Ratchet & Clank: Mind Games - Chapter 20

Author: Arayn

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L’atmosphère du conduit de maintenance se contracta une seconde, puis un tourbillon violet recracha Vendra et ses deux compagnons. Harlan se redressa en titubant, le dos voûté par de l’étroitesse du passage.

— Je crois que je me sens mal, gémit le Cazar en retombant à genoux, une main pressée sur les côtes.

— Téléportations trop fréquentes, répondit Vendra distraitement. La nausée finira par passer.

— Je pense plutôt que c’est cette blessure, rétorqua Blaze. Assieds-toi, petit. Il doit me rester une dose de Nanotechs.


Harlan obéit en serrant les dents, et écarta lentement les doigts de la profonde brûlure, d’où suintaient des volutes de vapeur mauve. Quelques instants plus tôt, un Loki l’avait touché juste avant que Vendra ne les téléporte. Blaze ouvrit un compartiment de stockage caché dans sa poitrine et en sortit une capsule luisant d’un éclat bleuté. Avec sa lampe frontale, c’étaient les seules sources de lumière présentes dans le conduit. Il glissa la capsule dans l’injecteur d’urgence de son doigt et administra les premiers soins au Cazar blessé, qui se détendit doucement sous l’effet des nanomachines.

— Quatre fois de suite qu’ils nous retrouvent, dit-il ensuite en se tournant vers Vendra pour soigner sa blessure au front. Comment font-ils ?

— Ils peuvent nous « sentir » à travers les parois, répondit Harlan. Ils m’ont surpris comme ça sur Vartax.

— J’ai déjà remédié à cela, répliqua la sœur Prog en tressaillant sous l’effet des Nanotechs. Ils peuvent percevoir les ondes mentales et s’en servir comme d’un sonar.

— Encore un détail que j’aurai bien aimé savoir, grogna Blaze.

— Pourquoi faire ? Je vous l’ai dit, ça n’est plus un problème. Je peux camoufler nos émissions mentales, tant que vous restez suffisamment proches. Je le fais pour Neftin et moi depuis l’attaque de la prison. Quant à Blaze, il est invisible sur le plan psychique.

— Dans ce cas, insista Harlan en se redressant, comment font-ils pour nous suivre à la trace ?

— Lorsqu’ils se sont introduits dans mon esprit, ils y ont planté une sorte de balise mentale, pour permettre à leur… leader de remonter à la surface du fragment. Il me faudra du temps pour m’en débarrasser.

— On ne l’a pas, trancha Blaze. Il faudra trouver une autre solution. Ça ira pour vous ?

— C’est supportable.


Le robot acquiesça, avant de se redresser et d’étudier les environs. Seul une rumeur persistante au loin rappelait le chaos qui s’était emparé de la tour de Pollyx Industries.

— Nous avons quelques minutes devant nous, je dirais. Vendra, essayez de faire quelque-chose pour cette balise, et préparez-vous à nous téléporter. Harlan, aide-moi à trouver une borne de maintenance.

— Qu’espérez-vous ? demanda le Cazar.

— Les systèmes d’urgence automatisés de la tour se sont forcément activés. Si ton piratage n’a pas été découvert, je pourrai accéder aux capteurs de sécurité via le réseau interne. On pourra au moins se faire une idée de ce qu’il se passe dehors.


Le jeune homme acquiesça et s’éloigna dans le conduit, s’éclairant à l’aide de la lampe tactique montée sur le fusil anti-Loki récupéré par Blaze. Il avait été réaffecté au Centre de Défense Planétaire juste avant le couvre-feu général, et n’avait pas eu l’occasion de s’entraîner longuement à utiliser l’extracteur de parasites. Avec plus de temps, il aurait peut-être pu éviter cette blessure qui continuait de le lancer, malgré les Nanotechs.

Alors qu’il s’avançait dans le noir, les oreilles sursautant au moindre frémissement d’air, l’angoisse saisit à nouveau ses entrailles. C’était la même qui l’avait assailli sur Vartax, alors qu’il était seul face à un ennemi dont il ignorait tout. Il se rendit compte que la situation n’avait pas tellement changé.

— Tu trouves ? l’interrogea Blaze depuis le conduit opposé.

— Oui, répondit machinalement le Cazar en braquant le faisceau lumineux sur une trappe barrée d’un trait rouge vif.


Le robot le rejoignit, chacun de ses pas métalliques faisant tressaillir le jeune homme, qui craignait que les Lokis les entendent. « De toute façon, songea-t-il, ils savent sans doute déjà où nous sommes… »

— Voyons ça, fit Blaze en se branchant à la borne de maintenance. Je suis toujours dans le registre, c’est déjà ça. Accès au réseau de caméras…

— Vous pensez que les Lokis ont déjà envahi la ville ?

— Si les Terachnoïdes n’ont pris aucune précaution, c’est probable. Mais j’en doute : n’importe-quelle station spatiale serait plus appropriée pour stocker des artéfacts d’une telle valeur stratégique. S’ils ont pris le risque de les stocker en plein milieu d’Axiom City, c’est qu’ils avaient un plan en béton en cas de pépin. Enfin, j’espère… Ah ! Je suis dans le réseau.

— Vous avez été membre de la sécurité ici, fit remarquer Vendra en s’approchant. Vous ne savez rien des mesures d’urgence ?

