Raven - Chapter 10

Author: gag_jak

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Chapitre 10
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« Etrange et mystérieuse.
Oui, c’étaient bien les seuls adjectifs qui s’appropriaient à elle. J’aurais pu y ajouter jolie ou sympathique, mais elle était beaucoup plus mystérieuse. Lange, partout où elle allait, dégageait une aura de mystère. Ça ne faisait même pas dix minutes que je la connaissais, et déjà elle m’intriguait.
Et il y avait de quoi.

Quel genre de fille voyageait seule en vaisseau ?
Quel genre de fille avait envie de rester avec un type qu’elle avait vu massacrer un peu moins d’une dizaine de personnes, sans même hésiter, cinq minutes plus tôt ?
Même si je l’avais aidée, une fille normale m’aurait remercié et serait partie, de peur de subir le même sort que les autres… Mais pas elle. J’avais beau chercher à déceler la moindre once de peur en elle, il n’y en avait presque pas.
Soit elle avait un courage immense, soit elle n’était pas là par hasard… et savait qui j’étais… Après une courte réflexion, une pensée me traversa l’esprit. Et si c’était une envoyée par mon père, pour m’espionner ? Non… c’était impossible. Il ne pouvait pas savoir où j’étais. Quoique, il aurait très bien pu me coller un mouchard, ou autres, sans que je ne m’en rende compte. Je vérifierai ça plus tard… car de toute façon, si c’était le cas, c’était déjà trop tard, puisque Lange était là. Je devais donc la surveiller de très près, au cas où…
Ou alors, elle était tout simplement folle à lier, complètement inconsciente, voire suicidaire. Ce qui, d’ailleurs, m’aurait simplifié la vie.

Quoi qu’il en soit, elle était là, avec moi, et était à mes côtés. Enfin, à un peu plus d’un mètre, tout de même. Même si elle n’était pas particulièrement effrayée, elle semblait quand même tendue. Cela me rassura… je ne lui inspirais pas pleinement confiance. Ce qui voulait dire qu’elle me craignait, d’une certaine façon. Et c’était tant mieux… pour moi, en tout cas. Je voulais être craint… car si ce n’était pas le cas, dans ma tête, je perdais indéniablement en puissance.

Je me dirigeai vers le cadavre d’un des Rgolzs, baignant encore et toujours dans son propre sang ainsi que dans celui de ses compatriotes. A celui-ci, il manquait un bras et, de toute évidence, un morceau de visage. Mais avec toute cette hémoglobine, il était presque impossible de déterminer qui avait subi quelle blessure. Je me baissai pour ramasser son arme, une mitraillette à plasma. J’examinai l’arme quelques secondes en l’essuyant avec mes propres vêtements, pour qu’elle soit moins rouge. C’était une bonne arme. Relativement simple, mais c’était largement mieux que rien. Ensuite, je fis le tour des sept autres corps sans vie, histoire de ramasser le plus de munitions possibles. Plus j’avais de chargeurs en réserve, plus j’avais de chance de survivre en cas d’attaque. Sur un des Rgolzs, je dénichai un Blaster et le pris également. Dans la bataille, je n’avais pas remarqué que l’un de mes ennemis était armé différemment… Mais qu’importe, je le récupérai, le chargeai, et continuai ma route. Les deux armes étaient rangées dans ma ceinture car, malheureusement, aucun de ces morts n’avaient eu de holster de son vivant… Je mis les chargeurs dans une de mes poches de ma veste à cape.
Je me mis à gravir la colline par laquelle j’étais arrivé, suivi de prêt par Lange. Nous marchâmes un moment. J’avais pris la direction de l’endroit où j’avais passé la nuit. Tout simplement parce que, dans la précipitation, j’avais oublié mon planeur sur place. Et comme il était fort probable que j’en aie besoin par l’avenir, il valait mieux que je le récupère.
Plus on avançait, moins Lange semblait nerveuse. Elle gagnait en confiance… Mais à son égard, moi, je ne lui en donnais toujours pas… Cependant, elle avait beau m’en accorder, elle ne disait toujours rien. Elle essayait de ne pas laisser transparaître ce qu’elle pensait réellement. Et elle y arrivait. Amie ? Ennemie ? Nerveuse ? Joyeuse ?
Aucune idée.
Elle laissait planer le mystère.
Elle demeurait étrange et mystérieuse.

On arriva enfin à destination. Sans perdre un instant, je ramassai mon planeur et le rangeai dans la même poche que les chargeurs. Tenir le gadget entre mes mains m’avait fait me souvenir des événements de la veille… A cause de ceux-ci, je devais repartir de zéro… avec, pour le moment, un compagnon de route. Compagnon de route qui décida de se manifester.

« Tu… Tu as une maison, ou quelque chose comme ça ? » Sa voix était tremblante, mal assurée. D’un coup, elle avait l’air d’avoir moins confiance en son jugement, et en moi-même… C’était comme si, soudain, elle avait craint que, sous une lubie, je ne décide de l’égorger violemment ou de lui exploser la tête d’une balle en une explosion de sang. Mais elle n’avait aucune raison de s’inquiéter… ce n’était pas du tout mon genre de tuer à tout va….
Si ? Bon, d’accord…. J’avoue.
Je mis un moment avant de lui répondre. La pauvre petite fille s’attendait à ce que je lui vienne en aide, car elle en avait besoin. Elle espérait que je puisse l’héberger, la nourrir, et lui donner à boire aussi… Mais non, ce n’était pas le cas. Tant pis pour elle si elle s’était noyée dans de faux espoirs futiles. Ce n’était tout de même pas de ma faute.
« Non – fis-je – je n’ai rien.
- Mais… Mais tu dois bien vivre quelque part ! » Sa voix devenue vive et emportée montrait qu’elle ne s’attendait pas à une pareille réponse, qu’elle était persuadée qu’avec moi elle vivrait dans le bonheur, dans une maison avec de la nourriture et plein de trucs modernes. Et pourquoi pas des petits oiseaux gazouillant dans mon jardin personnel, tant qu’on y était ? Cruelle illusion… il était temps qu’elle apprenne que la vie était bien plus dure que cela. On voyait bien à l’expression de son visage qu’elle était rongée par la déception.
« Et bien non ! – crachai-je – Non je n’ai rien ! Je ne t’oblige pas à rester avec moi, je n’ai fait qu’accepter une faveur, rien de plus ! Maintenant, si tu n’aimes pas ce genre de vie, tire-toi si tu le désires ! » Sur le moment, j’ai vraiment cru qu’elle allait tourner les talons et s’en aller en courant, pour me fuir… Ca m’aurait probablement arrangé… Mais non.
« Non, c’est bon… Ne t’énerve pas. Je reste »

Je n’en revenais pas, je n’arrivais pas à y croire. Mais pourquoi donc insistait-elle toujours pour rester à mes côtés ? C’était illogique ! J’eus envie de lui ordonner de me le dire en plaquant ma lame contre sa gorge, mais je m’abstins. Je ne la comprenais vraiment pas…. Pourquoi cherchait-elle cela ? Pourquoi désirait-elle tant que ça vivre comme moi, coupé de tout, alors que Métropolis n’était qu’à quelques kilomètres de là… ? Il était temps que j’obtienne quelques réponses, à mon tour.

« Dis-moi, Lange… Que fais-tu ici, seule sur cette planète ?
- Je te l’ai dit, je m’y suis crashé ce matin…
- Je sais… mais moi je voudrais la version détaillée.
- C’est une longue histoire… – dit-elle d’un ton las.
- Je crois pouvoir affirmer sans me tromper que ce n’est pas le temps qui nous manque, pas vrai ? – fis-je.
- En fait, ce qui me dérange c’est que je n’aie pas vraiment envie de… » Sans même lui laisser le temps de finir sa phrase, je plantai mon épée dans le sol juste devant elle, à ses pieds, dans un geste plein de fureur qui se voulait d’une sauvagerie extrême. Elle sursauta au moment où la lame s’enfonça dans le plateau rocailleux. Mon poing droit continuait de serrer sans relâche le pommeau, tandis que mes sourcils se plissèrent pour donner à mon regard un air encore plus énervé, encore plus impatient, encore plus agressif et mauvais.
« Je me contrefous totalement de savoir si tu en as envie ou non ! – vociférai-je – Je veux savoir ce que tu fais ici ! Par conséquent, tu as intérêt à me le dire ! La seule condition que je t’impose pour te laisser rester avec moi, c’est que tu fasses tout ce que je te dis, quand je te le dis, et sans poser de question ! Si tu n’es pas d’accord, soit tu dégages de ma vue le plus vite possible, soit j’enfonce cette épée dans tes entrailles de jeune fille ! C’est clair ?! »

Elle déglutit et me fixa avec des yeux exorbités, au bord de la crise d’angoisse. En tout cas, on pouvait le dire, ma tirade avait le mérite d’être claire. Elle recula d’un mètre et resta bouche bée. Enfin ! Enfin elle avait peur ! Enfin elle me redoutait, craignait pour sa vie, comprenait que j’étais capable de l’assassiner, la massacrer, l’éventrer, la démembrer, l’écarteler impunément et sans remords ! Enfin elle devait se dire que je n’étais rien d’autre qu’un fou, un taré, un cinglé, un ravagé, un détraqué, un malade mental, un psychotique dégénéré doublé d’un psychopathe schizophrène ! Et c’était tant mieux… J’aimais ça. Je n’étais bon qu’à répandre le mal, de toute façon, alors autant le faire correctement en semant la terreur, en propageant l’infamie ou en disséminant la désolation partout où je passais…
Je fixai Lange dans les yeux… Elle avait si peur, et moi j’étais au bord de l’extase en pensant à tout ce que je pouvais lui faire subir, rien qu’en obéissant à mes pulsions sanguinaires. Oh oui, je pouvais lui offrir une mort incroyablement douloureuse… et ce sans aucune difficulté et aucuns scrupules. Je pouvais lui faire tout le mal dont j’étais capable. Je le pouvais…

Mais non, je n’en avais pas spécialement envie. La tuer allait m’apporter un plaisir fou sur le moment, mais ce plaisir – aussi jouissif soit-il – n’allait pas durer. Au contraire, il allait s’estomper relativement vite. Et puis, si je le faisais, je le regretterais par la suite… Car c’était vrai, pour une fois que j’avais l’occasion rare de ne pas être seul, pourquoi la gâcherai-je aussi stupidement ? Un peu de compagnie n’allait pas me faire de mal. Des victimes, j’en aurais plein par la suite, pour satisfaire mes pulsions.

« Bon… – finit-elle par dire – Puisque tu insistes de cette manière, je vais te raconter ce qui m’est arrivé.
- C’est une très bonne initiative de ta part. » Je retirai l’épée du sol mais la gardai toutefois en main, pour qu’elle soit prêt à virevolter, au cas où…
« Je vivais seule avec mon père, depuis le décès de ma mère, sur une planète éloignée…
- Quelle planète ? – coupai-je.
- Ezeerf, une planète à climat polaire située dans Solana. Nous y vivions tranquillement, menant notre train quotidien, sans poser problème à personne…. Et puis soudain, avant-hier, en rentrant de son travail, mon père a eu un accident de vaisseau. » Là, je compris à sa voix que quelque chose changeait. Celle-ci, ainsi que son ton et sa façon de s’exprimer changèrent du tout au tout. Elle ne parlait pas d’un air restreint, craintif, comme avant. C’était comme si elle narrait cela pour se décharger de ses émotions plutôt que pour m’en faire part à moi. Il était même fort possible que, l’espace de ne fut-ce qu’un instant, elle ait oublié ma présence. Elle ne s’exprimait même plus avec calme. Toutefois, son timbre de voix montrait qu’elle était triste, que ce qu’elle racontait était terrible, qu’elle en souffrait affreusement, que ça l’avait profondément marqué, laissant des marques indélébiles. Elle le disait d’une manière vive, emportée parce qu’elle ressentait. Je crois même qu’il y avait une pointe de sanglots. « Il s’est écrasé dans la cour de notre maison, alors que je l’attendais tranquillement en lisant un livre… Tout s’est passé sous mes yeux. Quand le véhicule a heurté le sol, ce fut le plus gros vacarme de taule froissée qu’il m’ait été donné d’entendre. Mais le pire, c’était d’entendre mon père agonisant… Quelque chose l’avait transpercé. J’ai accouru et j’ai tout fait pour le sauver, mais il perdait trop de sang ! Même avec les soins de premiers secours que j’avais appris, je n’ai rien pu faire… Je l’ai vu mourir. »
A cet instant, des larmes coulèrent le long de ses joues tandis qu’elle fut prise de plus gros sanglots encore. Moi, à vrai dire, je ne savais pas quoi répondre à tout cela. Il fallait avouer que c’était une sacrée ironie du sort, pas vrai ? Cette fille avait été traumatisée par quelque chose dont je rêvais en permanence. Elle avait vu son père mourir, alors que mon je n’attendais que le décès du mien – à condition que, bien sûr, ce soit moi qui mette fin à ses jours…
« Je ne l’ai pas supporté – reprit-elle – Mon père possédait un deuxième vaisseau, et j’ai paniqué… Je suis monté à bord et j’ai fui, je voulais quitter l’endroit où j’avais tous mes souvenirs, pour ne pas y repenser. Je me suis d’abord arrêter hier sur une planète non loin dont je ne connais pas le nom, mais je n’ai rien trouvé à manger et ne suis pas parvenu à m’endormir. Lorsque je suis reparti au soir, durant mon trajet je me suis prise cette fameuse météorite qui m’a amené à me crasher sur cette planète. En tout, depuis mon départ, je n’ai du dormir que trois heures, et tout ce que j’ai bu se trouvait dans des flaques d’eaux… Au bout d’un moment, ces… ces trucs me sont tombés dessus et m’ont agressée. C’est là que tu es arrivé et que tu m’as sauvée. C’est pour toutes ces raisons que je tenais à venir avec toi. Je pensais que tu pourrais me venir réellement en aide… pour me nourrir, entre autres. »

Elle avait terminé, et essuyait dès à présent ses larmes. Elle détourna le regard. Peut être que j’aurai du le faire, mais je ne lui ai pas présenté mes condoléances. On pouvait voir à ses cernes qu’elle avait dit vrai, elle n’avait que très peu dormi. Cependant, je n’allais pas la prendre en pitié pour autant….
« Tout ce que je constate – fis-je d’un ton dédaigneux – c’est que tu as été stupide. Tu n’as rien fait d’intelligent… !
- Mais…
- La ferme ! C’était complètement imbécile de partir de ta planète ! Non mais tu te rends compte ? Si tu été restée bien sagement, des centres te seraient venus en aide financièrement, se seraient occupé de toi, t’aurais fourni une aide psychologique pour surmonter cette épreuve…. Et toi, tout ce que tu as trouvé d’utile à faire, c’est de cracher sur toutes ces offres ! Tu as choisis de vivre mal, et c’est uniquement de ta faute ! Tu ne peux que te le reprocher ! »

Ma réplique la fit réfléchir. De toute évidence, à son expression, je pouvais aisément deviner qu’elle n’y avait pas pensé, et que, désormais, elle le regrettait amèrement. D’autres larmes se mirent à couler sur ses joues.
« C’est vrai… – sanglota-t-elle – C’est vrai… J’ai agi sans réfléchir, comme une simple conne ! Je me suis laissé emporter par la panique…. » Elle me tourna le dos et pleura de plus belle, le visage entre les mains « Et maintenant je suis là, perdue, sans logis, sans nourriture… sans rien. J’ai tout perdu ! »

Pitoyable, minable, exécrable… Elle me dégoutait. Elle n’était même pas foutue de réfléchir ne serait-ce qu’une demi-seconde lors d’un moment crucial ! Et maintenant, voilà qu’elle piquait une crise de nerfs et qu’elle ne s’arrêtait pas de verser des larmes lamentables et ô combien inutiles. Elle était pathétique, tout simplement.

« Arrête un peu de chialer – crachai-je – ça m’énerve !
- Je… je suis désolée – dit-elle en reniflant, tout en faisant de son mieux pour contenir ses sanglots.
- Et bien non, désolé de te décevoir, mais ce que tu attends de moi, je ne l’ai pas ! Tu as fondé de grands espoirs sur ma personne, mais c’était stupide, comme tout ce que tu fais ces derniers temps ! Je n’ai rien de tout ce que tu recherches, absolument rien ! Tu ferais mieux d’aller à Métropolis… on pourra probablement te venir en aide là-bas.
- Non… - prononça-t-elle – Je n’ai pas envie de me mêler à la foule… » Ce qu’elle pouvait m’énerver ! Elle était incompréhensible ! Et pour cause : son raisonnement était dépourvu de toute logique, il ne pouvait même pas être qualifié de « raisonnement », puisqu’il n’y avait là aucune raison ! Dans sa situation, pourquoi aurait-elle besoin de moi ?
Sauf si elle mentait, et que son histoire était à dormir debout…. Oui, ce n’était pas à exclure. Je me passai la main dans les cheveux, exaspéré par toutes ces pensées qui me traversaient la tête.

« Tu veux vraiment rester avec moi, hein ?!
- Oui… Enfin, je crois.
- Mais pourquoi ?! Explique-moi ! Je n’ai rien à t’offrir, pourquoi souhaites-tu rester en ma présence ?!! » Dans ma rage, je balançai mon épée dans tous les sens, combattant des ennemis invisibles et inexistants, obligeant Lange à reculer.
« Tu te trompes – contesta-t-elle toujours en reniflant – Tu peux m’offrir la protection que la foule me refusera. » Toute ma fureur et mon emportement disparurent. En effet… elle marquait là un point, un très bon point. Son argument tenait la route. Métropolis était une ville difficile, je le savais pour y avoir vécu. Pour s’y intégrer clandestinement, il fallait avoir de bonnes relations et de l’argent. Or, elle n’avait ni l’un ni l’autre.
Je soupirai. Il était tant de régler cette histoire, une bonne fois pour toute.

