Fin d'une trilogie, début d'une légende ?
Le message teaser de fin dans Quest For Booty ne mentait pas... L'aventure allait bel et bien se poursuivre dans le courant de l'Automne 2009. Ce nouvel opus, intitulé A Crack In Time, sera dévoilé sous la forme d'une vidéo teaser pour le moins mystérieuse et intriguante. Alors que la caméra nous plonge dans une machinerie à l'origine inconnue, une voix-off grave et posée nous conte la légende des Anciens. Une mise en garde concernant l'utilisation du temps... La caméra finit par prendre du recul et l'on comprend alors que l'étonnante machinerie n'était autre qu'une «simple» montre à gousset. Attendez... à qui appartient donc cette main ? Au premier abord, on croirait voir l'un des gants de Ratchet. La caméra pivote brusquement... et là, sous nos yeux ébahis, se tient un lombax ; les couleurs de sa fourrure (beige et marron rougêatre) et sa morphologie montrent clairement qu'il s'agit d'un être nettement plus âgé que Ratchet.
Suite à cette vidéo teaser qui aura su provoquer l'effet escompté, à savoir semer le trouble au sein de la communauté de fans, une question évidente est posée : qui est ce vieux lombax ? Ratchet à un âge avancé ? Son père ? Ou bien un ancien lombax n'étant aucunement lié à Ratchet ? La réponse sera donnée en grande partie par l'image que contient la montre à gousset. L'on peut y voir deux lombax adultes, dont l'un correspondant au détenteur de la montre. Deux amis ? Probablement. Le deuxième, rappelant étrangement Ratchet, va susciter tout autant d'interrogation.
Leurs identités seront tenues au secret jusqu'à l'E3 2009, là où une vidéo de gameplay sera également présentée pour la première fois. Insomniac Games l'annonce à haute voix, cet opus donnera davantage de place au scénario et à ses personnages : de nombreuses questions laissées jusqu'alors en suspens trouveront leur réponse. Cette fois, pas question de conclure l'histoire sur un cliffhanger, à la manière des deux volets précédents. La trame de la trilogie Future serait bouclée avec A Crack In Time, ou ne serait pas.
On nous avait promis un jeu encore plus beau et riche en couleurs, et force est de constater qu'il ne s'agissait pas d'un mensonge. A Crack In Time s'impose dès les premières minutes de jeu comme le plus bel opus de la saga, notamment grâce à une palette de couleurs encore plus variée et riche en contraste. D'autres éléments, tels que le fur shading amélioré sur les oreilles et la queue de Ratchet, ou encore le rendu et la physique de l'eau (technologie reprise de Resistance 2) viennent parfaire un tableau d'ores et déjà de toute beauté. On notera également le nouvel effet de fumée typé cartoon extrêmement réussi, mais dont l'aspect décalé ne plaira pas à tout le monde. Bref, graphiquement, comme toujours, il s'agit d'un véritable plaisir pour les yeux.
Néanmoins, certains défauts jusqu'alors jamais observés dans la saga font leur apparition. En effet, on peut remarquer certains effets spéciaux parés d'une faible résolution, ce qui implique une pixellisation désagréable, ainsi que des chutes de frame-rate, qui bien que tout à fait supportables, demeurent visibles. Le Luna engine montrerait-il déjà des limites ? Difficile à croire. Nous préfèrons penser qu'il s'agit avant tout d'un manque d'optimisation, résultant lui-même d'un manque de temps. Attention toutefois, rien d'alarmant qui ne puisse gâcher le plaisir de jeu. Le fait est que, même avec les défauts cités ci-dessus, A Crack In Time demeure le plus bel opus de la saga, et l'un des plus beaux jeux de la PlayStation 3, à l'image de ses aînés.
Vous l'aurez compris, techniquement parlant, nous avons une fois de plus le droit à un produit de haute tenue, d'autant plus que la qualité et la variété des animations n'ont jamais été aussi marquantes. Mention spéciale aux cinématiques, toujours pré-rendues avec le moteur graphique lui-même, qui atteignent ici un niveau qualitatif au-delà de toute espérance. Visuellement magnifiques, animées avec un talent fou, et mises en scène avec beaucoup de soin, les cinématiques de cet opus se montrent nettement supérieures à celles des opus précédents et offrent une qualité cinématographique évidente au jeu. Le développement scénaristique ne s'en trouve que renforcé, et les personnages, ainsi que leur personnalité, transpercent l'écran.
