Raven - Chapter 11

Author: gag_jak

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Le Prédateur
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« Il nous manipule. Il est là, parmi nous, j’en suis persuadé. Il nous observe en ricanant dans son coin, nous enfermant peu à peu dans un piège vicieux et machiavélique, programmant à l’avance chacun de nos déplacements pour mieux nous voir mourir à petit feu… Bordel, mais comment en suis-je arrivé là ? Je n’ai pas mérité tout ce qui m’arrive ! D’accord, je n’ai pas toujours été clean au cours de mon existence, j’ai tué de nombreuses fois, et pas toujours utilement… Et alors ? J’ai contribué à créer un monde sans peur… Ou du moins, j’ai essayé. Car le monde n’est pas sans peur… La preuve la plus flagrante est que je suis moi-même à cet instant précis en proie à une terreur incommensurable ; une terreur qui paralyse mes muscles, qui me pétrifie, m’empêche de raisonner sainement, occupe chaque part de mon esprit, ne me faisant penser qu’à une seule et unique chose, encore et encore, perpétuellement : je vais mourir. Et j’en ai peur. Enfin… je n’ai pas peur de la mort en elle-même, mais peur de tout ce qu’elle implique. Peur de ce que le monde deviendra par la suite, de la potentielle tristesse qu’auront ceux qui m’aiment, et de la joie qu’éprouveront ceux qui me haïssent. Je ressens également de la peine pour tout ce que je vais perdre, de tout ce qui fait que ma vie est plus ou moins belle, de tous les moments joyeux que j’aurai pu vivre dans les années à venir. J’ai peur de tout ce qui va disparaître, et de tout ce qui n’existera jamais.

Je n’aurai jamais imaginé qu’un jour je me ferais de telles réflexions, et encore moins à mon âge. Je n’aurai même jamais pensé être un jour dans un tel état… J’ai réussi au fil de toutes ces années à instaurer dans mon entourage une crainte mêlée d’un certain respect. J’ai toujours été réputé pour mon efficacité, et pour mes nerfs solides qui me font ignorer la peur et me gardent concentré sur mes missions avec le plus grand professionnalisme.
La grande question qui se pose aujourd’hui est, bon sang, pourquoi suis-je autant effrayé ? Tout ce qu’on m’a dit à propos de ce type était donc vrai, alors ? J’ai toujours voulu me convaincre du contraire ; que tous les dires à son sujet n’étaient que les fabulations d’esprits faibles, à l’imagination trop développée. J’ai toujours voulu me dire que tout cela n’était que de l’exagération pour faire peur à la population, pour qu’elle se sente en danger, et ainsi devienne plus facilement manipulable par la société. J’ai toujours voulu croire qu’il n’était pas si fort, pas si machiavélique, que moi je pouvais le tuer, car je voulais le tuer, plus que tout au monde – comme j’avais longtemps voulu tuer mon père étant jeune, nourri par une rancune à la fois futile et pitoyable. J’ai toujours voulu me persuader qu’avec ma maitrise et ma puissance stratégique j’arriverai à en venir à bout. J’ai toujours été pathétique. J’avais tort. J’ai toujours eu tort.
Nous jouons en ce moment à un jeu, lui et moi. Nous jouons au chat et à la souris. Le problème, c’est que je suis la souris…. Une belle et chétive souris, probablement aveugle, vieille et unijambiste face à un chat svelte, rusé, féroce et sadique. Je suis la pitoyable proie d’un prédateur hors du commun.

Je marche à grandes enjambées dans le couloir d’un grand bâtiment où siégeait auparavant une entreprise renommée qui a fait faillite, et je suis à sa recherche. Ou plutôt, je suis à la recherche d’une solution qui puisse me maintenir en vie plus longtemps… Comme trouver la sortie, par exemple. Même si je suis sensé le trouver et l’exécuter, je prie au fond de moi pour arriver à sortir de cet enfer sans le croiser. Mais à vrai dire, je n’ai que très peu d’espoirs. Une nouvelle goutte de sueur coule sur mon visage, se mêlant ainsi parmi les innombrables autres qui le perlaient déjà. Plus par réflexe qu’autre chose, j’examine au toucher mon arme d’assaut pour vérifier si elle est bien chargée. C’est le cas. Je jette un regard à travers la baie vitrée qui sert de mur gauche au corridor. Au dehors, la sombre et pesante atmosphère nuptiale s’est déjà installée ; elle aurait plongé le décor dans les ténèbres si l’immense lune de cette planète n’était pas en train de propager ses lueurs claires qui semblent pures, éclairant le paysage. Un vent calme et paisible souffle tranquillement, promenant çà et là diverses feuilles mortes et autres prospectus laissés ici par les habitants des alentours. Si un promeneur passait dans la rue, il se dirait probablement que c’est une nuit calme et sereine, comme tant d’autres, où la vie suit son cours dans son train quotidien. Il aurait en effet toutes les raisons de penser cela. Cependant, dans le bâtiment où je me trouve, ce ne sont pas des feuilles mortes qui sont dissipées, éparpillées… mais des hommes. Morts, eux aussi. Et la vie ne suit pas son cours car, pour la plupart, elle s’achève ici.
Ca me déprime.

J’aurais dû ne jamais participer à cette mission. J’aurais dû plus penser à avoir une belle vie plutôt qu’à une belle carrière. J’aurais dû rester avec cette fille que je commence doucement à aimer, et qui m’aime déjà depuis longtemps. J’aurais dû écouter cette même fille quand elle me disait de ne pas partir jouer les héros. J’aurais dû songer ne serait-ce qu’un seul instant à tous les dangers que représentait cette chasse à l’homme insensée, me dire qu’elle était capable de me tuer, de m’empêcher d’avoir un quelconque avenir ; et un bel avenir, en plus. J’aurais dû réfléchir plus tôt à tout ce qui fait que j’ai envie de vivre encore quelques années.
Mais c’est trop tard, maintenant. C’est comme si j’étais déjà mort.
C’est étrange de penser ça, de se dire qu’il n’y a plus d’espoir, que l’on va crever sous peu… D’habitude, quand je suis pris de dépression, ou quand je vais mal tout simplement, je me raccroche à l’idée que je vivrai de belles choses par la suite, que ça vaut le coup de se rétablir pour mieux vivre les instants futurs… Mais là je ne peux même pas me dire cela, car mes instants futurs risquent de ne pas être nombreux du tout. J’irai même jusqu’à dire que je n’en ai quasiment aucun. J’en suis, tout du moins, persuadé. Je me sens vide. Je ne suis même pas sûr d’avoir peur, en réalité. Je n’ai juste pas envie de mourir ; une pulsion appelée instinct de survie me pousse à vouloir rester en vie le plus longtemps possible. Mais d’un autre côté, je suis tellement convaincu que je vais mourir dans les heures, voire les minutes à venir que c’est comme si j’en avais accepté l’idée. Et quand je repense à celle qui m’attend chez moi, c’est une profonde tristesse qui s’empare de moi.

« Putain, mais qu’est-ce que tu fous ?! Concentre-toi un peu ! » Mon équipier vient de m’envoyer un coup de crosse, me sortant de mes pensées. Je l’avais presque oublié, celui-là… « Comment peux-tu te laisser distraire dans un tel moment ?! Reprends-toi !! Je te rappelle qu’il y a de fortes chances pour qu’il soit dans les parages ! » Je le fixe durant un instant, le regard sans expression. Il est vêtu de la même combinaison que moi ; c'est-à-dire noire, épaisse sans être lourde, protégeant de l’impact de la plupart des balles. Il est musclé et particulièrement imposant ; je peux voir l’intensité de la fureur de son regard à travers la visière de son casque. Il est à la fois énervé, et apeuré. Je le sens. Néanmoins il a raison, je ne devrais pas me laisser aller à mes pensées alors que nous sommes dans un moment critique.
« Excuse-moi… – soupiré-je – Je pensais à autre chose.
- Ah oui ? Et à quoi ? – reprend-t-il avec cynisme – A ta dulcinée ? Si tu continues comme ça tu ne la reverras plus jamais, ta foutue dulcinée ! » Il s’avance dans le couloir en me flanquant un violent coup d’épaule. Sa colère est futile… Le pauvre croit qu’on a encore une chance de s’en sortir.

