Raven - Chapter 13

Author: gag_jak

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Note de gag_jak : "Tout d'abord, je dois vous prévenir. Comme vous le savez, ou pas, le projet de réécrire totalement ma fic pour peut être un jour l'éditer est bel et bien réel (je rappele au passage qu'elle est sous copyright, et que quiconque me volera mon histoire est passible de poursuite judiciaire :noel: Et que si ça se produit un jour j'éraze la fic du site, tout simplement). Donc, par conséquent, je dois m'affranchir de l'univers Ratchet. Et donc changer pas mal de nom.
Dans ce chapire-ci, vous verrez que des noms ont changés, alors je préfère vous prévenir.
La famille Cognito devient la famille Vimer. Ratchet se change étrangement en Dave Neels, et ce n'est plus un lombax, donc n'imaginez plus Neels ainsi. Black Water City devient simplement Black Water. Lange Moned devient Lange Down (le premier nom me plaisit pas, stoo), de même que, petit détail, la planète Ezeerf, citée vaguement dans le chap 10, devient Reez.
Sinon, l'holo-phone devient le communicateur, l'holo-télé se change simplement en l'holotélévision. Je crois que j'ai tout dit.
Sur ce, bonne lecture.


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Chapitre 11
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« Je fermai les paupières l’espace d’un instant, juste le temps de prendre une profonde inspiration. Je la revis. Encore une fois. Comme si je ne la voyais pas assez à longueur de journée, il fallait que je la voie aussi lorsqu’elle n’était pas là… Une image de son visage était gravée dans mon esprit. Je revoyais précisément ses yeux vert émeraude, ses longs cheveux brun clair qu’elle portait en queue-de-cheval – en laissant toutefois deux mèches tomber de part et d’autre de son visage. Cela faisait quelques jours que Lange me hantait. Peut être était-ce à cause de la ressemblance de nos passés respectifs, ou bien… je ne savais pas.
Mais non, bordel, non ! Il fallait sérieusement que j’arrête de penser à elle ! Pourquoi, hein ? Pourquoi fallait-il que ça m’arrive, et surtout dans les moments les moins opportuns ? Il fallait que je me concentre sur ce que je faisais, et non sur elle. Il n’y avait aucune utilité à penser à elle. J’essuyai les gouttes de sang qui coulaient le long de mon visage. Sang qui n’était pas le mien.
« Maintenant dis-moi ce que tu sais ! – crachai-je ». L’homme déglutit. Sa position était inconfortable, mais plaqué contre un mur, même saisi par la gorge, on pouvait parler. Je le savais. Je faisais en sorte qu’il puisse respirer, et n’étais même pas sûr de lui faire mal. Tout était dans l’intimidation. Son regard se posa successivement sur les trois cadavres qui jonchaient le sol de l’entrepôt et devint encore plus livide ; visiblement, pour l’intimidation, j’avais réussi mon affaire. Mais cela ne suffisait pas à le faire parler. L’homme, tremblant comme une feuille, restait muet. Je sentis un frisson d’angoisse lui parcourir l’échine au moment où je posais la lame de ma dague sur sa joue. « Allons… – fis-je – tu ne veux sûrement pas que je t’écorche le visage, hein ? Ni que je te tue toi aussi, n’est-ce pas ? » L’entrepôt des bas-fonds de la ville étant en pente, le sang d’un cadavre coula jusqu’à nos pieds, ce qui arracha un gémissement à ma victime.
« Mais… – balbutia-t-il, au bord des larmes, sa terreur prenant le contrôle de son corps – Je ne sais rien, je vous le promets !
- Allons, allons… Tu ne vas pas me faire croire ça toi aussi ? – fis-je avec un petit sourire – Tu as eu des contrats avec lui, je le sais. Tu sais forcément où il se trouve, ou du moins comment le joindre…
- Non ! C’est lui qui nous contactait ! C’est lui qui savait tout le temps où nous nous trouvions, mais jamais nous n’avons su où était sa planque !
- Tu n’as vraiment aucune information à me livrer ?
- Absolument aucune. Il ne nous disait rien sur lui ! Je ne l’ai même jamais vu directement, toutes nos affaires se faisaient à distance ! Je dis la vérité, je vous le jure ! »
Il disait la vérité, je le savais. Mais peu importait. Tout ce que je voyais, c’est que je n’avais pas eu de réponse. Je n’en avais jamais. Le corps de l’homme tomba sur le sol, sa gorge tranchée, il allait agoniser tout en convulsant jusqu’à ce qu’il n’ait plus assez de sang pour vivre. L’hémoglobine se répandit sur le sol à grande vitesse. Comme toujours, j’éprouvai un plaisir malsain à tuer. Mais cet immense plaisir me contenta seulement pendant une poignée de secondes.
Je sortis de l’entrepôt, fou de rage. Cela se passait toujours comme ça. Toujours. Et ce depuis des semaines. Personne ne savait où se trouvait Slim.

C’était la nuit. Contrairement aux autres grandes cités, les criminels ne sortaient pas en grand nombre la nuit pour commettre des crimes en tout genre. La peur que leur inspiraient les tourelles de sécurité, ainsi que toutes les patrouilles robotiques aériennes circulant sans arrêt, les caméras disséminées presque partout et les policiers toujours présents était bien trop grande. Ce n’était pas pour rien que Black Water était la ville la plus protégée de la galaxie. Mais les organisations criminelles restaient présentes ; il y avait des dealers d’armes qui vendaient leurs produits à distance – ces mêmes clients à mon père que je tuais depuis quelques semaines pour chercher des informations –, mais aussi des branches de diverses mafias galactiques et, comme partout, des tueurs amateurs ou professionnels, improvisés ou spécialisés. Mais tous ces malfrats étaient en très faible nombre comparé aux autres villes. Ils n’étaient même pas la priorité de la police locale. Non, la priorité, c’était nous, Lange et moi. Enfin, surtout moi. Pour eux, Lange n’était qu’une adolescente que j’avais enlevée et que je manipulais à ma guise. Une victime. Et rien que pour me trouver et m’éliminer, les forces de sécurité avaient triplé leurs effectifs. Principalement la nuit. Ce n’était pas un problème puisque je pouvais me rendre invisible, ils ne pouvaient pas me repérer.
