Post-mortem de Ratchet & Clank PS4 : Ce qui s'est bien déroulé

Traduction par RatchetBlaster du post-mortem publié sur Gamasutra en 2016

Ce qui s'est bien déroulé

Équilibrer l'ancien et le neuf

Dès les prémices du projet, les développeurs savaient qu'ils ne voulaient pas se contenter d'un simple remaster. Non, plutôt, ils allaient tenter de mettre à profit tout le savoir acquis au fil des quinze dernières années. De leur aveu, l'épisode original sur PS2 était avant tout axé sur la plateforme, l'action étant au second plan, handicapée par des commandes de tir peu réactives et intuitives.

Les jeux de tir modernes à la troisième personne sont de nos jours davantage perfectionnés, avec une intégration totalement fluide de la caméra et du réticule de visée. Nous savions qu'il était de notre devoir de moderniser les contrôles, de concevoir le jeu autour de mécaniques de tir fluides et agréables. Mais cette volonté impliquait de retravailler chaque arme, chaque type d'ennemi et chaque situation du jeu. Cela signifiait qu'il nous fallait tout reconstruire de A à Z.

Il n'était pas pour autant question de sacrifier la diversité du gameplay au profit de l'action, comme certains épisodes ont pu le faire par le passé. Les développeurs souhaitaient conserver les phases de course en hoverboard, les phases de plongée sous-marine et autres séquences de jeu à même d'apporter de la variété.

Nous voulions préserver la plupart des planètes originales intactes, afin de stimuler la corde nostalgique de nos fans ET maintenir notre planning de production dans le temps qui nous était imparti.

Afin d’accélérer le processus de recréation des environnements, les level designers se sont servis des modèles 3D du jeu original PS2 en guise de bases, leur permettant de respecter les dimensions globales des décors tout en positionnant rapidement les différents éléments.

En somme, il n'aurait pas été possible pour le studio de concevoir un tout nouvel épisode en si peu de temps, et le fait de pouvoir se reposer sur des bases déjà établies, notamment l'architecture des niveaux, a permis aux développeurs d'aboutir à un jeu de 10-12h en à peine un an de production.

Au bout du compte, le jeu final inclut des contrôles modernisés, deux nouveaux niveaux, trois planètes intensivement retravaillées, huit planètes originales remasterisées, un arsenal amélioré, de nouvelles sections gameplay pour Clank, une nouvelle phase de combat spatial, de nouveaux boss, le tout enveloppé dans une structure collant au film et représentant notre meilleure tentative de capturer l'essence du tout premier opus.

Un moteur mâture et de robustes pratiques de partage de code

Un planning étroit, une nouvelle console et une première collaboration entre studios. Autant de défis à relever pour l'équipe d'insomniac pour leur tout premier projet PS4. Et ô combien ont-ils été brillamment relevés puisqu'il s'agit, de l'aveu des chefs de projet, de l'une des productions les plus fluides de l'histoire du studio.

Le planning à suivre a grandement limité le nombre de nouvelles caractéristiques et fonctionnalités que nous pouvions ajouter à notre moteur. Ainsi, à la place de l'habituelle liste de requêtes d'ajouts que nous dressons au début de chaque projet, Ratchet & Clank PS4 n'allait bénéficier que de deux conditions : le support PS4 et le rendu de la fourrure. Et bien que cela signifiait que la plupart de nos ambitions devraient rester en suspens, cela voulait aussi dire que nous allions pouvoir éviter les bouleversements majeurs que nous rencontrons traditionnellement et qui finissent par ralentir la production.

De son côté, l'équipe de programmation bénéficiait de pratiques saines de partage, instaurées depuis le développement de Sunset Overdrive et favorisant le partage du code. L'ancien moteur du studio ne prévoyant tout simplement pas un tel niveau de partage, l'équipe pouvait difficilement importer certaines fonctionnalités d'un projet à l'autre.

Par exemple, Ratchet & Clank et Resistance sont tous deux connus pour leurs arsenals. Cependant, le code tournant derrière leur fonctionnement était fondamentalement différent, et bien que nous achevions nos désirs d'innovation, nous n'étions au final que peu efficients dans leur concrétisation.

