la vie.
Lorsque le forban arriva au niveau du trône, l’eau avait entièrement rempli l’arène, et les survivants de l’Elite se hissaient dans les gradins. Odin, quant à lui, les regardait faire, passivement, sans bouger. Cervantes se plaça devant lui et plongea ses yeux dans les siens, le provoquant.
-J’étais venu pour la Relique, murmura-t-il, mais je vais prendre un plaisir sadique à t’égorger vif.
-Cela ne sera pas nécessaire.
-Comment ?
-Je ne me battrai pas. Il n’est pas anodin de signaler que vous êtes les premiers à sortir vivant du piège géant qu’est ce stade, et dans le respect de votre exploit, je vais vous accorder un entretient. Si vous êtes venu ici, c’était bien pour quelque chose, non ? Nous en discuterons.
Cervantes était comme devenu fou. Jamais on avait osé lui refuser un combat, un duel jusqu’au sang.
-Tu ne peux pas faire ça ! cracha-t-il en bouillonnant de rage.
-J’admire ton envie de tuer, et j’aime ta rage de vaincre, lui répondit le Dieu banalement. Mais il y a des moments où il faut savoir calmer ses ardeurs.
-Cervantes, ne fais pas de connerie, lança une voix derrière lui.
Il se retourna, et observa d’un air méprisant les survivants. S’ils étaient encore en vie, c’était grâce à lui, et ils osaient lui dicter sa conduite ? Il put dénombrer onze personnes : W3RM, Kya, Jade, Rayman, Kilik, Dante, Jak, le Prince de Perse, et enfin Clank et Daxter. Quelque chose clochait. Il en comptait onze, mais ne pouvait en nommer que dix. Alors seulement il remarqua la triplée. Elle avait perdu ses deux sœurs, et était maintenant assise sur un banc, pleurant silencieusement. L’effet de l’opium s’était-il dissipé ? Elle était désormais presque entièrement nue, son pagne étant déchiré en moult endroits. Il se surprit à la trouver jolie… Il secoua la tête pour se remettre les idées en place. Il n’y avait pas de jolie fille. Seulement des bonasses propres à vous faire passer une nuit palpitante. Il se retourna vers le Dieu, néanmoins perturbé.
-Okey, on parlera.
Il se surprit. Pourquoi avait-il sorti ça ? Et puis tant pis après tout. Il verrait bien ce qu’Odin avait à leur dire.

L’audience accordée par le Dieu avait lieu dans les gradins du stade, sous une bulle qui avait été recousue par magie. Les membres de l’Elite avaient refusé de bouger, redoutant un nouveau piège. Les spectateurs, qui n’avaient tout d’abord pas voulu partir, s’étaient très vite éclipsés lorsque Cervantes avait faillis se jeter dans le tas pour trancher quelques têtes. Maintenant, ils étaient seuls avec Odin, toujours posé sur son trône, son armure étincelant.
-Donc, commença-t-il, pourquoi avez-vous débarqué sur AquaDeep ?
-Pour la Relique, lança directement Kilik.
-Et accessoirement pour botter le cul à celui qui bouffe toutes les vierges de la région, cracha Cervantes.
Odin ne crut pas bon de relever tant de vanité et de provocation.
-Je ne peux pas vous donner la Relique, annonça-t-il fatalement.
-Et pourquoi cela ?
-Savez-vous seulement ce que sont les Reliques, et à quoi elles servent ?
Le silence qui s’en suivit fut révélateur.
-Pauvres inconscients… Avez-vous déjà entendu parler du DarkDeath ?
Certains frémirent en entendant ce nom, et Odin comprit que cette légende ne leur était pour la plupart pas inconnue.
-Je n’ai pas le temps de tout vous expliquer en détails, mais les Reliques le retiennent prisonnier. Volez une Relique, tuez un gardien, et vous aurez un avant goût du début de la fin du monde.
-C’est déjà fait, annonça Cervantes en souriant.
La visage du Dieu de décomposa.
-Attendez ! intervint Kilik. Le DarkDeath, c’est un mythe, il n’existe pas !
Mais Odin ne lui prêtait plus attention.
-Ne me dit pas que tu déjà tué un des six Dieux protecteurs…, dit-il en s’adressant au pirate.
-Moi, non. Un autre s’en ait chargé.
Odin perdit alors tout éclat.
-Oh mon Dieu, mais qu’avez-vous donc fait ?