En revanche, ce qui en était un, c’était qu’il nous fallait un endroit sûr dans lequel dormir sans risquer de se faire capturer. Je m’étais donc mis en quête au plus vite d’une planque. Après quelques temps, mon choix s’arrêta sur le sous-sol d’une vieille cathédrale abandonnée, en ruine, dont plus personne ne faisait attention. La bâtisse devait être très belle et très réputée en son temps, mais à présent il y avait des trous plein la toiture ainsi que dans les murs, des restes des pluies de météorites ayant ravagé la planète. A l’intérieur reposait une couche de poussière impressionnante ; les statues et autres décorations étaient tombées en morceaux depuis longtemps et des mauvaises herbes envahissaient l’intérieur ainsi que la façade, donnant au bâtiment l’impression d’avoir été construit quelque part dans la jungle. Dans l’absolu, elle restait belle car lorsque la lumière du soleil passait par l’ouverture béante du toit et éclairait toute cette végétation, la vision que cela offrait était plaisante à voir. Cependant, elle restait délabrée, très vieille et certainement sur le point de s’écrouler. Elle avait été anciennement un lieu de culte prestigieux connu sur toute la planète. Les terriens étaient depuis toujours persuadés qu’un ou plusieurs êtres supérieurs étaient à l’origine de l’univers et de la vie. De nos jours, nous avons presque totalement rayé cette idée de nos esprits, la science tellement évoluée offrant toute les réponses sur la création de l’univers et de toutes les formes de vie qui le peuplent. Cependant, des cultes beaucoup moins répandus et respectés qu’il y a des milliers d’années existent toujours, et certains y croient avec une ardeur redoutable – l’ancien président galactique Huild fait d’ailleurs partie de l’un d’entre eux, il a néanmoins jugé à raison de ne pas parler de tout cela au grand public. A présent, cette cathédrale était située vers le centre de la ville, juste au large de l’Eau Noire, mais personne ne lui adressait le moindre regard. Paradoxalement, quand l’on parlait de la détruire, tout le monde était abasourdi, sidéré, il ne fallait absolument pas la raser ! Ce ne serait pas pareil sans elle ! C’était un monument historique malgré tout, cela rattachait les habitants de la ville à son passé ainsi qu’à celui de la planète, il ne fallait pas les en priver ! Et qui sait, peut être qu’un jour la rénovera-t-on ? Oui, nous lui rendront sa majesté ! C’était ce qu’on disait, du moins. En attendant c’était à l’intérieur que Lange et moi logions. L’endroit n’avait rien de confortable, nous dormions sur le sol pierreux et tellement poussiéreux que l’humaine failli s’étouffer au moins deux fois. Et je ne me sentais pas en sécurité. Certes le lieu avait très peu de chance d’être fouillé, mais les policiers étaient devenus tellement paranoïaques que c’était un risque à prendre en compte dans l’équation.

J’arrivai à une des plus grandes tours de Black Water, située dans le quartier riche. Dans une ruelle adjacente, je jetai mes vêtements tachés de sang dans une flaque d’eau, attrapai un complet blanc caché derrière une poubelle, l’enfilai au plus vite et me rendis visible. Cachant mon visage sous un chapeau également blanc, je m’affalai contre le mur. J’étais à cours d’énergie. Mon invisibilité me tuait. La puce électronique dans mon corps drainait dans mes forces pour me permettre de disparaître ; à court terme, je ne ressentais rien, mais lorsqu’il fallait traverser la ville toute une nuit en étant invisible, j’en sortais à bout de force. Je tenais de moins en moins longtemps. C’était peut être parce que j’utilisais mon invisibilité de plus en plus fréquemment, je n’en savais rien. Je maudissais mon organisme d’être si faible. Il fallait que je reste assis un moment, j’avais dû faire un effort considérable pour ne pas m’effondrer plus tôt. Je ne me sentais même pas assez fort pour me relever. Mais j’allais devoir le faire. Le jour n’allait pas tarder à se lever, et les passants à être plus nombreux. Il était assuré que quelqu’un remarquerait un homme tout de blanc vêtu à moitié couché dans une ruelle, ce n’était pas anodin, et les autorités seraient probablement alertées. Si cela arrivait, je ne donnais pas cher de ma peau. Fixant la flaque dans laquelle se noyaient mes précédents vêtements, dont le sang se mélangeait à l’eau, j’étais en pleine introspection. Voilà des semaines que je parcourais Black Water, que je recherchais, traquais les malfrats bien mieux que la police, découvrais leurs réseaux, tout cela pour les torturer et les interroger en vu d’apprendre où se trouvait Slim.
Et rien. Rien du tout. Après tout ce temps, tous ces morts, je n’avais rien trouvé. D’un côté j’avais rendu service à la police locale, lui donnant moins de travail et le loisir de se consacrer intégralement à moi. De l’autre je m’étais attiré la haine des criminels, puisque je les massacrais les uns après les autres. Ils avaient bien compris que c’était l’œuvre d’une seule et même personne. Le mot était passé, tous quand j’arrivais savaient à présent qui j’étais. Un jour, j’avais laissé un des dealers en vie pour qu’il transmette aux autres qui j’étais, car j’en avais marre d’expliquer que je n’étais pas Slim, leur collaborateur, mais son fils Raven, qui le traquait sans relâche. Tous, parallèlement à la police, tentaient de me trouver et de m’éliminer. Tout ce que j’avais gagné, c’était une liste d’ennemis encore plus longue, et une mise en danger encore plus grande. Et je ne m’étais strictement pas rapproché de mon but.