Je me dirigeai vers elle, épée brandit, l’air plus meurtrier que jamais. Elle me fixait d’un air effaré et tremblait de tout son corps. Plus j’avançais, plus elle reculait.
« Bien… – dis-je d’un ton on ne peut plus ferme – Je vais te donner une dernière chance. Tu vas répondre à cette question, et qu’elle en soit la réponse, je m’y tiendrai… pour le moment, du moins. Est-ce avec moi, Raven Cognito, que tu désires poursuivre ton chemin ?! » Elle s’était arrêté de reculer. Mon visage, dur, sombre et assassin, se trouvait juste au niveau du sien, doux, triste et paniqué. A ce moment, même si je n’avais jamais voulu me l’avouer, c’était la première fois que je la trouvais vraiment belle. Elle avait de beaux yeux verts et son visage représentait le bien à l’état pur. Elle était tout simplement mon opposé.
« Oui – souffla-t-elle, d’une voix incertaine – je veux rester avec toi…
- Sais-tu au moins qui je suis, et ce que j’ai fait par le passé ?
- Oui… » Ce mot, elle le prononça en bégayant, la respiration saccadée. Elle puait la terreur à plein nez. « Oui, je le sais… A l’holo-télé, on parle de toi comme étant Slim Cognito… Tu as cambriolé une banque et tu as tué, violemment, de nombreuses personnes… » Elle baissa les yeux pour ne plus affronter mon regard. Elle en savait beaucoup plus sur moi que je ne l’aurais cru… et pourtant elle persistait à vouloir m’accompagner… Elle était décidément très bizarre cette fille… Autant passer aux grands moyens.
« Et comment les ai-je tué, ces personnes ? – demandai-je.
- Je n’en sais rien… Violemment, très violemment. On parlait d’un véritable carnage aux informations. »

Rapidement, je lui envoyai un coup dans le thorax, de façon à ce qu’elle tombe en arrière. Elle s’étala sur le dos dans un léger cri. Toujours aussi vivement, je vins me placer au dessus d’elle, pour que mon visage effleure à nouveau le sien… Mais cette fois, la lame de mon épée se trouvait juste sur sa gorge. Un faux mouvement et il en était finit d’elle. Je lui souris de l’air le plus sadique que je pouvais. Mes cheveux tombant encadraient son visage. Je fis glisser le métal glacial le long de sa trachée, caressant sa peau, sans la blesser.
« Et qu’est-ce qui te fait croire – lançai-je – que tu ne subiras pas le même sort ? » Elle ne répondit pas. Il n’y avait rien à répondre. Il fallait que je voie jusqu’où allait son courage. Elle se contenta de me regarder dans les yeux, en se demandant probablement si j’allais la tuer ou pas. Sa respiration se fit faible, quasi-insonore. Aucun de nous ne parlait. Le silence, il n’y avait pour nous accompagner rien d’autre que le silence.
« Je peux te tuer à chaque instant – murmurai-je à son oreille – alors je te le redemande… Es-tu sûre de vouloir rester ? » Sa réponse mit un certain temps à venir.
« Oui, j’en suis sûre. »

Je fermai les yeux durant quelques secondes. En tout cas, elle était consciente de ce qu’elle faisait… Donc soit, qu’il en soit ainsi. Je me relevai, dépoussiérai mes habits et marchai, laissant Lange derrière moi, sur le sol salissant. Sans la regarder, je lui lançai :
« Viens… je vais tâcher de te trouver quelque chose à manger. » Aussitôt, elle se leva à son tour et se précipita à mes côtés. Contente, elle s’empresse de me dire :
« Merci… merci beaucoup de ne pas me rejeter.
- Oui, c’est bon…. Mais fermes-la, avant que je regrette de ne pas t’avoir égorgé. »

Je me dirigeai vers le lieu où j’avais combattu les Rgolzs. Ces créatures, aussi méprisables soient-elles, devaient tout de même avoir des vaisseaux à proximité. Et s’il y en avait, les chances pour que l’on y trouve de la nourriture étaient élevées. Il fallait que je trouve où est-ce qu’ils étaient cachés… Et pour ce faire, il n’y avait pas plus simple : suivre les traces de Brend. Ce pauvre petit Rgolz, pour survivre, n’avait pas beaucoup de choix… il fallait qu’il aille rapidement dans un endroit spécialisé pour les blessures, sinon il pourrait très bien se vider de son sang. Il fallait qu’il prenne un vaisseau et que, à bout de force, il le pilote jusqu’à un de ces endroits… Et ce qu’il faisait très bien, ce cher Brend, c’était se vider de son sang. On pouvait le suivre à la trace sans aucune difficulté avec les traces d’hémoglobine qu’il avait laissées derrière-lui. Ces flaques rougeâtres allaient me mener à destination. Elles se dirigeaient au loin, vers là où diverses collines commençaient à se dessiner sur le plateau rocheux. Les véhicules que je recherchais devaient se trouver derrière celles-ci, qui étaient elles-mêmes à deux ou trois kilomètres de là.

Il fallait donc que l’on s’y rende. J’allais y aller en courant quand soudain, une pensée me traversa l’esprit : Lange n’avait pas ma vitesse. Merde… Il fallait donc que je marche à son rythme, sinon j’allais la semer. Mais en fait, il était pour moi hors de question de marcher à son allure, je ne ferais que perdre inutilement mon temps… Surtout que marcher lentement sous ce soleil de plomb était le meilleur moyen de s’épuiser. Le faire aurait carrément été plus que stupide. Par conséquent, sans rien lui dire, je vins rapidement derrière-elle et la soulevai, de façon à ce que je la tienne comme allongée sur mes bras. Elle eut à peine le temps de pousser un « Hé ! » de protestation avant que je ne parte à toute vitesse en direction des collines. Ce n’était pas la première fois que je portai quelqu’un tout en courant, je l’avais déjà fait avec le marchand de journaux qui m’avait reconnu à Métropolis. Mais cette fois-ci, c’était quelque peu différent, la distance était nettement plus grande. Ca ne posait absolument aucun problème, bien évidemment, mais je ne pouvais pas aller au maximum de ma vitesse ainsi. Malgré cet « handicap », en une trentaine de seconde je finis de traverser ces quelques kilomètres. Ce qui était bien, lors de cette course, c’était qu’il n’y avait aucun obstacle à esquiver.

Lorsque, arrivé devant la première colline qui venait sur mon chemin, je déposai Lange sur le sol, celle-ci s’affala et regarda tout autour d’elle, paniquée.
« Co… comment t’as fait ça ? – demanda-t-elle, estomaquée.
- Je n’ai pas de secret. C’est naturel. Je cours vite, tout simplement. » Dans son regard, je comprenais bien qu’elle ne pouvait matériellement pas y croire. Tant pis pour elle, je n’allais pas me lancer dans de longues explications scientifiques poussées pour lui prouver la véridicité de ce que je lui énonçais.
« Suis-moi – fis-je tout en m’avançant sur une des collines. »

Elle se releva et me suivit, en restant toutefois en retrait. Je voulais éviter de croiser son regard. Bizarrement, je ne souhaitais pas découvrir dans ses yeux ce qu’elle pensait de moi, j’avais peur d’y lire une quelconque admiration. Elle pouvait s’attacher à moi si elle le désirait, mais moi je ne le devais pas. Je devais seulement la considérer comme une personne qui m’accompagnait, une personne que je devrai égorger si elle me posait problème, une personne pour qui je ne devais éprouver rien d’autre que de la méfiance, une personne qui avait une dette envers moi, et qui y répondait en faisant tout ce que je lui demandais ; oui, c’était uniquement comme cela que je devais la considérer. S’attacher à elle était trop dangereux. Car si je le faisais et qu’elle me poignardait dans le dos plus tard, ça ferait une épreuve dure à supporter…

La colline était assez pentue, et son sol était le même que celui sur lequel je marchais depuis mon arrivé ici : de la roche, de la roche de couleur terre cuite. J’arrivai en haut en quelques secondes, même sans utiliser ma vitesse de pointe. Lange mit plus de temps… nettement plus de temps… presque deux minutes nous séparaient. Sa lenteur était énervante… Mais j’avais mieux à penser. De là où j’étais, j’avais vue sur tout l’horizon, c’était probablement le sommet le plus élevé du coin. Je pouvais voir au loin s’étendre, s’étendre et s’étendre encore ce long plateau désertique qui n’en finissait pas, et sur lequel s’élevaient çà et là plusieurs collines identiques à celle sur laquelle j’étais perché ; nulle part, il n’y avait trace de vie ou de civilisation. Saut à un endroit au lointain, là où j’arrivais à distinguer Métropolis.
Pendant l’espace d’un instant, je crus que je m’étais trompé, que les Rgolzs n’avaient pas de vaisseaux, que Brend était allé par là par dernier espoir, et qu’il gisait désormais sur le sol en priant un miracle en attendant sa mort ; que je devais donc trouver une autre idée pour nous nourrir. Mais en fin de compte, j’avais vu juste. A quelques mètres de là, un vaisseau venait de décoller lentement, dégageant autour de lui une masse de poussière incroyable, faisant balloter mes cheveux ainsi que ceux de Lange, tandis que nous deux protégions nos yeux avec nos propres bras. L’engin pivota sur lui-même et partit soudain tel un éclair et disparut dans les cieux.
Au revoir, et bon voyage, Brend.
Ce qui m’étonna, c’était qu’il décollait seulement maintenant, alors que ça faisait un moment que je l’avais laissé filer… Mais en fait, ça s’expliquait facilement : lui n’avait pas mis trente secondes à traverser trois kilomètres en plein soleil…

Sans plus attendre, je me dirigeai lentement vers la zone où Brend avait effectué son décollage – enfin pour toi, ce « lentement » signifie « allure normale »… mais pour moi c’est relativement différent. Lange pouvait donc me suivre facilement. Je marchai à travers les collines et débouchai enfin dans une espèce de grand creux entouré de plusieurs pentes. L’espace était totalement plat, s’allongeait sur environ une cinquantaine de mètres et s’élargissait sur une vingtaine. Ici étaient posés quatre véhicules d’une taille plus ou moins importante, de quoi transporter plus d’un passager. Je pouvais donc conclure qu’ils montaient à deux par bolide, mais qu’un restait seul… puisqu’il y avait neuf Rgolzs et au départ cinq moyens de locomotion. Ceux-ci étaient équipés de mitraillettes lourdes sur chacun de leurs côtés. De beaux modèles, certes, mais des modèles relativement courants… C’étaient des véhicules civils auxquels ils avaient ajouté ces armes à feu. Cependant, ils n’étaient pas pour autant exceptionnel… Personnellement, j’en aurais construit des biens meilleurs si on m’en avait donné l’occasion.

De toute façon, peu importait de quel genre de vaisseau il s’agissait, ce qui comptait était d’en sortir les provisions qu’ils contenaient. En trois coups d’épée dans la portière de l’un d’eux, je réussi à l’arracher. Je posai mon regard à l’intérieur du cockpit : celui-ci était convenablement aménagé, avec des places disposées en deux rangs de deux, et de multiples boutons sur le tableau de bord. Malheureusement, il n’y avait là aucune trace de nourriture, ni de quoi que ce soit d’autre. Après avoir examiné la soute, je pus constater qu’il n’y avait rien non plus. Et merde ! Cela ne pouvait signifier que soit les Rgolzs étaient sensés faire un voyage bref, sans vivres, ou qu’ils avaient une base ou un repère non loin d’ici ; soit qu’ils transportaient leurs provisions dans un seul et unique vaisseau. Ou alors, ils avaient décidé de se laisser crever de faim… mais j’en doutais quelque peu.

Après avoir examiné rapidement d’un regard circulaire les autres véhicules, je pus constater un détail qui ne m’avait pas frappé à première vue. Un de ceux-ci, situé plus au centre, était plus long, plus haut, et un peu plus large. Si l’un était plus imposant, ce n’était certainement pas pour la satisfaction personnelle de son propriétaire… Je me rendis jusqu’à lui et, sans plus attendre, martelai la trappe qui donnait sur la soute. Dès que le verrou de celle-ci fut brisé, elle s’ouvrit précipitamment à la volée, libérant littéralement une marrée d’éléments en tout genre. Cela allait des pièces de rechange pour les véhicules aux bidons de carburant, en passant par les victuailles. A mes pieds se trouvaient, emballés dans des sachets à consistance plasmique, diverses sortes de viande… Je ne préférai même pas savoir de quelle viande il s’agissait… Avec ces Rgolzs, la possibilité qu’ils pussent se livrer au cannibalisme ne m’aurait même pas étonné. Il y avait aussi quelques bouteilles de Raychy, un alcool fort fait sur la planète volcanique Duitrof – au niveau de la lave survole, grâce à un mécanisme de lévitation, un espèce de champ de plantes ne poussant qu’à des températures extrêmement élevées ; les fruits de ces plantes servent à faire cet alcool.
Mais la cerise sur le gâteau, c’était qu’au milieu de cette nourriture, il y avait encore quelques munitions pour les armes que j’avais prises, j’en pris donc plusieurs et les fourrai dans mes poches. En plus de cela, il y avait quelques liasses de billets… C’était une très bonne chose, j’allais pouvoir m’en servir en cas de besoin… et je sentais que ça n’allait pas tarder. Il y avait là trois mille boulons, ce n’était pas si mal. Je les mis avec les chargeurs.
Peu après, j’attrapai un sachet de viande et une bouteille de Raychy et les tendis à Lange.

« Tiens – lui lançai-je simplement – Mange et bois à ta guise, il y en a encore si tu le désires… » Je compris à son regard abasourdi qu’elle ne s’attendait pas à ce genre de nourriture.
« Mais… – fit-elle en attrapant ce que je lui donnais – je ne bois pas d’alcool.
- Moi non plus, mais tu as intérêt à t’en contenter car c’est tout ce qu’il y a…
- Et la viande, elle est crue…
- Alors tu n’as qu’à la faire cuire, que veux-tu que je te dise de plus ?
- Mais avec quoi ?! Il n’y pas de bois, ni rien d’autre qui puisse m’aider à faire un feu ! Je ne vois pas non plus de gadget permettant de faire cuire la nourriture !
- Et bien tu n’as qu’à la manger crue, et arrête un peu de jouer avec mes nerfs ! J’ai cherché ça pour toi, moi je n’ai pas faim, je l’ai fait pour te rendre service, tu pourrais exprimer un minimum de gratitude ! » Elle se mordit la lèvre, gênée.
« Oui… tu as raison – avoua-t-elle – Pardon, et merci. »

Je ne lui répondis pas et allai m’allonger sur une pente d’une des collines. Elle vint s’installer non loin de moi et entreprit de commencer à se rassasier. En réalité, ce que je lui avais dit n’était pas vrai : je crevais de faim. Mais jamais, au grand jamais, je n’avalerai de la nourriture Rgolz. Autant prendre du cyanure, ma mort serait moins douloureuse.
Je n’avais donc rien à faire, si ce n’est d’ignorer mon estomac qui criait famine. Mais ce rien ne me gênait pas, j’avais trop mal pour pouvoir faire quoi que ce soit. Mes plaies parcourant mon corps étaient toujours ouvertes, et non soignées. Malheureusement, je ne pouvais rien faire pour les désinfecter…

Lange finit de manger rapidement. On sentait qu’elle s’était forcée à ingurgiter cette viande pour reprendre des forces, mais son dégout se lisait sur son visage. Néanmoins, elle préféra ne pas toucher à l’alcool.
Après son repas, elle s’approcha de moi pour me demander :
« Raven, est-ce que je peux dormir un peu, pour me reposer ? Je suis cruellement fatiguée… » A l’entendre, on croirait presque que j’étais un tortionnaire, que je la menais au fouet et qu’elle était mon esclave. C’était loin d’être le cas, mais je comprenais qu’elle me le demande. A sa place, j’aurai aussi préféré prendre cette précaution.
« Oui, vas-y, repose-toi… Tu en as besoin.
- Merci – dit elle avec une profonde sincérité.
- Ne me remercie pas… c’est juste que si tu es fatiguée, tu vas irrémédiablement me ralentir… Et c’est loin d’être ce que je souhaite. »

Elle me fixa pendant quelques secondes, le regard sans expression ; puis elle alla s’allonger en contrebas. A mon avis, elle s’endormit en moins de deux minutes chrono. Tout ce qu’elle avait enduré ces derniers jours, ajouté au manque de sommeil, l’avait complètement épuisée, exténuée. Bizarrement, je n’arrivais pas à ne pas éprouver de la compassion à son égard. Elle était relativement jeune, naïve, impuissante et innocente… Tout le petit monde dans lequel elle vivait, tout fait de joie et éloigné des crapules et des tueurs dans mon genre, venait de s’écrouler… et elle se retrouvait à présent perdue, égarée dans le monde réel. Un monde hostile, mauvais, où régnaient les escrocs et autres êtres malfaisants.
J’avais aussi vécu quelque chose de semblable, mais peut être pas à ce point-là… car je savais déjà que les arnaqueurs et autres gagnaient souvent, puisque mon père en était un. Lange avait été victime d’un malheureux coup du sort, rien de plus.

