Author: Mielou33
Le soleil s’élevait haut en cette après-midi chaude et délicate. Au milieu d’une clairière entourée d’arbres épais, un jeune garçon sommeillait. Le vent glissait agréablement sur ses cheveux blancs neige et ses paupières fermées. Allongé dans l’herbe humide, il s’était encore endormi dehors mais cela ne le dérangeait pas car il se sentait bien ici, en sécurité.
Il entendit des pas précipités se diriger vers lui. Sa meilleure amie, sans doute.
« Naël ! »
Lentement, il ouvrit les yeux. Le ciel bleu étendait sa paisible paresse au-dessus de lui. Un sourire se dessina sur ses lèvres : encore une belle journée.
« Naël, lève-toi ! Maintenant ! La Cité est attaquée ! »
Sa douce somnolence éclata en mille morceaux. Il se redressa vivement, le regard écarquillé, tandis que la jeune fille se hâtait de le rejoindre, le visage torturé. Elle n’avait que faire de sa peau mate recouverte de suie noire, de ses cheveux bruns d’ordinaire si lisses sales et emmêlés, de sa mèche rouge qui prenait des allures ensanglantées. Elle était couverte de bleus et… Etait-ce vraiment du sang ?
« Alizée ? Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
- On s’en fout, de ça. Lève-toi ! On est attaqués, je te dis ! »
Elle plongea toute la force de son regard noir dans celui de Naël, qui commençait à comprendre qu’elle ne plaisantait pas. Il se redressa vivement. Debout, il impressionnait par sa grande taille et sa minceur. Alizée, pourtant fine et équilibrée, semblait petite à son côté, mais elle ne se laissait pas marcher sur les pieds. La voir dans cet état réveillait chez Naël une colère sourde et inquiète. Pendant un court instant, ils s’observèrent sans un mot. Alizée paraissait bouleversée et puisait de la force dans le regard vairon, si étonnant, de Naël. Un œil d’ambre et l’autre bleu indigo, exprimant un caractère brûlant et une histoire de souffrances. Elle se reprit enfin et sa force naturelle repris le dessus.
« Ce sont les Loups, ils sont venus nous prendre d’assaut. C’est le feu dans la plaine, ils risquent d’entrer, le programme de sécurité a été activé. Il faut y retourner. Vite !
- Quoi ?! Mais ils sont fous ! Il y a encore beaucoup de gens, dehors ! Que vont-ils devenir ?
- Les équipes de guetteurs sont mobilisés ! Inquiète-toi plutôt de ce qu’on va devenir, nous, si on ne rentre pas ! Maintenant j’ai dit !
- Et Galan ? »
Une ombre d’inquiétude, sombre, passa dans le regard de la jeune fille et Naël regretta aussitôt sa question.
« Je ne sais pas…
- Tu as raison, allons-y, on le retrouvera là-bas j’en suis sûr. »
Ensemble, ils quittèrent en courant la clairière pour se frayer un chemin dans le couvert des arbres. Par chance ils n’étaient pas très loin de l’orée, et après une course rapide parmi les ronces et les branchages, ils furent à découvert. Naël retint un hoquet de stupeur : dans la plaine immense, autrefois vide et silencieuse, hurlaient et vociféraient deux armées mélangées d’hommes, de loups féroces et d’oiseaux en armure, au milieu d’un incendie gigantesque. Les flammes hautes, le chaos régnaient dans la bataille mais on devinait clairement que les troupes de la Cité se trouvaient en difficultés. Le cœur de Naël se serra, il aurait voulu être loin d’ici. Tous ces gens pris dans la guerre politique de cette fichue Cité… Il ne se sentait pas l’âme d’un de ses défenseurs, bien au contraire, il déplorait les vies perdues en son nom.
Alizée lui attrapa le bras et le secoua, l’air nullement intimidée par le combat qui faisait rage en contrebas. Pourtant Naël savait à quel point elle devait se sentir impuissante, à quel point ce tic de se mordre la lèvre signifiait qu’elle aurait voulu se battre elle aussi. Elle aurait pu, cependant sa mission se contenait à ramener les civils dans la Cité. Fuir, toujours fuir. Elle détestait l’Impératrice pour ce choix. Elle lui fit les gros yeux et alors enfin il réalisa s’être immobilisé. Il se secoua mentalement pour cette faiblesse et ils se remirent à courir. Ils devaient trouver un moyen de contourner les guerriers ennemis.