Slim ne se faisait jamais repérer ; pour que la police ne puisse pas l’arrêter, il avait pour habitude de ne jamais dire où il était, ni où il allait, et ni même de montrer à quoi il ressemblait. Il restait caché derrière un costume, un gadget à lui qui l’enveloppait d’une fumée noire, qui le rendait impassible, terrifiant, un être sombre et mystérieux dont on avait peur, dont on n’osait discuter les instructions. Un être fait de vapeur noire, une entité dont le visage devait rester à jamais inconnu. Un mythe. Un Spectre. C’était d’ailleurs ainsi qu’on l’appelait : Le Spectre. J’avais toujours trouvé idiot ce genre de surnom ; ironique pour moi qui suis désormais Le Prédateur. Mais malgré toutes les précautions que prenait mon père, j’avais voulu essayer de le retrouver, imploré un miracle peut être, mais je savais que je n’avais que peu d’espoir de réussite. Et à présent, je n’en avais plus du tout. J’étais à bout de nerfs, épuisé et complètement démotivé. Et je ne le haïssais que d’autant plus. Ma hargne, ma fureur de vouloir le tuer n’en étaient que plus grandes.

Trois semaines s’étaient écoulées depuis l’incident de Black Water. On me rendait coupable de cinq cents millions de boulons de dommages, en comptant les immeubles et véhicules explosés, les rues encombrés de débris et les soins médicaux d’urgence ayant dus être administrés à des centaines de personnes. On m’accusait également d’environ une cinquantaine de morts. En réalité, j’avais seulement tué quinze personnes, tout au plus. Mais ces enfoirés m’avaient attribué les dommages collatéraux qu’eux avaient causés. Avec une simple épée et un ou deux blaster, comment aurai-je pu saccager autant la ville ? C’était juste impossible. Mais toute la population, naïve comme elle l’est, qui croyait-elle ? Leurs gouverneurs, les médias et leurs pauvres esprits dominés… Mieux valait croire que tout cela était l’œuvre d’un criminel plutôt que celle de l’incompétence des agents chargés de leur protection, n’est-ce pas ? Ma réputation était à présent bien remplie, mais je m’en fichais. Néanmoins, ce qui me dérangeait dans la médiatisation de cet événement, c’était que tous les jours, sur de nombreux écrans de la ville, passaient des images filmées de moi me rendant invisible, avec la notation « Il peut être n’importe où ! ». Que le monde connaisse mon pouvoir m’énervait plus que tout… Mais je ne pouvais que me le reprocher. Maintenant, ils redoublaient de vigilance, ce qui me compliquait la vie et instaurait un climat de paranoïa, une épée de Damoclès sur la tête de chaque citoyen. Ce dernier point était autant à mon avantage que l’inverse, ils surveillaient trop leurs arrières, ils avaient trop peur… mais la peur fait commettre des erreurs.

Je sortis de mes pensées, me rappelant qu’il ne fallait pas que je traine ici. Je me relevai, prenant appuie sur la poubelle brillant d’un éclat argenté. J’avançai, m’appuyant contre le mur, me maudissant d’être si faible. Il fallait vraiment que j’arrête de passer mon temps invisible. Bordel ! Ma tête me lançait, des vertiges menaçaient de m’envoyer au sol. Je supportais tout cela de moins en moins… Tôt ou tard, les conséquences allaient être dramatiques. Avant de poursuivre mon avancée, je ramassai mes vêtements tâchés de sang ; je ne devais pas laisser d’indice. Me baisser ne fit que rajouter de l’intensité à mon mal de tête déjà insupportable.
Les portes de l’immeuble s’ouvrirent au moment où je m’en approchai, le système de sécurité avait détecté le pass-magnétique dans l’une de mes poches, m’autorisant l’accès. Je me mis au centre du cercle-élévateur d’un diamètre de trois mètres, rayonnant d’un éclat bleu électrique, et prononçai le nom de l’étage désiré. Une fois arrivé, je sortis du cercle et m’avançai jusqu’à une porte qui s’ouvrit également grâce à mon pass-magnétique. En voyant mon état, Lange se précipita pour m’empêcher de m’effondrer. Elle eut raison, je ne sentais presque plus mes jambes, et tout mon corps tremblait de faiblesse. J’étais vraiment heureux d’être rentré dans mon chez-moi actuel… Oui, chez moi, car vivre dans la cathédrale devenait trop dangereux, nous étions trop exposés. Alors, un jour, au lieu de tuer l’un des criminels, je pris la décision de le kidnapper et le forçai à m’amener jusqu’à chez lui. Je ne pouvais pas le tuer, à mon grand dam, car les associés, dans ce domaine, avaient l’habitude d’aller chez leurs défunts collègues afin de prendre toutes les recettes et tous les objets ou matériaux susceptibles d’être encore utilisable, ou vendable. Il me le fallait donc vivant pour pouvoir habiter chez lui sans avoir de visite inopportune. Désormais, il était enfermé dans une petite pièce sombre, ligoté et bâillonné, sauf quand je le forçais à répondre aux appels, excusant son manque d’activité à cause d’une « grande maladie ». Je savais que ce stratagème ne tarderait pas à être louche, mais en attendant de déménager à nouveau, nous profitions de son grand appartement, et de ses bonnes conditions. Pour nous nourrir, nous nous contentions de commander des vivres par communicateur, tout simplement. Mais cet imbécile pleurnichait un peu trop à mon goût, et je devais me retenir de lui exploser la face contre un mur, de l’étrangler, de… Oh oui je mourrai envie de le tuer. Mais je me contrôlais, il m’était bien trop important… De plus, son appartement contenait un véritable arsenal qui m’était d’une aide non négligeable. Malheureusement, aucune arme ne pourrait jamais remplacer mon épée disparue… Je n’avais jamais aimé les armes à feux… Elles étaient trop rapide, et l’on n’éprouvait vraiment pas autant de plaisir que lorsque l’on tuait au corps à corps, tranchant des membres, sentant véritablement la peur de la victime au fur et à mesure que son sang coulait, et sa panique lorsque la mort enveloppait son corps très très lentement… Cet extase était inégalable… Il y avait bien une dague, c’était d’ailleurs l’arme que j’utilisais le plus, mais elle était relativement difficile à utiliser. Alors, je devais bien me contenter des différents fusils…

Lange m’installa sur un canapé et s’agenouilla devant moi.
