Un pour quatre, quatre pour un
La trilogie Future achevée, une question essentielle demeurait dans l'esprit des joueurs : non pas le devenir de la race Lombax, mais celui de la saga elle-même... Cherchant à rassurer ses fans, Insomniac mettera rapidement un terme aux rumeurs non fondées clamant que ACIT était en fait non pas seulement la fin d'une trilogie, mais la conclusion de la franchise R&C toute entière. Oui, de nouvelles aventures attendaient nos deux héros à l'avenir, ne restait qu'à deviner le moment de leur grand retour. Contre toute attente, l'E3 2010 ne dévoilerait aucun indice quant à ce comeback tant attendu, laissant planer un doute désagréable au dessus de toute une communauté impatiente.
Ce ne sera finalement qu'à l'occasion de la GamesCom qu'Insomniac daignera dévoiler son nouveau bébé, aux côtés de Resistance 3, avec l'intervention de Ted Price en personne à la fin de la conférence Sony. Ce nouveau projet, intitulé All 4 One, s'avère être un concept de jeu coopératif pouvant supporter jusqu'à 4 joueurs en écran partagé et/ou en ligne.
Pour la première fois dans l'histoire de la saga, Ratchet, Clank, Qwark et Nefarious doivent coopérer, afin d'échapper à l'emprise d'Ephemeris, une entité mécanique aux ambitions douteuses...
Trois ans de développement auront été nécessaires pour la production du jeu, soit la plus longue durée de développement dont aura jusqu'alors profité un Ratchet & Clank. Une production assurée par le second studio Insomniac, basé en Caroline du Nord et constitué d'une petite équipe.
Dès les premières images et vidéos, le doute se forme au sein de la communauté de fans. Clairement, le jeu affiche une orientation différente, brisant la continuité de la saga PS3. L'histoire poursuit pourtant le même chemin, faisant suite aux évènements d'A Crack In Time et des comics, mais rapidement le jeu se démarque aux yeux des joueurs, souvent de manière négative. All 4 One serait un opus à part, habité par une nouvelle ambition : embrasser un gameplay coopératif à 100%. Une véritable prise de risque qui divisera les fans, tout comme Gladiator en son temps.
La cinématique d'introduction annonce le ton léger et décalé qui rythmera la narration tout au long du jeu, une légèreté totalement assumée rappelant la personnalité des premiers opus PS2. Retour, en somme, à un humour totalement débridé et qui s'exprime aussi bien au travers des cinématiques que des séquences de jeu. Le comique de situation provient essentiellement du contexte scénaristique, obligeant ces (anti)héros à coopérer malgré leurs différends antérieurs. Une coalition d'autant plus explosive que nos quatre protagonistes s'avèrent avoir la langue bien pendue, et ne manquent jamais une occasion de se chambrer; les altercations entre Nefarious et Qwark sont particulièrement savoureuses, parfois hilarantes.
La dimension épique de la trilogie Future semble donc totalement envolée, une prise de recul volontaire ramenant l'histoire à une intrigue plus basique, mais aussi plus accessible.
Et c'est bien là le mot d'ordre de ce nouvel opus : une accessibilité à tous niveaux. Bien que le gameplay reprenne les grandes lignes de la recette R&C, certains choix de design auront fini par imposer quelques changements, le plus marquant étant probablement la caméra directrice. Ce type de caméra comporte certains avantages, tels que l'affichage de panoramas spectaculaires et le rassemblement de plusieurs personnages jouables sur le même écran. Un choix pertinent pour un jeu jouable à quatre aussi bien en ligne que chez soi. Ainsi, le joystick droit précédemment utilisé pour le contrôle de la caméra sert ici à exploiter le Selecto-prompt, soit l'inventaire dynamique des armes et gadgets propre à la saga depuis ses débuts. Hormis cela, les commandes demeurent très semblables, permettant aux fans de rapidement reprendre leurs repères. L'arsenal proposé se veut complet et varié, mais témoigne néanmoins d'un certain manque de renouvellement déjà pressenti dans A Crack In Time. Un défaut qui n'en est pas vraiment un, tant les armes proposées sont de qualité et recherchent davantage l'homogénéité que l'innovation. Toutefois, la principale qualité de cet arsenal repose sur un principe coopératif bien pensé et fun : en utilisant la même arme, les personnages génèrent un impact plus large et plus puissant.
Ceci n'est que l'une des nombreuses bonnes idées de cet opus qui incitent les joueurs à coopérer afin de remporter davantage de boulons et de progresser plus facilement. On peut par exemple mentionner les différents mini-jeux propres à chaque environnement, les caisses et mécanismes à activation multiple, l'utilisation combinée des gadgets, etc.