Du moins… si ce qu’elle m’avait dit était vrai. Je n’arrivais pas à chasser cette foutue idée qu’elle puisse être envoyée par Slim, pour m’espionner… Il aurait bien été capable de mener un coup pareil. Les plans machiavéliques, complots réfléchis et autres pièges, c’était son rayon. Il n’était rien d’autre qu’un manipulateur.
Mais quelque part, ça me paraissait improbable que quelqu’un joue la comédie aussi bien que Lange… Là, même dans ses yeux, on ressentait l’authenticité de ces faits… Cependant, avec Slim, tout devenait possible… il avait très bien pu créer des lentilles faussant les émotions données par un regard, qui sait ?
Je ne pouvais pas cesser de me méfier. Continuellement, où que je sois, il fallait que je sois vigilant, complètement sur mes gardes, et que je ne fasse confiance à personne. Telle était la dure loi de la jungle… ou plutôt de ma jungle.
Et ça commençait à m’énerver… j’en avais plus qu’assez. J’avais besoin de faire confiance à quelqu’un, de lui confier des choses… J’avais besoin d’un ami proche, de quelqu’un sur qui compter. Et c’était probablement pour cela que j’avais laissé Lange rester avec moi, alors que j’aurai pu la forcer à partir, dans l’espoir qu’elle devienne un jour ce quelqu’un…
Mais Slim avait peut être anticipé le coup, sachant que j’allais besoin de quelqu’un pour me tenir compagnie… Il avait donc très bien pu me l’envoyer pour me piéger, pour me manipuler en secret.

C’était rageant ! Tout revenait au même point ! Je ne pouvais absolument pas avoir confiance en Lange, ni en n’importe quel autre être vivant ! A mon grand dam. Je n’étais pas en sécurité, je ne l’avais d’ailleurs jamais été. J’avais l’impression d’être épié sans arrêt, de n’être qu’un pion dans le plan de je ne savais quel tordu… Un tordu nommé Slim, en l’occurrence.

Il fallait que je me change les idées, que je songe à autre chose, que je me concentre sur une autre pensée. Une pensée sur laquelle je pourrais me baser sur des faits, et non des suppositions farfelues et paranoïaques. Je devais me projeter dans l’avenir… Qu’allais-je faire ces prochains jours, ces prochains mois, ces prochaines années ?
Tuer mon père, certes, mais à part ça ? Je ne pouvais pas que mener cette chasse à l’homme…. Je devais faire autre chose, car de toute façon, j’étais trop faible pour le tuer actuellement. Que pouvais-je faire alors ? Trouver un travail ? L’idée me paraissait détestable depuis la trahison de Steph et de ses hommes…
Non, honnêtement, je n’en avais aucune idée. J’allais continuer à vagabonder, probablement. Lorsque j’essayais de m’imaginer ma vie après avoir enfin tué Slim, je n’arrivais à rien. Je ne pouvais imaginer ma vie une fois ma vengeance accomplie… si toutefois je l’accomplissais un jour. J’étais rongé par le doute, au sujet de mes capacités, à présent… Mais chaque problème en son temps, dans l’immédiat, ce n’était pas ma priorité.

La journée passa lentement, et je restais ici, couché, à cuire au soleil. La seule fois où je me dégourdis les jambes, ce fut quand je m’étais levé pour aller me soulager. A part cela, j’étais resté immobile. J’ai tenté, en vain, de faire disparaitre de ma cape les traces de sang qui y étaient maculées. Je ne réussis qu’à les rendre moins visibles, mais c’était déjà ça. Ca ferait l’affaire, et ça ne se verrait pas forcément au milieu de la foule.
J’eus aussi largement le temps d’admirer les astres illuminant la planète. Les soleils de Kerwan répondaient au nombre de cinq. Le système solaire auquel elle appartenait était assez particulier : les soleils étaient parfaitement alignés, côté à côte, quasiment collés l’un à l’autre. La planète tournait en orbite autour de ces cinq ; l’ensoleillement y était donc particulièrement important, et les années planétaires relativement longues par rapport à la plupart des autres de la galaxie. Mais bien entendu, les années étaient comptées comme toutes les autres de l’univers ; c'est-à-dire basé sur l’ancien calendrier terrien, considéré comme le plus ancien et le plus perfectionné jamais créé.

Plus le temps passait, plus mon regard se portait sur Lange. Je ne pouvais pas arrêter de m’interroger à son sujet, même si cela m’énervait plus qu’autre chose.
Malgré cela, je finis par remarquer que je n’arrivais pas à déterminer à quelle race elle appartenait… Peut être était-ce parce qu’elle était un savant mélange de plusieurs, comme c’était très souvent le cas… Sauf qu’elle présentait des particularités d’une race bien particulière, sans que j’arrive à me rappeler laquelle…
Mais je lui poserai tout de même la question, une fois qu’elle sera réveillée… Même si il y avait peut être encore un très long moment avant qu’elle ne daigne ouvrir les yeux… Puisque j’en avais marre d’attendre et de rester là inutilement, je décidais de faire comme elle et de me reposer quelque peu. Ca n’allait pas me faire de mal. Et en plus, ça allait me faire oublier ma faim et la douleur de mes plaies. Je fermai les yeux et, par cette soporifique chaleur, n’eus aucun mal à m’assoupir.

Quelque chose d’humide s’appliquant sur mon bras gauche. Voilà ce qui réussit à m’extirper de mon sommeil. Sur le coup, je fus pris de panique et me décalai vivement sur la droite… mais dès que mon esprit tout juste éveillé eut le temps d’analyser la situation, je réagis rapidement avec tactique et réflexes défensifs. En un rien de temps, je me saisis de ce qui me touchait le bras, le tenant fermement. C’est à ce moment que je compris que c’était le poignet de Lange que j’empoignai… Sans même lui laisser le temps de dire un mot, je lui tordis le bras, l’obligeant à se contorsionner en pliant les genoux, tandis que moi je me levai et, dégainant mon Blaster de la main gauche, le lui appuyai contre la gorge.
« T’as envie de crever, c’est ça ?! – crachai-je.
- Non, je…
- La ferme ! Parce que si c’est ce que tu veux, je peux te rendre ce service, ça ne me pose aucun problème ! » Il faisait nuit, mais les astres illuminaient convenablement le ciel, ce qui faisait qu’on y voyait assez clair. « J’imagine que tu dois avoir une bonne excuse, pas vrai ? » Elle acquiesça d’un hochement de tête. « Dans ce cas je vais te laisser la formuler… si elle ne me convient pas, je ferais exploser ta boite crânienne. Aussi, je te conseille de bien mesurer tes mots et de bien réfléchir à ce que tu vas dire. » Sur ces bonnes paroles, j’appuyai encore plus le canon contre sa gorge tout en lui tordant le bras de plus en plus. Elle mit un peu de temps à me répondre ; haletante, elle puisa dans tout son courage pour s’exprimer. Et lorsqu’elle le fit, ce fut avec colère.
« J’étais en train de soigner tes blessures ! Je ne sais pas d’où tu les tiens mais elles s’infectent ! J’ai pensé que ce serait plutôt bien de t’aider à mon tour, mais si c’est pour me faire exploser le crâne, j’aurai mieux fait de faire comme si je n’avais rien vu !
- Oh… » C’est tout ce que je réussis à dire. Merde… on pouvait dire que je passais pour un con. Je la relâchai aussitôt et rangeai mon flingue. Restant accroupie, elle se massa le bras tandis que moi je me passai la main dans les cheveux, troublé.
« Je suis désolé – admis-je de bonne foi – Excuse-moi… Je suis obligé de rester sur la défensive quoi qu’il arrive. Alors forcément, ça me rend parano.
- Ca ne fait rien – dit-elle d’un ton froid – je peux comprendre…
- Merci à toi d’avoir voulu t’occuper de moi, c’est honorable.
- De rien… mais il vaudrait mieux que je continue, sinon tu vas vraiment faire une infection.
- En effet, ce serait une bonne idée, merci.
- Assied-toi, s’il te plaît. »

Répondant à sa demande, je m’exécutai. Elle s’accroupit à mes côtés, une sorte de compresse humidifiée à la main. Elle la pressa contre une de mes taillades au bras gauche qu’elle parvenait à atteindre car mon habit était déchiré à cet endroit-là. Cependant, elle avait tout de même quelques difficultés, le tissu la gênait.
« Ce serait peut être mieux – proposa Lange – si tu… enfin…
- Oui, je vois. » Aussitôt, je me levai et enlevai mon long manteau à cape que je laissai tomber sur le sol poussiéreux, il émit un bruit métallique quand les chargeurs entrèrent en contact avec la roche. Puis, j’enlevai le t-shirt noir qui me servait de haut et le jetai sur la veste. Une fois torse-nu, j’eus le loisir d’observer mon corps. J’étais bien plus amoché que je ne l’aurai cru. On pouvait dénombrer plusieurs égratignures, écorchures, et autres entailles.
« Il y en a plus que je ne le croyais – soupira Lange.
- Et encore, il y en a quelques unes sur les jambes, mais elles ne sont pas importantes – dis-je en me rasseyant à côté d’elle. » Elle mit du produit sur une nouvelle compresse et l’appliqua sur l’énorme égratignure qui me meurtrissait le dos. Le contact du produit contre la blessure me brûla, à un tel point que je dus serrer les dents pour ne pas gémir. Par contre, le contact de son autre main sur mon épaule me glaça totalement. Elle était douce, ce n’était pas le même contact que celui d’une main masculine. C’était différent… et ça l’était aussi de quand ma mère posai la main sur moi, à l’époque…
« Comment as-tu eu toutes ces blessures ? – s’enquit-elle – C’est presque inconcevable d’en avoir autant !
- Les produits, et tout le matériel que tu utilises, tu les as trouvé où ? – fis-je pour dévier le sujet.
- Ils étaient dans le tas de trucs tombés de la soute des Rgolzs, à l’intérieur d’une trousse de secours. Il y a de quoi faire guérir une plaie facilement, mais ce ne sont pas des soins poussés.
- Je ne l’avais pas vu, cette trousse… Mais c’était déjà une bonne qu’il y en ait eu une » Dès qu’elle finissait de mettre du produit sur une de mes balafres, elle la pansait par la suite. Elle passa désormais à celles sur mon bras droit.
« Tu ne veux pas me répondre, à ce que je vois.
- De quoi ?
- Au sujet de tes coupures que tu as sur tout le corps. Tu ne m’as pas répondu. Tu les as eus comment ?
- Ca ne te regarde absolument pas – grognai-je, la mine renfrognée.
- Allez… tu peux me le dire, je ne vois pas pourquoi ça te dérange. Je ne pourrais le dire à personne, puisque je ne connais que toi ici…
- Je me suis battu, si tu veux le savoir !
- Oh… et ils étaient combien pour que tu te retrouves comme ça ? »

Là, je me sentais encore plus pitoyable, minable, sans valeur. Pour elle, je pouvais tuer facilement en combattant plusieurs ennemis à la fois. Ce qui était d’ailleurs le cas, je l’avais fait pour les Rgolzs, ou pour les policiers à Nastia et encore à la banque de Métropolis. Mais Slim seul, j’en avais été dans l’incapacité. C’était affligeant.

« Il… Il était seul – soupirai-je.
- Seul ?!
- Oui, seul ! Ca te va comme réponse ?!
- Oui, ça me va… mais n’empêche que je suis surprise. Il devait être vraiment fort, ce type » Elle se mit face à moi pour s’occuper des blessures au torse. « Et c’était qui ?
- Qu’est-ce que ça peut bien te foutre ?
- Je sais pas moi… j’essaie de lancer une conversation, c’est tout.
- Et bien évite ce sujet, ok ?! Tu deviens louche avec tes questions…
- D’accord, c’est bon, j’ai compris… » Elle ne dit plus rien, peut être avait-elle enfin intégré dans son esprit que je n’étais pas du genre à parler. Elle continua donc, dans un silence magnifique, à panser mes taillades.


Elle s’occupa également de mes écorchures au visage, ainsi que de l’endroit où je m’étais ouvert le crâne. Quand elle eut finit, elle rassembla tout son matériel et le rangea dans la trousse quelle posa un peu plus loin, puis elle s’assit à côté de moi ; elle se mit à regarder le ciel étoilé pendant de longues minutes. Moi, ça me faisait bizarre d’être couvert de pansement… Je n’en avais pas l’habitude. Je ramassai mes vêtements et les revêtis. Une fois que ce fût fait, Lange prit à nouveau la parole :
« Je peux te poser une question ?
- Vas-y, si ça peut te faire plaisir… – soupirai-je.
- D’où est-ce que tu viens ?
- Comment ça ?
- Bah… quelle est ton histoire, qui es-tu, comment cela se fait-il que tu puisses te rendre invisible et courir à cette vitesse ? Ca relève de l’imaginaire, c’est à la limite de l’impossible !
- Et bien pourtant ça l’est, possible. Si je peux me rendre invisible, c’est grâce à une puce à l’intérieur de mon corps qui me permet de le faire… regarde. » Pour appuyer mes propos, je me rendis invisible l’espace de dix secondes. Quand je revins à la visibilité, elle avait l’air plus qu’impressionnée.
« Mais attends une seconde… pourquoi tes vêtements disparaissent aussi ? Ils ont également une puce, ou… ?
- Non, c’est juste une particularité de la mienne. Donne-moi ta main.
- Pardon ?
- Donne-moi ta main, allez ! » Voyant que je m’impatientais, elle me la donna au plus vite. Une fois que nous fûmes paume contre paume, juste pour lui faire comprendre, j’activai mon invisibilité… Aussitôt, même pas une seconde plus tard, elle se mit à paniquer. Elle tourna la tête rapidement de droite à gauche, de haut en bas, cherchant à comprendre ce qui lui arrivait… en vain. Elle commença à respirer bruyamment, comme elle le faisait à chaque fois qu’elle était apeurée, et se leva précipitamment. Je fis tout mon possible pour ne pas la lâcher.

« Qu’est-ce qui m’arrive ?! – s’affola-t-elle en me regardant dans les yeux.
- Rien, rien… je te l’assure.
- Rien ?! Je vois en noir et blanc !
- C’est normal, moi-aussi. » Pour la calmer, je la fis se rasseoir et prit un ton qui se voulait rassurant. « C’est parce que tu es invisible…
- C’est vrai ? Je le suis ? » Par réflexe, elle leva son autre bras et le regarda. « Mais non ! Je me vois encore ! » Sur le moment, il m’arriva quelque chose d’improbable, d’impossible. Quelque chose que je n’avais pas fait depuis un long moment : je ris… C’était un tout petit rire, qui ne dura pas plus d’une demi-seconde, certes… mais tout de même. C’était un rire franc, un vrai rire… Quand je souriais et riait quelque peu ces derniers temps, ce n’était guère que pour effrayer et tétaniser mes victimes… Mais pas là. Autant dire que ça me changeait.
« Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne – expliquai-je – tu peux te voir, mais les autres ne pourront pas te voir… tu comprends ?
- Mais tu peux me voir toi, non ?
- Oui, je peux.
- J’avoue que j’ai du mal à saisir, là…
- Ecoute, je vais t’expliquer brièvement. Si tu es invisible, c’est parce que je te touchais au moment où je me suis moi-même rendu invisible. Et comme je te tiens toujours la main, tu le restes. Par contre si je te lâchais, tout le monde pourrait à nouveau te voir. C’est comme ça que ça marche pour mes vêtements…. Comme ils sont en contact avec ma peau, ils disparaissent également. Mais bien évidemment, je ne peux pas rendre invisible ce qui est trop gros, comme une maison ou le sol, même si je suis en contact avec. Et lorsque l’on est invisible, on voit tout ce qui est invisible… c’est pour ça que je vois mes vêtements, ou que je te vois. En ce qui concerne le noir et blanc, c’est comme ça que l’on voit dans cet état… Tu verras normalement ensuite, regarde. » Joignant le geste à la parole, je nous rendis à nouveau à la visibilité. « Alors, tu as compris cette fois ?
- Oui – s’enthousiasma-t-elle, un grand sourire sur le visage et l’air ébahi.
- Et bien tant mieux. » Puisque désormais ça ne servait plus à rien, je lui lâchai la main.

« Et pour le reste ? – s’enquit-elle.
- Le reste ? Ah… oui. Si je cours à cette vitesse, c’est parce que tous les membres de ma race le peuvent… C’est génétique. A propos, tu fais parti de quelle race, toi ?
- Moi ? Tu ne vas pas me croire si je te le dis…
- Et pourquoi cela ? – fis-je – Allez, dis le moi.
- Je suis une humaine. »

Je ne sais pas s’il t’est déjà arrivé de te prendre une pelle en pleine tronche… mais moi, en tout cas, ce fut un peu cet effet là que j’eus à ce moment. Une humaine ?! C’était impossible ! Les humains avaient disparus de l’univers, et cela depuis des millénaires ! Elle divaguait ! Ce n’était même pas envisageable !
Quoique… En fait, à bien y regarder, il fallait avouer qu’elle en avait un peu les traits, par rapports aux anciennes photographies d’eux que les musées avaient soigneusement conservées. J’avais des doutes… C’était étrange, très étrange…
« Une humaine ?! Mais, mais…
- Tu vois ? Je te l’avais dit que tu ne me croirais pas.
- Mais comment ça se fait ? – achevai-je.
- Contrairement à ce que l’on croit – expliqua-t-elle – des humains s’étaient exilés au fin fond de l’univers, sur une planète déserte, alors que leurs congénères s’autodétruisaient tranquillement sur toutes les planètes qu’ils avaient colonisées. Mes parents sont des descendants de ces êtres humains là qui décidèrent de vivre cachés. Mais eux, à leur différence, choisirent de quitter cette dite planète pour faire des affaires à Solana. » Il me fallut un moment de réflexion pour être sûr d’avoir bien assimilé toutes les informations qu’elle m’avait données.
« Ça a l’air plausible – affirmai-je – mais n’empêche que j’ai du mal à y croire… » Et il y avait de quoi… Dans tous les livres il était répété mille fois que les humains étaient très intelligents, mais destructeurs ; que leurs armes avaient fini par les mener à leur perte et que, de nos jours, il n’en existait plus. Ils avaient étaient éradiqués.