Je le suis tout de même, mitrailleuse à gros calibre tenue fermement entre mes mains. Je la tiens énergiquement, car c’est l’une des seules choses – et peut être même la seule – capables de me donner encore un peu d’espoir ici-bas. Sur notre droite, dans le couloir – qui est d’ailleurs à peu près long de vingt mètres – se trouvent trois portes, espacées d’environ six mètres l’une de l’autre. Nous en avons déjà forcé deux, et avons constaté avec un énorme soulagement que notre ennemi ne s’y trouvait pas. Il ne nous reste plus que la pièce la plus au bout du corridor à inspecter. Mais il n’y a pas de quoi être rassuré.
Dans un tel bâtiment on ne peut rien prévoir. Pendant qu’on contrôle une salle, il peut très bien surgir dans le couloir, venir discrètement derrière-nous, nous attraper et nous égorger avec une facilité impressionnante. En général, cela ne nous inquiète pas, car nous surveillons en permanence nos arrières, et celles de nos partenaires… nous sommes entrainés pour cela. Mais cette nuit, c’est différent. Ce n’est pas n’importe quel dégénéré que nous pourchassons… Autant dire que je suis convaincu que nous nous ferons avoir comme des débutants.

Gane donne un puissant coup de pied dans la dernière porte, s’ouvrant alors à la volée. Rapidement, je passe dans l’embouchure et braque mon fusil dans tous les sens, éclairant ainsi la vaste pièce qui s’offre à moi à l’aide de la lampe à nitronide intégrée dans le canon. Je fais un bref signe de main à l’autre pour lui indiquer qu’il n’y a, à première vue, aucun danger. Il entre à son tour et me prouve sa non-confiance en moi en inspectant lui-même la zone. Nous ne relâchons pas notre concentration et continuons de rester sur nos gardes. Nous le sommes même encore plus…
L’endroit est composé d’un bureau gris en mestagine – prouvant que l’entreprise siégeant ici avait des revenus élevés avant de sombrer –, d’un placard fermé, une étagère renversée avec son contenu éparpillé, deux conduits d’aération, et aussi et surtout une grande tâche de sang sur le mur, complétée d’une trainée de ce même liquide sur le sol. C’est d’ailleurs ce détail qui fait que nous redoublons de vigilance. Mon coéquipier me désigne une des deux grilles d’aération tandis qu’il se dirige vers la seconde. Je m’en approche prudemment, en jetant de temps en temps un œil parano vers l’entrée de la salle, pour vérifier qu’il n’y a pas de danger. Une fois devant, je pointe mon flingue en direction du conduit, et après un regard minutieux, constate qu’il n’y a rien de suspect. Mais je prête surtout l’oreille, ne respirant quasiment plus, de façon à être attentif à tout ce qui m’entoure. S’il se cache, se dissimule, ou encore se tapi dans l’ombre si bien que nous ne pouvons le voir, un seul son peut toutefois le trahir, le démasquer, nous dévoiler sa position. C’est pourquoi Gane et moi-même ne devons faire qu’un minimum de bruit, agir en douceur… Je me tourne vers ce-dernier et lui fait le signe disant qu’il n’y a rien à signaler. Il acquiesce pour m’informer que de son côté, c’est la même chose.
Nous retournons ensemble vers le centre de la pièce et examinons la trainée de sang. Le plus terrible est de savoir que ce sang appartient très certainement à un de nos compagnons, à quelqu’un qui nous était cher, avec qui nous avons partagé des moments inoubliables, survécu à des missions difficiles, et que nous considérions comme un frère tant les liens établis entre nous au cours de ces années étaient devenus forts. Car il est évident qu’ici, le prédateur que nous pourchassons fait les victimes, mais est loin d’en être une. C’est ironique, lorsqu’on y réfléchit bien, des proies qui tentent de vaincre leur prédateur… Nous étions assez fous pour croire à une réussite. Désormais sur une vingtaine de croyants en cette lubie, il ne reste plus que Gane et moi. Dur de rester positif dans cette situation…

La trainée s’arrête en plein milieu de la salle. Il est impossible de savoir où la personne ayant perdu toute cette hémoglobine s’est faite transporter… ou jusqu’où a-t-elle rampé, dans le cas le plus optimiste. Je désigne de la tête le placard à mon collègue. Nous nous en approchons et nous positionnons à droite et à gauche de ce-dernier, en restant accolés au mur. Il est envisageable que quelque chose se trouve à l’intérieur… Quelque chose de dangereux, ou quelqu’un qui l’est tout autant. Voire plus. Si ça ne tenait qu’à mes pulsions destructrices, j’aurais tiré comme un fou furieux contre la paroi… Mais si jamais notre cible ne nous a pas encore repérés, le son des coups de feu l’alerterait immédiatement. Il est trop dangereux de procéder ainsi…
D’une main tremblante, je me saisis de la poignée du dit placard. C’est toujours désagréable à vivre ce genre de situation… En temps normal, on aurait tout simplement scanné l’armoire pour voir s’il y avait une forme suspecte à l’intérieur… Mais ce soir tout notre matériel technique a été mis hors service à distance par nous ne savons quelle force énergétique. L’être qui l’a développée s’y connait en matière de technologie. Nous n’avons plus aucun équipement : tous nos radars, scanners intégrés dans nos visières, communicateurs insérés dans nos casques ne fonctionnent plus. Nous sommes coupés du reste du monde, et ne pouvons parler qu’à notre coéquipier, sans savoir comment s’en sortent les autres membres de notre unité. Enfin… ce n’est pas tout à fait vrai. Malheureusement. Le sadique que nous pourchassons s’est arrangé pour qu’un seul de nos gadgets soit en état de fonctionner… Et je suis persuadé qu’il l’a fait dans le simple but de nous ôter tout espoir, petit à petit, en nous tuant d’abord mentalement avant de le faire physiquement. Ce gadget n’est autre qu’une puce incorporée dans nos combinaisons qui détecte nos pulsations cardiaques ; elle envoie un signal à chacune de nos visières qui indique un point pour chaque membre de la troupe. Si une personne de l’unité meure, son point s’éteint. Seuls deux points sont encore affichés en haut à droite de ma visière. Gane et moi.

C’est comme si j’avançais à l’aveuglette… En ouvrant la porte du placard, je ne sais pas à quoi je m’expose… Une bombe ? Un autre piège tout aussi assassin ? Le Prédateur en personne ? Ou tout simplement des dossiers empilés en désordre ? Impossible de le deviner… C’est en puisant dans tout mon courage, et en me préparant au pire, que j’exécute enfin l’action. Aussitôt, mon partenaire et moi-même nous mettons en avant, pour être de côté par rapport à ce à quoi nous serons confrontés, et nous préparons à canarder s’il le faut. Ce qui se déroule me surprend à peine, tant je m’attendais à tout. Une ombre sort de l’armoire et s’avance dans notre direction avec rapidité. Plus par reflexe qu’autre chose, j’appuie sur la gâchette comme un dératé, criblant de balles le corps qui tombe alors sur le sol dans un bruit sourd. Je ne sais pas si je dois être fier de ce que j’ai fait ou non, mais en voyant le cadavre gisant sur le ventre, je souffle de soulagement… Surtout que je peux apercevoir une arme entre ses mains. Pendant un instant, je crois même que je viens de tuer notre cible. Je ne suis décidément qu’un pauvre naïf.
« Mais t’es complètement cinglé ! – beugle mon collègue. » De rage, il retire son casque et le balance contre le mur avec force. « Mais merde ! T’es qu’un pauvre taré ! Y’en a marre de tes putains de conneries aujourd’hui !! » Ma tension qui s’était à peine relâchée reprend alors de plus belle, car je ne comprends pas sa frustration, sa colère, et tout son emportement. Je le regarde péter un câble d’un air effaré. Je ne sais pas à quoi m’attendre. J’ai peur de ce qu’il va me dire, peur de la révélation que j’aurai lorsque, enfin, je comprendrai mon erreur. Il donne un violent coup de pied dans un carton traînant par terre, puis se met à hurler de colère et à frapper dans les murs avec fureur. Il s’affale ensuite dos à l’un d’eux et se prend la tête dans les bras. Ses nerfs craquent ; je l’entends même pousser quelque chose ressemblant à un sanglot. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi ça lui arrive…

