Author: Ratchet_Dadou
Avec un grand coup dans la poitrine, je me retrouvai chutant à l’horizontale, la tête en bas. Je crus que j’allais me fracturer si gravement que je ne pourrais plus du tout bouger le moindre petit doigt, mais la chute s’arrêta avant que je n’atterrisse sur le sol. Mon cœur fit un autre bond dans ma poitrine et je me rendis alors compte que mes mains avaient agrippé une branche et que je me retrouvais ainsi, les jambes pendantes dans le vide.
Un immense flot de soulagement me submergea, même si mon cœur battait encore la chamade et que le frottement passé sur le bois me faisait mal aux mains. J’étais sauvée !
Malgré ma légère souffrance, je pus tirer sur mes bras pour me hisser sur la branche. Je décidai de redescendre du chêne, trouvant maintenant mauvaise l’idée d’y rester. Mais c’était aussi une mauvaise idée de rester sur le sol. Ce fut pourtant ce que je fis.
Me tenant au pied de l’arbre, je me mis à réfléchir : comment retrouver Siny et Volco dans les collines, ce territoire environ trois fois plus grand que la forêt de Rivebois ? Après quelques minutes, je trouvai une possibilité : si je sortais de cette grande forêt en laissant des traces de mon passage pour que mes compagnons puissent me retrouver ? Mon pisto-laser pourrait laisser des signes qui ne feraient pas douter d’un piège tendu par les gardes. Mais les tirs de cette arme sont bruyants. Les gardes risquaient de m’entendre et de suivre mes traces pour me retrouver. Non, je ne pouvais pas prendre un tel risque.
Soudain, le bruissement d’un buisson me fit sursauter et, craignant que ce ne fussent les gardes, je sortis mon pisto-laser et le pointai vers le végétal. Mais ce ne fut qu’un petit campagnol qui cherchait de la nourriture. Je souris en le voyant et me tins immobile pour ne pas le faire fuir. Cette rencontre me faisait du bien au milieu de tous ces incidents. Il resta là quelques instants, pointant son museau de ci, de là, reniflant, avant de s’en aller pour de bon. Je me remis à réfléchir. Au bout d’un moment, ne sachant quoi faire, je décidai de me déplacer dans la direction inverse dans laquelle étaient partis les gardes.
Je marchai je ne sais combien de temps. Je me sentais abattue. Abattue d’avoir perdu Siny et Volco. Ils s’étaient peut-être fait prendre… Tout cela était ma faute ! J’aurais dû refuser de les laisser m’accompagner, je les avais embarqués dans cette histoire. Certes, j’avais besoin d’un guide pour arriver à Avariny, mais j’avais pensé à moi, et non à eux… Une part en moi me disait que les choses ne pouvaient pas être différentes, mais je m’en voulais. La mort de Dave, la destruction de mon groupe, la trahison d’Alister, la disparition de Siny et de Volco,… tout m’incitait à être seule. Pourquoi dois-je être seule ?
Soudain des pas de course me firent me retourner. Ces pas étaient légers, mais je me méfiais. D’après mes prévisions, je n’avais pas le temps de me cacher. Alors j’allais faire face. Je sortis mon pistolet-laser, prête à tirer. Et là, je vis une petite bête bleue courir vers moi, sortant entre les arbres.
-Volco ! Ne pus-je m’empêcher de m’exclamer.
-Tais-toi, idiote ! Me chuchota-t-il en s’arrêtant près de moi. Tu vas nous faire repérer !
-Ah bon ? Répondis-je en chuchotant à mon tour. Ce ne serait pas vos débats intellectuels qui auraient attiré la curiosité irréprochables de ces gentils hommes ?
Avant que le renard bleu ne put répondre – et je fus ravie de l’avoir réduit au silence pour la première fois –, j’aperçus Siny trottiner vers nous en haletant. Il s’arrêta près de nous et posa ses mains sur ses genoux en respirant bruyamment, essoufflé. J’étais tellement heureuse de les revoir, après les pertes que j’avais endurées.
-Volco ! Siny ! Murmurai-je. Vous êtes là ! Mais comment m’avez-vous retrouvée ?