Alors qu’ils s’éloignaient de l’orée de la forêt, le feu commença à les atteindre et la fumée épaisse vint ralentir leurs mouvements. Bientôt, ils furent obligés de faire de multiples détours, par crainte d’être aveuglés et de ne plus pouvoir respirer s’ils persistaient à vouloir avancer. Ils espéraient que leurs troupes ne se trouvaient pas sous le vent, qu’ils contiendraient les Loups assez longtemps pour retourner les flammes contre eux. Mais ils ne se faisaient pas d’illusions : leurs ennemis vivaient en territoire volcanique. Que pouvait un minable incendie contre eux ?
« Alizée ! hurla-t-il pour couvrir le bruit. Ça ne sert à rien, il faut faire demi-tour ! Il doit y avoir un autre moyen !
- Non ! Si tu retournes sur tes pas, tu es mort ! Suis-moi ! »
Ils continuèrent, la gorge irritée par les cendres et la peau chauffée par les braises qui se déposaient parfois. Des formes sombres se détachèrent alors et bientôt, ils se retrouvèrent pris au milieu d’une foule en fuite. Ils cherchaient tous à atteindre la Cité, encadrés par les guetteurs. Naël observait ces femmes tenant leurs enfants par la main, couverts de suie et épuisés, ces hommes blessés qui tentaient pourtant de rassurer les familles, ce peuple en déroute, et la colère lui serrait les poings.
« Naël, te voilà ! J’étais si inquiète ! »
Il se retourna et vit une jeune fille s’approcher. Il ne la reconnut tout d’abord pas, puis ses yeux bleus clairs lui permirent de l’identifier.
« Eléanor ? C’est bien toi ? »
Sous la poussière noire, la peau pâle de l’adolescente et ses vêtements de dentelles étaient maculés de rouge sombre. Ses longs cheveux châtains si magnifiques coiffés avec tant de soin ne ressemblaient plus à rien, et elle se tenait le bras ensanglanté en grimaçant, tentant de sourire tant bien que mal. Pendant un instant, même Alizée cessa de la détester et l’observa, bouche bée.
« Oui, qui veux-tu que ce soit d’autre ? Tu as un problème de vue ou quoi ? »
Alizée soupira, exaspérée. Naël sourit.
« Tu restes la même malgré la saleté, princesse. Alors tu étais inquiète pour moi ? »
Alizée grogna de frustration. Si son ami retrouvait son affreux caractère de séducteur maintenant, elle allait passer un horrible moment entre une peste et un vantard. Ils n’avaient pas le temps pour ça. Ni d’énergie à gaspiller.
« Vous êtes au courant qu’on est en guerre ? Ce n’est pas une chose dont il faut s’amuser.
- Oh toi la coincée, tu devrais te détendre de temps en temps, cracha Eléanor.
- Calmez-vous, les filles. Ce n’est pas la peine de vous battre pour m… »
Alizée le fusilla du regard et il n’ajouta rien de plus, penaud. Elle était la seule qu’il respectait réellement. Son caractère tenait plus du masculin que du féminin, à vrai dire… Eléanor eut un volontaire soupir hautain puis se plaça près de Naël et marcha sans un mot de plus. Ils avançaient avec le groupe, perdus dans leurs pensées moroses, inquiètes ou révoltées, lorsque Naël réalisa qu’Eléanor semblait vraiment souffrir.
« Qu’est-ce qui t’es arrivé ? »
Elle leva les yeux vers lui, gênée.
« Oh, trois fois rien, je… »
Un grand cri retentit devant eux. Un des guetteurs leur signalait l’arrivée aux portes de la Cité. Beaucoup d’entre eux toussaient, grimaçaient de douleur mais souriait à cette nouvelle. Ils passèrent l’immense pont-levis lorsque le sol s’ébranla sous leurs pieds. Les guetteurs leurs hurlèrent des instructions.
« Les Loups tentent le passage ! Le programme de sécurité s’active, réfugiez-vous dans les maisons ! Vite ! »
Naël fut bousculé de toutes parts, il perdit les filles dans la foule en furie. Il n’eut pas le temps de réagir qu’un bras ferme l’agrippait puis le traînait derrière une grande porte de bois. Naël se débattit fermement, se dégagea puis se retourna, prêt à se battre.
« Galan ! »
Son meilleur ami lui adressa un signe de main joyeux, puis referma la porte derrière lui. Ils se trouvaient en sécurité dans sa maison.
« Ecoute Naël, il faut que je te parle… »
Au dehors, alors que les guerriers Loups s’engageaient sur le pont levis en hurlant leurs chants de guerre, ils se heurtèrent soudain à une colossale force invisible. La seconde suivante, ils poussaient tous des cris de terreurs en tombant dans le vide.
La Cité entière avait disparue.