Author: ratchetandyann
• -Tu ne pouvais rien y faire, Ratchet.
J’étais tellement triste, énervé et déçu.
Furieux contre moi-même.
-Il existait sûrement un moyen !
-Non, aucun. Cesse de te tourmenter. Tu n’as pas à t’en vouloir.
J’entendais mon ami sans vraiment l’écouter. Malgré mes efforts pour m’en détacher, mes yeux revenaient systématiquement vers le fond du jardin. Cela faisait un mois que Clank et moi nous étions établis à la Station Spatiale Apogée. On s’y sentait bien. Talwyn avait été très compréhensive. Quand on était rentrés bredouilles de nos recherches sur Fastoon, elle nous avait proposé de nous héberger. Et on avait accepté ;
Depuis ce jour, c’était devenu notre maison. Notre véritable chez-nous. Mais pas seulement pour Clank et moi… J’avais installé une autre personne. Immatérielle. Représentée par une imposante dalle blanche plantée droite dans le sol.
La sépulture de mon père trônait entre des fleurs multicolores.
De cette façon, il serait pour toujours à mes côtés.
Clank sentit arriver une vague de tristesse en moi.
-On ne sait pas ramener les défunts à la vie, Ratchet…
Tu parles. Je n’avais pourtant pas rêvé cette nuit-là !
***
-Le général… Un traître ! Je n’en reviens pas !
Nous étions dans l’Aphelion. Les minutes précédentes avaient été les meilleures de ma vie. Juste avant de quitter la Grande Horloge seul, mon meilleur ami s’était ravisé et avait sauté sur son siège, à sa place habituelle. La surprise passée, une joie indicible s’était emparée de mon cœur. Mais très vite, mes pensées s’assombrirent quand on se mit à parler d’Allister Azimuth.
-C’était l’un des nôtres… Un Lombax… Un ami ! Mes parents avaient confiance en lui !
-Tout le monde fait des erreurs…
-Pas à ce point. C’est bien plus grave qu’une simple erreur…
-Pour sa défense, Tachyon était plutôt persuasif. Souviens-toi de votre rencontre ; il t’avait proposé de rejoindre les tiens…
-D’accord, mais de là à lui dévoiler toutes nos technologies, malgré la mise en garde de Kaden… Et puis, il a même essayé de me tuer !
-Hem… Techniquement, il t’a tué.
-…Là, je comprends pas bien…
-Ca n’a plus d’importance. Le général avait de bonnes intentions, Ratchet. Il voulait juste réparer sa faute.
-Elle est irréparable.
-Il s’est sacrifié pour sauver l’Univers !
-S’il m’avait écouté depuis le début plutôt que de s’obstiner à essayer de remonter le temps, il ne serait pas mort, rétorquais-je froidement.
Clank soupira. J’avais raison, il le savait. Même s’il voulait me calmer, il se rendait compte que rien ne me ferait changer d’avis.
-Ratchet, il a fait une chose atroce, je l’admets. Mais regarde la réalité en face ; il n’est plus en vie, et en avoir après lui ne changera plus rien.
-Tu insinues que je dois l’oublier ? Impossible. Désolé, Clank, mais je ne peux pas m’empêcher de l’aimer de moins en moins. Quand j’y repense, je commence à le détester.
Un silence inconfortable s’installa. Mon ami ne savait plus quoi dire pour me remonter le moral. Je fulminais. J’annonçai d’une voix blanche :
-Et mon père est mort par sa faute.
Le regard navré de Clank me fit l’effet d’un couteau qu’on remue dans une plaie. Je me rendais seulement compte à quel point ce savoir m’était douloureux.
Ma vue se brouilla. Ma tête me tourna. Je fus pris d’un léger vertige. Inquiet de m’évanouir, me portai une main à mes yeux. Mouillés. Je fus rassuré. Ce n’étaient que des larmes…
Tout à coup, je sus quoi faire. J’étais en chemin vers la ceinture d’astéroïdes Nundac. Je bifurquai. Aller tout raconter à Talwyn, Cronk et Zéphyr ? Pas tout de suite. J’avais besoin de quelques jours de tranquillité loin des autres, loin de tout. Besoin de chercher des réponses pour ne pas m’effondrer.