Le renard bleu indiqua son nez de la patte, visiblement tout fier.
-Grâce à mon flair, bien sûr !
Je pensai alors à certains canidés qui peuvent retrouver quelqu’un ou quelque chose en suivant son odeur que nos nez ne peuvent distinguer.
-Oh, je croyais un moment que les gardes vous avaient attrapés, continuai-je.
-Nous ? Attrapés ? Pfff ! Fit Volco en riant. Jamais de la vie ! J’admets qu’ils nous ont donné beaucoup plus de fil à retordre que l’Équipe de Bras Cassés, mais ce n’est pas une raison pour se faire capturer facilement.
-Oh, Volco, tu es génial !
-Trop fort, hein ? Fit-il, flatté.
Siny sembla reprendre son souffle, se redressa puis me dit, visiblement heureux de me revoir :
-Aöny, tu n’as rien ! Écoute, moi et Volco, on a…
- « Volco et moi » ! S’exclama le renard bleu. Pas l’inverse !
-La ferme, Volco ! Grogna le garçon.
- « Volco et moi » ! N’oublie pas que c’est grâce à MOI qu’on a retrouvé Aöny.
L’arka bleuté se résigna en soupirant.
-Bon, « Volco et moi », reprit-il en exagérant sur ces trois mots et en regardant son compagnon d’un mauvais œil, nous avons décidé de te laisser choisir où nous passerons. Qu’est-ce que tu en penses ? On passe par le Nord ou par le Sud ?
Il ajouta d’un air peu rassuré :
-Ne choisis pas le Nord, pitié…
-Laisse-la décider, Siny, lui dit Volco en se tournant vers lui, puis il me regarda à nouveau. Alors, Aöny, Nord ou Sud ? À toi de jouer.
Je mis ma main sur mon menton. Bonne question. Il était vrai que les reptiles d’Yrisha ne pourraient pas nous suivre tellement au Nord, mais les trolls qu’énonçait Siny pouvaient aussi exister. Et les gardes, notre troisième souci, pouvaient nous traquer où que nous allions, c’était une certitude. Je réfléchis assez longtemps, mais je ne trouvai pas de raison de constater qu’un choix était meilleur que l’autre. Et s’il n’y avait pas de trolls, là-bas, quels dangers nous attendraient ? Je ne connaissais pas la région à cause de mon amnésie. Mes compagnons me regardaient toujours avec patience, mais je ne savais pas quoi leur répondre. Finalement, j’obtins ce qui serait peut-être une idée. Je leur demandai alors :
-Maldir est bien une ville et non un village, non ?
-Mais ce n’est pas ce qu’on t’a demandé ! S’exclama Volco, l’air à la fois étonné et indigné.
-C’est bien une ville, me répondit Siny. Où veux-tu en venir ?
-Nous ne passerons ni par le Nord ni par le Sud, annonçai-je avec force, nous irons à Maldir.
Mes deux compagnons furent ébahis. Ils ouvrirent de grands yeux en faisant un « Quoi ? » presque crié.
-Mais ce n’est pas toi qui avais dit qu’il fallait éviter les villes et les villages ? S’écria l’arka bleuté.
-Ne vous inquiétez pas, j’ai un plan.
Volco éclata soudain de rire. Je le regardai, intriguée, me demandant ce qu’il avait. Il s’écria sans s’arrêter de rire :
-Ha, ha, ha ! J’ai hâte de connaître le petit « plan » que peut imaginer une fille.
-La fille, elle, au moins, ne va pas crier pour attirer les gentils et braves gardes qui veulent arrêter la méchante et infâme sorcière, répondis-je, le moins du monde irritée.
-N’oublie pas que tu as crié aussi quand tu m’as vu. Tu pensais sûrement : « Oh, Volco et Siny, mes sauveurs ! », dit-il en imitant une voix de fille ridicule. C’est le propre de chaque fille.
-La fille, comme tu dis, peut très bien se débrouiller toute seule, si la sauver héroïquement vous ennuie.
-En réalité, tu ne trouves rien de mieux à dire, hein ! Une fois de plus, je l’emporte !