« Est-ce que ça va ? – s’enquit-elle, vraiment inquiète.
- Oui, oui, ça va… – fis-je » Je détournai le regard. Je ne voulais pas qu’elle voie dans mes yeux à quel point j’étais faible.
« Non, Raven, ça ne va pas ! Tu rentres dans un état à chaque fois de pire en pire ! Tu ne vas pas bien, arrête de le nier ! Ton invisibilité va finir par te tuer ! Tu dois arrêter tout ça, toutes tes escapades nocturnes !
- Oui, je le dois ! Je sais ! – aboyai-je » L’humaine recula à la vue de mon regard noir. Il était rare que je m’énerve après elle, et elle craignait ma fureur. « Je le sais ! Mais je ne peux pas arrêter ! Je n’ai pas le choix ! Je dois continuer !
- Bien sûr que si tu as le choix ! Tu refuses juste de te reposer, et de moins utiliser tes capacités d’invisibilité ! Mais, bon sang, fais-toi une raison ! Si tu continues comme ça, tu ne pourras peut être plus te rendre invisible ! Ou pire, ça te tuera ! »
Exaspéré, je fermai les yeux. Elle avait du caractère, elle cherchait toujours à avoir le dernier mot. Et comme j’étais exactement pareil, son comportement me tapait sur les nerfs. Au fur et à mesure que le temps passait, elle avait de moins en moins peur de moi. Au début, même si elle me faisait confiance, elle n’était pas tout à faire rassurée. Mais plus les jours passaient, moins nous étions distants l’un de l’autre. A présent, nous étions comme deux partenaires, et même si elle me craignait quelque peu car elle savait de quoi j’étais capable, elle savait que je ne lui ferai pas de mal. Je m’étais attaché à elle. Sa compagnie était devenue importante pour moi. Ayant vécu seul pendant des mois sans pouvoir parler à qui que ce soit, à me morfondre dans ma souffrance et ma haine, la présence soudaine de l’humaine à mes côtés était un apport nouveau et inattendu. Essentiel. Je ne lui parlais pas énormément, ce n’était pas dans ma personnalité, je n’y arrivais pas. Mais elle, elle parlait. De tout, de rien, de son passé… et elle me questionnait sur le mien. Elle m’interrogeait sur ce que je comptais faire après avoir eu les réponses au sujet de nos pères. Souvent revenait son « et si tu ne le tuais pas ? Et si tu lui pardonnais ? »… Mais il était impardonnable, voilà ce que je répondais. Lui vivant je ne pourrai jamais me sentir bien. En revanche, ce que j’éprouvais pour elle était inexprimable. Je me disais qu’il devait s’agir d’amitié. Mais dans tous les cas, je n’avais jamais ressenti cela auparavant. Et dans la situation actuelle, je devais bien avouer qu’elle avait raison. Evidemment ! Mais non, je ne voulais pas m’y résoudre. Je voulais continuer à forcer mon organisme, lui faire prendre le dessus sur la faiblesse, pour que jamais elle ne réapparaisse ! Mais elle était tellement présente, elle n’arrêtait pas de m’envahir, de me submerger… Je ne pouvais rien faire… Elle prenait possession de mon corps, entravait ma liberté physique et psychique, pourrissait mon existence, me rendant aussi dangereux qu’un moucheron.
« Repose-toi – supplia-t-elle – Il le faut… Arrête de mettre ton énergie à ce point en action… Je sais que tu voudrais aller plus loin, mais pour l’instant arrête un peu, et repose toi. Tu ne peux pas continuer comme ça… » Je ne savais pas quoi répondre. Il n’y avait rien à répondre de toute façon. Et puis mes yeux se fermaient, peu à peu, mais irrémédiablement. Je n’allais pas tarder à sombrer dans le sommeil.
« Je suis complètement crevé – lâchai-je – On verra ça plus tard. » Je m’allongeai sur le canapé de façon à être dos à elle, m’enfermant sur moi-même. Lange, frustrée, s’éloigna… mais son image resta toutefois gravée dans mon esprit. Comme toujours. Ce qui ne m’empêcha pas de m’endormir dans les secondes qui suivirent.

La pièce était illuminée à mon réveil. Le mode filtrage de la baie-vitrée empêchait que l’on soit ébloui par le soleil, tout en éclairant le plus possible. Nous devions être au milieu de l’après-midi, et je me sentais déjà plus en forme. Lange était assise sur un fauteuil en face de moi, séparé de mon canapé par une table basse en verre. Elle sourit en me voyant émerger.
« Au fait – fit-elle – tu es très beau habillé en blanc. » Je détournai le regard sans faire un seul commentaire. Quelque part en moi, sa remarque me fit plaisir parce que je sentais que c’était sincère. Mais cette sensation me dépassait. Elle parût désolée que je l’ignore ainsi, mais ne tarda pas à passer à autre chose. L’air qu’elle afficha à présent était sérieux.
« Quelque chose d’important s’est produit – déclara-t-elle » Mon intérêt fut attisé.
« Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Mon père s’est fait arrêté.
- Quoi ?! » La réplique était sortie de ma bouche avant même que mon cerveau n’ait enregistré l’information. C’était invraisemblable. Son père, un des deux hommes qu’il nous fallait trouver, venait de se faire arrêter ? J’avais du mal à y croire.
« Les émissions de l’holotélévision ne parlent pratiquement plus que de ça – renchérit-elle – La police est intervenu lors d’un de ses coups, l’a blessé, et a réussi à le capturer. Je ne sais pas du tout si ton père était dans le même coup, ils n’en parlent pas.