« Il y a encore deux ou trois questions auxquelles tu n’as pas répondu – fit-elle remarquer.
- Celles sur moi et mon « histoire » ? Oublie… ce n’est pas important.
- Bien sûr que si ! Pourquoi erres-tu ainsi, tues-tu des innocents… et pourquoi n’aimes-tu pas ton père ? » Là, elle avait ravivé mon attention.
« Comment sais-tu que je ne l’aime pas ?!
- C’est la façon dont tu en as parlé aux Rgolzs, lorsqu’ils t’ont pris pour lui, qui m’a fait penser ça.
- Ah… – soupirai-je – C’est parce que c’est une ordure, un salaud… rien de plus. Je ne pouvais plus le supporter, alors je me suis enfui pour ne plus jamais entendre parler de lui. C’est pour cette raison que j’erre… Et si je tue, c’est parce que ça me procure un plaisir fou. » En disant ces mots, je lui adressai un sourire des plus machiavélique « C’est dans ma nature…
- Mouais, je vois… » Elle fit la moue.
« Ne crois pas que j’ai mené une petite vie joyeuse, au contraire. Il ne faut pas me juger que sur mon envie de tuer…
- Et je ne le fais pas – lança-t-elle avec un léger sourire que je lui rendis »

Je l’aimais bien, finalement, cette fille. Même si je ne pouvais pas lui donner ma confiance, elle la gagnait tout de même peu à peu. J’avais l’impression d’avoir une amie… et ce n’était pas plus mal. Sauf si elle était une espionne… mais je ne préférais pas songer à cette éventualité pour le moment.
« Et demain ? – demanda-t-elle – qu’est-ce qu’on fera ?
- Je n’en sais rien – admis-je – mais je suppose que l’on ne peut pas continuer comme aujourd’hui… Il faut se procurer de la véritable nourriture, pour commencer.
- On pourrait aller à Métropolis, tu connais bien la ville, n’est-ce pas ?
- Oui mais je ne peux pas prendre le risque d’y aller. C’est trop dangereux. La police est à ma recherche, je te rappelle.
- Ah bon ? Mais Slim, ton père, que les autorités prennent pour toi, est en prison. Alors pourquoi te recherche-t-on encore ?
- En fait, il s’est évadé de la prison avant-hier… Donc les recherches reprennent…
- Drôle de famille – railla-t-elle pour simple réponse.
- Ouais… comme tu dis.
- On peut aller où alors ?
- Dans une ville plus petite, où je ne suis pas encore allé. Là où la police n’aura aucune raison de croire que je m’y rends. Métropolis, étant donné ce que j’y ai fait, sera l’une des premières villes où ils enverront des patrouilles.
- Oui, je comprends. Tu as raison, ce n’est pas sûr. Pourquoi pas Black Water City, sur Rilgar ?
- Ce choix ne m’étonne même pas d’une humaine ! – fis-je dans un rire – mais oui, pourquoi pas, nous nous y rendrons demain… On n’aura qu’à prendre un vaisseau Rgolz pour y aller.
- Ben évidemment que c’est un bon choix ! – ria-t-elle à son tour – J’ai toujours rêvé de m’y rendre, mais je n’en ai encore jamais eu l’occasion.
- Tu pourras donc la visiter, en passant.
- Oui, en effet. »

Quelque chose d’étrange se passa, d’un coup, son sourire s’effaça et ses yeux perdirent leur illumination et leur enthousiasme. De toute évidence, elle pensait à quelque chose de beaucoup moins alléchant. A quelque chose hautement plus inquiétant.
« Il ne t’arrive pas d’avoir peur ? – murmura-t-elle, le menton sur les genoux.
- Si… ça m’arrive. Par exemple hier, lors de mon combat contre Slim, j’ai eu relativement peur. J’ai bien failli y rester.
- C’est avec ton père que tu t’es battu ?! – s’interloqua-t-elle »

Merde. J’en avais trop dit… ça m’apprendra. J’étais tellement pris dans la conversation que je ne faisais même plus attention à ce que je disais, et je mettais de côté toute méfiance… ce qui n’était pas bon. Tant pis, il fallait faire avec à présent.
« Oui… Mettons qu’entre nous, c’est pas réellement l’amour fou. » Je sentais qu’elle s’apprêtait à reposer une question sur le sujet, mais elle fit le bon choix de la garder pour elle-même, et de s’abstenir.
« Tu n’as pas peur que les autorités te retrouvent, parfois ?
- Un peu, oui, mais pas spécialement. Je sais qu’elles me retrouveront, un beau jour. Mais je préfère éviter d’avoir les flics sur le dos continuellement. Cependant, si cela doit arriver, je n’hésiterais pas à les réduire en charpie.
- Et si c’était Ratchet que l’on envoyait à tes trousses pour te capturer mort ou vif, tu crois que tu parviendras à t’en débarrasser… ? »

Ratchet, Ratchet, Ratchet… Enfin on en vient à toi, pas vrai ? A cette époque, tu venais de te faire connaître dans toute la galaxie en la délivrant de ce cinglé de Drek. Lange, dans tout sa naïveté, croyait que tu étais le meilleur, le plus fort, que j’avais grand à craindre de toi. Et pourquoi cela ? Simple médiatisation. Ton image de marque était plus grande que la mienne. Tu étais considéré comme le grand héros de Solana, et moi comme le plus grand criminel de cette même galaxie. Et, par définition pour les esprits naïfs, les gentils terrassent les méchants avec autant de difficulté que s’ils cassaient un cure-dent. Pourquoi ? Parce que les méchants ne gagnent jamais.
Ouaw… Triste réalité, hein ?
Est-ce ainsi la vérité, ainsi que tout se passe ? Me vaincs-tu ? Arrives-tu à m’attraper ? Me terrasses-tu tel un cure-dent ? Je ne pense pas… A chaque fois, c’est parce que je te donne des indices que tu parviens à remonter ma piste. Pense à Al, ton cher ami, que tu connais depuis de nombreuses années… Lui qui est si gentil, et si intelligent, plein de bonne volonté et de fraternité… Que lui est-il arrivé ? Ah oui, c’est vrai. Je lui ai tranché la tête. Qui était le gentil de nous deux ? Lui, n’est-ce pas ? Et pourtant, je l’ai tué… Voilà qui est fort déconcertant, tu ne trouves pas ?
Pauvres esprit niais, pervertis par la réalité qu’ils croient vraie mais qui est loin de l’être… Mais il suffit ! Assez parlé d’Al, de Jak et des autres que j’ai envoyés dans un monde meilleur ! J’en reparlerais quand j’en serais arrivé à là…

« Ratchet ? – m’enquis-je – j’aurais peut être du mal… Mais certainement pas autant que lors de mon combat contre Slim. Enfin, à vrai dire je n’en sais rien, j’ai entendu parler de ses exploits, mais il faudrait que je le voie à l’œuvre pour le juger. Mais il reste possible que j’en vienne à bout sans difficultés majeures. De toute façon, je m’en fiche, Ratchet et Clank sont portés disparus… et Qwark également.
- Ah ? Comment ça se fait ?
- Aucune idée… et je m’en contrefous. » Au bout d’un certain moment de blanc, je pris la parole pour mettre fin à la discussion. « Bon… je pense qu’il faut que l’on soit en forme demain… Alors je préconise que l’on se repose encore un peu.
- Oui, je suis d’accord. »

Et aussitôt, nous nous tournâmes chacun d’un côte différent, pour être dos à dos. Je regardai un cours instant les milliards d’étoiles envahissant le ciel avant de fermer les yeux.
« Bonne nuit – me souhaita Lange.
- Ouais… ‘nuit » Et, moins de cinq minutes plus tard, je m’endormis.

Lorsque je me réveillai enfin, il faisait jour depuis un moment. Après m’être retourné vers Lange, je pus voir qu’elle dormait toujours. Elle avait décidément beaucoup de sommeil à rattraper… Je me relevai lentement, en m’étirant de tout mon long. La douleur au niveau de mes plaies s’était nettement estompée. Merci au Rgolzs, pour une fois qu’ils servaient à quelque chose. Je décidai de laisser Lange dormir, du moins pour le moment, et d’aller vers un des vaisseaux auquel je n’avais pas encore touché. Une fois à sa hauteur, je me mis à tâter la portière, pour essayer de voir de quelle façon je pouvais crocheter la serrure. Après avoir passé mon doigt sur le verrou, je me réjouis. C’était d’une facilité remarquable. La serrure était on ne peut plus basique, sans aucune difficulté… Presque trop facile pour pouvoir être fier du résultat final. Avec la plus grande délicatesse, je posai la pointe de mon épée dessus et entreprit de faire la manipulation adéquat. Cinq secondes plus tard, la porte s’ouvrait.

A présent que j’avais le véhicule, il ne me restait plus qu’à m’envoler avec. Je me rendis donc jusqu’à Lange et la réveillai en la secouant doucement. Après lui avoir expliqué en quelques mots la situation, en ayant précisé qu’il valait mieux partir le plus tôt possible. Elle acquiesça et me suivit lentement jusqu’à l’engin spatial. Je la laissai y aller à son rythme ; si déjà je la réveillais, autant ne pas trop la brusquer non plus. Elle monta à bord et s’installa sur les sièges à l’arrière, tandis que moi je pris place à l’avant, là où il y avait toutes les commandes. Piloter un vaisseau n’avait rien de bien compliqué : quand on savait en piloter un, on savait les piloter tous. C’est pourquoi une minute plus tard nous étions déjà dans le ciel, fusant à toute vitesse en dehors de l’atmosphère de Kerwan.

On ne mit pas plus de vingt secondes à entrer dans l’immensité spatiale. Sur le tableau de bord, j’entrai les coordonnées de Black Water City sur Rilgar pour qu’il me donne la voie à prendre. Une fois cette dernière acquise, je pus passer en monde hyper-vitesse pour atteindre une vitesse d’environ deux mille cinq cents kilomètres par heure. Mais, même si les sensations offertes par l’hyper-vitesse étaient superbes, je n’aimais pas trop ce mode. A une trop grande allure, on ne peut plus admirer les merveilles galactiques, ce qui est relativement dommage, car elles étaient magnifiques. Cependant, je devais m’en contenter… c’était le prix à payer pour arriver rapidement à destination.
Destination que j’atteins quelques minutes plus tard.

L’atmosphère de Rilgar avait longtemps été défaillant, par son passé. A force de pollution, elle avait fini par laisser passer d’innombrables météores qui avaient ravagés littéralement la planète. Ce qui obligea ses habitants à fuir rapidement vers d’autres contrées, après avoir vu les lieux qu’ils connaissaient se faire anéantir peu à peu, le temps passant. L’astre déchu resta inhabité pendant des millénaires, laissant le chaos, représenté par une pluie incessante de comètes dévastatrices, rendre à l’état de ruine les multiples villes y étant construites, détruisant brique par brique les immeubles, tours et édifices y étant bâtis, mais n’empêchant nullement le développement d’espèces animales sanguinaires en ces lieux ; espèces qui dominèrent les cités où autrefois vivaient des familles heureuses, où celles-ci s’amusaient, s’aimaient, où des relations s’établissaient, où la joie régnait… alors que ces espèces, désormais, s’entretuaient pour se nourrir, vivaient dans un état de rage continu tandis que la situation planétaire ne faisait qu’empirer, au fil du temps.
Mais un jour, il y a environ deux siècles, les dirigeants Solaniens demandèrent à ce qu’on mette en œuvre un duplicata d’atmosphère, tout élaboré par leur soin, pour que l’on sauve la planète de son triste sort. Ce duplicata se présentait sous la forme d’une sphère énergétique enveloppant entièrement la planète, empêchant de passer tous les objets spatiaux, en autorisant seulement certaines choses à s’y introduire, comme les vaisseaux ou autres. De même, ces dirigeants avaient programmé ce champ de force pour qu’il détruise des objets plus… « particuliers », selon leur bon vouloir. Par conséquent, et c’est encore le cas aujourd’hui, si un criminel prend la fuite et que son vaisseau se fait ficher, il ne pourra ni entrer, ni sortir de Rilgar. Ou alors… boum. Grâce à cela, le nombre de criminels de la planète est devenu plus faible que sur les autres. De ce fait, les divers présidents Solaniens qui se succédèrent jusqu’à aujourd’hui cherchèrent tous – pour la plupart – à installer ce système sur la globalité des planètes de la galaxie. Mais cette entreprise aurait coûté beaucoup trop cher, criblant Solana de dettes impayables, la rendant vulnérable par rapport aux autres galaxies, faces auxquelles elle aurait du plier, et peut être même se soumettre. Du coup, seulement une quinzaine d’autres eurent droit à la dite protection, Kerwan y comprit – de nombreux politiciens importants, comédiens reconnus et autres grandes icones vivant à Métropolis, elle ne put échapper à ce traitement…

Cette sphère énergétique était relativement inquiétante, à bien y réfléchir… Mais bien entendu, je ne craignais rien. Après avoir vu Brend sortir de Kerwan, je n’avais aucun souci à me faire. Si lui en était sortit, je ne voyais absolument pas pourquoi je n’aurai pas pu en faire autant. Et comme j’étais sorti de cette planète, il n’y avait aucune raison pour que je ne puisse pas rentrer dans Rilgar. Mais c’était étrange, tout de même… Ca voulait dire que soit les Rgolzs connaissaient une méthode pour faire en sorte que leurs vaisseaux passent la barrière énergétique, soit ils ne les avaient pas volés mais payés. Ce qui était tout à fait impensable de leur part… à moins que ça ne soit avec de l’argent dérobé… J’aurai plutôt opté pour la deuxième solution, la première me semblait invraisemblable.
Tous les grands chefs de clans, grands trafiquants, « parrains » de diverses mafias savaient contourner ce système de défenses, et ils le faisaient sans scrupules, pour monter des gros coups et frapper au cœur du gouvernement, parfois. Mais des Rgolzs avec cette connaissance, c’était tout simplement inimaginable… Moi-même je ne savais pas comme faire. Slim en était capable, lui, mais il avait refusé de m’apprendre comment faire, jugeant que je n’avais pas à le savoir. Je me doutais bien évidemment que le grand code A-323 que j’avais créé avec lui il y a environ quatre ans servait entre autre à cela, mais il y avait bien d’autres méthodes nécessitant bien moins de technologie. L’A-323 avait du servir à un coup immense, sur une planète infiniment protégée, et donc relativement importante, comme celle du président par exemple.

Quoi qu’il en soit, j’entrai à présent dans l’atmosphère de Rilgar, et sans partir en morceau, comme prévu. Pour sortir, j’allais probablement avoir un peu plus de problème… Je devais veiller à garder ce vaisseau-là, ou si je n’avais pas le choix en voler un, en faisant attention à ne pas me faire repérer et en procédant vite.
Le ciel était incroyablement bleu. Parfois, je traversais un nuage, dispersant les gouttelettes d’eau partout sur le pare-brise. En bas, il y avait un océan immense, même si d’autres dans Solana le dépassait dans sa grandeur. Se rapprocher à toute vitesse d’une terre, fusant au dessus d’une eau magnifiquement bleue, éclatante, par un ciel ensoleillé rendait la descente vertigineuse. Derrière-moi, Lange en prenait plein la vue, et fixait à travers une vitre d’un air ébahi cette planète dont elle avait certainement tant dû entendre parler, que ce soit dans des livres ou par les dires de ses parents.
J’amorçais la suite de ma descente en ralentissant, me dirigeant vers là où le tableau de bord m’indiquait la présence de Black Water City, « la ville de l’eau noire » dans une des anciennes langues planétaires. La même qui rapproche mon prénom du volatile sombre et charognard qu’est le corbeau. Et ça me plait…

Je me posai dans un emplacement réservé à cet effet, qui surplombait le cours d’eau noir, tel le goudron, traversant la métropole. Juste sur le côté se trouvait la bien connue Tour Noire, toute faite d’alliage de fer puddlé et montant en pic sur plus de trois cents mètres, vestige de l’ancienne civilisation vivant en ces lieux : l’humanité. Car bien évident fracassé à coup de comètes, la Tour dut être rafistolée, réparée… Ses reconstructeurs eurent la bonne idée de mettre sur sa structure des plaques de fer d’un noir de jais resplendissant, remplaçant l’ancienne couleur qui la constituait auparavant, pour mettre la tour à l’effigie de sa ville. Tout autour d’elle se trouvaient d’innombrables gratte-ciels qui la surplombaient tous de leur hauteur, au moins cinq fois supérieure à elle, vestige de la nouvelle civilisation en ces lieux…

Black Water City avait le mérite de porter magnifiquement son nom, et elle le devait aux faits jugés monstrueux s’y étant déroulés. A l’époque où elle se nommait Paris, que les peuples galactiques commençaient doucement à se regrouper et que l’atmosphère était tout juste en train de rendre l’âme, une météorite s’est écrasée dans la rivière durant une nuit. Juste après cela, et relativement rapidement, des faits inexplicables se sont enchainés, succédés à une vitesse folle, inconcevable. Les scientifiques de cette époque ne trouvèrent aucune explication, les plus fervents croyants en leur religion parlèrent de malédiction satanique. D’un seul coup, l’eau claire est devenue noire, comme elle l’est encore à l’heure actuelle, goudronneuse. Les poissons y vivant tranquillement depuis des siècles remontèrent à la surface, indéniablement morts. Oui, mais de quoi ? Nulle ne le savait. Toutes les études faites sur les cadavres ne débouchèrent sur absolument rien. C’était un mystère. Toutes les algues moururent instantanément ; les bateaux qui s’y trouvaient firent tous naufrage, l’un après l’autre. Au fil des jours, les disparitions en villes augmentèrent considérablement, laissant des parents désespérés à la recherche de leurs jeunes enfants, et des enfants paumés à la recherche de leurs parents.
Mais ce n’est que plus tard que l’on comprit, en retrouvant des morceaux découpés de bras et de jambes, parfois de tête, flotter à la surface de cette eau devenue malsaine. Un comble pour une rivière dont l’ancien nom se prononçait « Saine ». On comprit que des créatures nouvelles hantaient les eaux, terrifiant la ville entière en enlevant et dévorant ses habitants. Ces montres carnivores se présentaient sous l’aspect de bêtes quadrupèdes, aux pattes longues semblables à celles des strataraignées ; d’apparence noire, de moins d’un mètre de haut, ils ne sortaient que la nuit, se faufilant dans l’ombre, paralysant leurs victimes avant de les noyer dans la rivière et de se délecter de leur chair.