— Il y a une demi-douzaine de téléporteurs tous les trois étages, menant directement au Centre de Défense, dans une salle protégée. Si la situation exige une mise en quarantaine, les étages touchés sont verrouillés, et les ponts menant à la tour sont coupés.

— Je vois les téléporteurs sur le plan, confirma Blaze. Ils les désactivent dès qu’un niveau est évacué.

— Pourquoi ne pas s’en servir pour faire venir les renforts ? demanda Vendra.

— Les flux de téléportations sont trop serrés pour alterner autant d’allers-retours, expliqua Harlan. Une fois que la tour sera entièrement évacuée, les téléporteurs encore en état seront réactivés pour faire passer les soldats.

— Comment savoir si un Loki ne se glisse pas parmi les rescapés ?

— Un Tharpod est venu la semaine dernière, il a fait installer des « filtres » : si un Loki est détecté sur la plateforme, le téléporteur se bloque immédiatement.

— Cela paraît insuffisant, observa Vendra. Et les voies aériennes ?

— J’ai peut-être quelque-chose à ce sujet, répondit Blaze. Les capteurs laser viennent de recevoir une transmission cryptée du Centre de Défense Planétaire. Une série d’instructions… Un autre signal vient d’être envoyé en orbite. Ça va me prendre un moment, couvrez-moi.


Le silence retomba dans le conduit. Sans voix pour le masquer, le vacarme lointain des affrontements résonna à nouveau dans le noir. Harlan se retourna pour monter la garde, certain d’avoir entendu un bruit. Des formes semblaient se mouvoir dans l’obscurité… Il se répéta que son imagination lui jouait des tours, mais son cœur se mit tout de même à battre la chamade. Vendra les aurait prévenus si des ennemis étaient proches… Peut-être était-elle en train de leur tendre un piège ?

Soudain, un bruit sec dans son dos fit sursauter le jeune homme, qui fit violemment demi-tour, l’arme à la main : au bout du canon se trouvait Vendra, qui haussa un sourcil. Elle avait cessé de léviter et ses semelles venaient de claquer sur le sol métallique.

— Un problème ? demanda-t-elle.

— Non, répondit le Cazar en s’adossant à la paroi. Vous m’avez surpris.

— En ce moment, admit Vendra en esquissant un sourire narquois, c’est plutôt vous qui me surprenez.

— C’est-à-dire ?

— Vous nous aidez à pénétrer une zone stratégique de l’armée, puis vous compromettez toute l’opération en nous signalant. Et maintenant, vous restez avec nous au lieu d’aller aider les Terachnoïdes. Vous ne seriez pas un peu perdu, par hasard ?

— Je pense que je serai plus utile ici, répondit-il sans se démonter. Et puis… Je peux garder un œil sur vous.

— Vraiment ? Vous seriez plus en sécurité ailleurs.

— Que voulez-vous dire ? risqua le Cazar en resserrant inconsciemment la poignée de son fusil.

— Si vous n’aviez pas ramené vos amis des Forces Défensives, tança-t-elle d’une voix glaciale, nous serions partis de cette planète avant même que les Lokis n’aient le temps de songer à s’échapper. À cause de vous, l’un d’eux s’est emparé de mon frère. Il y a quelques années, vous seriez déjà mort.

— La prison vous a assagie ? répliqua Harlan d’un ton tout aussi acerbe.

— En aucun cas. Vous pouvez remercier Neftin. Il a toujours préféré éviter les morts inutiles.

— C’est drôle, c’est justement ce que je me disais avant de venir ici. Comment vouliez-vous que je sache que ça allait se terminer ainsi ? Vous êtes entré en contact avec les cristaux Lokis alors que notre flotte se battait contre eux au même moment ! Si je l’avais su plus tôt, je ne vous aurais jamais laissé atterrir sur cette planète.

— Mais tu ne l’as pas fait ! les coupa Blaze d’une voix ferme. Et Vendra a lâché une horde de parasites au milieu de la ville.

— Je n’ai pas…

— Peu importe ! Que l’un d’entre nous ait foiré ou que les Lokis nous aient tous roulés, c’est pareil. Le plan est fichu. Maintenant, réfléchissez à une solution au lieu de chercher un fautif !


L’intervention du robot calma les ardeurs, et aucun des deux ne répliqua. Harlan hésita un instant, puis s’adressa à Blaze :

— Vous avez trouvé quelque-chose ?

— Exact, merci de demander. J’ai décrypté une partie de la transmission, mais c’est du haut niveau, visiblement destiné aux têtes pensantes de Pollyx.

— Et l’autre signal envoyé en orbite ?

— C’est le même, celui reçu par la tour n’était qu’un avertissement. Le Centre de Défense a ordonné le déploiement d’un dispositif, nom de code : « Cloche ». Harlan, j’imagine que ça ne te dit rien ?


Le Cazar secoua la tête. Tout-à-coup, Vendra regarda par-dessus son épaule, les paupières mi-closes.

— Nous devons partir. Ils arrivent.


En effet, un fracas métallique se fit entendre non loin d’eux, répercuté à l’infini sur les parois étroites du conduit. Un frisson glacé remonta derrière la nuque du Cazar.

— Vous ne pouvez pas nous téléporter hors de la tour ? demanda-t-il.

— L’entrave des Lokis m’empêche de me concentrer suffisamment. Je ne peux faire que de petits sauts. Et puis, je ne partirai pas sans Neftin.