La progression se veut fluide et sans frustration, que ce soit en solo ou à plusieurs, et le challenge n'est que rarement élevé. Chaque personnage utilisé conserve son arsenal et ses boulons, son expérience étant constamment sauvegardée. Cela permet ainsi aux joueurs de faire évoluer les quatre personnages, en ligne ou hors-ligne, de manière transversale. Un principe qui peut parfois générer un certain fossé entre des joueurs utilisant des personnages de niveaux inégaux, mais qui somme toute n'handicape jamais la progression. Le jeu propose le choix entre un mode normal et un mode difficile, mais une fois encore sans jamais perdre de vue son accessibilité. Les game-overs sont peu fréquents, et compensés par des checkpoints réguliers quoique parfois trop espacés. Les retours en jeu se font seulement quelques secondes après la mort du personnage, ne coupant jamais les joueurs de l'expérience.
En solo, un personnage dirigé par l'intelligence artificielle vient assister le joueur et lui permet d'effectuer l'ensemble des actions coopératives. Bien entendu, il sera toujours plus facile de progresser à l'aide d'autres joueurs, l'expérience et les sommes de boulons amassées en étant décuplées.
Techniquement, All 4 One est le premier opus de la saga à afficher de la HD native, avec une résolution en 720p. C'est également le premier opus à tourner à 30 images/seconde, contre 60 images/seconde pour les précédents volets. Ce choix technique s'explique par la volonté du studio d'afficher des environnements encore plus vastes, avec des effets graphiques plus complexes. Malgré cela, le jeu reste globalement très fluide, avec quelques légers ralentissements lors des séquences les plus chargées visuellement.
Dans l'ensemble, la réalisation graphique s'avère toujours aussi réussie, dans un style qui se démarque du "sérieux" d'A Crack In Time. Les environnements, superbes, s'étendent à perte de vue, l'effet de profondeur étant renforcé par un flou de profondeur de champ. Cependant, le jeu marque de nouveau une orientation différente du fait du design des personnages, nettement plus cartoon et proche des comics qu'auparavant. Un choix qui peut surprendre, mais qui répond à une logique justifiée par les développeurs : ce réajustement des proportions et des formes sert avant tout à rendre les personnages aussi visibles que possible à l'écran. En effet, dans le feu de l'action, les quatre personnages se doivent d'être facilement identifiables. Nul ne sait toutefois si ces designs seront conservés dans un éventuel futur opus.
Sans surprise, les cinématiques démontrent encore et toujours le savoir-faire des artistes et animateurs d'Insomniac, avec un rendu et une animation soignés. S'il y a bel et bien des changements visuels à considérer, la direction artistique reste entièrement fidèle à l'univers R&C, et peut même se vanter de proposer certains des plus beaux décors qu'ait connu le Lombax.
Après David Bergeaud et Boris Salchow, la franchise accueille avec All 4 One son troisième compositeur, d'origine américaine cette fois, Michael Bross. Un musicien de talent qui a fondé une partie de sa renommée grâce à son travail exemplaire sur les jeux Oddworld: La Fureur de l'Étranger, et Oddworld: Munch's Oddyssey. La bande musicale de All 4 One ne fait que confirmer son talent, rappelant parfois au travers de certaines tonalités le style David Bergeaud. Un retour aux sources, avec bien sûr la patte de M.Bross. On retrouve ainsi des morceaux dynamiques et enjoués, contrastant avec de purs morceaux d'ambiance. Le jeu a le droit a son propre thème principal, héroïque et accrocheur.
Le design audio et les doublages poursuivent les normes de qualité auxquelles la saga nous a habituées; la version française revient à la hauteur d'Opération Destruction, et évite les lacunes constatées dans A Crack In Time.
Au final, il ressort de cet opus un sentiment de fraîcheur, une volonté d'offrir un angle différent sur l'univers Ratchet & Clank. Cette initiative peut être interprétée comme une réaction d'Insomniac face à certains reproches faits à la saga ces dernières années, relatifs à un soi-disant manque d'innovation. Tout en se reposant sur les grands acquis de la franchise, All 4 One offre une approche inédite du gameplay coopératif dans un jeu de plateforme-action, sans pour autant délaisser la narration et la mise en scène.
Si cet opus aura divisé les fans malgré lui, il n'en demeure pas moins une véritable prise de risque de la part de ses géniteurs, et la démonstration évidente de leur esprit fertile. L'univers Ratchet & Clank semble désormais en mesure de s'adapter à n'importe quelle facette du jeu vidéo moderne, laissant paraître un avenir prometteur, bien qu'incertain, à la série.