Au départ, l’armée décida d’attaquer les créatures en criblant de balles les eaux. Entreprise inutile, futile, stupide. Les monstres, qui prirent par la suite le nom de Terals – mot qui signifie « déclencheurs de souffrance » dans l’ancienne langue de la planète Marcadia – sortirent tous et massacrèrent les militaires impitoyablement, éparpillant leurs entrailles sur la chaussée. Très peu de temps après, ne laissant pas le temps aux forcées aériennes d’intervenir, les Terals se lancèrent à l’assaut de la ville, forçant les millions d’habitants à prendre la fuite, affolés. Ces créatures se reproduisaient à une vitesse impressionnante, et lorsqu’elles grandissaient prenaient parfois des tailles de plus de trois mètres de haut. Toutes les tentatives pour reprendre le contrôle de la ville furent vouées à l’échec, les montres restèrent supérieurs. Ils réussirent même à venir à bout des véhicules d’attaque volants, grâce à un suc qu’ils pouvaient projeter à plus de deux mètres.
Heureusement, les Terals restèrent dans Paris et ne cherchèrent pas à s’en éloigner. La ville fut donc d’un coup énormément connue pour son eau noire, et ses créatures y résidant, et prit tout d’abord le surnom de Black Water City, avant de le garder à jamais.

Aujourd’hui, on sait qu’en réalité la comète s’étant écrasée était un morceau d’un immense astéroïde, sur lequel s’était développée une espèce faible, petite, misérable, insignifiante… Un ou deux spécimens se trouvaient sur le météore, et au contact de l’eau changèrent littéralement, mutèrent jusqu’à devenir des monstres assoiffés de sang et affamés de chair. Certaines substances présentes également créèrent une réaction chimique difficilement explicable rendant l’eau noire, eau nécessaire à la survie des Terals. En effet, ceux-ci ne respiraient pas, il leur fallait simplement rester trois heures par jour dans la rivière pour survivre.
Après la fuite de la civilisation de Black Water City, ils ne purent donc pas s’éloigner… et se nourrirent d’animaux dans le coin ou, telle l’espèce primitive qu’ils formaient, en se dévorant entre eux.

C’est lorsque tous les êtres dotés d’un semblant d’intelligence fuirent la planète, quand les météorites tombantes se firent excessivement nombreuses, que celle-ci perdit son nom d’origine pour s’approprier celui de Rilgar. Et pour cause : Rilgar signifie « morte » dans une langue galactique dont j’ai oublié l’origine. Tout le monde s’était mis d’accord pour décider que la planète devenue invivable était comme morte.
Mais désormais, après la construction de la sphère énergétique, les dirigeants de Solana poussèrent leur entreprise pour sauver Rilgar jusqu’à envoyer des forces armées pour éradiquer tous les Terals siégeant encore et toujours à Black Water City. Avec les armes et les armures des soldats actuels, nettement plus perfectionnés, les créatures ne firent pas le poids et périrent rapidement, terrassés par une force contre laquelle ils ne purent lutter. Après cette extermination commença alors la suppression d’autres espèces animales jugées dangereuses dans d’autres villes, ainsi que la reconstruction des bâtiments, détruits par le temps et les comètes au fil des millénaires. Black Water City naquit plus tard sous un jour nouveau, quasi-neuve, comme si aucun évènement douteux n’était à énumérer dans son histoire ; il n’y avait que l’eau noire que les scientifiques n’avaient pas réussi à faire disparaitre, qui maintenait le lien avec son passé. Pleine de gratte-ciels, elle avait aussi été agrandie, et était à présent la capitale ainsi que la plus grosse métropole de Rilgar – qui conserva d’ailleurs son nom en hommage à son passé.

Et c’était en cette ville que je venais d’atterrir et de poser les pieds en regardant les buildings d’un air fade. Je détestais vraiment les trop grandes villes, je n’étais pas fait pour y vivre. Cependant, par moment, je n’avais pas le choix et devais m’y rendre pour des soucis de survie. Black Water City était bien plus polluée que Métropolis, à la première bouffée d’air je pus le constater. A mes yeux, seule la Tour Noire méritait un quelconque regard admiratif. Elle était belle dans son ensemble, et quand on repensait aux moyens techniques qu’avaient ses constructeurs à leur époque, on ne pouvait que s’incliner devant leur talent. Lange était beaucoup plus stupéfaite que moi, car pour elle c’était une expérience tout à fait différente. Cette Tour avait bel et bien été construite par les membres de son espèce, et elle pouvait en être fière.
Après les cinq minutes que je lui laissai pour admirer le décor, je finis par l’arracher à sa contemplation :
« Amène-toi ! Il faut qu’on bouge ! »

Je me mis en route et elle me suivit sans un mot, en continuant à regarder tout autour d’elle avec un sourire radieux. Nous longeâmes la rive de l’eau noire, puis bifurquâmes sur un pont pour nous diriger vers le centre de la ville. Il y avait moins de foule qu’à Métropolis, mais sûrement autant de vaisseaux présents dans les cieux, une véritable nuée d’insectes géants. Tout en marchant, je cachai mon épée à l’intérieur de ma cape, en faisant attention à ce qu’elle ne soit pas repérable. Mes flingues, eux, étaient toujours fixés sagement à ma ceinture. Ainsi, en gardant ma capuche sur ma tête, je pouvais être sûr que personne ne me reconnaitrait, et que l’on ne me considérerait pas comme dangereux ; quelque peu inquiétant, certes, mais l’on ne me verrait pas comme un fléau dévastateur.

On arriva dans une grande avenue, bordée d’immeubles relativement hauts et, pour la plupart, du même noir de jais étincelant que la Tour Noire. Cela donnait un côté sombre à la métropole, mais l’enjolivait également. Sur chacun d’eux, disposées sur différents étages, reposaient de lourdes tourelles de défense qui n’attendaient qu’un crime pour cracher sur son investigateur une myriade de mitraille, trouant ainsi son corps à de multiples endroits, ne lui laissant qu’une chance de survie inférieure à trois pourcent. A plusieurs coins de la rue, je pouvais voir des policiers armés se balader par groupe de deux ; dans les airs vadrouillaient sans cesse plusieurs voitures volantes de police, facilement reconnaissables à leurs couleurs rouges et blanches. On ne pouvait pas vraiment dire que Black Water City fût le paradis des criminels… Et certainement pas le mien, de là j’apercevais de nombreux panneaux d’affichage, dont plusieurs avec ma photo indiquant que j’étais l’ennemi public numéro un. Je n’avais pas le souvenir que cette ville fût surprotégée, rien n’indiquait cela dans les ouvrages que j’avais lus. J’étais juste au courant pour les tourelles. Peut être était-ce l’évasion de Slim qui avait déclenché tout ce branle-bas de combat. Et ça craignait… Je n’allais pas pouvoir acheter quoi que ce soit, le risque que je me fasse repérer était bien trop important…

Mais c’était là que, dans mon programme fraichement élaboré, bâti sans aucune défaillance par mon esprit génial – car il faut bien l’avouer : j’ai beau n’être qu’un pauvre psychopathe à tes yeux, je n’en reste pas moins incroyablement intelligent – intervenait Lange. Je n’avais qu’à rester de côté, bien en sûreté, et l’envoyer acheter ce qui nous fallait pour subsister. Cela peut paraître lâche, mais ne l’est pas du tout ; je choisissais juste la solution la moins suicidaire. Autant pour l’humaine que pour moi. Et là c’était parfait… Aucune anicroche, aucun problème, elle m’était en fin de compte bien utile et réglait bien des choses.

Une fois arrivés au niveau d’une place, aménagée avec une fontaine – représentant un soldat terrassant un Teral en tenant le drapeau Solanien dans sa main gauche, le tout fait d’une pierre également noire – en son centre, blindée de boutiques et de divers commerces, j’emmenai Lange dans une ruelle pour être à l’abris des regards.
« Ecoute-moi ! – ordonnai-je – Il va falloir que tu fasses quelque chose.
- Moi ? – s’enquit-elle, étonnée.
- Mais oui, toi ! Qui d’autre ? » D’un geste rapide, je lui mis un billet de cent boulons en main. Elle le regarda d’un air qui montrait bien qu’elle ne comprenait absolument rien. Pendant un instant, j’ai même cru qu’elle pensait que je lui demandai de me faire office de fille de joie… ce qui était absurde. « Là-bas – fis-je en désignant une sorte d’épicerie située de l’autre côté de la rue – je veux que tu y ailles et que tu achètes à manger et à boire, prends n’importe quoi. » A ces mots, son expression se fit effarée.
« Non ! – s’exclama-t-elle – Je ne peux pas faire ça ! » Son visage prouvait qu’elle était passée d’un coup à un état d’une profonde anxiété, qu’elle était prise de panique. Sa réaction me choqua au plus haut point. J’étais loin de m’attendre à ça. Et pourquoi cela, hein ?! Je ne voyais aucune difficulté dans ce que je lui demandai ! Elle ne devait certainement pas avoir la phobie des commerçants, ou un truc du genre… alors bordel, pourquoi prenait-elle peur à l’idée d’aller acheter quelque chose ?! Je n’avais ni le temps ni l’envie de chercher à le découvrir…
« Quoi ?! – m’interloquai-je – Mais bien sûr que si que tu vas y aller !
- Non ! Vraiment, je ne peux pas ! Vas-y, toi…
- Je ne le peux pas, je risque d’être découvert !
- Et bien rends-toi invisible dans ce cas, et vole des provisions.
- Trop risqué, on verrait que les objets bougent… ce qui risque d’attirer l’attention du vendeur et des clients. » Elle décrivit un arc de cercle tout autour de moi, comme affolée, et me tendait la main pour que je reprenne l’argent.
« Je t’en prie – plaida-t-elle en joignant les paumes – vas-y…. je n’ose pas…
- Maintenant ça suffit ! » D’un mouvement vif, je sortis mon épée de sous ma cape et la brandit en veillant bien à rester dans l’ombre, à l’abri des regards. « Tu te souviens de ce qu’on avait convenus ? Soit tu fais ce que je dis, soit tu crèves. C’est pourtant simple, non ? Ravale ta stupide peur et vas-y ! Tu as trois secondes… ! »

Sans même me laisser le temps de commencer à compter, elle se mit en route d’un pas rapide et traversa la place jusqu’à entrer dans la boutique. Elle prit soin de regarder autour d’elle, comme pour voir si personne ne l’observait, où si une menace ne pesait pas sur elle. A par moi, je ne voyais pas qui elle pouvait redouter en ces lieux… Un ex psychotique ? Ca m’étonnerait fortement. En tout cas, si elle avait peur, c’est qu’elle avait une raison… Elle dégageait trop de mystère. Elle était relativement bizarre et m’intriguait d’autant plus. Il fallait qu’à un moment donné, je tire ça au clair…

Il y avait du monde dans l’épicerie, par conséquent elle mit un long moment avant d’arriver au niveau du vendeur. Comme ce n’était pas une boutique représentant une grande marque, le vendeur n’était pas une machine – comme ces vendeurs d’armes de chez Gadgetron que l’on trouve un peu partout – mais un être biologique. Moi, pour plus de sécurité en l’attendant, je me mis invisible et restai tapi dans la ruelle à épier les moindres gestes de l’humaine à travers la vitrine du commerce. Mais je remarquai quelque chose d’étrange : elle mettait beaucoup de temps pour avoir sa commande, beaucoup plus de temps que les acheteurs qui la précédaient à vrai dire… Le marchand s’était éclipsé dans l’arrière boutique depuis déjà cinq minutes, et il ne faisait pas mine de revenir. Lange trépignait d’impatience, et balançait à droite et à gauche des regards apeurés. Je pouvais sentir d’ici le stress monter en elle, sentir l’adrénaline qui commençait à emplir ses veines… Et c’était loin d’être bon signe. Elle redoutait que quelque chose arrive… mais quoi ? Qu’avait-elle pressenti ? De quoi avait-elle peur ?!

Je n’allais pas tarder à le découvrir. Il se passait quelque chose d’anormal. De très anormal. Et plus les secondes s’écoulaient, plus l’anormalité de ce moment s’amplifiait. Une quinzaine de policiers arriva en trombe dans la place. Ils se mirent tous à couvert derrière quelque chose et braquèrent leurs fusils sur le bâtiment où se trouvait Lange, attendant patiemment la suite des ordres. Il était temps que je commence vraiment à me poser des questions…
Certains soldats se mirent derrière la fontaine, et d’autres s’abritèrent dans des ruelles ; par conséquent, je me retrouvais avec un flic dans la mienne. Il s’était amené et préparé sans même se rendre compte que le criminel le plus recherché de la galaxie s’y trouvait avec lui. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Tant pis pour lui, mais moi il me fallait des réponses. Aussitôt, je vins derrière lui à pas feutrés et, précipitamment, le tirai en arrière, mis mon épée sur sa gorge et attrapai de l’autre main son arme pour qu’il ne puisse l’utiliser. Il ne vit rien venir, et voulut pousser un cri… Mais ma lame appuyée un peu plus contre sa trachée l’en dissuada.
« Ne fais plus un bruit si tu tiens à la vie, pigé ? – lui chuchotai-je à l’oreille. » Il hocha la tête « Bien… Maintenant tu vas me dire ce qu’il se trame ici, et en détail, tu veux ? » Il déglutit.
« Nous… nous sommes sur le point d’arrêter une dangereuse criminelle… Elle est dans un magasin de la place. »

Pendant un instant, je crus mal entendre. Une criminelle ? Elle ?! Mais non, c’était bien ce que je craignais… Les morceaux du puzzle se recollaient… et le résultat ne me plaisait pas du tout, au contraire. D’un coup, je sentis une rage immense, une fureur incommensurable monter en moi. Si ce que je pensais se révélait fondé, mon comportement allait devenir très, très abusif…
« Son nom ! – crachai-je en faisant du mieux pour ne pas hurler – Donne moi son nom ou je te promets que je t’égorge !
- Elle s’appelle Moned – s’empressa-t-il de répondre, voyant que je m’emportais – Lange Moned. Elle est soupçonnée d’être liée à une organisation terroriste d’ordre galactique… Mais pitié, ne me faites pas de mal ! » Dans un grand élan de colère, ne me rendant même plus compte de ce que je foutais, je plantai de toutes mes forces ma lame dans sa carotide avant de la lui trancher violemment, libérant un flot de sang, avant de laisser tomber son corps encore en vie sur le macadam. Secoué de spasme, il porta ses mains qui devinrent vite rouges à son cou… avant de s’éteindre définitivement. J’étais énervé, dans une rage folle. Tuer ce type ne m’avait apporté aucun plaisir, ça avait juste servi à déchaîner un peu ma fureur, l’espace d’un instant. Mais je n’en étais pas moins possédé par la haine.
Elle m’avait menti ! Cette salope m’avait menti ! Et maintenant elle me mettait dans une embrouille pas possible…
Je la vis faire demi-tour pour sortir de l’épicerie en courant, sans avoir ce qu’elle avait commandé, en bousculant les autres clients. Elle avait du sentir qu’il y avait un imprévu… Le vendeur l’avait probablement reconnue et était allé directement appeler la police, tandis qu’il se cachait lamentablement en attendant que tout s’arrange. Lorsqu’elle sortit en trombe, tous les agents des forces de l’ordre sortirent de leur tanière, lui pointant leurs armes dessus. Elle s’arrêta immédiatement, surprise. Les policiers se rapprochèrent d’elle, et l’un d’eux, à l’aide d’un dispositif minuscule amplifiant la voix, ordonna : « Restez où vous êtes, nous sommes de la police ! » La quinzaine d’hommes allait l’encercler, la rendant prise au piège. Elle était finie, perdue, sans aucune échappatoire. Mais malgré ma colère, je ne l’entendais pas de cette façon, et n’allais pas les laisser faire. C’était le moment d’agir.