— Rassurez-vous, intervint Blaze en se débranchant de la console, on ne va pas partir de sitôt.

— Comment ça ? s’enquit le Cazar, pris d’inquiétude par la déclaration de son compagnon.

— Nous devons nous occuper de ce Loki, et récupérer Neftin. Et si cette « Cloche » porte bien son nom, toute la zone sera bientôt bouclée. Vendra, essayez de nous rapprocher du niveau 730.

— Je sens encore la présence de Terachnoïdes plus haut dans la tour, répliqua-elle en plissant les yeux. Qu’avez-vous en tête ?

— Notre survie à tous. S’ils vous dérangent, emmenez-nous hors de leur vue. L’important, c’est qu’on monte.


Le conduit s’emplit d’une lueur menaçante, dans toutes les directions. Le vacarme d’une charge résonna, des pattes osseuses des Terachnoïdes aux bottes à crampons des soldats, tous possédés. Vendra ferma les yeux et écarta légèrement les bras, paumes ouvertes vers l’avant. L’air commença à onduler autour d’elle, et son front balafré se plissa, comme sous l’effet de la douleur.

— Vite ! s’écria Harlan alors que l’obscurité du conduit les absorbait.


Pendant une fraction de seconde, ses entrailles se tordirent, ses chevilles se retrouvèrent sous ses épaules, toutes ses dents se déchaussèrent et son sang se mit à bouillonner.


Puis, ils réapparurent dans un couloir désert. Les murs blancs étaient parcourus de bandes lumineuses rouges, clignotant dans la direction du chemin d’évacuation. L’alarme hurlait toujours, mais l’étage semblait relativement désert.

Harlan eut un haut-le-cœur et s’appuya contre la paroi la plus proche, qui semblait ramollie par la nausée.

— Je crois que je ne m’y ferai jamais…

— Blaze, pourquoi cet étage ? demanda Vendra.

— J’ai récupéré le plan du réseau de sécurité, déclara le robot en fixant la projection holographique émise par sa main. On n’aura plus à tâtonner pour s’éloigner des Lokis, cela devrait nous laisser plus de temps.

— Si les Terachnoïdes ne nous trouvent pas, objecta la sœur Prog.

— Je les préfère aux parasites.


Harlan s’apprêtait à dire quelque-chose, lorsqu’un bruit sourd fit vibrer tout l’immeuble. Pendant un instant, l’air parut plus lourd, comme comprimé, puis la pression revint à la normale.

— Ça ressemble au déploiement d’un champ de force, fit remarquer le Cazar.

— Ce doit être la « Cloche », s’exclama Blaze. Allons voir !


Le robot tourna les talons et partit au pas de course, suivi par Vendra. Harlan prit un instant pour laisser le vertige s’estomper, et pressa l’allure pour les rattraper.

Le couloir était nettement mieux éclairé que les conduits de maintenance, mais Harlan ne pouvait s’empêcher de s’y sentir à l’étroit. Les murs étaient propres et lisses, sans recoin d’où pourrait jaillir un Loki… Mais aussi sans la moindre aspérité où se cacher.

Les échos de leurs pas s’éloignaient au fond des longs corridors, et leur revenaient à l’identique. L’étage semblait véritablement désert.


Quelques virages plus loin, ils parvinrent devant une baie vitrée. À première vue, Axiom City n’avait pas changé. Mais en regardant attentivement, Harlan reconnut les ondulations bleutées caractéristiques d’un bouclier énergétique. Une gigantesque bulle semblait englober la tour de Pollyx Industries.

— Il dépasse le sommet du bâtiment, observa le Cazar en collant son visage contre la vitre. Donc, au moins cinq kilomètres de hauteur. Ça doit demander une puissance colossale !

— D’autant qu’il a l’air puissant, renchérit Blaze. Une seconde, j’accède aux capteurs météo…

— Dans quel but ? demanda Vendra.

— Si Pollyx est intelligent – et il l’est, il n’a sûrement pas placé le générateur dans l’enceinte du bouclier… Je l’ai !


Le capot pectoral de Blaze s’ouvrit, dévoilant un hologramme permettant de voir à travers ses capteurs.

Plusieurs centaines de mètres au-dessus de la tour, un satellite muni d’une large parabole se maintenait en suspension dans les airs. Visiblement, le bouclier en émanait. Une nuée de vaisseaux combattait déjà à proximité, les envahisseurs cherchant à passer le barrage des Forces Défensives.

— Ils ont fait « tomber » un bouclier depuis l’orbite, murmura Harlan, impressionné.

— D’où le nom du dispositif, ajouta Blaze. Vendra, vous pensez que cette chose à l’intérieur de Neftin pourrait traverser la barrière ?

— Je n’en suis pas sûre, admit la sœur Prog. Mais si on lui laisse assez de temps, il trouvera un moyen.

— Ou ses amis là-haut parviendront à détruire le satellite. Au moins, ça laissera du temps aux troupes de choc de débarquer ici.

— Pour y trouver combien de milliers de Lokis ?

— Je n’ai pas dit qu’on allait attendre sans rien faire.

— Et que comptez-vous faire, au juste ? demanda Harlan. Sans être pessimiste, nous sommes largement en sous-nombre, et si Vendra pouvait s’en occuper seule, elle l’aurait déjà fait.