-Où va-t-on ? finit par demander timidement Clank.
-Sur Fastoon.
Plus un mot ne fut prononcé. L’Aphelion se posa en douceur dans la cité en ruines. Je mis pied à terre et m’aventurai sans but précis entre les débris. Je m’attardai sur des détails de murs, sur des inscriptions au sol. J’eus beau fouiller un peu partout, je n’appris rien. Où s’étaient réfugiés les autres ? Ma mère faisait-elle bien partie des Lombax cachés ? Pourquoi n’étaient-ils toujours pas revenus ? Etait-ce parce qu’ils ignoraient la fin de Tachyon ou étaient-ils coincés dans leur monde ?
Tant de questions sans indices pour les élucider… Tant de mystères… De secrets, de mensonges… Pourquoi mes parents n’avaient-ils rien laissé à mon intention ? Une piste, un message, un mot, n’importe quoi qui puisse m’aider à les retrouver…
Une forte envie de pleurer toute l’eau de mon corps m’envahit. Je la refoulai. Il serait toujours temps de se lamenter plus tard. La nuit approchait et j’étais éreinté. Je revins à l’Aphelion. Clank m’y attendait patiemment. J’ignorai la pitié qui se dégagea de lui.
-Tu veux manger quelque chose ?
-Non.
Je pris une couverture dans la soute.
-Je vais dormir un peu plus loin. Bonne nuit.
-À toi aussi…
Il connectait sa batterie au vaisseau alors que je m’éloignais. Je me trouvai une place entre deux pans de murs et je m’allongeai sur le dos. Le ciel était magnifique. Dégagé, si noir, si grand… Je me sentais insignifiant. Parsemé ici d’étoiles brillantes, là d’impressionnantes planètes. Je reconnus sans peine la belle Mukow, avec ses magnifiques couleurs bleues. Je vis Kortog, où j’avais volé avec Clank pour la première fois grâce aux Zonis.
Le premier vol… Quelle sensation agréable…
Tandis que je voguais de souvenir en souvenir, je sombrais dans un sommeil mouvementé. Ma dernière pensée fut pour Kaden.
Je n’ai jamais su pourquoi, quelques heures plus tard, je me réveillai.
Je sursautai et ouvris les yeux. Avais-je pleuré ? Ma vue se brouillait de nouveau. En plus fort. On aurait dit qu’une écharpe de fumée flottait au-dessus de moi. Je me frottai les yeux. La fumée était toujours là. Mon imagination me jouait-elle des tours ?
Je me redressai et observai la brume. Elle semblait bouger. Qu’est-ce que c’était ?
Elle s’éloigna de moi et quelque chose me poussa à la suivre. Mon intuition ?
Plus nous avancions, plus elle prenait forme. Je posai la main sur une de mes armes, dans ma poche. On ne savait jamais.
Elle s’arrêta. Je fis de même. À présent, ses traits étaient distincts. Je reconnus un… Lombax.
Alors que j’allais parler, le nuage se retourna et le spectacle qui s’offrit à moi me fit perdre mes mots.
C’était… Moi. Un deuxième moi. Mes oreilles… Mon visage… Mon corps, quoique plus grand…
Qu’est-ce que ça voulait dire ? Était-ce un esprit ? Mon esprit ?
-…Que… ?
D’un signe de la main, le « second moi » me coupa. M’incita à le suivre à nouveau. J’obéis. Après tout, si c’était bien mon esprit, je ne risquais rien. Pas vrai ?