Abordons maintenant l'histoire en elle-même, et le scénario. Insomniac nous avait promis de multiples réponses, et, oui, ils auront tenu leur promesse. Bien que la trame concernant le père de Talwyn, le dénommé Max Apogée, soit complètement mise de côté, cet opus nous apporte de nombreuses réponses. Certain(e)s seront probablement déçus de l'absence de Talwyn, Cronk et Zephyr, mais il s'agit d'un choix délibéré des développeurs, ces derniers ayant préféré focaliser le scénario sur la relation Ratchet/Clank et les enjeux liés à leur amitié. Si Opération Destruction avait clairement initié cette orientation scénaristique, A Crack In Time la soulève à pleines mains, et ce, avec brio. Car, oui, le traitement du scénario est probablement la plus grande réussite de cet opus. Ecrit avec une plume plus mature et subtile que dans les volets précédents, le scénario porte ses personnages et ses enjeux à bout de bras. Doté d'un rythme maîtrisé à la perfection, il surprend également de par une certaine prise de risques. Pour la première fois dans la saga, Ratchet se fait maltraiter avec une violence certes modérée, mais à laquelle on ne nous avait pas habituée. Autre exemple attestant de cette volonté : le ton épique donné à l'ensemble, et qui est distillé avec intelligence tout au long de l'aventure, jusqu'à la troisième partie du jeu où il prend alors toute son ampleur. Plus que jamais, Ratchet et Clank sont au centre de l'action, au centre du scénario... au centre du jeu, tout simplement.
Si les héros, et donc personnages principaux, tiennent la part belle, ce n'est pas pour autant que les personnages secondaires sont mis de côté ; preuve en est avec Sigmund, un drôle de robot au design burlesque qui assistera Clank tout au long du jeu et, bien entendu, Alister Azimuth, si tant est qu'on puisse réellement le qualifier de personnage secondaire... Les joueurs aux tympans les plus aguerris noteront également la mention faite à plusieurs personnages de la saga, au travers des diverses émissions radio proposées lors des voyages spatiaux.
Il fut une époque où la saga se contentait de scénarios simplistes, prétextes uniquement à la mise en situation humoristique de ses personnages. Cette époque est désormais révolue. Incontestablement, la qualité de la narration chez Insomniac a mûri, tout comme ses personnages. Signe, probablement, que Ratchet passe à l'âge adulte. Certes, tout n'est pas parfait, certains points de l'intrigue globale soulevés par la trilogie restant dans l'ombre. Au demeurant, il s'agit incontestablement de l'opus le plus ambitieux de la saga sur le plan scénaristique.
Un constat qui pourrait bien s'appliquer tout autant au gameplay. Loin de se limiter à la grande nouveauté proposée par Quest For Booty, à savoir la Clé à longe cinétique, A Crack In Time s'impose d'emblée comme l'opus le plus novateur de la saga après R&C 2, grâce à trois éléments majeurs.
Le premier est l'aboutissement des différentes tentatives réalisées par Insomniac afin d'imposer des phases de vol spatial au sein de l'univers de ses deux héros. Des tentatives qui auront à chaque reprise scindé l'opinion des fans. ACIT s'essaye à l'improbable en réunissant les qualités combinées de ces différents essais et en offrant au joueur la liberté de voyager dans l'espace, de planète en planète, et ce au travers de cinq secteurs grâce à l'Aphélion. Chaque secteur est peuplé d'une multitude d'ennemis donnant lieu à des combats spatiaux plutôt funs bien que relativement simplistes et aisés. Le challenge n'en sera que davantage réduit dès lors que l'on commencera à améliorer les compétences de l'Aphélion. Pour ce faire, le jeu nous lance à la recherche de nombreux zonis qu'il faudra capturer, voguant ici et là, dans l'ensemble des lieux explorables au cours de l'aventure. Hormis ces flibustiers de l'espace, chaque secteur comporte des lunes sur lesquelles l'Aphélion peut atterrir et ainsi permettre à Ratchet de les parcourir à même leur sol. Ces lunes marquent ni plus ni moins le retour du concept des mini-mondes, tant apprécié des joueurs dans les volets 2 et 3 sur PS2. Différents types de lunes sont proposés : certaines vous demanderont simplement de combattre des troupes ennemies tandis que d'autres mettront vos aptitudes acrobatiques au défi. Des aptitudes rendues possibles grâce à un nouveau gadget qui s'avère être le deuxième élément de gameplay majeur mis en avant par ACIT.
Ce second élément n'est autre que la paire d'hoverbottes dont Ratchet se pare relativement tôt dans la progression du jeu, et qui offre au lombax une vitesse de déplacement accrue ainsi que de nouveaux mouvements périlleux. En réalité, bien plus qu'un simple gadget, les hoverbottes s'imposent comme un concept à part entière qui renouvelle la manière de contrôler Ratchet et ajoute un degré de profondeur non négligeable au gameplay, aussi bien durant les combats que durant les phases de plate-forme. Difficile de s'en passer une fois que l'on y a goûté...