— Il faudrait parvenir à séparer mon frère des fragments de Toranux. S’il est isolé des autres Lokis, je pourrai peut-être le vaincre.


Une foule d’idées se bouscula dans la tête du Cazar. De ce qu’il savait, les Lokis partageaient une sorte de réseau télépathique. Si ce dernier avait un centre, c’était certainement celui qui s’était emparé de Neftin : une « reine ». Pour l’isoler, il faudrait trouver quelque-chose d’assez gros pour occuper sa ruche… Peut-être qu’avec l’appui des Forces Défensives, le trio avait une chance. Mais que faire des civils ? Même armés d’extracteurs, les soldats seraient en désavantage… Mais c’était sûrement leur meilleure chance.

— Blaze, j’ai peut-être…


Une vive lumière suivie d’un choc lointain l’interrompit. Il regarda dehors, et discerna les débris d’une corvette chuter dans les profondeurs d’Axiom City. Le nuage de fumée laissé par son explosion s’étala sur la surface du bouclier, scintillant à son contact.

Rapidement, d’autres projectiles virent s’écraser sur la barrière et sur les immeubles alentour. Des chasseurs se poursuivirent dans les voies aériennes, les rafales de plasmo-mitrail désintégrant les façades vitrées et faisant voler en éclat les panneaux publicitaires.

Une nuée de boules de feu se forma dans le ciel nocturne, signe de dizaines de rentrées atmosphériques. D’autres tirs vinrent frapper le bouclier, visant le satellite. Heureusement, celui-ci était également lourdement protégé. Les vaisseaux des Forces Défensives, contraints de battre en retraite au-dessus de la ville par l’écrasante quantité d’assaillants, forma un périmètre autour du gratte-ciel sous cloche.

Une boule se forma dans la gorge de Harlan. Quoi qu’ils fassent, leur temps était compté.

— Je capte un autre signal ! s’écria soudain Blaze. Mais celui-là n’est pas émis depuis le Centre de Défense. C’est une transmission sur le réseau privé de Pollyx.

— Il est crypté ? l’interrogea Vendra.

— Oui, mais la clé est similaire. Cela ne devrait pas me prendre…


Le robot se tut, son œil unique écarquillé. Si son visage métallique comportait des pigments, il serait devenu blême.

— Harlan, reprit-il après un silence pesant, dis-moi que tu as entendu un Terachnoïde parler d’un « projecteur de crible dimensionnel ».


***


Le hurlement de l’alarme tira le commandant Kïers de sa liste de relevés. L’officier se hâta de rejoindre le pont principal de la ceinture de défense orbitale, et se pencha par-dessus le pupitre de commandement.

— Que se passe-t-il ?

— Nombreuses fluctuations hyperspatiales détectées à l’héliopause, commandant ! répondit un jeune Terachnoïde assigné aux senseurs. Trente-six secondes estimées avant arrivée.

— Quel vecteur d’approche ?

— Tous, Monsieur.


Iglak était attaquée. Cela ne faisait aucun doute. Il fallait agir vite.

— Déployez la flotte et tous les systèmes défensifs. Activez le système d’interdiction hyperspatiale, portée maximale.


L’opérateur transmit ses ordres, et l’immense station se mit en branle. D’un geste vif, Kïers bascula sur la fenêtre de communications.

— Mise en relation avec le Centre de Défense Planétaire, état-major. Amirale, une flotte ennemie est sur le point d’attaquer, quels sont vos ordres ?


La ligne resta silencieuse trois secondes, puis dix. Le Tharpod fronça les sourcils. Un éclat lumineux l’éblouit un instant, avant que la verrière de la salle ne se polarise : un cuirassé sortait de son dock d’amarrage, et l’allumage de son réacteur principal illuminait tout le pont de commandement.

— Vérifiez la liaison avec la surface !

— Transmission opérationnelle, commandant. Le problème semble venir du Centre.

— Imagerie satellite !


Un écran holographique recouvrit le noir de l’espace, et des exclamations s’élevèrent dans la salle dès son apparition : un épais nuage de fumée s’échappait de la haute tour en forme d’ogive fendue. Le commandant reconnut immédiatement l’étage concerné : celui où se trouvait le conseil de guerre.

— Pourquoi n’avons-nous pas été avertis ? fulmina-t-il.

— Les alarmes automatiques du bâtiment semblent avoir été désactivées, répondit un opérateur en pianotant frénétiquement sur son clavier. Nous n’avons plus aucun contact…


Au même moment, le champ d’interdiction hyperspatial s’activa. Ce genre de dispositif existait à échelle réduite, mais l’anneau de défense permettait de générer une zone couvrant un diamètre jusqu’à dix fois supérieur à celui d’Iglak. Une sphère rougeoyante fut propulsée à la vitesse de la lumière, semblable à une gigantesque aurore boréale, et s’arrêta si loin que les ridules énergétiques se détachaient à peine du fond étoilé.

Tout vaisseau en hyperespace pénétrant dans le champ serait automatiquement ramené en espace subluminique, permettant aux défenses d’engager l’ennemi à une plus grande distance et d’éviter des combats trop proches de la surface. Cependant, cela provoquait aussi une dispersion des flottilles…


Les effets du champ d’interdiction ne se firent pas attendre. Un flash écarlate à des milliers de kilomètres, suivi d’un écho radar, indiqua l’apparition d’un vaisseau en approche. Les échos se multiplièrent, jusqu’à recouvrir l’espace orbital. Certains étaient suffisamment importants pour correspondre à des transports lourds, peut-être à des croiseurs.