A toute vitesse, je courus jusqu’à elle et m’arrêtai juste à sa gauche, soulevant un nuage de poussière. Ma cape claqua lorsque je me stabilisai fièrement, droit, l’allure sombre, le regard ténébreux, tenant mon épée vers le bas dans ma main gauche, les cheveux ballotant. Il se passa un instant comme ça, sans que personne ne bouge. J’eus le temps de fixer chacun de ces flics dans les yeux, avec le plus grand mépris dont j’étais capable. Lange ne dit rien, et c’était tant mieux, car je ne lui aurai pas répondu. J’entendis parmi la foule de gardien de la paix un type murmurer un truc du genre : « Cognito ! C’est Cognito ! ». En guise de réponse, je me contentai de leur lancer d’un ton dédaigneux : « Déguerpissez ! Ou je vous tue jusqu’au dernier ! »
C’était du bluff, bien entendu. J’aurai bien évidemment pu les tuer, mais les tourelles de défense présentes allaient m’abattre à coup sûr si je tentai quoi que ce soit… Mais avec ma réputation, j’espérai au moins leur faire peur. C’était loupé.
Le flic au mégaphone parla à nouveau :
« Slim Cognito, au nom des lois Solaniennes, je vous arrête, vous et votre complice !
- Mais oui, c’est ça, cause toujours – raillai-je. »

En même temps que je leur tenais tête, je réfléchissais à une possibilité de sortie. Désormais ils étaient tous autour de nous, m’empêchant de repartir comme j’étais venu.
« Raven – me souffla Lange – il faut qu’on s’en aille ! » Voyant que je me contentais de tourner autour d’elle, fixant les agents qui me regardaient sans sourciller d’un air meurtrier, tout en appuyant ma lame contre le sol, y laissant une marque dans un grincement strident, elle insista à voix basse. « Tu as beau être fort, tu ne peux pas les tuer, il y a les tou…
- Tais-toi ! – criai-je en lui lançant à son tour le même regard, avant de me retourner vers ceux qui étaient mes ennemis.
- Fais preuve de bon sens, je t’en supplie ! Rends-toi invisible !
- Je ne peux pas – lui fis-je en me rapprochant, de façon à ce que seule elle puisse entendre ce que je disais.
- Pourquoi ?
- Parce que tous ceux en ce monde qui ont su que je pouvais me rendre invisible, à part toi, Brend et Slim, ont perdu la vie à ce jour. Je ne compte pas révéler au monde cette faculté aujourd’hui ! Elle pourra m’être utile plus tard, quand j’en aurai vraiment besoin, et qu’ils ne s’y attendront toujours pas…
- Parce que là, selon toi, il n’est pas vital de la révéler ?
- Pas vraiment… » Je voyais que les flics commençaient à s’impatienter, ils n’allaient pas nous laisser discuter très longtemps… Dès qu’ils recevraient l’ordre de nous fusiller, ils n’hésiteraient pas une seule seconde. Exécuter l’ennemi public numéro un était très honorifique, pas vrai ? Il y en avait déjà qui palpitaient d’excitation en tâtant leur gâchette. De plus, j’apercevais quelques vaisseaux qui occupaient dès à présent l’espace aérien. C’était la joie…
« Que comptes-tu faire ? – demanda l’humaine.
- Improviser. » Sans attendre, je me plaçai derrière Lange et passai mon bras gauche autour de sa taille. « Tiens-toi bien – lui glissai-je à l’oreille. » Rapidement, je mis la main droite dans ma poche, en sortis le planeur et le plaçai sur mon dos en l’activant. Juste après, je passai à son tour mon bras droit, de façon à la tenir fermement. Une seconde plus tard, on partait dans les airs à grande vitesse.
Mon planeur était équipé de capteurs permettant de déterminer si l’on se trouvait à la verticale, ou à l’horizontale ; quand l’on était à la verticale, comme ici, il était programmé pour activer ses propulseurs intégrés. Ce qui me permit de décoller. Une fois que j’avais atteint l’altitude de trente mètres, je me mis horizontalement pour m’échapper, filant à toute allure. Là encore, les propulseurs faisaient effet, et ils le feraient encore tant que je n’aurais pas acquis une certaine vitesse. Et heureusement, car en dessous de moi j’entendais gueuler : « Feu ! Feu ! », suivi du son fort reconnaissable des balles fusantes.

Là, ça commençait à se compliquer. J’avais beau aller assez vite, une balle passa juste à côté de mon oreille, et une autre aurait tué Lange si je n’avais pas dévié vers la gauche. Celle-ci se retenait de hurler ; elle s’agrippait à mes bras, y plantant presque ses ongles tant elle avait peur de tomber. J’avais quelques difficulté à la tenir correctement, il fallait le dire… mon épée m’encombrait, mais je ne pouvais pas la lâcher, elle me serait utile plus tard. Je devais tout faire pour la garder avec moi.

Je pris la direction d’une des quatre grandes rues sur lesquelles donnait la place et planai en hauteur, loin des fusils, mais en plein dans la zone de circulation et exposé au tir des tourelles. Et, étant ainsi exposé, celles-ci ne se privaient pas, au contraire : elles s’en donnaient à cœur joie. Elles avaient été améliorées, car dans les livres que j’avais lus il était question de mitraille qu’elles tiraient… or là c’était de véritables coups de semonce. A mes alentours, ça pétait de partout. Comme je slalomais vite entre les véhicules en m’y faufilant, les armes destructrices ne parvenaient pas à me toucher. Cependant, elles touchèrent bien d’autres choses. Des vaisseaux explosèrent, déchainant sur moi pluie de débris et souffles explosifs. Ces souffles étaient particulièrement dangereux, ils me faisaient perdre le contrôle, m’envoyant heurter d’autres usagers de la route avec force. Les bâtiments aussi furent atteints, créant de grands trous en leur façade, et propulsant çà et là d’énormes et mortels éclats de verre qu’il fallait éviter à tout prix. Un bolide finit par exploser juste à mes côtés ; la déflagration fut telle que je fus envoyé dangereusement vers la droite, me prenant brutalement un immeuble.
Sur le choc, Lange failli tomber, mais je réussis à la retenir… Cependant, je ne pus que faire tomber ma fidèle lame. Je la vis tournoyer sur elle-même, tout en amorçant une longue descente. Et merde ! Tant pis, je n’avais pas le temps de m’en soucier. J’avais de plus grosses préoccupations pour le moment. Mon dos contre les vitres, je continuai ma progression, les ailes rayant le verre dans un crissement sonore ; tandis que les tourelles fracassaient toujours le building, nous aspergeant de morceaux de fenêtres. Je réussis à me dégager de l’édifice et partis en piqué vers le sol, descendant de plusieurs mètres, étant ainsi couvert des machines en hauteur par le flot d’engins volants. Mais, malheureusement, il y avait aussi des tourelles à ce niveau-là, et celles-ci attaquaient avec des balles tirées en rafale. Je les vis au dernier moment, je n’étais pas parvenu à les anticiper. J’eus néanmoins le réflexe de remonter en me tournant dos à ces cracheuses de mort, de façon à ce que le planeur puisse faire office de bouclier, et au moins nous protéger de quelques balles… Car il y avait de grande chance que nous nous en prenions.

J’entendis trois « clings », signe que soit les ailes, soit le planeur en lui-même avait été touché, et un hurlement de douleur. Hurlement que Lange prononça, tout en enfonçant un peu plus ses ongles dans ma chair. Apparemment, elle s’en était prise, elle… mais ça ne m’importait quasiment pas pour le moment. Il fallait que je nous mette à l’abri, à un endroit où l’on ne risquait pas de mourir toutes les deux secondes, comme c’était le cas en ce moment. Parce qu’il fallait bien le dire, entre les missiles destructeurs, les balles meurtrières, les véhicules à esquiver et les policiers me tirant dessus, j’avais du mal à me sentir en toute sécurité, va savoir pourquoi. Quoi qu’il en soit, je remontais à présent, je n’avais pas tellement le choix. Je retournai au milieu des vaisseaux civils, ils étaient ma seule protection. Les tourelles à cette altitude s’étaient également mises dans un mode de tir en mitraille, et j’entendais leurs balles ricocher contre les carcasses des bolides volants.

Mais cette cacophonie ne dura pas longtemps. Soudain, et contre toute attente, les machines s’arrêtèrent de faire feu. A mon avis, les autorités et la municipalité avaient ordonné cela jugeant que les dommages collatéraux étaient trop importants, et que tirer ainsi ne me tuerait pas. Et c’était vrai, en faisant cela, ils avaient tué probablement plus d’innocents que moi dans ma vie… Sur la durée j’aurai sûrement été touché, mais en attendant les pertes civiles et matérielles atteignaient des sommets. Il suffisait de regarder la rue pour constater toute la casse qu’il y avait eu, les débris se faisaient relativement nombreux sur le sol… mais je n’avais pas le temps de les admirer, à vrai dire. J’avais surtout à profiter du fait que l’on ne me tirait plus dessus pour le moment… et je le fis pour faire de l’ordre dans mes pensées.
La perte de mon épée m’affligeait assez, mais elle était trop dangereuse autant pour Lange que pour moi-même lorsque je la tenais en faisant des acrobaties… je risquai à tout moment de la blesser ou de me blesser. Peut être était-ce mieux maintenant que je ne l’avais plus.
En tout cas, j’étais dans une galère monstrueuse… A présent que j’y pensais, j’aurai pu – et peut être dû – laisser Lange se faire arrêter par tous ces flics au lieu d’intervenir comme un abruti… Après tout, elle m’avait menti, je n’avais aucune raison d’aider cette manipulatrice. Mais j’étais intervenu, et je l’avais aidée… Pourquoi ? Je n’en savais trop rien… J’avais surtout envie de réponses, de savoir qui elle était réellement, car je sentais qu’elle m’avait caché bien plus de chose que son casier judiciaire. Ou peut être que je m’étais un peu attaché à elle, contrairement à ce que je m’étais juré de faire.
Et désormais, voilà que je survolai les grandes avenues de Black Water City à une altitude d’environ trois cents mètres, avec la police de la ville à mes trousses, et tenant la cause de tout cela dans mes bras. Chouette résumé.

Je fus coupé de mes réflexions par la prise de parole de cette dite cause :
« J’ai été touchée à la jambe, par deux balles – annonça-t-elle.
- Estime toi surtout heureuse d’être en vie…
- Et je crois qu’il y a du sang sur ma nuque… » Sa nuque ? Un bref coup d’œil m’indiqua que ce n’était pas le sien… Dans mon épaule droite s’était planté un éclat de verre assez imposant. Bordel… J’étais tellement concentré sur mon pilotage que je ne l’avais même pas senti. En utilisant mon bras gauche, j’arrachai le morceau désormais plein de sang et le jetai dans le vide. A présent, j’avais mal à cette épaule… Mais enfin bon, moi aussi, je devais m’estimer surtout heureux d’être en vie…

Soudain, j’entendis derrière moi une sirène de police, et après vérification, je pus voir que deux ou trois véhicules se rapprochaient de nous.
Et c’était reparti… ces véhicules étaient équipés de mitrailleuses à l’avant. Si je restais là, je pouvais dire adieu à mon existence, et Lange également. Je partis vers le bas à toute allure, juste au moment où ils commencèrent à faire feu, esquivant de cette manière les balles. Cependant, ça ne s’arrêtait pas à là, au contraire, ils me pourchassèrent dans ma descente. J’entrepris de remonter, tourner à gauche et à droite le plus vite possible pour les empêcher de m’atteindre. Mais c’était inutile, car au fur et à mesure que ça durait les effectifs à nos trousses augmentaient, rendant nos chances de survie encore plus minces.
J’amorçai une descente vertigineuse au milieu d’une foule de voitures à éviter, puis fit un looping en arrière en remontant à la même hauteur qu’auparavant. Un des bolides rouge et blanc tenta de me suivre, mais sa grandeur et sa faible possibilité de mouvement ne lui permirent pas d’esquiver les civils comme je l’avais fait… et il disparut dans un carambolage mémorable qui coûta la vie à ses pilotes.
Bien, j’en avais supprimé un, mais il m’en restait encore plusieurs… Ils étaient restés en vol stationnaire, attendant de voir où j’étais avant de se remettre en route… Et grâce au looping je me retrouvais juste derrière eux… Je souris. Dans le jeu du chat et de la souris, il était temps de devenir le chat… et de passer à l’action.
« Tiens-toi biens à moi ! – ordonnai-je à l’humaine.
- Quoi ?!
- Tiens-toi ! »

Aussitôt, desserrant mon étreinte de mon bras droit, je me saisis de la mitrailleuse à plasma à ma ceinture. Comme elle était chargée, je n’avais aucun souci à me faire. Au moment où je passai à la droite d’un des engins des forces de l’ordre, je braquai le canon sur ses fenêtres et appuyai sur la détente, criblant ainsi de balles tous ses occupants. Ou du moins, c’était ce que j’avais cherché à faire… Car la voiture démarra en même temps que les autres, qui m’avaient par conséquent à nouveau repéré. Les policiers s’élancèrent donc à ma poursuite… Mais cette fois-ci, au lieu de fuir bêtement, je continuai mon jeu ; je leur tournai autour, passant en dessous d’eux, puis au dessus, tout cela en faisant en sorte qu’ils ne puissent pas me toucher. Et dans tout ce petit jeu, je passai mon temps à les mitrailler… Je n’arrivais à faire réellement mouche que lorsque j’étais près d’eux. Je réussis à me rapprocher de la voiture sur laquelle j’avais donné les premiers coups de feu, et pus constater que le copilote était mort. Et ce qu’il y avait de plus tragique, pour eux en tout cas, c’est que le pilote ne tarda pas à rejoindre son collègue. Je vidai sur lui mon chargeur, le tuant directement. Ca me faisait encore un bolide en moins. Je dus fouiller dans mes poches pour dénicher un nouveau chargeur et entreprit de me remettre des munitions. Désormais, ces flics étaient eux aussi des proies.
Mes proies.

Proies qui en eurent vite marre d’être malmenées, et qui décidèrent – par radio sans doute – de reprendre le contrôle de la situation. D’un coup, elles firent toutes la même chose. Ouvrant leur fenêtre lorsqu’elles n’étaient pas brisées, les copilotes de chaque voiture tendirent leur main en dehors de celle-ci en tenant fermement une arme. De cette façon, quelques secondes plus tard, ils déversèrent sur moi une nuée de projectiles meurtriers. A présent, je ne pouvais plus faire grand-chose… peu importe où je me plaçai, j’étais à porté de tir. Il fallait donc que je recommence à virevolter sans arrêt pour éviter la mort… mais en tirant sans arrêt.
« Attrape le blaster à ma ceinture et tire avec moi – criai-je à l’adolescente. » Elle ne gaspilla pas sa salive et se saisit du flingue en quatrième vitesse.

Ensemble, nous canardâmes nos adversaires du mieux que nous le pouvions, tandis que moi je m’efforçai en plus de faire en sorte que l’on survive.
On s’en sortait plutôt bien, à force de lancer des salves de munitions, on finit par toucher la pièce maitresse d’un des engins : celle qui lui permettait de tenir en lévitation. Il partit s’effondrer dans les méandres de la ville, en heurtant au passage d’autres malheureux civils.
Soudain, un énorme éclair déchira le ciel en un énorme bruit de tonnerre. Une pluie des plus fortes se mit à tomber, et en une trentaine de secondes prit une ampleur considérable. Elle battit avec puissance, accompagnée par de fortes bourraques de vent, martelant le sol et le pare-brise de tous les usagers de la route, ruisselant le long des vitres des buildings, et me rendant le pilotage beaucoup plus difficile qu’il ne l’était déjà. Décidément, je n’aurai pus cauchemarder d’une pareille malchance. Le vent violent m’empêchait de manœuvrer comme il le fallait, et nous déportait dangereusement.
Je continuai toutefois de faire feu, sans relâche, et Lange également. Après une rafale que je réussis à envoyer en visant convenablement, je pus voir une balle s’écraser contre le front d’un des conducteurs, lui explosant la boite crânienne. Dans un dernier mouvement, le mort tourna son volant de pilotage sur la gauche et son vaisseau vint s’aplatir contre un immeuble.
Je ne pus retenir un sourire d’amusement sadique, dont je me délectai avec le plus monstrueux des plaisirs. Qu’est-ce que ça faisait du bien de sentir en soi la joie de la victoire, d’avoir réussit son entreprise avec le plus grand succès, d’avoir encore et toujours tué sur son passage. J’avais du mal à compter mes victimes du jour… car je ne savais pas par combien les flics montaient par véhicule… Mais il me semblait qu’ils n’étaient pas plus de deux, par conséquent j’en avais tué neuf. Par contre, si l’on comptait les dommages collatéraux, alors là j’avais fait un véritable carnage.
J’étais fier de mes méfaits… trop fier. Et ça me fit commettre une grave erreur.
« Raven ! Attention ! »

Un tir. Une balle de gros calibre. L’aile gauche de mon planeur qui partait en morceaux. Lange et moi qui tombâmes dans le vide. Telles furent les choses qui se déroulèrent en l’espace de quinze secondes. Et pourquoi… ? Facile à dire : vantardise, fierté, estime de soi et vanité. J’étais tellement préoccupé à vanter mes mérites dans ma tête que j’en avais oublié de me concentrer sur la bataille que je menais… Et je n’avais pu éviter la balle qui fut fatale à mon planeur.