C'est pourquoi, en passant à leur moteur nouvelle génération, les développeurs ont décidé de mettre en place des règles et principes de partage de code qui puissent se répercuter au travers de chaque nouvelle production.

Ainsi, avant même que Ratchet & Clank PS4 soit en chantier, nous avions d'ores et déjà de nombreux systèmes de gameplay et de mécaniques à notre disposition, prêts à l'usage. Cela nous a permis de lancer de premiers tests très rapidement sur PC : probablement le démarrage le plus rapide qu'on ait eu pour l'une de nos productions.

En l'espace de 3 mois, l'équipe s'acharne à mettre sur pieds une démo technique afin d'ambitionner et démontrer ce à quoi pourraient ressembler les aventures du duo intergalactique sur console nouvelle génération. Comme souvent, c'est Metropolis qui est retenue pour devenir le premier niveau prototypé et jouable du projet.

Au final, avoir moins de requêtes et mettre davantage l'emphase sur le partage nous a permis d'établir des fondations solides et de maintenir un élan dynamique jusqu'à la fin du projet.

Le jeu tiré du film tiré du jeu

Concevoir un projet transmédia est un exercice délicat. Sans le film Ratchet & Clank, le jeu n'aurait probablement pas vu le jour, le budget de l'un profitant à l'autre, et vice-versa. Il était donc tout à fait logique de la part d'Insomniac et Sony de tenter l'aventure transmédia, économiquement bien plus viable que la production de deux projets fondamentalement distincts. Et pourtant, le cinéma et le jeu vidéo, malgré des approches narratives parfois similaires, s'opposent à bien des niveaux.

Pour Insomniac, le film incarnait l'opportunité idéale de repenser l'histoire originelle du duo, et de l'introduire au grand public. Aussi bien pour des raisons de budget que de cohésion narrative, le film allait donc limiter l'épopée galactique des deux héros à un nombre réduit de planètes et de situations. En effet, si les fans que nous sommes auraient souhaité voir davantage de mondes de la mythologie Ratchet & Clank illustrés sur le grand écran, il faut bien admettre que cela n'aurait fait aucun sens en terme de structure narrative. De quoi se remémorer une règle universelle : la quantité n'est pas toujours synonyme de qualité.

Confrontés à des enjeux narratifs inédits pour la saga, les développeurs s'en sont remis à Rainmaker, afin d'étudier le script du film et tenter d'ébaucher une base cohérente pour soutenir l'intrigue du jeu tout en collant à l'esprit du long-métrage. Malgré cela, l'écriture du jeu resta dans une certaine forme d'impasse, jusqu'au point où Brian Allgeier, directeur créatif chez Insomniac, et T.J Fixman proposèrent une idée particulièrement bien accueillie par l'équipe : et si l'on faisait du Capitaine Qwark le narrateur de cette histoire en voix-off ?

Une technique narrative jusqu'ici peu voire jamais exploitée par la série, qui faisait alors totalement sens puisqu'au-delà de son rôle de conteur, l'intervention récurrente de Qwark allait permettre quelques touches d'humour bien senties et raccorder les maillons scénaristiques distinguant le jeu du film, et vice-versa.

Nous avons partagé bien plus que des éléments scénaristiques. Le partage de modèles 3D s'est avéré gagnant pour tous, également.

Si à la base cet échange ne devait fonctionner qu'en sens unique, à savoir du jeu au film, Insomniac a été surpris de pouvoir profiter de ce processus en retour, puisque certains modèles de personnages tout droit issus du film, notamment celui de Qwark, ont pu être retouchés et intégrés au jeu par les graphistes.

Par ailleurs, la consistance et la cohérence artistiques se devant d'être constantes aussi bien pour le film que le jeu, les deux artistes visuels Greg Baldwin et Dave Guertin (à qui l'on doit les couvertures, jaquettes, et designs de la plupart des oeuvres R&C) ont été chargés de faire respecter une ligne directrice entre les deux productions.

Nous avons envoyé à Rainmaker plusieurs disques-durs externes massifs contenant chaque modèle, artwork, texture des opus PS3, suite à quoi ils ont effectué des choix et nous ont retourné certains de ses modèles plus beaux et détaillés que jamais. Néanmoins, nous restions sceptiques, car aussi beaux étaient ces modèles, nous pensions ne jamais pouvoir les intégrer au jeu en raison de l'optimisation nécessaire.