- Ca s’est passé aujourd’hui ?
- Non, hier. A Tarrabum, sur la planète Nobes. » Mon esprit réfléchissait à toute allure. Etait-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Même s’il ne pouvait plus voyager librement, ni continuer ses projets avec mon père, il était à présent sous surveillance continuelle, dans une cellule haute sécurité. On pouvait le rayer de la liste, il n’était plus approchable.
« Où est-il emprisonné ? – m’enquis-je.
- Cela n’a pas été divulgué, par soucis de sécurité. Ils ne veulent pas que ses collaborateurs puissent le délivrer. Mais de toute façon, où qu’il soit, on ne peut pas le voir, on ne peut plus obtenir de réponse de lui…
- Je sais bien… Je te rassure, je ne comptais pas partir lui organiser une évasion. Mais ça veut dire qu’il ne reste plus que mon père… » En parlant, je m’étais relevé. Evasif, je regardais à travers la baie vitrée la vie qui animait Black Water, avec la terrible sensation d’avoir tout perdu. « Slim… Cela rend notre tâche encore plus délicate… Voire impossible…
- Pas forcément… – dit-elle avec un sourire – Tu sais, notre vie n’est pas forcée d’être basée sur cette recherche… Tu ne peux pas pardonner, et je comprends… mais pourquoi ne pas juste oublier ? Je sais que je le peux, moi…
- Parce que ma vie n’aurait plus de sens, plus de but… Si j’oublie, que me restera-t-il à faire ? Hein ? Tu as pensé à ça ?
- Que feras-tu après, de toute manière ?! – s’écria-t-elle – Il arrivera bien un jour où tu n’auras plus à courir après ton père ! Si du moins tu ne meures pas avant…
- Je ne sais pas ce que je ferai, et je te l’ai déjà dit ! Mais j’ai le temps d’y réfléchir.
- Et pourquoi ne pas d’ores et déjà donner un autre sens à ta vie ? Un sens qui ne serait pas que temporaire… ? » Le ton qu’elle prenait devenait de plus en plus bas, beaucoup plus triste. Elle semblait vraiment mal, préoccupée, mais je ne m’en préoccupais pas. Ce qu’elle me disait m’énervait, et cela empêchait tout sentiment de compassion. Je me retournai vers elle et lui jetai un regard hargneux.
« Ecoute ! Tu sais très bien ce que je compte faire ! Tu sais sur quoi est basée ma vie ! Je ne te force pas à me suivre, tu es là de ton plein gré. Si tu n’es pas d’accord, si tu veux vivre autrement, tu peux toujours te tirer et te débrouiller seule !
- Seule je ne saurai quoi faire… Pas comme ça, pas avec la galaxie à mes trousses… Je n’y survivrais pas… » Une sensation étrange s’empara de moi. Je ne voulais pas qu’elle s’en aille, vraiment pas. Quand je lui avais dit qu’elle pouvait le faire, tout ce que je voulais c’était qu’elle reste. Et j’étais à la fois content qu’elle me dise qu’elle ne le pouvait pas, mais peiné en voyant l’état dans lequel elle était. Elle était triste, torturée, et cela ne me plaisait pas. Le silence s’installa pendant quelques dizaines de secondes, puis elle reprit : « Mais tu dois au moins admettre qu’on ne peut pas continuer comme ça… Tu n’obtiendras jamais aucune information sur ton père en procédant ainsi. On tourne en rond, tu te fatigues, on perd du temps… Mais ton père, lui, n’en perd sûrement pas.
- Tu veux procéder autrement ? – crachai-je – Très bien ! Alors quoi ?! Comment, hein ?! Je sais que c’est désespéré, mais pour l’instant nous n’avons pas le choix, pas d’autre moyen… Enfin, de toute évidence, je pense qu’il faut changer de planète. Rentrer sur ma planète natale ne servirait à rien. Lorsque mon père s’est fait arrêté, il a divulgué à la police où est-ce qu’on habitait. Je pense qu’il la fait justement pour que je n’y retourne pas. Mais on peut entrer en contact avec de grands groupes mafieux sur d’autres planètes, pour savoir si dernièrement ils ont marchandé avec lui. Alors, nous finirons peut être par croiser une organisation qui a traité avec lui, et nous pourrons remonter sa piste, et le retrouver. » En élaborant ce plan dans ma tête, je me maudis de ne pas y avoir pensé plus tôt.
« Et combien de temps est-ce que ça va prendre ?
- Autant qu’il le faudra.
- Ca peut prendre des années… – s’exaspéra l’humaine.
- Tu exagères.
- Non ! Et s’il avait changé de galaxie, hein ? Tu y as pensé ? Ou s’il utilise un pseudonyme, et change son camouflage ? Les truands traiteront avec lui sans même savoir qui il est ! Et pire encore, même s’ils savent qui il est, peut être refuseront-ils de nous livrer des informations, mais nous livrerons à la police… C’est de la folie Raven ! Ton plan est trop instable ! » Elle était énervée désormais, et sa colère engendra la mienne. De rage, j’envoyai un coup de pied dans la table en verre qui se fissura et manqua de tomber en morceaux. Ce qui m’énervai par-dessus tout, ce n’était pas tant sa colère, mais que ses remarques étaient vraies. Elle venait de détruire le meilleur plan que j’avais conçu ces dernières semaines en seulement quelques phrases ! Je me passai la main dans les cheveux et entrepris de me calmer. Je m’efforçai de contrôler ma respiration, et soufflai pour évacuer ma fureur… Elle avait raison. Je ne devais pas lui en vouloir de me l’avoir fait remarquer. Cela aurait été stupide.
« Bien, okay – lâchai-je en changeant radicalement de ton et d’expression – alors tu proposes quoi, tu as une meilleure idée ? » Elle réfléchit pendant quelque secondes.