-Ça suffit ! Finit par dire Siny. Au lieu de vous chamailler, essayez de vous serrer les coudes. Vous pouvez vous disputer plus tard si vous voulez, mais là on doit se soutenir.
Il me sembla que l’arka bleuté avait fait un effort pour hausser le ton et avait déjà essayé de nous interrompre plusieurs fois. J’eus honte de moi d’avoir fait la même erreur que lui et que Volco. Il reprit plus calmement :
-Quel est ce plan, Aöny ?
J’inspirai calmement pour passer de l’état « discussion avec Volco » à l’état « explication du plan ».
-Y a-t-il des fermes près de Maldir ? Demandai-je.
-Quelle question ! Ricana Volco. Même une amnésique devrait savoir !
Je le fusillai du regard, mais cela ne l’impressionna pas.
-Oh, Volco ! Protesta Siny, ce qui n’eut pas plus d’effet.
L’arka bleuté me répondit :
-Il y a souvent des paysans qui viennent vivre à environ une demi-lieue d’un village ou d’une ville, où ils viennent vendre leurs produits. Près d’une ville comme Maldir, il y aura sûrement plusieurs fermes.
-Super ! Dis-je. Alors voilà ce que nous allons faire : nous irons à l’une des fermes proches de Maldir – où d’Hynsi – où nous…
-DE Hynsi, me corrigea Siny.
-Ou de Hynsi, où nous devrons nous infiltrer dans l’une des constructions pour pouvoir y prendre des vêtements de paysans.
-Et comment comptons-nous infiltrer leur maison ? Me demanda le garçon. Ils ferment toujours la porte à clef quand ils vont travailler ou quand ils sont chez eux.
-Je pourrais peut-être le faire, proposa Volco. Soit je trouve un petit passage et j’ouvre la porte de l’intérieur – ou j’emporte les vêtements moi-même –, soit je vole la clef dans leurs poches.
-C’est une super idée, affirmai-je. Mais que diraient-ils s’ils voyaient un renard bleu près de leurs poules ? Pour plus de chance, il faut une diversion.
-Mais, fit Siny, ne suis-je pas le complice d’une sorcière maléfique ?
-Salis-toi un peu, décoiffe-toi jusqu’à ne plus avoir une mèche sur la tête, prends un air béta et tu te feras passer pour un garçon de la ville ou du village.
-Et… que dois-je dire ?
-Tout ce que tu veux, sauf qu’on est en train de pénétrer chez eux grâce un plan conçu pour voler leurs vêtements.
-D’accord, fit Volco, alors on est planqué, Siny va faire diversion, puis je m’introduis dans la maison, j’ouvre normalement la porte, Aöny va prendre les vêtements, puis on déguerpit. C’est ça ?
-Exact, répondis-je.
-Et pour signaler à Siny qu’il peut nous rejoindre, je glapis comme un renard ordinaire. Il me reconnaîtra.
-Excellente idée, avouai-je, un peu admirative. Je n’avais pas pensé au signal.
Le renard bleu pouffa, mais je n’y fis pas attention et continuai :
-Une fois les vêtements acquis, on pourra se faire passer pour des paysans vendant leurs marchandises à Maldir. Mieux vaut éviter Hynsi, car dans les villages, contrairement aux villes, tout le monde connaît tout le monde.
-Et comme ça, dit Siny, l’air satisfait, on n’aura à affronter ni les reptiles d’Yrisha, ni les trolls !
-Même si les trolls ne sont que dans ton imagination, ajouta son compagnon.
L’arka bleuté se tourna brusquement vers le renard bleu.
-La ferme, Volco ! Grommela-t-il.
Je ris devant cette petite scène. Mes deux compagnons, sans le savoir, me redonnaient un peu de joie dans ces moments de peine. Soudain, j’entendis la voix de Volco avertir :
-Vite, cachez-vous !
Nous pûmes nous dissimuler derrière un grand rocher non loin de là. En regardant par-dessus notre cachette, nous vîmes cinq gardes traverser la forêt, à l’affût du moindre bruit. Heureusement, nous ne fîmes aucun bruit et aucun ne nous repéra. Ils passèrent et nous pûmes enfin nous déplacer à nouveau.