— Ils se sont dispersés au maximum, remarqua Kïers avant de se brancher sur la radio de la flotte. Établissez un périmètre en-deçà de la portée moyenne de notre artillerie, et engagez l’ennemi. Concentrez le feu sur les vaisseaux équipés d’armes de destruction massive.

— À vos ordres ! répondit le capitaine de la première flottille. Doit-on adopter les stratégies d’abordage et de sauvetage des civils ?

— Négatif, répondit le Tharpod en essuyant les regards surpris et inquiets des opérateurs. Notre priorité est de protéger Iglak. Visez les systèmes de propulsion et d’armement ennemis, mais ne tentez rien qui mette davantage nos forces en danger.

— Mais Monsieur, insista le capitaine, les directives de l’Amirale…

— Le contact a été perdu avec le Centre de Défense, rétorqua-t-il fermement. Jusqu’à nouvel ordre, la sécurité d’Iglak passe en premier.

— Bien, commandant.

— Qu’on se tienne prêts à activer le bouclier planétaire, reprit Kïers avant de couper la liaison générale. Capitaine Lennox, faites demi-tour et arrimez votre frégate au pont 274. Trois unités d’infanterie lourde vous y attendront. Embarquez-les et rendez-vous au Centre de Défense Planétaire.

— Ce serait fait, Monsieur.


L’officier Tharpod hocha lentement la tête et bascula sur l’affichage holographique d’Iglak. Déjà, des milliers de points colorés se mettaient en mouvement tout autour de la planète. D’autres vaisseaux Lokis continuaient d’émerger de l’hyperespace. Une partie des Forces Défensives du système se battait déjà dans les rues à la surface. Il ne pouvait espérer aucun renfort.

Inspirant un grand coup, il se mit à aboyer des ordres avec véhémence. Dans un coin de sa vision virtuelle, l’icône du Centre de Défense clignotait toujours, sans réponse.


***


Une odeur de chair et de tissus brûlés s’infiltra dans ses narines, la ramenant à la réalité. Le sifflement strident cessa peu à peu de lui vriller les tympans, laissant place aux cris et aux déflagrations. Son cerveau ne mit qu’un instant pour réaliser ce qu’il se passait, et l’adrénaline se répandit dans son système nerveux, remettant ses souvenirs en place : Explosion, flammes, choc, puis noir total.

Talwyn se rendit compte qu’elle était à plat ventre, projetée au sol par l’attaque. Plusieurs brûlures la lançaient au niveau des omoplates, et elle avait le souffle coupé. Elle toussa et se redressa en grimaçant, les yeux piquants à cause de la fumée. Un morceau de la table gisait devant elle, lui cachant le reste de la scène. Un courant d’air frais lui rappelait la présence de la brèche béante dans son dos. Le plafond s’était partiellement effondré, répandant encore plus de débris.

Elle s’avança derrière le couvert de fortune, gardant la tête baissée par réflexe, et découvrit le carnage qui se déroulait dans la salle de guerre : Wencalas, lévitant au-dessus du sol en ruines, enfermé dans une sphère de pure énergie, était en train de massacrer l’état-major. La douzaine soldats en armure assistée avait déboulé dès l’arrivée du Loki, et tentait vainement de protéger les officiers. Le tiers gisait déjà sans vie sur le sol carbonisé, et d’autres avaient simplement disparu. Sur les huit amiraux rassemblés au conseil de guerre, elle n’en comptait plus que cinq. Du coin de l’œil, elle reconnut à travers la fumée l’énorme occiput d’un Terachnoïde, caché derrière le large bouclier d’un soldat. Peut-être s’agissait-il de l’inspecteur Odyxon, ou de l’amiral Gallioz ?

« Il me faut une arme », songea-t-elle en balayant les décombres du regard. Soudain, elle entendit un faible râle sur le côté. Coincé sous une lourde poutrelle d’acier, Xavix venait de reprendre connaissance et tentait en vain de se dégager.

— Fyr, ne bougez plus ! lui ordonna-t-elle sans hausser la voix. J’arrive !


Mais alors qu’elle allait sortir de sa couverture, Wencalas se tourna brusquement vers l’amiral. Il avait entendu ses grognements de douleur. Xavix leva la main dans une tentative désespérée de se protéger, hurlant des suppliques à s’en rompre la voix. Le Loki le fixa un instant, puis son bouclier sembla soudain s’embraser, et une langue de feu violet enveloppa le Markazien blessé, dévorant la chair et l’os en quelques secondes.

— Enfoiré ! s’écria un soldat en braquant ses fusils sur Wencalas, rapidement imité par un autre.


Les armes d’épaules étaient conçues pour être manipulées à deux mains, mais les systèmes des armures assistées permettaient de compenser le poids et le recul, et ce furent quatre extracteurs de Lokis qui projetèrent leurs vrilles dorées sur le corps luminescent du président.

Les rayons ignorèrent complètement la barrière de la créature et la ligotèrent. Alors que les soldats commençaient le processus d’extraction, Wencalas se libéra d’un seul coup, et tendit une main vers chaque soldat. Une force invisible souleva les deux armures, pesant chacune presque un quart de tonne, et les attira à grande vitesse vers le Tharpod en lévitation. Ce dernier plaqua ses paumes sur les visières des soldats. Le contact les pulvérisa, réduisant les armures et leurs porteurs en poussière incandescente.