Et pourtant... après divers tests techniques, il s'avérait que les modèles de Rainmaker étaient suffisamment bien conçus pour faciliter la transition vers un moteur 3D en temps réel. Bien entendu, les graphistes d'Insomniac ont du les retravailler afin de revoir leur niveau de détails à la baisse, mais ce procédé aura en fin de compte fait gagner un temps non négligeable aux modélisateurs. À tel point, d'ailleurs, que l'intégralité du cast des personnages principaux sera finalisé avant même la fin de la pré-production.

C'est probablement la première génération de machines qui permet cela, et c'est fabuleux. Bienvenue dans un futur utopiste !

Une jouabilité pour tous et toutes

Nouveau départ et nouvelle génération obligent, ce nouvel épisode faisant office de véritable porte d'entrée pour un tout nouveau public encore non-initié à la saga, il se devait d'être facile d'accès aussi bien pour les joueurs habitués que les plus jeunes et joueurs dits "casual".

Nous savions que ce Ratchet & Clank serait le premier opus console pour beaucoup d'enfants. Si tout se passe bien, cette philosophie que nous avons assimilée sur la facilité d'utilisation est un nouveau départ pour le studio, fondé sur des habitudes de jeu plus saines.

Une responsabilité que le studio a pris très au sérieux, envoyant les diverses itérations de son projet de manière régulière et répétée au département Utilisateur de Sony Interactive Entertainment America. Le jeu fut notamment tester par des joueurs de 7 à 9 ans, et ce durant même sa pré-production.

Nous étions rassurés de voir que les enfants parvenaient à articuler des solutions, même sans maîtriser tous les éléments de chaque puzzle. Nous n'avions pas forcément besoin de simplifier nos puzzles, juste d'améliorer notre pédagogie.

Des tests tardifs ont par exemple mis en avant que les plus jeunes joueurs ont tendance à ignorer le joystick droit, ne percevant pas l'intérêt de manipuler la caméra et n'étant pas suffisamment coordonnés pour déplacer le personnage à l'aide des deux joysticks en simultané. C'est pourquoi les level designers ont tenu à éviter des virages trop secs au sein des différents niveaux. Un mode "casual" permettant les déplacements à l'aide de la croix directionnelle a été intégré, permettant une accessibilité accrue sans nuire aux autres différents modes de difficulté.

Au bout de cette phase de test, les résultats parlaient d'eux-même.

Les enfants non-initiés finissaient les niveaux avec des temps de jeu similaires à ceux des adultes initiés : preuve que notre calibrage de difficulté fonctionnait.

La collaboration à distance

Vous le savez peut-être déjà, Insomniac compte à son actif deux studios dans deux états américains distants, l'un en Californie à Burbank, l'autre en Caroline du Nord à Durham. Bien que ce dernier soit essentiellement constitué de vétérans de la saga Ratchet & Clank, de nombreux acteurs majeurs de la licence officient encore sous le soleil californien.

Parmi eux, Brian Hastings, à qui l'on doit le pitch de base de la saga, celui d'un alien voyageant de planète en planète, équipé d'un arsenal à même de faire pâlir n'importe quelle armée.

Dave Guertin, l'un des principaux artistes d'Insomniac dont on évoquait le travail quelques paragraphes plus tôt, réside quant à lui désormais à Durham.

Nous souhaitions former une "dream team", regroupant toutes ces personnes. Grâce à cette méthodologie de travail à distance, avec des effectifs répartis équitablement selon nos deux studios, nous avons ainsi pu tirer profit d'un savoir-faire inestimable. Nous avons débuté la pré-production en Caroline du Nord et augmenté la taille de notre équipe, puis diminué celle-ci jusqu'à préserver un petit groupe consacré à l'optimisation et au peaufinage. Le nombre d'employés à diriger était digne d'un rêve pour tout manager de projet qui soit."

Toutefois, le reste de la production s'est révélé être un véritable cauchemar...

Ce qui s'est bien déroulé