Détruit, il se détacha de mon dos, nous laissant Lange et moi à une chute qui allait probablement nous être mortelle. Tournoyant sur nous même au milieu de la pluie, nous vîmes défiler les mètres les uns après les autres. C’était comme un compte à rebours… plus le nombre de mètres augmentait, plus l’échéance était proche… et plus elle durait à venir, plus elle serait dure. Heureusement, pour échapper à mes poursuivants, j’étais relativement descendu et devais me trouver à environ une centaine de mètres du sol. Ce qui restait tout de même un problème…
Je me rendis compte que j’avais lâché mon arme au moment où mon gadget avait explosé… Tant pis. Je n’en avais strictement rien à foutre. Je me plaçai de façon à ce que, au moindre choc, ce soit moi qui encaisse le tout, et non l’humaine. Et ce choc ne se fit pas tarder.

Une voiture circulant à toute vitesse nous percuta violemment, stoppant notre descente au bout d’à peu près quarante mètres. L’atterrissage se fit en un déluge de verre cassé et en un bruit de tôle froissée. Je bénissais soudain le fait d’appartenir à une race dont les os étaient quasiment incassables, car sinon, avec une ossature conventionnelle, je serais sorti de l’accident avec la moitié de la colonne vertébrale en purée, paralysé à vie. Mon dos s’enfonça dans le pare-brise de l’engin et j’entendis son conducteur hurler tandis qu’il commençait tout juste à perdre le contrôle. J’eus l’impression que chacun de mes membres s’était dissout, et j’eus atrocement mal. Mes os s’en sortaient bien, mais ils en avaient prit un sacré coup.
Sous la puissance du choc j’ouvris les bras, lâchant la jeune fille que je tenais depuis presque vingt minutes. Elle roula à mes côtés et faillit tomber par-dessus la carrosserie ; mais elle eut le réflexe de sa raccrocher à ma cape qui battait contre la cuirasse du bolide. Lange était à présent pendue au dessus du vide, entre la vie et la mort car, si elle lâchait la cape, elle ne pouvait pas en réchapper. Les os humains sont réputés pour leur fragilité incroyable.
Mais je ne pouvais rien faire pour la sortir de là… Le vaisseau sur lequel nous nous étions écrasés était parti en tête à queue, et j’étais forcé de me tenir au capot si je ne voulais pas basculer à mon tour. Je sentais que ma cape commençait à craquer, signe de la mort imminente de l’adolescente. Et je ne pouvais pas la laisser crever. Pas maintenant ! Pas après tout ce que j’avais fait pour la maintenir en vie, pour la laisser hors de portée de tous ces agents de police qui cherchaient à l’arrêter… ça aurait été trop stupide !

Bien conscient des risques que j’encourais, je me penchai vers elle et lui tendis une main qu’elle saisit, puis l’aidai à remonter. Elle s’affala sur moi, couchée sur ma poitrine, totalement à bout de souffle. Et elle n’était pas au bout de ses émotions…
Le chauffeur ne parvenait toujours pas à reprendre le contrôle ; peut être même n’essayait-il même pas, trop paralysé par la peur, ou alors était-il mort sur le coup. Continuellement en vrille, l’arrière de la voiture s’enfonça dans la vitre d’un gratte-ciel, la traversant elle ainsi que tout un étage. Telle une avalanche de verre brisé, nous passâmes dans l’immeuble, mains sur la tête pour nous protéger, en dévastant tout sur notre passage avec notre taxi forcé. Nous fonçâmes dans divers bureaux, chaises et autres mobiliers en bois pourri avant de franchir la fenêtre de l’autre côté, emportés par notre élan. Par chance, il n’y avait eu aucun mur lors de notre traversée… ce qui relevait du miracle. Je ne vis pas grand-chose, j’avais surtout du mal à réaliser ce qui était en train de se dérouler sous mes yeux. C’était à peine si j’avais compris que j’avais transpercé un bâtiment… Une peur étrange s’empara de moi. Une peur qui n’était pas celle de mourir, ou de me blesser, non. J’avais peur car je ne maitrisais rien. Je ne pouvais rien faire, si ce n’était attendre que ça passe. Et c’était ça le plus effrayant. Peu importe ce qui se passait, je n’étais pas maître des événements. Si le vaisseau devait exploser, je ne pourrais rien faire pour l’en empêcher. Je n’étais que le témoin d’une énorme suite de coups de malchance incontrôlable. Je ne pouvais qu’espérer stupidement que rien n’arrive de trop grave.
Je détestais espérer.

L’engin, hors d’état de fonctionner après tout ce qu’il avait subi comme chocs, n’étant plus capable de voler, on tomba jusqu’à s’aplatir dans une petite rue cinquante mètres plus bas. Cette fois-ci, je n’eus pas autant mal lors de la fin de la chute… car la carrosserie en amortit une grande partie. Mais dès qu’on toucha le sol, on fut projetés de celle-ci pour heurter le sol couvert de débris de vitres.
J’étais face contre terre, et je sentais bien à nouveau que j’étais coupé et balafré de partout. Les éclats étant véritablement coupants, à force de les côtoyer je n’avais pu en sortir sans égratignures. J’étais épuisé, exténué, lessivé, complètement à bout de force. Je n’avais pas envie de me lever… Si mes chutes ne m’avaient pas tué, elles m’avaient profondément affaibli, et j’avais extrêmement mal à chaque parcelle de mon corps. J’éprouvais de grandes difficultés à bouger le moindre muscle, j’étais décidément mal en point, plus que jamais. La pluie martelait mon crâne, de plus en plus, ainsi que l’ensemble de ma silhouette. Je ne pouvais pas rester là, il fallait que je parte, sinon j’allais crever ici ou me faire arrêter. Je n’avais pas le choix.

Très vite, une équipe de cinq policiers débarqua, braquant leurs flingues sur nos corps allongés. Je pris la peine d’observer leurs armes, pour une fois. Elles étaient longues, et permettaient de tirer aussi bien à bout portant qu’éloigné. J’avais fabriqué de nombreux modèles plus ou moins ressemblants à ceux-ci ; je vis aussi qu’ils pouvaient tirer soit en rafale, soit au coup par coup. Bien, ça allait peut être pouvoir me servir… Je pompai dans toute mon énergie pour me relever péniblement. Du sang sur le visage, de l’eau ruisselant de partout, les cheveux mouillés ballotant au gré des nombreuses bourrasques et les vêtements trempés collant sur moi telle une seconde peau, je les fixai d’un air qui se valait sombre ; ni plus, ni moins. Ma cape se déchira complètement, emporté par un grand coup de vent. Je la regardai s’envoler, elle emportait loin de moi tous mes chargeurs et tout mon argent… Mais je m’en fichais, de toute façon, je n’avais plus d’arme ; quant à l’argent, à cet instant précis, il ne représentait rien pour moi. Ca me faisait du poids en moins à porter… Et c’était tant mieux. J’observais un peu les lieux, et vis qu’il n’y avait pas de tourelles ici. Ils n’avaient pas dû en installer dans toutes les ruelles, pour ne pas gaspiller trop de fric. Encore une fois, j’avais eu du bol.

Lange se leva à son tour, elle semblait encore plus sonnée que moi. Ca devait sûrement être sa physiologie d’humaine qui faisait ça… Elle était moins résistante. Elle tituba un peu, ayant du mal à tenir debout. Le plus gradé des cinq gardiens de la paix s’avança d’un ou deux mètres et, prêt à tirer au moindre mouvement, me lança en me fixant droit dans les yeux :
« C’est fini, Cognito. Tu ne peux plus rien faire. Tu es désarmé, et dans les secondes à venir, une foule de renforts viendra nous épauler, moi et mes collègues. Rends-toi, c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour tout le monde. » Sur ces mots bien prononcés, il se mit encore plus sur ses gardes – ce qui, en passant, était une bonne initiative de sa part. Je le regardai inflexiblement, sans esquisser le moindre geste, restant simplement droit devant lui tandis qu’il commençait à se demander comment j’allais réagir.
Je fermai les yeux, comme pour réfléchir, puis tournai la tête vers Lange. Elle se tenait à un des murs de la ruelle pour ne pas tomber et me regardait fixement. Je voyais bien dans son regard qu’elle voulait que l’on prenne la fuite. Elle pouvait toujours rêver… Je soupirai un grand coup, je venais de prendre la décision qui était pour moi la meilleure. Je levai les bras en l’air.

« Ok… S’il le faut, je me rends – déclarai-je. » Le policier n’eut pas l’air surpris, comme s’il s’y attendait, comme si c’était parfaitement logique à ses yeux que je me livre aux autorités. Ce qui n’était pas le cas pour Lange, elle était complètement abasourdie et ouvrait des yeux ronds d’incompréhension. Le flic s’approcha de moi doucement, gardant son fusil en joug sur moi tout en s’emparant de menottes.
« Mets tes mains derrière le dos et tourne-toi dos à moi – m’ordonna-t-il. » Je lui obéi, je n’avais pas vraiment d’autres solutions. J’étais face à l’humaine, son regard était apeuré, elle n’en revenait pas. Elle devait déjà être en train de se demander qu’est-ce qu’elle allait faire maintenant que je m’étais rendu, comment allait-elle gérer sa vie sans protection, ou je ne sais quoi d’autre… Mais lorsque l’agent fut assez près de moi, elle comprit à mon sourire de fou et à mes yeux qui l’étaient tout autant, ce que j’avais en tête.
« Oh non… » semblait-elle murmurer rien que pour elle.
Oh si…

Au moment où il allait tranquillement me passer les menottes, ce qui lui paraissait probablement être le plus grand jour de sa carrière, peut être même le plus beau de sa vie, allait devenir le dernier. Me retournant rapidement, je lui attrapai la main qui tenait l’arme avant de le plaquer dos contre mon torse, en l’étranglant avec mon bras. Il ne vit absolument rien venir ; l’instant d’après je tenais son fusil et l’appuyai contre sa tempe. Il chercha à se débattre mais je resserrai encore plus mon étreinte, le faisant quelque peu décoller du sol. Ses collègues restèrent très professionnels, malgré tout… ils concentrèrent toute leur attention sur la situation sans même paniquer. J’entendais de là les rouages de leurs cerveaux réfléchir à toutes les possibilités pour sauver leur ami. Ils étaient sûrement entraînés à vivre ce genre de problème.
Mais moi, je n’étais pas n’importe quel problème…

« Tu n’es qu’un être pathétique – soufflai à ma prise – tu croyais vraiment que j’allais me laisser arrêter ??! » Je me mis à rire pour moi-même… Je m’amusai assez. Lange voulait que l’on parte, selon elle je devais être trop faible à cet instant pour pouvoir les vaincre. Et alors ? C’était peut être vrai. Mais après tout ce que j’avais fait aujourd’hui, j’estimais avoir droit à une compensation… « Si, comme tu le dis si bien – repris-je – tes renforts viendront dans les secondes à venir… Alors ça veut dire qu’il ne me reste plus que quelques secondes pour en finir avec vous. Tout simplement…
- Tu es cinglé, Raven !! – cria Lange dans mon dos.
- Tant mieux. »

Joignant le geste à la parole, je me saisis de sa tête et, dans un craquement très distinctif, lui brisai les vertèbres de la nuque. Aussitôt, les quatre autres se déchainèrent, déversant sur le cadavre de leur compagnon une nuée de projectiles assassins, cherchant à m’atteindre moi. Mais avec ma vitesse, j’avais déjà décampé, et à présent étais juste à côté de l’un d’eux. J’avais dit que la fatigue avait pris possession de mon corps ? Que je pouvais à peine bouger un muscle ? Conneries ! Maintenant que cette adrénaline bien familière avait pris possession de moi, je me sentais plus que bien. En pleine forme, même. J’assenai au flic un violent coup de crosse dans le visage, le faisant tomber à la renverse. Tandis qu’il se tenait un nez pissant le sang, je lui tirai une balle en pleine poitrine, pour l’achever. Les autres se tournèrent immédiatement dans ma direction, comprenant alors que j’avais bougé… mais trop tard. Le plus proche de moi se prit un flot de mitraille dans tout le corps avant de s’effondrer sur le macadam, sans vie. Déjà trois sur cinq mis hors course. Et ils pensaient réellement qu’ils allaient m’arrêter ? Il était vrai que la présence de renforts était un bon argument, mais il me suffisait d’agir rapidement et le tour était joué ! Pour mon plus grand plaisir… A présent, toute la rage que j’avais ressenti avait disparue… je tuais à nouveau par folie. Par folie pure et dure… Et c’était nettement mieux.

Je me mis invisible l’espace d’un instant, alors qu’ils faisaient feu dans ma direction, pour me précipiter vers l’agent le plus éloigné de ma personne et lui faucher les jambes en l’envoyant mordre la chaussée. Je ne me servais plus du fusil comme d’une arme à feu, mais plutôt comme d’une batte. Ce qui prolongeait la durée de leur supplice et accentuait l’intensité de ma jouissance personnelle.
Une fois l’homme à terre, je réapparus et bondis sur le dernier flic debout, atterrissant sur son dos en le faisant tomber sur le ventre. Avant qu’il n’ait eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait, je fis passer l’arme de l’autre côté de sa tête en l’amenant contre sa gorge, puis ramenai le fusil vers moi de toutes mes forces, de façon à l’étrangler. Il ne pouvait plus que bouger les bras, puisqu’étant ainsi sur son dos, je lui immobilisais tous ses autres membres. Et avec ses mains, il tenta désespérément de retirer le flingue de sa trachée, mais en vain. J’aimais le voir s’exciter ainsi pour s’acharner à rester en vie… C’était inutile, il le savait autant que moi, mais il le faisait tout de même. Alors qu’il commençait à émettre quelques sons propres à l’étouffement, je vis ses bras trembler, je vis chacun de ses muscles faiblir, se relâcher à chaque seconde qui passait, je pus voir ses yeux s’exorbiter, sa langue pendre, son expression se figer, son teint se violacer… et puis soudain, sa tête et ses bras retomber. La vie avait quitté son corps.

Le sourire sur mes lèvres était d’autant plus agrandi, d’autant plus extasié maintenant que je pouvais voir son cadavre… Mais l’heure n’était pas à la contemplation. Derrière moi, le policier que j’avais envoyé à terre s’était relevé et s’apprêtai à m’abattre. Cependant, avant même qu’il ne pointe son arme sur mon visage ruisselant de gouttes de pluie, je lui envoyai un coup de fusil dans la face avec toute l’énergie qu’il me restait. Il décolla du sol pendant deux secondes. Quand il atterrit sur le macadam mouillé, se fut sur le dos et en hurlant de douleur. Je me mis accroupi sur lui, souriant comme jamais, tout en frappant, frappant encore et encore, inlassablement le visage de ce membre des forces de l’ordre, lui assenant des coups meurtriers de plus en plus forts, déchiquetant littéralement son crâne, envoyant voler des lambeaux de peau et de chair aux alentours, faisant jaillir le sang à flot, tel celui d’un geyser, de là où avant reposait une figure jeune et sereine désormais réduite en bouilli, en purée. Je continuai de le marteler en riant ; je m’éclatais, je m’amusais, c’était une véritable passion que je nourrissais là. De mes mains je venais d’exploser une boite crânienne… c’est à peine si je m’en rendais compte tellement j’en étais heureux. Du sang de ma victime mes vêtements étaient imprégnés, il dégoulinait de mes mains, de mes cheveux et de mon visage. Après une telle démonstration de cruauté infâme, je ne pus que me sentir bien… ainsi que d’une monstrueuse puissance. L’hémoglobine sur le sol se mélangea aux diverses flaques d’eaux longeant le cadavre, créant des flaques d’un rouge que j’adorai, qui m’apportait un bonheur jouissif quand je le voyais ainsi sur mes paumes. Finalement, j’étais heureux d’avoir fait de telles chutes et d’avoir subi de telles blessures juste pour avoir été de cette manière récompensé.

Mais, malheureusement, je ne pouvais pas plus longtemps me délecter de la vision de cette véritable boucherie orchestrée magistralement. Les renforts arrivaient, leurs sirènes facilement reconnaissables m’informaient de leur présence. Enfoiré de rabat-joies ! Un vaisseau rouge et blanc apparu au coin de la rue, juste en face de moi ; il fut très vite suivi d’un autre que j’eus plus de mal à reconnaitre. Après l’avoir analysé, je pus conclure que c’était une équipe d’holo-télé qui prenait le risque de s’aventurer ici pour avoir l’exclusivité de ma capture ou d’une nouvelle défaite cuisante de la police face à moi.
J’étais en train de réfléchir à une stratégie d’action, quand soudain j’entendis derrière moi un bruit de fusil se chargeant. Je me tournai immédiatement pour constater que c’était celui à qui j’avais cassé le nez puis tiré une balle qui s’était relevé. Il avait le visage et le torse ensanglantés, et il tenait à peine debout. Mais cependant il était sur le point de m’exécuter, et je n’avais quasiment pas le temps de contre-attaquer. Ca aurait été moche de me faire exécuter ainsi, devant une caméra qui transmettait des images à des milliards de spectateurs… J’allais tenter quelque chose lorsque la dépouille encore chaude de ce même policier toucha le sol, la tête dans une flaque rouge. Lange, derrière-lui, venait de lui tirer une balle dans la tête.

A la vue de cette scène, j’oubliais toute ma folie furieuse, toute la joie, le plaisir que j’avais pus ressentir auparavant pour laisser place au sentiment hargneux de la rage. Car d’un coup, le mensonge de la jeune fille me revint à l’esprit… J’avais envie de l’égorger vive, de lui ouvrir le ventre, de lui sortir les trippes ainsi que de pas mal d’autres atrocités dont je me sentais capable… Elle n’était décidément pas celle que je croyais. Elle n’était pas cette jeune fille douce, innocente qui s’était présentée à moi. Non, c’était une personne qui n’hésitait pas à tuer, et sans émotions. Une personne du même genre que moi ou mon père.