Une horrible réalisation frappa alors Talwyn : ce Loki n’avait rien à voir avec ceux qu’ils avaient affronté jusqu’à présent. Celui-là était bien plus puissant. Réfléchissant à toute allure, elle chercha une échappatoire : il ne restait que trois soldats et une poignée d’amiraux. Les deux issues avaient été bloquées par des décombres, bloquant la sortie et l’arrivée des renforts. Le Loki tenait à ce que personne n’en réchappe.

Alors que la panique commençait à s’insinuer dans son esprit, exacerbée par l’oppressante odeur de mort qui se répandait dans l’atmosphère, une brise légère souffla dans ses cheveux. La brèche était toujours derrière elle. Et plus loin, une chute de deux kilomètres menant à une mort certaine. Mais c’était la seule issue restante. Peut-être qu’en laissant les soldats faire diversion, les survivants de l’état-major pourraient s’enfuir ? Les gardes stationnés sur la place du Centre étaient équipés de jetpacks pour les interventions d’urgence. En les voyant tomber, peut-être auraient-ils le temps de les rattraper ?

Elle analysa rapidement la configuration de la salle et la position des officiers survivants, et un plan se forma dans son esprit. D’un coup d’œil dans sa vision virtuelle, elle se brancha sur la radio des soldats.

— Ici Apogée, je suis à côté de la brèche ! Il faut…


La chaleur s’intensifia brusquement de l’autre côté de son couvert. Par réflexe, Talwyn se mit à plat ventre, les mains sur la tête, et roula sur le côté. Une vague d’améthyste déferla sur sa position, la manquant de justesse. Désormais à découvert, elle bondit sur ses pieds et fixa les yeux de créature qui avait pris possession de son ami.

— Julius ? tenta-t-elle. C’est moi, Talwyn !


La jeune Markazienne crut déceler une expression sur le visage du Tharpod – était-ce un sourire, ou un rictus d’impuissance ? L’apparition s’effaça aussitôt, et Talwyn bondit derrière un autre débris, anticipant l’attaque. Mais ce frêle morceau de panneau composite était d’une résistance négligeable…

Une nouvelle attaque s’abattit sur elle, et il y eut comme un petit séisme. La jeune femme se recroquevilla et serra les dents, prête à encaisser la douleur… mais rien ne vint. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle découvrit l’imposante armure intégrale qui s’était postée entre elle et Wencalas. La vague d’énergie s’était brisée sur le bouclier du soldat, ses pieds mécaniques fermement ancrés dans le sol.

— Restez derrière moi ! s’écria-t-il, la voix déformée par son casque.

— Formez une ligne de défense jusqu’à la brèche ! répondit-elle en se branchant à nouveau sur la radio. Nous devons sauter !


Les trois soldats se coordonnèrent. Sachant qu’ils avaient besoin d’une diversion, deux d’entre eux firent à nouveau jaillir leurs vrilles d’extraction, tandis que le plus éloigné dégaina sa longue larme harmonique et fonça sur Wencalas, ses canons d’épaule faisant pleuvoir des billes de plasma lourdes sur le bouclier du Loki.

L’ennemi sembla alors se replier sur lui-même. Pressentant une attaque, les soldats déployèrent leurs boucliers énergétiques. Des volutes mauves se concentrèrent autour du Tharpod, tourbillonnèrent une seconde autour de ses membres, puis explosèrent dans un souffle emplissant toute la salle. L’atmosphère se réchauffa d’un coup, mais Talwyn ne sentit pas de brûlure. Cependant, la décharge omnidirectionnelle était venue à bout des générateurs des armures, et les boucliers se dissipèrent. Le Loki envoya valdinguer le soldat qui le chargeait d’un revers de la main, et reporta son attention sur la Markazienne.

Le soldat fit aussitôt volte-face et se positionna au-dessus d’elle, faisant rempart de son corps. Un projectile violet le frappa entre les omoplates, traversant les couches protectrices comme un écran de fumée, et perça son torse avant d’aller se perdre dans le lointain. Un hoquet le secoua, et il s’effondra, laissant juste assez de temps à Talwyn pour reculer et éviter d’être écrasée.


« Nous allons tous mourir dans quelques instants », réalisa la jeune femme, au bord de la panique. Le Loki se tourna vers le reste des officiers survivants, massés derrière des débris et protégés par le dernier soldat.

« Il joue avec nous. Il pense sa victoire acquise. »

C’était peut-être leur chance. Mais elle n’avait plus le temps d’élaborer un plan. Il fallait improviser. Son regard se posa sur le lourd fusil encore fixé sur le bras de l’armure, désormais immobile. Si elle pouvait le récupérer…

S’efforçant de calmer sa respiration frénétique, elle se pencha sur le fusil et défit les attaches. Elles étaient faciles d’accès, car le porteur devait pouvoir s’en emparer rapidement s’il était contraint de quitter son armure. L’arme n’en était pas moins lourde, mais cela suffirait. L’empoignant comme un lance-flammes, elle visa le plafond déjà fragilisé au-dessus de Wencalas. Plus précisément, l’un des monte-charges de l’étage supérieur, normalement destiné à acheminer du matériel jusqu’au toit. Sans soutien, plusieurs tonnes d’acier allaient dégringoler sur le Loki. En espérant que cette zone avait été désertée après les premières secousses…

— Tout le monde recule ! hurla-t-elle en armant le fusil.