« Mon père vient de se faire arrêter, alors oui, j’ai peut être quelque chose… Nous avions une planque, sur une planète enneigée appelée Reez. Avant mon départ, du moins, il y avait beaucoup de dossier concernant l’organisation de nos pères. Nous devrions peut être nous y rendre ? Je sais que cette planque était très précieuse pour eux, mon père ne l’aurait pas révélé à la police. Ni le tien. Là bas, nous trouverons peut être les adresses des autres membres de l’organisation, et ainsi nous pourrons aller les voir, et les interroger. » A cette information, je sentis en moi revenir l’espoir.
« Mais c’est génial ! Il faut à tout prix qu’on y aille ! Mais pourquoi tu n’en as pas parlé plus tôt ?
- Parce que c’était vraiment trop dangereux… C’est surprotégé, Raven ! » Je restais sceptique.
« Quel genre de dispositifs de sécurité ?
- Et bien… Simplement des tourelles, mais blindées, et leurs balles sont perforantes. Elles peuvent te tuer même à travers trois murs ! Elles se déclenchent si l’individu n’est pas reconnu à son approche par les caméras. Je n’ai jamais vraiment su si c’était plus sophistiqué que ça… Mais connaissant nos parents, ça ne peut que me faire peur.
- Mais toi, le système te reconnait, non ?
- Avant, oui. Maintenant, je ne parierai pas là-dessus… Je sais aussi qu’il y a un détecteur de targ, le matériau de conception des armes et des robots. Il ne faudra donc pas utiliser d’armes.
- Les armes que mon père vend sont faites en targ, mais pas celles qu’il utilise. Elles sont faites en sayler, un matériau meilleur.
- Oui, mais ton père pouvait rentrer avec les siennes. Cela ne dérangeait pas. Par contre, je ne pense pas qu’il y ait de détecteurs de chaleur, ce n’était pas tellement utile. Mais je ne peux pas en jurer… Tu pourras peut être t’y rendre en étant invisible, et désactiver le système une fois à l’intérieur.
- Mais je ne comprends toujours pas pourquoi tu n’en as pas parlé plus tôt. D’accord, il y a de gros risques… mais ce sont les mêmes à présent.
- Pas exactement… Nos pères se rendaient souvent là bas, et peut être qu’ils s’y rendent toujours… Tout seul, désarmé, même invisible, tu ne pouvais pas vaincre les deux ! Maintenant, un, à la limite, il y a une chance… Une des rares choses que je sais sur cette organisation, c’est qu’ils sont plutôt nombreux, mais qu’ils sont par binômes. Et chaque binôme à une planque que les autres ne connaissent pas. Donc à par ton père, personne d’autre ne connait l’existence de cet endroit. Mais ça reste dangereux ! » Pendant un instant, je sentis en moi monter la colère, mais elle disparut aussitôt.
« Même s’il y a du vrai, je pense que tu aurais dû en parler. Au moins pour me mettre au courant. C’est un élément important ! Même si c’est dangereux, peut être qu’on aurait dû prendre le risque. Ainsi, nous n’aurions pas perdu du temps, comme tu le dis si bien…
- Je suis désolé, je…
- Ce n’est pas grave, mieux vaut tard que jamais. » Au moment où je prononçais ces mots, je me rendis compte que quelque chose n’allait pas. Quelques semaines plus tôt, je me serais énervé comme jamais. Et là j’étais calme, je m’en fichais presque. Je ne pouvais pas en déterminer la raison. J’étais sûrement plus excité d’approcher enfin des réponses pour me soucier du temps perdu à cause de Lange. Et je n’avais pas tant envie de m’énerver après elle non plus. « Il faut qu’on parte le plus tôt possible ! – m’exclamai-je – Pourquoi pas tout de suite ?
- Si tu veux y aller, je te suis… Mais je préférerais que l’on parte demain. Toi tu as dormi, tu es reposé, mais moi non. Et je sens que ça va être difficile. Les risques me font peur…
- Bon, très bien… Nous ne sommes plus à un jour près de toute façon. »

Durant le reste de la journée, je me chargeai de l’organisation du départ. Dans des sacs, j’entassai vivres, argent, et tout ce qui pouvait servir à première vue. Lange s’enferma dans sa chambre et n’en sortit que pour nourrir notre hôte et lui permettre de faire ses besoins. A part cela, elle ne se montra pas. Habituellement, nous mangions ensemble, mais ce soir là ferait exception. Je ne m’en inquiétais pas, je me disais qu’elle avait besoin de se reposer, et que l’annonce de l’arrestation de son père avait dû lui mettre un coup. Je pris quelque chose au hasard dans le réfrigérateur, le mis dans le cuisineur et entrepris de le dévorer.
Je m’installai sur le canapé et allumai l’holotélévision sur la chaine des informations. J’aimais voir avec quoi les médias s’amusaient à entretenir le climat de peur, indispensable pour maintenir la société sous contrôle. Comme tous les soirs, ils décrivaient les méthodes de recherche pour me retrouver. Je trouvais ça ironique de les regarder courir après moi sur des planètes glaciales quand j’étais assis tranquillement au chaud dans un appartement de Black Water. Mais l’arrestation de Marshall Down, le père de Lange, prenait ici une place plus importante. Ils commencèrent d’abord par rappeler la capture qui s’était parfaitement bien déroulée, en n’oubliant pas de rappeler combien les forces d’intervention avaient fait du bon travail, et combien leur chef qui n’avait probablement pas tiré une balle allait monter en grade. Ceci étant pour rassurer la population quant à l’efficacité de ses protecteurs, qui d’un autre côté ne parvenaient pas à retrouver ma trace. Les incapables. Marshall était soi disant en train de préparer un attentat envers le dirigeant de la planète Nobes, là où il avait été arrêté. Mais cela me semblait tiré par les cheveux… Pourquoi tuer le dirigeant d’une planète aussi peu importante ? Nos pères cherchaient-ils uniquement à tuer pour le sport ? Non… Slim n’était pas comme cela. Il devait y avoir une autre raison, que soit les médias étaient obligés de cacher, soit qu’ils ignoraient car Marshall les menait en bateau. Les deux solutions étant toutes deux envisageables.