Nous marchâmes un long moment, sans qu’aucun mot ne fût prononcé. Le calme de la nuit était agréable et en cet instant, j’avais un sentiment de sécurité. Pourquoi être apeuré ? Sur cette planète, il n’y avait que Clank –qui ‘dormait’ à poings fermés-, moi et… mon fantôme. Si c’était bien de ça qu’il s’agissait…
Pendant la marche, je détaillais de près mon double. Il prenait à chaque pas plus de couleurs. Même queue, mêmes poils, même démarche, même allure… Cependant pas exactement les mêmes traits. Il avait l’air plus… vieux. Il me regarda et me sourit. Le même sourire que moi. Les mêmes yeux aussi…
Ses yeux… Infiniment heureux et… tristes. Mais tellement représentatifs de son caractère… Avais-je vraiment cette lueur sarcastique dans le regard ? Cela me semblait étrange.
Nous arrivâmes dans une cour couverte circulaire. Je posai un coup d’œil sur ce qui nous entourait. Il me fallut quelques secondes pour réaliser que je connaissais l’endroit. C’était ici que le portail pour rejoindre les miens s’était ouvert. Ici qu’avait débuté mon combat contre Tachyon. Et probablement ici que mon père s’était battu une vingtaine d’années plus tôt… Je serrai les poings en y pensant.
La cour d’Azimuth.
Pourquoi ce nom ? Que faisais-je là ? Qu’est-ce qui m’y avait emmené, au juste ?
Je défigurai mon « deuxième moi ». Décidément, quelque chose clochait. J’avais du mal à mettre la main dessus. Pourtant…
« Plus grand » ? « Plus âgé » ?
Si c’était vraiment moi, pourquoi n’étions-nous pas exactement semblables ? Et puis… Cette pointe d’ironie dans ses yeux… Ca ne me correspondait pas. Les miens reflétaient la haine. Pas le sarcasme.
Non, ce n’étaient pas mes yeux.
Ni mon corps.
Ce n’était pas moi.
Le vert de son regard brillait. Je m’y perdis. Un océan de tendresse, d’amour, de regrets.
-Qui… Qui êtes-vous ?
Je connaissais la réponse. Ce Lombax… Je l’avais déjà vu sur une vieille photo. On m’en avait déjà parlé.
Azimuth m’en avait déjà parlé.
Des larmes roulèrent sur ses joues.
-Bonsoir, Ratchet…, fit-il doucement.
Cette voix… Elle réveilla une vague de souvenirs lointains.
Je la connais.
Mes yeux s’écarquillèrent. Mon cœur loupa un battement. Un gémissement rauque monta de ma gorge. Je soufflai :
-…Papa ?
Kaden hocha la tête. Je ne pus plus retenir la tempête qui tourbillonnait en moi. J’explosai en sanglots, tombai à genoux.
Tel un enfant, je me mis à pleurer. C’est ce que j’étais redevenu en ce moment. Un enfant.
Un petit enfant qui est totalement perdu. Un petit enfant qui a grandi sans ses parents. Un petit enfant dont la vie n’était que doutes et questions.
Un petit enfant qui voit son père pour la première fois de sa vie. Après avoir fait son deuil.
Il s’approcha de moi. Posa sa main sur mon épaule. Irréelle, pourtant si puissante, si réconfortante. Puis il me prit dans ses bras. Immatériels. Mais si forts. Si rassurants.
Longtemps je suis resté blotti contre lui. Il entonna un air de comptine. Je me mis à fredonner avec lui. Combien de fois avait-il chanté avec ma mère pour que je m’endorme ?
La tempête de mon âme finit par se dissiper. Mon esprit s’éclaircit. Je voulus parler, aucun son ne dépassa mes lèvres. Les mots me manquaient et, en même temps, venaient trop nombreux. J’avais tant à lui demander. Tant à lui dire. Tant à découvrir.
Par où commencer ?
Il fallait que je sache une première chose. La plus importante.
-Tu… Tu es réellement mort ?
Il me fixa, l’air désolé. Une flamme alluma ses yeux humides.
-Tachyon a eu raison de moi.
Mon cœur se déchira. Ses oreilles pointèrent vers le bas, signe de sa peine.
Compréhensif.
Je m’étais fait à l’idée de ne jamais le rencontrer. De ne pas espérer le voir. L’entendre. Lui parler.
Maintenant, je réalisais que cette première fois serait la dernière.
-Et… Et maman ?