Je la fixai d’un œil mauvais pour lui montrer à quel point ma colère envers elle se faisait noire. Tenant mon arme de la main gauche, je me relevai sans cesser de la dévisager ainsi.
« Partons – osa-t-elle dire. » Je la regardai encore un instant avant de lui prendre son fusil des mains et de détourner mon attention vers le véhicule police.

Je me mis au milieu de la route en boitillant quelque peu ; maintenant que le flux d’adrénaline était passé, les effets de mon affaiblissement et de mes blessures se faisaient à nouveau ressentir. Mais qu’importe, j’allais faire avec.
« Slim Cognito ! – gueula le pilote dans son mégaphone – Rendez-vous ou vous êtes morts ! » Encore ce magnifique ordre, celui de me rendre… ça commençait à être doucement lassant, à force, de les envoyer se faire voir.
« Jamais ! – leur rétorquai-je en commençant à les mitrailler avec mes deux armes. » Les balles touchèrent toute la carrosserie de la voiture volante qui se mit à son tour à tirer. Leur mitraille toucha le sol à seulement deux ou trois mètres de moi ; dans quelques secondes, elle m’attendrait. Mais je ne m’arrêtais pas de les canarder, tout comme eux – à la seule différence que je faisais mouche, moi. Et en seulement un instant, le bolide partit en débris en une déflagration assourdissante. Sa carcasse fumante s’écrasa contre la chaussée en projetant des morceaux aux alentours. Je m’apprêtais à présent à fusiller l’équipe d’holo-télé lorsque, soudain, débouchèrent une quinzaine d’engins policier du même coin de rue dont était venu celui que j’avais à l’instant anéanti.
A mon avis, ils étaient là depuis le début, mais attendaient de savoir s’ils avaient besoin d’intervenir pour aider le premier vaisseau… Et manifestement, il en aurait bien eu besoin, mais ils arrivaient trop tard. Ils ne devaient pas s’attendre à ce que je vise assez bien pour toucher la fine partie des moteurs qui les faisaient exploser… Mais c’était le cas.
Merci à l’entrainement intensif de mon paternel…

Par contre, là, ça commençait à devenir relativement compliqué, et je ne me sentais pas assez fort pour venir à bout de ces quinze bolides ennemis… Enfin, c’était surtout que c’était largement trop risqué et que j’allais manquer de balles… Eux cependant en avaient, et ne s’en privèrent pas : ils m’en aspergèrent. Je fus donc obligé de battre en retraite.

Je revins en courant vers Lange et lui saisit le bras. Ce que j’allais faire me déplaisait énormément… mais à ce stade, ce n’était plus comme si j’avais d’autres opportunités. Là, c’était une question de survie… Après tout ce que j’avais fait pour qu’elle reste cachée aux yeux de la population, j’allais révéler au monde entier, filmé en direct, ma capacité à devenir invisible. Et, sans prévenir l’adolescente, je nous fis disparaitre aux yeux de tous. Juste après, je nous mis à l’abri de la pluie de mitraille que les engins déversaient et attendit qu’ils cessent le feu. Que j’aurai voulu voir leur incompréhension sur leur visage, ainsi que les empaler les uns après les autres… Mais dans ma posture, ça m’était tout bonnement impossible. A mon grand dam.

Dès qu’ils se furent arrêter de tirer comme des acharnés, j’attrapai Lange de la même façon que je l’avais fait la veille et partis à toute allure. Je ne passai que par les ruelles, empruntant les grandes rues seulement sur de courtes distances et uniquement lorsque c’était strictement nécessaire. Je pus voir sur mon trajet tout le foutoir que nous avions causé, l’humaine et moi… A des endroits circulaient en trombes d’innombrables véhicules de secours, de police ou autres… A d’autres des passants affolés cherchaient à savoir si des membres de leur famille faisaient partis des victimes… Bref, c’était une situation de crise pour une ville qui se vantait de sa « non-criminalité ».
Comme d’habitude, après cela, il allait falloir que je me fasse discret. La vigilance de la métropole se ferait d’autant plus élevée qu’elle ne l’était déjà. Et le pire c’était que pour une fois je n’avais même pas cherché à déclencher cette crise… C’était hallucinant… Même pavé de bonnes intentions j’arrivais à déclencher la terreur et l’horreur où que j’allais. C’était à la fois triste et excitant. J’étais toujours ce démon sans pitié dont j’avais tant honte à une époque.
Et je m’en fichais royalement.

J’arrivai au milieu d’un chantier qui semblait être celui d’un nouveau building en construction. La structure métallique du premier étage était déjà faite, mais c’était tout. Les robots conçus pour le bâtissage d’immeubles n’étant pas présent à cet instant, la rue la plus proche étant assez éloignée pour que je sois sûr qu’aucun piéton ne fasse attention à moi, je pus donc m’y arrêter. Je laissai tomber Lange par terre, sans douceur. On redevint visible en même temps, et elle se releva précipitamment. Elle dut voir dans quel état d’esprit j’étais car elle s’empressa de reculer quelque peu.
« Calme-toi, Raven… – plaida-t-elle sans arrêter de marcher à reculons – Je ne vois pas pourquoi tu m’en veux autant, je…
- Tu m’as menti ! – criai-je à son égard en m’avançant d’un pas ferme vers elle.
- Non, ce n’est pas vrai, je…
- Tais-toi ! » Je l’attrapai par la gorge et la plaquait contre un pilier métallique en la soulevant d’une dizaine de centimètres. Elle porta les mains à son cou. Elle avait très bien compris que j’avais découvert la vérité sur elle… et elle osait nier, en plus ? Elle se foutait vraiment de moi. « Bien sûr que si, tu m’as menti, espèce de salope !
- Mais – réussit-elle à prononcer avec difficulté – je…
- Tu… ? – fis-je en la soulevant un peu plus – « Tu » quoi ? Arrête de nier c’est inutile, dis moi la vérité, tout de suite !
- D’accord, d’accord – dit-elle en n’arrivant presque plus à respirer – mais repose-moi, s’il te plait. » Dans un mouvement rempli d’animosité, je la balançai contre le sol, l’envoyant rouler. A peine fut-elle stabilisée et eut-elle reprit une grande respiration que déjà je l’attrapai par sa queue de cheval et la relevai de force en lui collant le canon de mon fusil entre les deux yeux. Yeux que je fixai sans sourciller, sans chercher à avoir l’air fou ou sadique, je voulais juste montrer que dans cet état, j’avais perdu toute patience. Et que par conséquent, elle n’avait pas à jouer avec mes nerfs, ou bien mal l’en prendrait. Une fois debout, je ne la lâchai pas pour autant et lui tirai encore les cheveux pour la forcer à parler.
« Raconte-moi la vérité. La seule, l’unique, la véritable. Raconte-moi ce que tu as fait pour que l’on te suspecte de terrorisme, mademoiselle Moned. » Sur ces mots elle eut l’air de se sentir prise au piège, condamnée à ne plus mentir. Et c’était exactement ce que je voulais…
« Très bien – souffla-t-elle – Si l’on me suspecte, c’est que mon père a eu la main assez longue pour fournir des preuves mensongères. » Je m’appliquai à lui faire encore un peu plus mal.
« Tu disais que ton père était mort !
- Ouais… et ben j’ai menti. J’ai menti sur plein de passages de ma vie, ok ? Les seules choses qui soient vraies dans ce que je t’ai raconté c’est que je suis bien humaine, je m’appelle bien Lange, je vivais bien sur Ezeerf avec mon père, et ma mère est bel et bien morte. Le reste, tu peux oublier… Mais ce qu’il faut que tu comprennes, Raven, c’est que je ne suis pas ton ennemie.
- Avec tous les points sur lesquels tu m’as dupé, il est difficile de te croire… Tu ferais bien mieux de me le prouver, et au plus vite, avant que je ne presse la détente.
- Si je suis venu sur Kerwan, ce n’est pas un hasard, comme je te l’ai fait croire ! Je suis venue pour toi ! »

Alors là, je n’en revenais pas. Cette révélation me fit un choc incroyable… Je lui lâchai les cheveux et la laissai reculer, sans pour autant cesser de la tenir en joug. Il fallait que j’en sache plus.
« Continue… – lançai-je d’un air suspicieux.
- Mon père est un assassin, un criminel. Alors qu’il s’était toujours montré très aimable, très gentil avec moi tout au fil de ces années, et surtout depuis le décès de ma mère, il y a environ trois mois, il tenta de m’assassiner. Comme ça, sans raison, sans afficher la moindre expression sur son visage. Il a débarqué devant moi, une arme à la main, en tentant de me loger une balle dans la tête. Mais j’ai réussi à lui échapper. Par je ne sais quel miracle j’ai pu atteindre son vaisseau spatial et m’en aller avec. Enragé, il a tout mis en œuvre pour que l’on me retrouve. Il est allé jusqu’à créé des preuves factices sur mon appartenance à un groupe terroriste et à les fournir aux autorités pour qu’elles me retrouvent…
- Tout cela est bien beau – la coupai-je d’un ton ironique – mais quel est le rapport avec moi ?
- Nos pères travaillaient ensemble. » Elle, on pouvait dire qu’elle avait le don d’enchainer les trucs surprenants… Les rouages de mon cerveau commencèrent déjà à assembler les pièces du puzzle. « Le tien, Slim, venait régulièrement chez nous pour élaborer des plans avec le mien. Je savais bien que ce qu’ils faisaient n’était pas légal, mais je m’en fichais. Mon père m’enseignait son métier, et c’était tout ce qui importait pour moi. Slim faisait pareil avec toi, il t’enseignait son savoir. Je l’ai su un jour lorsqu’ils discutaient entre eux gaiement. Ton père répétait sans arrêt qu’il était fier de toi, que tu étais un génie, bien plus intelligent que lui. Il était assez proche de moi également ; lorsque mon père était trop occupé, c’était lui qui venait me coucher, ou ce genre de trucs. Mon père aussi disait qu’il était fier de moi, et qu’il m’aimait beaucoup… Tu parles, il n’avait pas vraiment l’air de m’aimer il y a quelques mois… » Je pus voir dans ces yeux, pour la première fois, de véritables émotions en ses yeux. Il y avait quelques larmes qu’elle s’efforçait de ne pas laisser couler. « Bref. Après m’être enfuie, je réussis à survivre comme je le pouvais. Et deux jours plus tard, je voyais ta photo placardée à tous les coins de rues annonçant que l’on te recherchait. J’ai compris immédiatement que, malgré ce que disait l’affiche, ce n’était pas Slim Cognito qui était responsable des atrocités qu’on lui reprochait, mais que c’était toi. J’avais vu Slim assez souvent pour comprendre que ce visage était beaucoup plus jeune que le sien. Et puisque je savais que vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau, mon raisonnement n’a pu que me mener à toi, Raven. Et c’était étrange, non ? Deux enfants dont les parents travaillaient dans les mêmes affaires illégales et pour le moins louches qui fuient le domicile parental en même temps… il y a de quoi se poser des questions, et de bonnes questions, pas vrai ? Alors j’ai décidé de te trouver, ce que j’ai finis par faire, pour obtenir des réponses à mes interrogations… »

Elle finit sa tirade ainsi. Bordel de merde… Je ne m’attendais à absolument rien de ce genre, mais alors pas du tout. Je n’imaginais même pas que sa vie soit liée à la mienne… Ma tête me faisait mal, j’avais assimilé beaucoup trop de choses en un temps trop court… Et ces choses étaient loin d’être anodines. Ca allait vraiment loin. Ce coup-ci, j’étais sûr qu’elle disait vrai, car elle en savait long sur moi… Même s’il restait la possibilité qu’elle soit une envoyée de Slim. Mais j’en doutais fortement… Je ne lui donnais pas une parfaite confiance pour autant.
N’empêche, Slim qui tuait ma mère en même temps que le père à Lange tentait d’assassiner cette dernière, c’était plus que louche… Surtout si les deux hommes bossaient dans les mêmes coups. On mettait le pied dans quelque chose de terriblement poussé qui faisait déboucher mon esprit à des milliers de spéculations paranoïaques. Les deux hommes avaient probablement une idée commune… Raser leur famille ? Difficile à croire, d’autant que Slim cherchait à me ramener vivre avec lui… Ils devaient être complètement ravagés… Encore plus que moi.
Mais il y avait encore quelque chose qui restait à éclaircir dans ce qu’avait dit l’humaine :

« Comment as-tu fait pour me retrouver ?
- Ah… ça c’était facile. J’ai appris que l’A-323, le fameux code, venait de toi et Slim… Et bien, du même principe, mon père à solliciter mon aide pour créer un gadget de localisation. Chaque œil est différent selon la personne. Il y a des codes génétiques dedans… Notre gadget se présente sous la forme d’un gros cylindre disposé je ne sais sur quelle planète. Mais il arrive à pirater tous les satellites Solaniens en un rien de temps, et il s’occupe de rechercher sur toutes les planètes où se trouve la personne correspondant au code génétique demandé. En fait, on a créé des lentilles à poser sur nos yeux. Une fois qu’on les porte, on est directement connectés au cylindre. Après il suffit de visualiser l’œil de la personne que l’on recherche dans sa tête, et les coordonnées du lieu où elle se trouve apparaissent directement sur la lentille. C’est comme ça que je t’ai trouvé. » Je dus faire un effort pour cacher mon admiration devant ce gadget très élaboré.
« Comment ça se fait que tu ne m’aies trouvé qu’au bout de trois mois ? – demandai-je.
- Je ne t’ai pas cherché tout de suite. J’ai d’abord tenté de trouver des réponses toute seule avant d’aller demander de l’aide à quelqu’un que je n’avais encore jamais vu.
- Mouais… et pourquoi ton père n’a-t-il pas utilisé ce gadget pour te retrouver, s’il le voulait tellement ?
- Ceux qui portent les lentilles qu’on a conçues sont indétectables. C’est aussi simple que ça. »

Je baissai mon fusil, jugeant inutile de continuer à la menacer. Ses explications étaient plus que crédibles, et elles répondaient aux questions pertinentes avec logique, et sans hésitation. Mais il en restait toutefois une que je voulais qu’elle m’explique :

« Pourquoi m’as-tu menti ? – lui fis-je, simplement.
- Je voulais d’abord que tu me fasses confiance avant de te révéler la vérité… Je pensais que tu ne me croirais pas si je te déballais tout tout de suite. Mais je te l’aurais quand même dit, quand tu aurais commencé à me faire confiance. » Le pire, c’est que c’était vrai. Si elle s’était présentée comme ça à moi en me disant tout d’un coup, je ne l’aurai absolument pas crue.
« Je pensais juste – dit-elle – que si je te trouvais, tu allais peut être pouvoir me dire pourquoi mon père a tenté de me tuer, et pourquoi tu es parti de chez ton père et ta mère.
- Ma mère est morte. Slim l’a assassinée. C’est pour ça que je me suis enfui. Et je n’en sais pas plus… Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle il l’a tuée. »

Je lâchai mon arme. Ma tête travaillait à fond, toute ma fatigue et ce que j’avais enduré me revenait d’un coup sur les épaules… m’épuisant considérablement.

« Oh… – fit-elle – désolée…
- Tais-toi un peu, s’il te plait – lui lançai-je en m’asseyant sur un tas de pierre – j’ai besoin de réfléchir encore un peu. » Mon crâne avait beau me faire souffrir, mes idées restèrent claires… J’avais envie de rester là à imaginer tous les scénarios possibles et imaginables sur le but de nos pères, mais Lange ne m’en laissa pas l’occasion. Elle s’assit à mes côtés et me regarda d’un air doux et compréhensif.
« Si l’on reste ensemble on finira peut être par trouver des réponses à nos questions. Je pense qu’il y a une seule et unique clé à cette énigme. Nos pères sont cinglés, mais ils n’agissent pas sans raisons, ils sont intelligents… Alors je voulais savoir si tu acceptais toujours que je t’accompagne, malgré les ennuis que je t’ai causés… » A cet instant, je me rendis compte d’une chose. C’est que là, ma course-poursuite en ville, mon carnage, et tout le reste avaient disparus de mon esprit. Tout ce qui comptait c’était Lange. Elle était comme moi… on avait le même passé, les mêmes interrogations. C’était plus important que le reste. Avec elle j’allais peut être réussir à éclaircir les mystères sur mon père, et sur le sien… Je n’hésitais donc pas un instant.
« Oui, tu peux rester… Tu as raison, ensemble on a plus de chances d’avancer. » Elle sourit en me fixant durant un long moment avant de dévier le regard.
« Merci – déclara-t-elle – Je t’aime bien, Raven… Même si la plupart du temps je ne te comprends pas. Je ne comprends pas ta soif de tuer, et d’être barbare par exemple… Mais bon, je t’ai toujours admiré… Déjà quand ton père me parlait de toi, quand il me racontait tes exploits, j’étais abasourdie. J’ai toujours rêvé de te rencontrer, mais j’aurai préféré dans d’autres circonstances… Et puis, j’ai toujours voulu voir également ton robot de dix mètres. » Elle eut un rire et je lui souris à mon tour.

Bordel… j’avais le visage en sang, le corps coupé de partout, j’avais tué à peu près quinze personnes aujourd’hui, je venais de vivre l’une des scènes les plus flippantes et dangereuses de mon existence, j’avais appris quelque chose d’incroyable sur la jeune fille qui m’accompagnait ; je ne pouvais même pas être sûr qu’elle me dise toute la vérité… Mais quelle était la seule pensée qui me venait à l’esprit ?
« Lange a malgré tout un visage angélique. »

J’étais vraiment pas net…. »

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