Ils lui racontèrent leur aventure, de leur capture par Unknown~Soul jusqu’à leur arrivée sur AquaDeep, en passant par leur excursion sur JungleMania. Le Dieu les écouta sans les interrompre, mais son visage crispé trahissait son sérieux et son inquiétude. Lorsqu’ils eurent fini, il y eut quelques secondes de silence, puis il parla :
-On est mal.
Trois mots, huit lettres, mais une phrase lourde de sens. Odin ne dit rien d’autre, et sembla alors se murer dans un silence inquiétant. Les autres le laissèrent méditer tranquillement, profitant de cette accalmie pour se reposer. Seul Cervantes semblait impatient, malgré sa blessure à la jambe, celle-ci ne le préoccupant pas le moins du monde. Enfin, le Dieu reprit la parole :
-La Relique d’AquaDeep est l’Armure d’Odin, dit-il, mon armure, la cuirasse que je porte actuellement sur mon buste. Nul ne le savait auparavant. Artémis est morte et votre lombax est en possession de la Reaver. Les choses vont mal. Tout l’Univers va commencer à en sentir le contrecoup. La végétation de chaque planète va commencer à mourir, les gens deviendront stériles, et ils mourront de faim… Si je vous donne mon armure, c’est l’eau de chaque endroit de l’Univers qui croupira petit à petit. Mais d’un côté… Elle recèle tellement de puissance magique qu’elle pourrait désormais vous aider dans ce qui sera votre ultime mission.
-C'est-à-dire ?
-Vous allez devoir trouver toutes les Reliques, les négocier avec leur gardien, et les réunir…
Il semblait à Kilik que le Dieu leur cachait quelque chose, qu’il ne leur disait pas toute la vérité. Mais ne connaissant pas précisément l’histoire du DarkDeath, il ne pouvait savoir quoi. Il se promit de faire des recherches en remontant à la surface.
-Alors donnez-la nous et partons, dit-il. Nous n’avons que perdu trop de temps.
Odin hésita, puis ôta sa cuirasse. Toi, Cervantes. J’admire ta soif de sang. Ton combat dans l’arène était inoubliable. Tu mérites l’Armure d’Odin.
Le pirate ne se fit pas prier et enfila l’armure directement. Il se souvenait du moment où il avait saisi la Reaver, lorsque son bras s’était décomposé, puis avait été soigné par cette même Reaver. Mais il avait déjà tiré un trait dessus. En voyant le forban enfiler la cuirasse, Kilik eut encore une fois l’impression que le Dieu se jouait d’eux, et qu’il venait de leur faire un cadeau empoisonné. Une fois l’armure en place, Cervantes se sentit soudain beaucoup mieux. Sa blessure ne se soigna pas, mais la circulation de son sang revint à la normale. Il s’étira et esquissa un sourire machiavélique.
-J’ai accepté de vous donner la Relique, reprit Odin. Mais je continuerai à demander mes vierges.
-Vous ne pouvez pas continuer ! s’emporta Jade. Pensez à ces pauvres filles !
-Ne vous inquiétez pas, elles seront entre de bonnes mains…
Et il éclata de rire. Il claqua des doigts, et les molécules des survivants se disloquèrent aussitôt, avant de disparaître dans un bruissement imperceptible. Le Dieu se retrouva seul, dans le stade vidé de tout autre être que lui. Sans son armure, il se sentait faible. Mais s’il l’avait donnée à Cervantes, c’était certes pour les aider dans leur quête, mais surtout par vengeance. Le pirate l’avait humilié, défié en public… et il paierait son orgueil.