Enfin, troisième et dernière grande nouveauté, le gameplay renouvelé de Clank. Plutôt que de se contenter d'améliorer les bases des opus précédents, Insomniac réinvente notre manière de jouer l'ami robotisé de Ratchet en lui offrant des capacités spatio-temporelles. Ces dernières seront principalement mises en oeuvre dans le but de résoudre des énigmes sous forme de puzzles plus ou moins tordus. S'inspirant clairement de Braid, ce nouveau gameplay donne le pouvoir à Clank de se dédoubler dans le temps et l'espace, et de générer plusieurs clônes à qui l'on devra faire effectuer diverses actions, chacun leur tour, afin qu'au final, leurs activités combinées résultent en l'ouverture de portes et/ou de mécanismes. Intelligement conçues, les phases aux commandes de Clank permettent ainsi de temporiser le gameplay et rendent les phases d'action avec Ratchet d'autant plus savoureuses. A noter que pour les plus paraisseux/ses, ces énigmes peuvent être contournées pour la somme de quelques boulons.
Exceptions faites de ces trois apports, les bases du gameplay sont celles que l'on connaît par coeur. L'arsenal compte plus d'une quinzaine d'armes, certaines exploitant des concepts déjà testés lors des premières aventures des deux compères, mais suffisamment remaniés pour donner l'impression d'un semblant de nouveauté. On apprécie le retour d'un fusil de précision, ainsi que d'un T.E.L.T digne ce nom, même si au final un certain manque d'équilibre se fait ressentir dans l'arsenal. Rien qui ne gâche pour autant le plaisir que l'on prend à l'utiliser, mais un doute qui se lève quant à la capacité présumée sans limite des designers d'Insomniac à imaginer sans cesse de nouveaux outils de destruction.
Une hypothèse plausible et somme toute compréhensible après plus de six productions dans leur série fétiche. On regrettera également, une fois encore, l'absence de toute forme de courses.
Malgré tout, dans l'ensemble, il s'agit d'un gameplay extrêmement bien maîtrisé, riche et varié, et qui avance un challenge qui, sans être du niveau de ce que l'on aurait pu espérer, se montre bien plus convaincant que dans Opération Destruction. La présence d'un mode de difficulté Hardcore n'y est pas pour rien; il est juste dommage que ce dernier n'embrasse pas pleinement la prétention de son titre.
Enfin, l'on appréciera grandement la présence d'un boss caché ainsi que le retour d'un Musée Insomniac, incarné par la Lune Insomniac, et dont le contenu généreux saura probablement intéresser quiconque y posera les pattes. Deux bonus qui contribuent à l'excellente rejouabilité de cet opus.
Petite révolution pour certains, grand bouleversement pour d'autres, la musique d'ACIT aura suscité de nombreuses réactions de la part des joueurs fidèles à David Bergeaud, et pour cause : ce dernier a purement et simplement été remplacé par Boris Salchow, un compositeur russe ayant déjà oeuvré au nom d'Insomniac pour Resistance 2. De toute évidence, les partitions de Boris se démarquent nettement du style Bergeaud avec une préférence affichée et assumée pour l'orchestral. Adieu les compositions électro-synthétiques si particulières ayant jusqu'alors bercé tout un public, ce dernier qui avait fini par aduler le compositeur français au point de ne plus pouvoir imaginer un jeu R&C sans sa signature apposée dessus.
B.Salchow, bien que s'appuyant sur un orchestre complet, ne renie pas pour autant le style électro adopté par la franchise dès ses débuts ; en effet, malgré une utilisation moins marquée qu'auparavant, les samples synthétiques continuent de résonner au coeur d'un certain nombre de morceaux. Que l'on approuve ce changement ou non, force est de reconnaître que ce nouveau compositeur a su s'approprier l'oeuvre de Ted Price et consors, tout en parvenant à lui transmettre sa propre identité musicale. Ses qualités de compositeur classique s'avèrent particulièrement remarquables, notamment en ce qui concerne l'orchestration des cinématiques, précisément là où D.Bergeaud peinait à insuffler une véritable consistance.
Quelques améliorations sont également notables du côté du design sonore, avec un son mieux mixé dans l'ensemble et des bruitages qui ressortent davantage. De grosses lacunes à déplorer en ce qui concerne les doublages français viennent quelque peu ternir nos impressions, et c'est pourquoi il est recommandé de configurer sa console en anglais afin de profiter des doublages originaux, bien plus justes et inspirés. Une recommandation qui, cela va de soi, ne s'applique qu'aux joueurs maîtrisant la langue de Shakespeare.
Pour le dernier opus de la trilogie Future, Insomniac a usé de tout son savoir-faire afin de proposer une expérience de jeu inoubliable qui saurait répondre aux nombreuses questions laissées en suspens dans Opération Destruction et Quest For Booty. Si l'objectif n'est clairement pas atteint à 100%, il serait toutefois dommage de nier les efforts des développeurs, qui ont souhaité offrir aux fans une histoire plus mûre et riche de sens tout en réunissant les qualités les plus souvent citées de la saga. Une véritable lettre d'amour en somme, pour un jeu qui, sans tenir toutes ses promesses, impose sa personnalité avec une fougue et une envie de plaire évidentes. La série franchit ainsi sans conteste un nouveau cap avec A Crack In Time, chose qui ne lui était plus arrivée depuis R&C deuxième du nom.