Wencalas se retourna à une vitesse surnaturelle, mais Talwyn avait déjà fait feu. Le projectile de plasma explosa, faisant voler en éclats ce qui restait du plafond. Comme prévu, le monte-charge s’effondra par le trou béant, ensevelissant le Tharpod sous les décombres. La force du choc détruisit également le sol, et l’amalgame de métal tordu et brisé s’enfonça sous leurs pieds.

Cependant, l’onde de choc additionnée au fort recul du fusil déstabilisèrent Talwyn. La Markazienne perdit l’équilibre, et bascula dans le vide, se rattrapant in extremis au bord de la brèche. Son bras droit la lança violemment, ayant encaissé le plus gros choc, mais elle parvint à tenir.

Soudain, un trait lumineux passa tout près d’elle et se ficha dans le plafond encore intact, au-dessus de sa tête.

« Une versa-ligne ? » s’interrogea-t-elle en reconnaissant le rayon d’énergie solide. Les jambes ballotées dans le vide par le vent puissant qui régnait à cette altitude, elle tenta de trouver un point d’appui pour se hisser, mais une secousse ébranla tout à coup le mur, et Talwyn lâcha prise. Le monde se renversa, alors qu’elle dégringolait le long de l’immense façade du Centre de Défense.


Par réflexe, elle agita les membres en espérant attraper une quelconque aspérité sur la paroi miroitante, en vain. Ignorant les plaintes de son oreille interne, elle tâcha d’ignorer le paysage tourbillonnant, et se concentra sur sa vision virtuelle. Si elle parvenait à contacter l’un des gardes, ils pourraient la rattraper avant qu’elle ne s’écrase. D’un mouvement rapide des pupilles, elle activa la radio d’urgence.

Aucun signal.

Surprise, elle porta la main à son oreille, et découvrit que le micro-ordinateur relié à ses lentilles à réalité augmentée avait disparu. Elle voulut jurer, mais le souffle impitoyable de la chute fit mourir ses mots dans sa gorge. Elle avait dû perdre son oreillette en étant éjectée de la tour.

« Réfléchis. Pas de jetpack. Réfléchis. Pas de parachute. Réfléchis ! »


Alors que le vertige s’emparait de ses sens, un contact froid contre son sternum l’interpella. Elle se souvint soudainement de quoi il s’agissait, et fouilla fébrilement dans son chemisier, pour en tirer un pendentif de la taille d’une montre à gousset. De la forme d’un disque, l’objet était constitué de centaines de minuscules engrenages dorés, assemblés avec une grande précision autour d’une bille transparente.

— Clank ! hurla-t-elle au médaillon. Clank, si tu m’entends, j’ai besoin d’aide tout de suite !


L’objet resta désespérément inerte. Le robot avait refusé en bloc de lui expliquer comment s’en servir, « pour des raisons personnelles ». Il avait seulement dévoilé qu’il s’agissait d’une sorte de porte-bonheur. Le connaissant, Talwyn doutait qu’il s’agisse d’une telle babiole ésotérique, mais cela ne l’avançait pas dans sa situation !

Son cœur semblait sur le point de la lâcher, mais les rafales glaciales la fouettant de toutes parts l’empêchaient d’en ressentir les battements. Raidissant ses muscles, elle se positionna péniblement à l’horizontale, exposant le plus possible de surface à l’air.

Elle n’était déjà plus qu’aux deux tiers de la hauteur. À cette vitesse, quelqu’un l’attrapant au vol lui briserait les os. Il fallait absolument qu’elle ralentisse.

« Mais comment ? »

Parvenue à se positionner de façon stable, elle tournait lentement sur elle-même, et s’efforçait de fixer son regard sur l’horizon pour garder les yeux ouverts. C’est alors qu’elle se retrouva de nouveau face à la paroi de verre du Centre. Brillant en vert sur le fond azur des vitres, la versa-ligne était toujours tendue.


Talwyn ne se préoccupa pas de sa provenance, ni de son point de départ. À ce moment, c’était sa seule chance de survie. Elle contracta l’abdomen et se pencha en avant, laissant l’air la pousser jusqu’au fin rayon lumineux.

Arrivée à proximité, elle tendit une main hésitante vers la ligne. Le contact lui brûla les doigts, et elle la retira immédiatement en laissant échapper un cri de douleur. Évidemment : le câble n’émettait pas de chaleur, mais les frottements à cette allure le rendaient impossible à attraper sans se blesser.

Pourtant, il le fallait.

La Markazienne retira sa veste d’uniforme, déjà bien abîmée par les affrontements récents. Elle enroula le tissu résistant autour de ses mains, et tenta de se préparer mentalement pour ce qui allait arriver. Alors qu’elle se mettait en position, elle eut un aperçu du sol, qui se rapprochait toujours plus vite. Cette vision de mort imminente élimina tout soupçon d’hésitation en elle : c’était maintenant ou jamais.