Je reporte mon attention sur le corps que je viens de mitrailler. Maintenant me voilà en plein cauchemar… Maintenant je réalise, je comprends, je me rends compte de l’ampleur de ce que je viens de faire. En éclairant la silhouette sans vie, je constate qu’il porte exactement la même combinaison que nous… et que je suis tombé dans un piège. Et merde ! Putain, non, c’est pas possible ! Je m’empresse de venir au chevet de la dépouille, et la retourne sur le dos. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, je ne sais pas ce que ça m’apporte, mais j’agis sans réfléchir. Je palpe le mort avec frénésie, comme si j’espérais le faire revivre en faisant cela. Mon esprit ne pense même pas à ce qu’il fait… il le fait, point barre. L’adrénaline emplie mes veines tandis que ma respiration s’accélère. J’ai peur d’avoir tué ce type, un de nos collègues, j’ai peur d’avoir ce poids à porter sur la conscience… même pour quelques heures. J’aperçois une énorme taillade qui traverse sa poitrine, et une grande quantité de sang sur ses vêtements en plus des impacts de balles. Je soupire, j’en conclus qu’il était déjà mort. Je suis soulagé, infiniment soulagé. Je me sens presque content, heureux de ne pas avoir commis l’irréparable… même si, malheureusement, le corps que j’examine est bel et bien celui d’un défunt. Après deux secondes de réflexion, je me rends compte de ma formidable stupidité. Je le savais déjà, qu’il était mort, puisque son point avait disparu de ma visière. Mais je devais tout de même m’en assurer… On ne peut pas vraiment savoir à quel point le sadisme de notre cible est élevé. Je tourne la tête vers Gane.

« Il était déjà… – commencé-je.
- Mais oui ! Il était déjà mort ! Bien évidemment ! – me coupe-t-il – Mais c’est pas ça le plus important. On s’en fout que tu aies tiré sur le cadavre de Jimmy, Srend, Volg ou toutes les autres victimes de ce dégénéré ! L’important c’est que tu as tiré ! Tu as tiré, et tu as aussi signé notre arrêt de mort ! Maintenant il doit savoir où nous sommes, putain de merde ! Maintenant il va venir jusqu’à nous ! On avait encore une chance de se tirer, mais tu viens la détruire, de causer notre perte…. » Il s’arrête dans un souffle. Il est emporté par ses émotions, et je sens bien qu’il a une vive envie de fondre en larme… et de me foutre son poing dans la figure. Je suis dans le même état que lui… Sauf que moi, en plus, je culpabilise. Il dit vrai. Maintenant, il va venir… et il sera dur de le contrecarrer. Voire impossible. Il va nous tuer tous les deux. Notre ennemi a posé ce piège dans le simple but qu’un imbécile dans mon genre fasse l’erreur que je viens de commettre. Il veut tous nous tuer, et je viens de lui indiquer la position de ses deux dernières victimes… Alors pourquoi se priverait-il de venir nous rendre visite ? Je me sens misérable, faible. J’ai envie de pleurer, mais les larmes ne viennent pas. Je me sens oppressé, voué à un destin tragique… ce qui est le cas. Plus l’instant de ma mort est proche, plus je le redoute. Je redoute d’être au moment final. Le moment où tout s’arrêtera. Le moment où je cesserai de penser, d’espérer, de croire en un monde meilleur, en un avenir bon, délivré de la peine qu’il y a en chacun de nous. Le moment où j’arrêterai de pouvoir regarder autour de moi et me dire que tout peut être amélioré, que tout peut repartir sur des bases meilleures, qu’il faut juste exorciser l’univers du mal qui l’habite. Le moment où j’arrêterai de comprendre que je suis vivant, tout simplement parce que je n’existerai plus, et que le corps que j’habite depuis vingt-huit ans ne sera plus qu’une forme dénuée de toute possibilité de mouvement, juste condamné à pourrir dans un cimetière de la galaxie. Le moment où je ne pourrai plus fermer les yeux pour admirer dans mes souvenirs le visage angélique de cette fille que j’aime tant. Car je l’aime, c’est un fait. Je n’ai jamais voulu me l’avouer… J’aurais probablement été plus heureux si je l’avais fait… mais il est trop tard désormais. Il est vraiment trop tard… A chaque seconde qui passe, je me demande combien suivront.

« Je veux pas mourir, putain… – murmure mon coéquipier comme pour lui-même, en contemplant le plafond. » Bien que ses cheveux en bataille cachent ses yeux violets, et que l’obscurité de la pièce m’empêche de visualiser convenablement son visage bleu pâle, je peux tout de même distinguer quelques larmes coulant sur sa peau. Il a enfin compris, lui aussi, qu’on est perdu… J’en ressens l’abominable poids de la culpabilité, comme si j’avais à porter sur le dos une quinzaine d’enclumes en titane, car c’est ma futile stupidité qui lui a ôté tout espoir. Il devait probablement déjà se douter qu’il n’était plus nécessaire d’espérer, mais j’ai donné le coup de grâce qui a brisé ses illusions d’un coup sec… Mon cœur bat à tout rompre. La mort est proche, je la sens… Et le plus horrible, c’est que mon partenaire la sent aussi. Je m’approche de lui lentement et m’accroupis ; à la vue de ses larmes, je sens les miennes monter en moi. Je tente néanmoins de lutter contre le désespoir, et entreprends de calmer mon compagnon.