Prononcer ce mot me faisait mal. J’avais peur de connaître la vérité.
-J’espère que non… Elle est partie avec les autres, me dit-il, l’air ailleurs.
J’aurais tellement aimé qu’il sache où elle était. Pouvoir, elle aussi, la serrer contre moi.
-Et… Les autres, où sont-ils ?
L’émotion me nouait la gorge. Tous mes espoirs reposaient sur sa réponse. J’étais incapable de placer un mot de plus.
-Je ne sais plus. Ils s’étaient réfugiés sur Sargasso, mais Perceval les a retrouvés. Ils ont changé de galaxie pour ne plus mettre de vies en danger.
Un silence lourd plana. Je continuais de pleurer. Lui me regardait avec émerveillement.
-Il doit exister un moyen de te sauver, papa !
-Il n’y en a aucun, fils… J’ai échoué. Je n’ai pas été assez fort.
-Tu es le plus fort. Tu vas t’en sortir ! Tu es là, devant moi ! Il y a un moyen ! Je le trouverai, c’est une promesse !
J’avais crié.
J’étais sûr d’avoir raison. Je voulais y croire. Je n’acceptais plus sa mort. C’était impossible ! Les premiers rayons du soleil atteignirent la cour. Mon père se désagrégeait.
-J’ai utilisé mes dernières ressources cette nuit, m’expliqua-t-il. Je voulais te parler au moins une fois. Te dire à quel point je suis fier de toi, mon fils…
-Mais que…
-Adieu, Ratchet. Remets le bonjour à ta mère… Je vous aime plus que tout…
Il s’évaporait. Un torrent de larmes inonda mon visage.
-Papa, non ! Reste !
Une légère brise emporta l’écharpe de brume.
-Papa…
Je restais un moment immobile.
Il était parti.
PARTI !
Je me mis à marcher. Lentement. Vers tout ce qu’il me restait. Vers Clank.
Je ne lui dirai rien. Pas maintenant. Je lui en parlerai quand je me serai remis.
Kaden… Son meilleur ami l’avait trahi. Sa femme était partie. Son petit garçon ne le verrait peut-être plus jamais. Il s’était battu, et avait perdu. Moi, son fils, j’avais gagné…
Plus tard.
Trop tard.
J’arrivais à l’Aphelion. Je me laissai tomber, abattu, à côté de mon ami. Il me regarda mais ne dit rien. Je lui en fus reconnaissant.
Je fermai les yeux pour me glisser dans un rêve aussi beau que triste.
Je n’avais même pas eu le temps de lui demander mon véritable nom.
***
J’avais passé une deuxième nuit sur Fastoon. Ca n’avait servi qu’à me morfondre davantage. Il n’était pas revenu.
Un mois s’était écoulé depuis la rencontre. J’allais mieux.
J’ai pris des cours de Lombax. Après de nombreuses recherches, j’avais fini par trouver la date.
Sa date. Selon les traditions de ma planète natale.
Avec l’aide de Clank, Talwyn, Cronk et Zéphyr, la sépulture blanche fut élevée à temps. C’est dans ma langue maternelle que j’ai gravé ces phrases sur la dalle : « À toi, mon père qui m’est si longtemps resté inconnu, à toi que j’ai retrouvé puis qui m’a brutalement été enlevé à nouveau. À toi que j’admire plus que tout, et qui gardera à jamais une place dans mon cœur. »
Je laissai Clank derrière moi en m’avançant à pas mesurés vers la fausse tombe. Je m’agenouillai. Je me forçai à respirer profondément. Je fermai les yeux. J’inspirai et j’expirai ainsi calmement durant de longues minutes.
Jusqu’à m’être senti nettoyé.
Jusqu’à m’être vidé de l’amertume qui pesait sur mon cœur.
Jusqu’à avoir effacé ma rage.
Jusqu’à avoir oublié ma peine.
Jusqu’à n’avoir plus qu’un sentiment de gratitude.
Alors seulement j’ouvris les paupières. Doucement je me relevai.
Inclinai la tête.
Souris.
Annonçai :
-Bonne fête, papa.