Apparut ensuite à l’écran un type qui à première vue me faisait pitié. Sûr de lui, sérieux, professionnel, à la carrière parfaite, il avait arrêté une organisation terroriste il y a quelques mois. Son exploit lui valut une place dans l’UISM, l’unité d’intervention spéciale de Métropolis. Et au sein de cette unité, c’était lui qui avait réussi à coincer Marshall Down. Il était orgueilleux, et cela se voyait. Il s’appelait Dave Neels. Tu as vu, je connais ton prénom, même si je t’appelle par ton nom de famille, Neels. C’était toi, et c’était la première fois que je te voyais, même si j’avais déjà entendu parler de toi. Tu montais en grade rapidement, et tu en étais fier. Tu dirigeais même une escouade de l’UISM. Mais tu n’en avais pas vu assez, cela se voyait sur ton visage, ton visage à la peau blanche et aux cheveux coupés courts. Tu n’avais pas vu assez de malheur, de désastre, de visages pétrifiés d’effroi dans la mort. Tu n’avais pas vu assez de tes amis mourir. Tu ne me connaissais pas encore. Mais tu allais te charger de mon affaire, toi et ton escouade de l’UISM, et c’est ce que tu annonçais au monde entier. Tu savais que Marshall avait des liens avec Slim, et donc tu allais te servir de lui pour me traquer. Bien sûr, à l’époque tu croyais que j’étais Slim. Mais je me désintéressais de toi. Tu étais comme les autres, stupide et arrogant. Et tu n’allais pas me trouver. J’éteignis l’holotélévision sans plus de cérémonie.

La nuit tomba, enveloppant la ville dans les ténèbres. Dans la pièce qui me servait de chambre, je m’occupai des armes, remplissant ces cracheurs de mort de projectiles meurtriers. Même si je ne devais pas entrer dans la planque de nos pères avec des armes, je pourrais très bien en avoir besoin par la suite. Des plans fourmillaient dans ma tête. Je réfléchissais à toutes les possibilités, et toutes les failles que ces possibilités avaient. Ravivé par une motivation nouvelle, je pensais mieux qu’avant. J’étais avide. Je voulais ces réponses. Je voulais me battre pour les avoir, quel qu’en soit le prix. Peu importait que je meure, dans le pire des cas, qu’est-ce que ça changerait ? Qui s’en soucierait ? Ces risques il fallait les prendre pour avancer, et je préférais mourir à stagner. J’étais sûr que mon père ne se trouvait pas à la planque, il devait très bien savoir que je pouvais y aller. Et s’il voulait me voir, il ne m’attendrait pas mais viendrait me chercher, comme il l’avait déjà fait. L’opération qu’il a subie aux yeux, la même que Lange et son père, lui permettait de savoir où quiconque se trouvait ; il pouvait donc savoir où j’étais, à l’altitude et au centimètre près. Mais j’étais tout de même excité… car on allait avoir des informations. C’était certain. Et avec celles-ci, j’allais pouvoir mener ma croisade personnelle, ma lutte irréversible pour le faire disparaitre de ce monde.
A ce moment là, Lange entra dans la chambre. Ses cheveux étaient détachés, et elle avait l’air troublée, épuisée, faible, en proie à une grande réflexion. Je lisais dans son regard une expression vide. Je ne l’avais jamais vu ainsi. Elle se tint au mur d’un bras.
« Raven… – commença-t-elle – je… je ne sais pas, je… » Elle lâcha un profond soupir, baissa la tête et mit la main sur son visage. Elle était bel et bien perdue. Intrigué, je m’approchai d’elle et lui relevai la tête pour découvrir ses yeux émeraude brillants de larmes. Un choc se produisit en moi. Une fissure. Un sentiment du même type que lorsque j’avais vu mon père décapiter ma mère. Avant, la voir pleurer ne m’aurait fait éprouver que du mépris, mais à présent je me sentais mal. Sa souffrance me mit dans un état proche de la panique. Je sentais que je devais faire quelque chose, mais je ne savais quoi. Mon cœur battait à toute allure. Elle voulut détourner le regard, mais je pris son visage entre mes mains pour l’obliger à lever les yeux vers moi. Mais les miens trahissaient mon inquiétude, mes cheveux tombant dessus ne les cachant pas totalement.
« Qu’est-ce qu’il y a… ? – demandai-je simplement. » Mon regard suivit la course lente d’une de ses larmes jusqu’au bas de son visage. Etrangement, même en pleurant, elle restait belle, magnifique, car elle gardait sa force charismatique. Mais je ne voulais pas la voir pleurer.