« Calme-toi, Gane – dis-je simplement d’une voix douce – calme-toi…
- Tu veux que je me calme ?! Comment pourrais-je me calmer ??! » D’un mouvement brusque, il dégage la main que j’avais posé sur son épaule. « Tu imagines un peu ce que je suis sur le point de perdre ? J’ai une famille qui compte sur moi, des enfants… Pour toi c’est moins dramatique, tu ne te rends pas compte !! De famille tu n’en as pas, tu ne sais pas ce que je peux ressentir !
- Et tu crois peut-être qu’en restant là, assis, à ne rien faire, tu survivras ? J’ai peut être moins à perdre que toi, mais je suis prêt à le défendre jusqu’au bout, plutôt que de rester planté là à ne rien faire.
- Si je continue à vagabonder dans ce putain de bâtiment, je finirai par crever de toute façon. A choisir, je préfère rester ici et attendre son arrivée. Peut être réussirai-je à lui tendre un piège, qui sait ? » Son raisonnement est lamentable… On sent bien qu’il ne réfléchit qu’à moitié. Rester ici n’est pas du tout une bonne solution ; ça évite certes d’avancer à l’aveuglette, mais c’est complètement stupide puisqu’il y a une bombe dans le bâtiment, et qu’il faut fuir le plus vite possible. Rester n’offre qu’une mort certaine, alors que tenter de trouver la sortie de la bâtisse permet d’espérer une ultime issue…
« Et s’il était déjà sorti ? Et si la bombe était sur le point d’exploser ? Et si tout allait voler en éclat, nous avec ? Si tu restes là tu peux dire adieu à tout ce que tu as connu…
- Et s’il n’avait pas l’intention de sortir ? – rétorque mon coéquipier – Et si la bombe n’était-elle même pas amorcée ? Et si cette foutue bombe de merde n’était qu’un leurre ?! Et s’il se dirigeait vers nous pour nous massacrer ?
- Entends-tu des pas se rapprocher ?
- Arrête de jouer au plus malin, pauvre imbécile ! – crache-t-il – Tu sais bien qu’il est plus discret que n’importe qui !
- Mais tu ne trouves pas étrange qu’il ne soit pas déjà là ? S’il avait entendu mes coups de feu, j’imagine qu’il nous aurait tués depuis longtemps. » Je lui dis ça dans le vent, sans penser ce que je dis… Mais à la réflexion, je dois avouer que ce n’est pas dénué de sens. C’est même vrai que c’est étrange, comment se fait-il qu’il ne soit pas déjà là ? J’imagine qu’il est préférable de ne pas le savoir…
« Crois ce que tu veux – me lance-t-il en réponse. » Je me lève, sans arrêter de plonger mon regard dans le sien.
« Moi je ne reste pas là, en tout cas – fais-je – ce serait me condamner à une mort certaine… Et ce n’est pas tellement ce que je souhaite.
- Ca c’est ce que tu dis…
- Parce que tu crois sincèrement que s’il débarque, tu arriveras à l’éliminer ? Reviens à la réalité, mon vieux…
- L’espoir fait vivre, c’est bien ce qu’on dit, non ?
- Dans ton cas, il te tuera ! » Il sourit.
« Peut être… Mais je doute que de toute façon on ait de grandes chances de s’en sortir.
- Je pense la même chose, mais j’ai envie de tout faire pour sortir de ce putain d’immeuble. La mission est déjà perdue, alors autant tout tenter pour au moins en réchapper ! » Je reprends mon fusil sans arrêter de fixer Gane qui semble toujours désespéré. « Ca n’appartient qu’à toi… Tu peux rester là et attendre patiemment ta fin, ou me suivre pour essayer de vivre plus longtemps… » Il détourne le regard et fait mine de réfléchir une dizaine de secondes ; puis, enfin, il se décide à répondre.
« Je préfère rester ici…
- Soit… » Ca ne lui ressemble pas. D’ordinaire, il est d’un naturel courageux, il n’est pas du genre à se laisser abattre… Mais je préfère ne pas le lui faire remarquer. Moi-même je suis différent par rapport à d’habitude, et suis conscient que péter un câble dans un moment pareil n’a rien de surnaturel. Je pourrais le forcer pour lui faire reprendre raison, mais je gaspillerais un peu du temps qu’il me reste, et il risque de se dresser contre moi. Je lui fais un bref signe de la main. « J’espère sincèrement te revoir un jour…
- Moi aussi, partenaire. » Je souris, et il me rend ce sourire. Je suis sûr que l’on pense à la même chose…. On a beau se souhaiter mutuellement de rester en vie, c’est comme si nos regards disaient clairement : « Je sais que tu vas mourir. »… Si nous désirons nous revoir un jour, ce n’est non pas pour espérer que l’autre survivre, mais pour oser croire que nous-mêmes nous serons toujours en vie, ne serait-ce que pour encore quelques heures. Je tourne les talons et me dirige d’un pas lent vers la sortie, quand soudain Gane m’interpelle.
« Et…
- Oui ?
- Si jamais tu croises Le Prédateur, Raven… Cours le plus vite que tu peux, tâche de t’enfuir avant qu’il ne te rattrape, et ne te tue. » Son regard est on ne peut plus sérieux, et je ne lui réponds qu’après un instant.
« J’essaierai d’y penser… » Je franchis le seuil de la porte.

Et ça y est, c’est reparti. Je me mets à marcher le long du corridor. Bizarrement, puisque désormais je suis seul, je me sens incroyablement renfermé sur moi-même. Je me sens cloitré dans le bâtiment, plus que jamais, comme si tous les murs me compressaient jusqu’à m’étouffer. Avant, je pouvais entendre la respiration de Gane, le son de chacun de ses pas, les bruits que produisaient ses gestes… et sa présence me rassurait quelque peu. Maintenant, je n’entends plus rien de tout cela. Je n’entends que moi, que mes pas, que mes bruits, que ma respiration… et j’ai l’impression que tout résonne dans le couloir, tant que je me demande quelques fois si ce souffle que j’entends est le mien, si ces pas qui se rapprochent sont les miens, si la personne qui produit tous ces bruits est moi, ou quelqu’un qui s’apprête à m’arracher la vie. J’essaie de me calmer, de reprendre le contrôle de mes pensées, d’être confiant, de croire en ma réussite… Mais je n’y arrive pas… Je fais une sorte de crise de claustrophobie. Tout m’oppresse, me fait paniquer. J’halète. Je regarde plusieurs fois derrière moi. A gauche, puis à droite. Je fais de grands mouvements quand je voudrai en faire des petits. Mais je ne m’arrête pas. Je continue ma progression. Je dois continuer ma progression. C’est la seule solution, même si elle peut me condamner à crever. Je me rends soudain compte que mes chances de survie sont proches du zéro absolu.
Même si je n’y crois pas tellement, cet espoir, ce foutu espoir de survie m’empoigne par les trippes. Cet espoir me tiraille, comme si on me plantait une fourche dans le ventre. Cet espoir me donne envie de pleurer tant il est sur le point de s’autodétruire. Cet espoir qui se sent mourir est en train de m’emporter avec lui. Cet espoir me blesse, me torture, me consume, me mutile s’amuse à me faire souffrir et au final m’assassine avant même que le Prédateur ne le fasse pour de bon… Mais il s’efforce de prendre de l’ampleur, il s’efforce de me donner du courage, de me pousser à tout mettre en œuvre pour sortir le plus vite possible. Une forte adrénaline parcourt mon corps, une adrénaline qui me donne de la fureur de vivre. Je dois me tirer d’ici le plus vite possible, et il n’y a pas cent-mille solutions… Je me mets à courir comme un dératé, décidé à en finir le plus vite possible avec cette histoire, avec cette peur qui se décuple de plus en plus, avec cette constante odeur de mort que l’on peut respirer, avec cet enfer que je vis. Quoi qu’il arrive, que je survive ou que je crève, j’aurai au moins la satisfaction d’en finir avec tout ce qui me fait souffrir.
J’arrive au bout du couloir, et m’apprête à dévaler sur ma droite les escaliers descendant qui s’offrent à moi… Mais alors que j’allais justement m’y précipiter, je me stoppe net. Mon sang se glace. Ma respiration se coupe. Je tourne la tête derrière moi, vers le corridor. Vers la porte par laquelle je suis sorti il y a de cela une ou deux minutes. Je tourne la tête vers là d’où provient un son atroce, de là où un hurlement de souffrance intense vient d’être poussé avec une force incroyable, raisonnant plusieurs fois contre les murs et parvenant à mes oreilles tel l’annonciateur de ma future extermination. Gane n’est plus de ce monde… un nouveau point vient de disparaitre de ma visière.

Je peux fuir. Je peux partir, prendre mes jambes à mon cou et, haletant, descendre à toute vitesse ces escaliers pour ensuite traverser plusieurs couloirs, trouver la sortie au plus vite, survivre avant que le Prédateur ne me rattrape. Mais non. Je suis pétrifié, tétanisé. Mes muscles ne font plus le moindre mouvement. Je regarde juste droit devant moi, et entends avec effroi ce qui succède au cri de douleur : un rire. Un rire tonitruant, à la fois sardonique et diabolique.
C’est bel et bien lui.

Mon cœur frappe contre ma poitrine comme s’il cherchait à la percer. Je déglutis, resserre mes doigts sur mon arme, à l’affût du moindre geste, ou quoi que ce soit d’autre. Et ça ne tarde pas à venir. D’un coup, un corps que je reconnais rapidement comme celui sans vie de mon partenaire est expulsé de la salle où il se trouvait. Projeté avec une force hors du commun, il heurte la baie vitrée qui se fissure aussitôt, sans se briser. Le sang coulant de ses plaies se répand déjà sur le sol, et tâche également la vitre. A la pensée qu’il vivait il y a encore cinq minutes, j’ai envie de vomir. Je ne sais pas comment décrire cette sensation. Cette impression qu’on ne contrôle rien, même pas l’heure de sa propre mort. Elle arrive, comme ça, et vous frappe sans que vous vous en rendiez compte. De là je peux voir ses yeux, ainsi que son visage… Je préfèrerais ne pas les voir. Ils sont figés dans une dernière expression d’affolement.
Soudain retentit un coup de feu. La balle frappe la fissure, détruisant la baie vitrée qui vole en éclats. Le cadavre de mon compagnon tombe à la reverse, privé de son appui, et passe à travers la fenêtre béante, avant de s’écraser quelques trente mètres plus bas dans un bruit mat.