Les membres de l’Elite réapparurent dans un champ d’herbe, en périphérie de JFSky City. La télétransportation ne leur avait pas été des plus agréables, et il leur semblait que leur excursion sous-marine n’avait été qu’un rêve. Mais la présence d’une triplée, de l’armure de Cervantes, et l’absence de quatre des leurs les ramenèrent rapidement à la réalité. Néanmoins, le soleil de midi brillant de mille feux dans le ciel leur paraissait surnaturel. Ils observaient encore les environs lorsqu’ils aperçurent trois formes dans le lointain. S’ils s’en trouvaient deux petites, la dernière était gigantesque. Les survivants s’armèrent, sur leur garde, et se dirigèrent vers eux.

Ratchet se trouvait désormais de nouveau avec Râ, en bordure de la ville. Mais cette fois, l’être qu’il avait suivi se trouvait avec eux. Et cette silhouette souple aux formes avantageuses, il commençait à bien la connaître. Il l’avait suivie jusque dans un bar, loin du port, et Lara s’était alors dévoilée, toujours aussi belle, mais un air triste affiché sur le visage. Elle lui avait raconté leur évasion, et comment ses camarades avaient été aspirés dans les abîmes. Le lombax lui avait à son tour conté son périple, et fut étonné de voir que le trou dans les Enfers ne la perturba pas plus que cela. À vrai dire, elle était déprimée de se sentir si impuissante, si faible face cet ennemi qui avait anéanti ses camarades… Ils avaient décidé de retourner voir le dragon pour lui faire part de leurs infos. Ils étaient en train de discuter tranquillement lorsque le groupe était apparu à l’autre bout de la clairière. Surpris, le lombax et Miss Croft les laissèrent approcher. Chacun était méfiant, mais les retrouvailles s’exécutèrent sans problème, dans une bonne humeur générale. Cervantes s’éloigna du groupe. La joie n’était pas pour lui, et puis, il se sentait bizarre. Il s’assit à une centaine de mètres de là, face à la mer. Un picotement désagréable lui parcourut les doigts de la main gauche, et il s’aperçut que ceux-ci se décomposaient. Ses yeux s’agrandirent de stupeur. Le cadeau d’Odin était-il donc si visiblement un piège ? Ses doigts se détachèrent sans qu’il n’éprouve aucune douleur, et s’écrasèrent dans l’herbe en explosant en une multitude de gouttes d’eau. Il ne sentit rien, et eut même l’impression que sa main était toujours intacte. Il fit un geste comme pour refermer ses doigts sur eux-mêmes, et vit alors avec horreur l’eau jalonnant l’herbe léviter jusqu’à sa main, se repositionner, et redevenir solide. Alors comme ça, il pouvait changer son corps en liquide… Intéressant. Il avait hâte d’exploiter cette nouvelle compétence en combat. Il se releva. Il allait se rendre sur d’autres planètes, découvrir d’autres lieux, et trouver de nouvelle cible. Oh que oui… Il allait tuer, étriper, égorger, massacrer. Et cette idée le remplissait d’une joie difficilement contrôlable. Il retourna vers ses compagnons. En fait, la vie pouvait être palpitante. Il suffisait de la saupoudrer d’un peu de sang d’innocents, et elle devenait tout de suite bien plus plaisante…

À quelques mètres de là, invisible, quelqu’un l’observait. Ses yeux bleus brillant d’intelligence fixaient Cervantes d’un air qu’il n’aurait pas aimé si seulement il avait pu les voir. Lui ne possédait aucune armure magique, aucune soif de sang particulière. Mais lui aussi allait tuer. Sa liberté en dépendait. Et puis, après tout, comme l’avait dit un grand philosophe, la liberté ne commençait-elle pas là où s’arrêtait la vie des autres ? Il sourit. Autrefois, il n’aimait pas tuer. Mais les temps changeaient. Et cela aussi risquait grandement de changer…



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