« C’est juste que… – balbutia-t-elle en se retenant d’éclater en sanglot – c’est juste que j’ai peur… J’ai tellement peur… Je ne sais pas ce qui va se passer, ni comment ça va se passer… Quand je ferme les yeux, je te vois poursuivant ton but et mourir en cherchant à l’exaucer… Je te vois mourir de faiblesse à cause de ton invisibilité… J’ai peur que nos pères aient rajouté un détecteur de chaleur, et qu’en cherchant à t’infiltrer tu finisses cribler de balles… » Pendant qu’elle parlait, elle ne s’arrêtait pas de pleurer, lâchait quelques sanglots et écoulait beaucoup de larmes. « Je ne veux pas que tu meures… Je ne le supporterais pas… » Elle dégageait énormément d’émotions et dévoilait ce qu’elle pensait… Moi je ne savais pas ce que je pensais… Je me sentis d’un coup dans un autre univers, dans le sien. Un univers dans lequel je ne parvenais pas à penser. J’entrepris d’essuyer ses larmes et de la prendre dans mes bras. Elle ne s’arrêta pas de parler, ni de pleurer. « J’ai aussi peur de l’avenir… J’ai peur que l’on vive toujours dans la peur, toujours dans la haine… Cette vie est malheureuse, et c’est celle que tu veux vivre. Tu l’as maintes fois répété, ou du moins c’est comme cela que j’interprète tes projets. Et je suis condamnée à la vivre aussi, parce que je ne veux pas vivre sans toi. Tu es tout ce que j’ai… et ce que je ressens pour toi est trop fort pour que je puisse juste rester là et te regarder partir mener ta vie. Je ne peux pas. Et la vie que l’on va vivre me fait justement peur parce qu’elle est triste, et que je suis sûre que tu n’y survivras pas…
- Je ne vais pas mourir, je te le promets…
- Comment est-ce que tu peux le savoir ? Tu ne peux pas prévoir ce qui peut te tomber dessus…
- Je ferai tout pour ne pas mourir. Je prendrai le moins de risques possible. Je ne te laisserai pas toute seule. » Je ne savais plus ce que je disais. Je devais être drogué, ou je ne savais quoi. Mais ce que je venais de dire était totalement en contradiction avec ce que je pensais il y a quelques minutes. Je promettais sans comprendre ce que je promettais. Les mots sortaient de ma bouche comme cela. Et pourtant, je sentais que j’étais en accord avec ce que je disais. Je savais que j’allais faire ce que je lui promettais. Je faisais tout pour qu’elle aille mieux, pour qu’elle soit rassurée. « Je sais que la vie que je veux mener pour le moment est loin d’être joyeuse, mais c’est tout ce que je suis capable de faire. Il y a trop de haine et de colère en moi pour que je puisse penser à autre chose. Dès que j’aurai accompli ma vengeance, j’irai mieux, et là je pourrai penser à mener une autre vie. En attendant, je ne peux juste pas… Je suis désolé de te faire souffrir, mais je n’y peux rien. Pour l’instant ma vie n’est pas joyeuse, car je ne peux pas être joyeux. Je suis trop blessé, trop atteint. Je ne peux plus rien ressentir.
- C’est faux… L’intonation avec laquelle tu me parles n’est pas sans émotions. Tu n’es pas l’être sans sentiment que tu crois être. » Elle se dégagea de ma poitrine, leva les yeux et afficha pour la première fois depuis tout à l’heure un sourire. « Je comprends ce qui t’arrive… Tu ne peux pas oublier… Il faut que tu te venges pour oublier… Je peux vivre cette quête de vengeance avec toi, mais pas éternellement… J’ai peur que ça te détruise, et moi aussi par la même occasion.
- Mais ça ne durera pas… » Je n’avais jamais eu un ton aussi mélodramatique. J’avais l’impression d’être un acteur dans une série sentimentale. Cela me faisait pitié. Je me trouvais pathétique. J’essayais de trouver un juste milieu improbable entre ma vision de la vie et celle de Lange. D’un côté je trouvais cela stupide, de l’autre totalement logique. Je ne pouvais juste pas m’empêcher de raisonner ainsi, ni de parler avec un ton comme celui-ci. J’avais dans les bras une fille en pleurs. La fille qui était tout ce que j’avais. Il fallait l’avouer, tout ce que j’avais eu depuis l’assassinat de ma mère avait été éphémère… tout à part elle. Et je ne voulais pas qu’elle soit dans un état si désespéré. J’en étais affligé. « Je sais que ce n’est pas une vie, et je ne veux pas continuer comme cela éternellement. Mais paradoxalement, je ne me vois pas faire autre chose. Il faut que je réalise mon but avant de m’en trouver un nouveau. Mais je ferai tout pour qu’il soit accompli le plus vite possible. Je ne veux pas t’abandonner. Je me suis attaché à toi. Beaucoup plus que je ne l’aurai cru. » Pendant que je parlais, je passai ma main dans ses cheveux, lui caressai le visage. Je ne m’en rendais même pas compte. Elle se sentit mieux, plus rassurée.
« Je t’accompagnerai dans tout ce que tu feras, Raven. Je veux rester avec toi, mais j’ai tellement peur… Tellement peur de te perdre…
- Oublies tes peurs. Tout se passera bien, je te le promets. »

Je ne savais pas si c’était l’instinct, ou une pulsion d’adolescent, ou quoi que ce soit d’autre, mais je l’embrassai. Je le fis tout naturellement, sans hésiter, comme si cela allait de soi. Je compris alors que ce que j’éprouvais était loin d’être de l’amitié. Au fond, je pense que je l’avais toujours su, mais que je n’avais jamais osé me l’avouer. Ma connaissance de l’amour se limitait à celui que se portaient mes parents, avant, et à ce que j’avais pu lire ou voir à l’holotélévision. Mais je ne l’avais jamais ressenti. La sensation de ses lèvres contre les miennes et de nos corps accolés déchaina en moi une vague d’émotions toutes indescriptibles, mais toutes exceptionnelles. Quand nous arrêtâmes, les valves qui contrôlaient le débit de ses larmes se rouvrirent. Mais son sourire et son regard me firent comprendre que c’était de joie. Et moi aussi, je souriais. Elle hésita, puis se plaqua à nouveau contre mon torse.
« Je t’aime – souffla-t-elle. » Je ne répondis rien, mais cette déclaration déclencha en moi une nouvelle vague émotive. Et à ce moment, pour la première fois depuis des mois, je me sentais bien. J’étais heureux. Je n’arrivais plus à penser à rien. Tout ce que je réalisais, c’était l’agréable sensation que j’avais en l’ayant contre moi. Et ce qu’elle venait de m’annoncer. Mais une question vint troubler mon bonheur. J’étais un psychopathe. Un taré dangereux qui prenait plaisir à tuer et à faire le mal. Quelqu’un vivant pour le malheur, pour la désolation, et ne pouvant apporter de bonheur. Quelqu’un dont la vie était éloignée du bien. J’incarnais ce qu’il y avait de pire. J’étais l’ennemi public numéro 1. Comment pouvait-on aimer quelqu’un comme moi ? C’était impossible. Je ne pouvais que la faire souffrir… Comment pouvait-elle m’aimer… ?

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