Je regarde la scène avec accablement. Mais bordel, qu’est-ce que je fous, planté là, à ne rien faire ?! J’ai envie de déguerpir, de me planquer avant qu’il ne me remarque à mon tour. J’ai envie de vivre ! Mon corps ne répond plus aux appels désespérés que lui envoie mon esprit, il semble éteint. Et mon esprit se sent défaillir, mourir, lorsque sort d’un pas lent de la pièce une silhouette que je reconnais tout de suite. Alors là, je ne peux pas y croire. C’est impossible, inimaginable… Avançant toujours aussi lentement, avec une démarche majestueuse, tenant dans sa main gauche une longue épée rougeâtre qui raye le sol, arrive vers moi le corps sans vie qui était tombé de l’armoire. Je ne crois ni aux fantômes, ni aux morts-vivants, ni à toutes les autres histoires qu’on raconte aux gosses pour les effrayer… aussi dans ce cas là je reste estomaqué. Surtout que je viens de comprendre le stratagème. C’était lui dans le costume, lui sur qui j’ai tiré, lui qui s’est fait passé pour mort et a massacré Gane dès que je suis sorti de la pièce. Il nous a eus.
Evidemment, il ne pouvait que nous avoir… Il me fixe en riant du même rire qu’auparavant. Désormais, je le sais, j’en suis persuadé : je suis mort. Ou du moins je le serai dans quelques minutes.

« Tu as l’air d’avoir peur – dit-il en marchant tranquillement – Tu as l’air de me craindre, de me haïr, et de n’éprouver que de la répugnance à mon égard. Me trompé-je ? ». Même s’il porte le même casque que moi, je peux deviner qu’il sourit. L’enfoiré devant moi s’éclate réellement. Je suis sa proie, et il est le prédateur. Il profite de la situation. Chez les êtres psychotiques, c’est souvent ainsi que ça se passe… ils aiment faire souffrir leurs victimes psychologiquement avant de les tuer. Ca les amuse. Je le sais pour avoir eu une période comme ça. Et là, il prend carrément son pied. J’aurais tant voulu avoir la possibilité de me rendre invisible…

Lui, par contre, ne s’en prive pas le moins du monde, et disparait à mes yeux. A peine s’évapore-t-il que je les ferme, attendant l’échéance, l’impact… Une demi-seconde plus tard, quelque chose heurte mon torse. De toute évidence, ce n’est pas son épée, ce sont juste ses poings. Je tombe en arrière, mais ne touche pas le sol : il ne m’en laisse pas le temps. Attrapant mon bras, il m’entraine et me propulse de toutes ses forces – du moins, j’espère qu’il ne peut pas être plus fort que ça – contre le plafond. Je m’écrase contre celui-ci juste avant d’atterrir violemment sur le dos. Sur le coup, je lâche mon arme et la vois glisser sur le plancher. Un réflexe me fait me lever pour me dépêcher de la rattraper avant qu’elle ne soit hors de portée. Mais c’est inutile. A peine suis-je accroupi que je me prends un coup de pied en plein thorax, m’envoyant contre le mur. Le souffle court, je reste immobile en le regardant se rapprocher de moi. Il arrive à mes côtés, rayant toujours le sol de sa lame aux couleurs flamboyantes. Je me mets en position assise en m’adossant contre la surface. Il rit brièvement et se met à genoux. Il dégaine un Blaster à sa ceinture et joue avec. Il pose son épée à sa droite, trop loin pour que je puisse l’atteindre.

A deux mains, il retire mon casque puis le balance, dévoilant ainsi mes cheveux mi-longs, mon visage blanc et mes yeux d’un rouge jugé rageur. Il appuie le canon de son arme sur ma tempe en poussant un petit rire. J’ai déjà dit que j’étais perdu ? Parce que là, je suis vraiment désespéré… Ma situation est au plus bas. Je suis fini, je vais mourir. D’une main, il retire son propre casque qu’il jette à son tour en m’adressant un bref « Bonsoir… A part ça, comment vas-tu ? » d’un ton on ne peut plus chaleureux. Il passe la main dans ses cheveux, recoiffant une de ses longues mèches noires qui lui obstruait la vue. Il sourit. Je crois que jamais dans ma vie, même dans les meilleurs holo-films d’horreur jamais réalisés, je n’ai vu quelque chose d’aussi terrifiant. Ses yeux brillent d’une puissance et d’une folie phénoménale, incommensurable… Leur blanc dominant et horrifiant à glacer le sang met en valeur leur iris d’un bleu océanique, lui aussi incroyablement glacial. Pas de doute, c’est bien lui. Celui que l’on surnomme le Prédateur.
Le Prédateur, Raven est en face de moi.

« Puisque tu ne réponds pas – continue-t-il – j’en déduis que tu ne vas pas bien… Et c’est regrettable. » Le silence s’installe pendant quelques secondes où je ne pense à rien. Je suis concentré sur lui, sur ses paroles, ses gestes, ses yeux, ses infâmes yeux, mais n’essaye même pas de réfléchir à éventuellement tenter quelque chose. Comme je ne dis rien, il poursuit.
« Je n’aurai pas cru que tu me tirerai dessus… Tu aurais pu me faire mal, tu en es conscient ? Heureusement pour moi, je porte un gilet pare-balle développé par mes soins, complété avec celui de cette combinaison. Je ne risquais rien. D’ailleurs, son ancien propriétaire a failli me blesser… Seulement failli, évidemment…
- Qu’avez-vous fait de son corps ? – demandé-je, juste pour lui faire croire qu’il ne me fait pas si peur que ça.
- Oh, ça… Je l’ai simplement fait disparaître. » Il glousse. « De toutes façons, ce n’est pas comme si ça t’intéressait réellement, pas vrai… ?
- La bombe ?! Où est-elle ?!
- Quelle bombe ? Ne me dis pas que tu crois toujours à cette histoire ! Il n’y a pas de bombe dans ce bâtiment, et je ne vois pas pourquoi il y en aurait une…
- Mais… ! – tenté-je de me justifier.
- Oui je sais, on t’a dit qu’il y en avait une… Mais ce n’est qu’un tissu de mensonges, tu comprends ? Un stratagème de mon invention pour vous faire intervenir ici… Rien que cela.
- Pourquoi faites-vous ça ?! Pourquoi tuez-vous tout le monde, sans pitié, pour rien, pourquoi ?! Vous dites que vous nous avez attiré là ! A quoi bon ? Pour nous flinguer ? Pourquoi ?! » Il soupire, prend un air exaspéré et lève les yeux au ciel en déplaçant son arme de ma tempe à sous mon menton. Ce doit être le genre de question qu’on lui pose souvent.
« Je pourrais te donner de multiples réponses… mais je n’en ai pas le temps. Je dois d’abord accomplir mes projets avant de me soucier de tes futiles, pitoyables et misérables préoccupations… Mais pour commencer, comment t’appelles-tu ? » J’hésite à lui répondre. Je ne vois pas l’intérêt de lui divulguer cette information… et je n’ai certainement pas envie de céder à ses envies. Si je dois mourir, autant ne pas m’abaisser à l’aider à effectuer ses desseins machiavéliques. Je le regarde dans les yeux et me retiens de détourner le regard tant je sens qu’ils me sondent, me dévorent, me consument, me passent un message clair et net : « Ta vie touche à sa fin. »
« Allons… – reprend-t-il – fait preuve d’un peu d’intelligence, si tu en es capable. Ce n’est pas compliqué comme question pourtant, non ? Alors réponds-y…. Je veux discuter calmement avec toi, sans autres pensées… Vois-moi comme un ami. Je ne suis pas un de tes ennemis.
- Mes amis ne me mettent pas de flingue sur la gorge pour me forcer à répondre – fais-je remarquer. »

Il rit. Purée, je hais son rire… Il est glaçant, perçant, pétrifiant. Il est d’une même intensité que son regard. Tout en lui est effrayant : sa carrure, sa gestuelle, sa voix, son rire, ses yeux, son sourire… Si quelqu’un en ce monde peut être qualifié d’incarnation du mal, de démon, de diable, c’est bien Raven. Je n’ai jamais vu cela… et j’en ai vu des psychopathes au cours de ma carrière. Lui n’est pas comme les autres. C’est comme s’il traine une aura maléfique avec lui, partout où il passe, une aura de mort, de destruction, de souffrance, de sadisme pur. C’est comme si l’air devenait mortel après qu’il l’ait expiré.
« Tu marques un point – avoue-t-il – Mais fait comme si cette arme n’était pas présente… Je ne compte pas te tuer, à moins que tu ne m’en laisses pas le choix. Si tu es coopératif, je te laisserai la vie sauve. Il serait sage de commencer à songer à coopérer, tu ne crois pas… ? Donne-moi ton nom.
- A quoi ça vous avancerait ?
- Ne t’occupes pas de cela – rétorque-t-il sèchement – contente-toi de répondre !
- Rockoff, Ridley Rockoff…
- Et bien voilà, c’était pas si difficile, t’as vu… ? As-tu une famille, Ridley ?
- J’ai une petite-amie avec qui je compte me marier un jour… Sous réserve que je ne meure pas ce soir… Mais qu’est-ce que ça peut vous faire ?!
- Bien… Je vais te demander de me rendre un service, tu veux bien ? » Je marque un temps d’arrêt. Ce type est diabolique, il ne faut pas que je rentre dans son jeu…
« Et si je ne veux pas ? – fais-je d’un ton ironique.
- Dans ce cas fort déconseillé, avant de te pendre avec tes propres trippes, je me chargerai d’égorger ta copine sous tes yeux. Ma réponse est-elle claire ?
- Vous ne savez même pas où je vis ! – m’exclamé-je dans un rire – Vous avez beau jouer le rôle du type malveillant qui sait tout sur tout, laissez-moi vous dire que vos menaces ne m’effraient pas tant leur crédibilité est nulle ! » Je souris avec tout le sarcasme dont je suis capable. J’ai une soudaine envie de jouer aux durs avec lui, juste pour lui faire péter un plomb. Je ne me savais pas si suicidaire…
« Alors voyons… – dit-il en faisant mine de réfléchir – si toi tu es Ridley Rockoff, c’est que tu résides au 23ème, Stricly Avenue, 17ème étage, numéro 17 564, à Crackun, planète Ditraz… Je me trompe ou j’ai tout bon ? »

Mes yeux s’exorbitent. Mon cœur se serre et ma tension monte encore plus. Il a tout juste… Je ne sais pas d’où il tient ces informations mais elles sont exactes, bien qu’extrêmement précises. Je n’en reviens pas. Je suis pris de panique, elle prend possession de moi. Je me souviens d’un coup que je suis la proie, et une proie maitrisée, prise au piège… à qui on laisse croire qu’elle peut survivre, même si à n’importe quel moment on peut choisir de l’étouffer un peu plus, et de l’exterminer. Il comprend à mon regard qu’il ne s’est pas trompé ; son sourire s’élargit.
« Alors… Ce service, qu’en dis-tu ? » Je déglutis et respire de plus en plus vite, de plus en plus fort. Des gouttes de sueur perlent mon front. « Ne t’inquiète pas – fait-il avec un large sourire qui est loin de me rassurer – ce n’est pas grand-chose. Si tu le fais, tu resteras en vie… Pourquoi hésiter ? » Je soupire et ferme les yeux. J’ai besoin de réfléchir. Il me mène en bateau, me dirige là où il veut que je me rende, pour faire ce qu’il veut que je fasse. C’est là tout l’art de la manipulation. Je ne sais pas s’il dit vrai, mais je sais que je ne peux lui faire confiance. Ce fou-furieux est capable de tout. Je suis pris dans un étau qui se resserre, privé de solution, condamné à faire ce qui ne me plait pas pour tenter d’y voir plus clair…
« Quel est ce service ? – finis-je par balbutier.
- Ah ! Enfin ! Tu te montres raisonnable ! C’est pas trop tôt… Tu viens de prendre une sage décision – se réjouit-il. » Il cherche dans une des poches de sa combinaison et en sort un petit objet. Une oreillette. Il me la tend. « Tiens, mets-la.
- Qu’est-ce que c’est ?
- C’est un petit gadget de ma création, rien de bien méchant. C’est une sorte de communicateur. Par commande vocale je peux appeler n’importe qui, n’importe où, dans plus de cent galaxies. » J’enfile le gadget dans mon oreille. Je ne vois pas ce qu’il peut avoir en tête… et c’est cela qui m’inquiète le plus.

« Que suis-je sensé faire ? Appeler les pompes funèbres et me commander un cercueil en titane ? Ils font des promos ces temps-ci… – raillé-je.
- Non, je vais te faire appeler les chefs de ton unité, et tu vas leur dire quelque chose de ma part, en jouant convenablement la comédie…
- Et que suis-je sensé dire ?
- La vérité ! Leur raconter ce qui s’est passé, les véritables événements, tel que toi et tes amis les avez réellement vécus ! » Je laisse échapper un rire.
« Ah oui ? Et qu’est-ce que ça changera ? Ca se saura de toute façon…
- Ca changera beaucoup de choses, car la vérité que tu leur diras est que Raven n’existe pas. Que Raven n’a jamais existé. Que ce n’était qu’un leurre, et que le vrai criminel, celui qui se cachait sous ce pseudonyme, n’est autre que Ratchet…Saisis-tu en quoi cette version des faits changera tout ?
- Quoi ?! – m’exclamé-je – Ils n’avaleront jamais ça ! D’ailleurs, Ratchet est…
- … Oui ? » Il sourit. Il fait ça quand il a une longueur d’avance – c'est-à-dire presque tout le temps. J’allais dire que Ratchet était en train de désamorcer la bombe, puisque c’est ce qu’il nous a dit qu’il allait faire dans ce bâtiment. Mais puisqu’il n’y a pas de bombe, ça remet tout en question.
« Où est Ratchet ?! – finis-je par demander.
- Pourquoi… Pourquoi, ô grand pourquoi, cherchez-vous tous toujours à tout compliquer ? A toujours essayer de tout savoir ? C’est pénible à force… Ratchet est occupé. Pas par une bombe, tu as du le comprendre, mais par autre chose. Quelque chose qui ne te regarde pas…
- De toute manière personne n’avalera cette histoire ! Tout le monde connait la raison de notre venue ici, leurre ou pas ! Ratchet est venu sauver des innocents, même si vous l’avez… occupé à je ne sais quoi.
- Oui mais ça c’est ce que toi, moi, et Ratchet lui-même savons… Les autres auront une toute autre image des événements. » Ses remarques me déstabilisent. Du moins, elles me font m’interroger. A quoi est occupé Ratchet ? Il est enfermé dans la salle des machines depuis près de deux heures, il y était à l’origine pour désamorcer la bombe. Mais puisque bombe il n’y a pas, que fait-il depuis tout ce temps ? Il a du s’entretenir avec Raven, très probablement. Que s’est-il déroulé ensuite ? Ratchet a-t-il été manipulé par cet être psychotique ? A-t-il été massacré, tout simplement ? C’est envisageable… Il ne porte pas la même combinaison que nous, et n’a donc pas de puce. Je ne peux pas savoir s’il est encore en vie. Enfin… s’il est mort, lui faire porter le chapeau de l’identité de Raven ne sert à rien. Alors quoi ? J’aimerais le savoir, mais je n’ai pas le temps d’y réfléchir. Il faut dire que j’ai des problèmes plus urgents… C’est à moi que Raven s’en prend pour le moment, et non plus à Ratchet.

« Comment voulez-vous que mes chefs me croient ? – lancé-je à Raven – Vous avez vu la réputation de Ratchet ? Jamais ils ne croiront que vous ne faites qu’un, c’est insensé !
- Oh… Crois-moi que si, ils le croiront.
- Si vous êtes si sûr de vous, pourquoi avoir besoin de moi ?
- C’est simple… Il me faut la voix d’un membre de ton unité, pour qu’ils puissent l’identifier, et ainsi croire plus facilement au mensonge.
- En somme, vous dépendez de moi… En réalité c’est vous qui êtes dans une situation délicate.
- Pas vraiment, non. Je pourrai toujours te couper les membres un par un pour te forcer à parler. Mais de toute façon, je possède un imitateur de voix, et j’ai désormais enregistré la tienne. J’aurai bien menti à ta place, mais ne connaissant pas ta manière de faire des phrases, je risque de perdre en crédibilité. Si tu refuses de coopérer, non seulement je saurai me débrouiller, mais en plus je mettrai ma menace à exécution. Tu as tout à gagner en m’aidant… » Je sens l’étau glacial et douloureux se refermer sur moi, m’oppressant. Je sombre dans le piège de Raven. Je sombre dans sa manipulation. Je suis obligé de faire ce qu’il veut… Je tente toutefois une nouvelle protestation :
« Mais… Mais… Je vous assure qu’ils ne me croiront jamais ! Ratchet est un héros, considéré presque comme un demi-dieu ! Ils découvriront rapidement le mensonge !
- Il n’y a aucun risque pour que ça arrive ! – s’énerve-t-il soudainement en élevant la voix – Et même si ça devait arriver, ce n’est pas ton problème, c’est le mien ! Je ne vois pas en quoi ça te porterait préjudice si on apprend que je me suis servi de toi ! Tu n’es pas le premier, et tu ne seras pas le dernier ! ».
Il perd patience, ça se sent. Son regard sardonique devient féroce et furieux, j’ai l’impression qu’il me perfore la peau, me transperce. Je n’ose absolument rien dire, absolument rien faire, absolument rien penser. J’ai peur de trop le mettre en colère. Je sais de quoi il est capable et ça ne me plait pas. Je me sens incroyablement chétif.
« Maintenant – crache-t-il – soit tu fais ce que je te dis, sois tu en paies le prix. Compris ?
- Oui… j’ai compris. » Il pose son flingue sur mon front. Etrangement je comprends encore mieux quand il fait ça.
« Appel quartier général de l’unité d’intervention spéciale de Métropolis – dit-il. »

Aussitôt, j’entends une tonalité dans mon oreillette. Je n’ai pas le temps de m’en étonner : on ne tarde pas à répondre à l’appel.
« Tâche d’être convainquant – me murmure le psychopathe à l’oreille, tout en appuyant un peu plus l’arme contre mon crâne. » Je déglutis. Je trouve difficile de se concentrer dans de telles conditions de stress, mais ne le lui fait pas remarquer. L’opérateur commence à parler :
« Bonjour, ici le quartier général de l’UISM. Le numéro que vous venez de composer est privé, seules quelques personnes le connaissent. Pouvez-vous, s’il vous plait, décliner votre identité, que je puisse…
- Ferme-la un peu, Jeff ! C’est Ridley ! Transmet cet appel au directeur, et immédiatement ! » Je m’efforce de prendre une voix et un ton emportés.
« Ridley ? Mais que…
- Discute pas ! J’ai pas le temps de t’expliquer, mais grouille-toi !
- Okay, okay… Bon, attend quelques secondes. » Je l’entends taper quelque chose sur les touches de son ordinateur. Le Prédateur me lance un sourire, montrant que pour le moment il est satisfait, je remplis bien mon rôle. Pour faire partie de l’UISM, j’ai dû apprendre à mentir, sous prétexte qu’on aurait besoin de tromper nos ennemis dans certaines situations… Mais je n’aurais jamais pensé devoir le faire contre mon propre camp. J’ai envie de foutre Raven dans la merde, de ne pas lui obéir, mais je pense qu’il réussirait tout de même à rétablir la situation à son avantage. Et s’il faut mourir pour rien, il n’y a aucun intérêt… En restant vivant, je pourrai encore me battre contre lui par la suite, dans les mois ou années à venir, qui sait ? En espérant qu’il tienne sa promesse…
La voix du directeur se fait soudain entendre dans mon oreille droite.

« Agent Rockoff, c’est bien vous ?
- Oui, monsieur, c’est bien moi, mais…
-Mais bordel que se passe-t-il ?! On n’y comprend rien ici ! Expliquez-nous ! Sur nos écrans, vous êtes tous morts. Que se passe-t-il ?!
- Vous n’êtes pas loin de la réalité… » J’adopte une respiration haletante. « Je suis le seul survivant…
- Ratchet est mort lui aussi ? Sur quoi êtes-vous tombés ? Est-ce Raven ? » J’halète encore un peu, déglutis et prononce les mots fatidiques que je suis obligé de dire.
« Ratchet est vivant, mais sa façade est morte. Il n’est pas le héros que l’on croyait ! Ratchet n’est autre que Raven ! C’est lui depuis le début ! C’est lui qui monte ses coups sous le pseudonyme de Raven Cognito !
- De quoi ?! » A son intonation interloquée, je comprends qu’il ne croit pas un mot de ce que je viens de lui dire. « Les accusations que vous portez sont très graves, vous vous en rendez compte ?
- Oui je m’en rends compte, bordel ! Encore mieux que vous, je m’en suis rendu compte sur le terrain moi ! J’ai vu Ratchet retourner son arme contre nous, tuer les uns après les autres mes partenaires, en utilisant les techniques habituelles de Raven. J’ai réussi à m’enfuir, mais je pense qu’il me retrouvera bientôt.
- Êtes-vous sûr de ce que vous affirmez ? » Sa voix est plus celle de quelqu’un qui refuse d’admettre la vérité que celle de celui qui sait qu’on lui ment. « Et la bombe, qu’est-elle devenue ?
- La bombe ? – m’esclaffé-je – Il n’y a jamais eu de bombe ! C’était seulement une invention pour nous amener dans ce piège ! Le but était de tuer tous les membres de l’unité. Et bien sûr que oui je suis sûr de ce que je dis ! J’ai vu de mes yeux les corps de mes amis devenir des cadavres ! Si j’appelle, c’est juste pour vous prévenir. Il faut que vous me croyiez, je rencontrerai sans doute ma mort dans les minutes qui viennent, je voudrai au moins que celle-ci ne soit pas inutile. »

Il met un certain temps avant de me répondre. Je pense qu’il débat avec ses hommes sur la véracité ou non de ce que je débite.
« J’ai du mal à y croire… – finit-il par dire.
- Mais merde ! Après près de dix ans de loyaux services, vous pensez vraiment que j’ai que ça à foutre que de vous mentir ??! Surtout quand je suis au bord de la fin ?! Je suis poursuivi dans ce putain de bâtiment par l’homme qui était sensé me commander et vais certainement crever, j’ai mieux à faire que perdre mon temps à vous faire une bla… ».
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase : je me prends un énorme coup dans la mâchoire, si puissant que mon visage heurte le sol avec violence. Je crache du sang en toussant. Je suis allongé. Juste devant moi Raven se tient debout en dégageant perpétuellement son affolante aura de puissance. J’entends mon chef hurler : « Qu’est-ce qui se passe ?! Rockoff ! Répondez !! », mais je suis bien loin de là, de cette conversation avec lui, je suis seul avec Raven. Désormais je ne pense plus au mensonge, mais seulement au fait que l’ennemi public numéro un me cogne. A-t-il décidé de m’abattre ? Je n’en sais rien. Je ne réfléchis plus à rien. J’attends que ça passe, tout simplement. J’ai terriblement mal à la mâchoire. Il m’empoigne par le col, me relève et me plaque contre le mur avec force.
« Mais… qu… ? – balbutié-je vaguement.
- Enfin, je te retrouve… » Le prédateur me dit ça d’un ton mauvais, mais ce n’est pas ça le plus flippant. Bien que se soit lui en face de moi, c’est la voix de Ratchet qui sort de sa bouche.

Je me crispe, me paralyse, n’ose rien dire. Je comprends que le tabassage fait partie de la mise en scène qu’il prend si plaisir à orchestrer… Mais il n’empêche que je tremble de tout mon corps tant je suis effrayé. Mon chef, lui non plus, ne dis plus rien. Il a entendu la voix de Ratchet me menaçant. Cela crédibilise ainsi tous mes dires. Il y a de quoi le déstabiliser.
« Tu me donnes du fil à retordre, tu sais ? – continue-t-il – Tu es bien le plus compétent de toute cette… » Il s’arrête d’un coup, puis reprend d’une voix animée d’une rage incommensurable. « Qui appelles-tu ??! Hein ?? Réponds !!
- Heu je… non je n’appelle personne – bafouillé-je d’une voix faible.
- Menteur !! – rugit-il en m’envoyant contre le sol. » Je m’écrase par terre et fait quelques roulades. Une bourrasque de vent venant de la fenêtre brisée m’ébouriffe les cheveux. Je tourne la tête en direction du psychotique qui prend un malin plaisir à me faire du mal… Et il ne s’arrête pas là. Dès que mon visage est tourné vers lui, il m’envoie un coup de pied dedans, m’explosant un nez désormais en sang. Je sens mon crâne partir en arrière, emporté par la puissance d’un choc insoutenable.
« Qui appelles-tu ?! Réponds ! – hurle le fou furieux toujours avec la voix du lombax ». Je me prends un coup dans le thorax. Je me contorsionne et tousse. J’ai du mal à respirer. S’il continue, je sens bien que je vais mourir. « Tu refuses de répondre ?! Tant pis pour toi, Ridley ! » Il me braque et presse la détente. La balle sort du canon de son arme à une vitesse fulgurante, juste avant de se ficher à côté de ma boite crânienne. J’ai bien cru qu’il allait m’exécuter. Mais non, il murmure juste : « fin de l’appel ».

Je n’entends plus rien dans mon oreillette. Raven baisse le bras qu’il tenait tendu dans ma direction et s’approche. Il me regarde avec un grand sourire.
« Merci, tu as été très coopératif, et très convainquant. Comprends-tu maintenant pourquoi ils croiront bel et bien que Ratchet est le coupable ? » Il rit. Je suis toujours face contre terre, me noyant presque dans le sang de mon nez qui macule le côté droit de mon visage. Je tousse encore un peu. J’arrive mieux à respirer. Après bien des efforts, je réussis à me mettre à genoux. J’aperçois les grosses gouttes rouges partant de mon nez, coulant le long de mon visage s’écraser contre le sol. J’ai la sensation d’être ailleurs. De ne pas habiter ce corps. J’ai l’impression d’avoir déjà été tué. Je tourne mon regard vers Raven. Il me répugne, et j’ai une soudaine envie de lui dire ce que je pense. Ce type est un monstre, et je me sens obligé de le lui dire. J’en éprouve le besoin. Maintenant qu’il ma roué de coups, mes nerfs se brisent. Quoi de plus légitime ?
« Vous êtes cinglé, complètement ravagé – lui lancé-je en gémissant, à moitié dans un rire nerveux.
- Oui… Je sais. On me l’a déjà dit.
- Vous passez votre temps à blesser les gens, à les faire souffrir, à les torturer, les mutiler… Vous avez dû tuer plus de cent personnes alors que vous avez à peine vingt ans…
- En vérité, j’en ai dix-sept.
- Et ça vous amuse ? Ca vous amuse de faire souffrir ? De répandre le mal et la désolation ? A quoi bon tout cela ?! Ne ressentez-vous donc rien ? Même pas une ombre de compassion ? » Il me fixe d’un air sombre, et assez morne en vérité. Il met quelques secondes avant de répondre.
« Je ne ressens absolument plus rien désormais, en effet.
- Pourtant vous vous servez de ce que ressentent vos victimes pour les manipuler !
- Et alors ? – siffle-t-il, me montrant ainsi à quel point il s’en fout.
- Et alors c’est tout simplement cruel ! Tuez-vous ainsi tout simplement pour empêcher les autres de ressentir ce que vous ne ressentez pas ? Vous ne savez strictement rien de ce que l’on éprouve quand on menace les êtres qui nous sont chers, et c’est ça votre problème, ce qui vous torture intérieurement ! Vous vous servez d’une souffrance dont vous ne connaissez rien ! Ce n’est pas parce que vous ne savez pas ce que ça fait d’aimer quelqu’un que vous pouvez vous servir de l’amour des autres ! Vous êtes un monstre ! Vous êtes pitoyable, vous me fai… »

Je ne suis qu’un pauvre imbécile. J’aurai du me taire. Son regard devient explosif, impressionnant. J’y vois une rage incommensurable, encore plus qu’habituellement, largement plus. J’ai dû toucher un point sensible… et j’aurais mieux fait de m’abstenir. En moins d’une seconde, je me retrouve plaqué contre le mur, le Prédateur m’empoignant par la gorge. Il est nourrit par une colère sans limite, je sens son aura qu’il dégage, une dizaine de fois plus décuplée. Ses sourcils plissés à l’extrême et la force qu’il applique sur ma trachée le prouvent. Il me brise le cou, me broie les cervicales, m’empêche complètement de respirer. Et en plus de cela, j’ai les vertèbres complètement détruits à cause de la puissance avec laquelle il m’a projeté contre le mur. Sa vitesse est incroyable. J’ai l’impression d’être une fourmi blessée face à une bête de cent kilomètres de haut. Je sens mon cœur battre au maximum. Je sens la mort se refermer sur moi.
« Tu ne sais rien de ma vie !! – me crache-t-il d’une voix forte – Tu ne sais rien de tout ce que j’ai pu vivre ! Tu ne sais absolument rien, que dalle ! Ne juge pas ma manière d’agir sans me connaître ! Ne juge pas ce que je pense, ressens, ne juge pas ce que je suis ! Tu ne sais rien de moi !! ». La panique traverse mon corps. Je sais qu’il pète les plombs, rien ne l’arrêtera. Je ne peux rien dire, je n’en ai pas la force. Mes mains, tremblantes, tentent de desserrer son étreinte, mais il se contente de la resserrer encore plus. « Ne crois pas que je suis devenu ainsi sans raison ! ». Il me laisse la possibilité de respirer, juste une seconde, assez pour pouvoir dire quelques mots d’une voix étranglée.
« Mais… Vous pouvez encore changer, il n’est pas trop tard !
- Oh non, je ne peux plus changer… Le monde entier est mort pour moi. Tout s’est éteint, rien ne mérite encore de l’attention. Moi-même je suis comme mort, et toi tu vas l’être à ton tour. » Il force de plus en plus sur ma gorge. Mes yeux sortent de leurs orbites, ma respiration est nulle, tout comme mes chances de survie que j’ai détruites.
« S’il vous plait… Pitié – arrivé-je à prononcer faiblement. » Il enfonce le canon de son flingue dans ma bouche.
« Toi, tout ce dont tu as besoin c’est de la pitié, hein ? » Il sourit rapidement avant de reprendre son air dur, mauvais. « Il n’y a pas de pitié en moi. »

Mes yeux ne fixent plus ceux du Prédateur, emplis d’une lueur de folie qui est à son comble, mais la gâchette qu’il presse. Je suis un être qui se croyait fort, puissant. Je suis un être qui aurait pu avoir une belle vie, mais qui aura toujours tout gâché, même dans ses dernières minutes, à cause de son arrogance futile. Je suis un être qui espérait tuer un autre être beaucoup plus puissant que lui, et qui maintenant n’a plus rien à espérer.
A part peut être que ma cervelle ne tâche pas trop le mur. »

(nb : ce chapitre marque la fin de ce que nous qualifierons de "Tome I"emoji

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