Elle saisit la ligne à pleine mains, la serrant le plus fort possible et l’entourant de ses jambes pour maximiser la friction. Rapidement, une intense chaleur se propagea à travers ses pieds, ses cuisses, ses bras et ses mains. Mais la douleur était supportable, et Talwyn raffermit encore plus sa prise, faisant blanchir ses phalanges et se recroquevillant sur elle-même.

Ses semelles se mirent à fumer, de même que le tissu au contact de la ligne. Elle n’avait que quelques secondes avant que ses protections soient rongées par les frottements. Malgré tout, elle ralentissait, mais peut-être n’était-ce qu’une impression ?

Quoi qu’il en soit, cette légère progression l’encouragea, et elle refusa de lâcher prise.

« Tu ne peux pas mourir comme ça ! » songea la Markazienne pour elle-même, alors que le sol se faisait désespérément proche. Il ne lui restait plus qu’un kilomètre, sans doute moins.


Soudain, la dernière couche de tissu protégeant ses mains s’effilocha, exposant sa peau à une douleur cuisante. Talwyn tenta de calmer sa respiration, sachant que cela ne pouvait qu’empirer son état, mais c’était peine perdue.

Rapidement, son pantalon et son chemisier se déchirèrent, suivis de ses chaussures. Elle sentait la ligne traverser sa peau, une lente torture pourtant destinée à lui sauver la vie. C’était comme si son corps entier était en feu !

Le pendentif de Clank s’échappa de son col, et flotta au gré des courants d’air devant son visage crispé par la souffrance, comme un rappel narquois de son calvaire sans fin. Quel « porte-bonheur » pouvait la laisser se mettre dans un état pareil ?

Cependant, le médaillon doré commença doucement à redescendre, tel une pierre coulant dans une mer d’huile. Les yeux écarquillés de la Markazienne suivirent le parcours de l’objet, qui revint tranquillement se placer le long de son cou. Lentement, le vent cessa de comprimer ses poumons. Elle ne sentait plus que le câble lumineux contre ses membres meurtris.

Elle avait réussi ! Sa chute s’était arrêtée. Un regard vers le bas l’informa qu’elle se trouvait encore à presque trois cents mètres du sol, suspendue à une ligne ensanglantée. Tremblante et sanglotante, les mains si crispées qu’elle doutait de pouvoir les ouvrir à nouveau, mais vivante.


Maintenant, elle n’avait qu’à se balancer jusqu’à la façade lorsqu’une fenêtre s’ouvrirait. Quelqu’un l’avait sûrement vue…

Des vibrations de plus en plus fortes se mirent à agiter le câble. Son cœur s’emballa de nouveau. Prise de panique, elle se tourna vers la tour, scrutant à travers les vitres bleutées. Mais il n’y avait personne. Cet étage avait-il déjà été évacué ?

Les battements de la ligne s’intensifièrent, rendant sa prise déjà difficile presque insoutenable. Laissant échapper une plainte de douleur, elle regarda vers le bas : un objet lumineux fonçait droit vers elle. La versa-ligne convergeait vers le centre de la forme.

— S’il-vous-plaît… murmura-t-elle, à bout de forces.


Ses muscles l’abandonnèrent. Elle lâcha la ligne et chuta de nouveau, à la limite de l’inconscience.

— Je vous tiens ! rugit une voix puissante en l’attrapant au vol.


À travers un voile trouble, elle crut discerner une silhouette pourvue de deux grandes oreilles.

— Ratchet ? souffla-t-elle, alors que le Lombax la plaçait en position horizontale.

— Il est de l’autre côté de la galaxie, j’en ai peur, répondit Rhivan. Attention, ça pique.


Elle sentit une injection à la base de sa nuque. Une piqûre de moustique, comparé à ce qu’elle venait de subir. Une sensation divinement agréable se diffusa rapidement dans tout son corps, alors que le flot de Nanotechs s’activait déjà pour refermer ses blessures.

— Vous n’y êtes pas allée de main morte, sans mauvais jeu de mots, constata le Lombax. Ça va aller ?

— Je crois… Vous m’avez sauvée.

— Vous vous êtes sauvée toute seule. Le temps que ces abrutis en bas comprennent que j’avais tiré cette flèche-grappin pour venir vous aider, vous ne seriez plus là pour en parler sans votre solution… audacieuse.


Doucement revigorée, Talwyn examina la situation : Rhivan était vêtu d’une armure prétorienne intégrale. Après l’avoir rattrapée, il s’était arrêté le long de la façade, « debout » sur la paroi vitrée. L’extrémité de la versa-ligne était fixée à sa ceinture. Il la tenait à l’horizontale, ses bras la soutenant sous les épaules et les genoux. Un souvenir remonta à la surface, et la Markazienne ne put s’empêcher de glousser, ce qui lui valut un rappel douloureux de la part de ses côtes lésées.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Rhivan.

— Rien, répondit-elle en esquissant un sourire. Je porte parfois Ratchet de cette façon… Il n’apprécie pas souvent.

— J’imagine bien… Et si vous me parliez de ce qu’il s’est passé là-haut ?


Le visage de la jeune femme s’assombrit à nouveau.

— Wencalas. C’était lui, le Loki infiltré. Il est très puissant. L’état-major s’est fait décimer… Je ne sais pas s’il reste des survivants.

— Où était-il quand vous êtes tombée ?

— Je lui ai fait tomber un monte-charge de quatre tonnes sur la tête. Il est passé à travers le sol.

— Pas mal. Mais si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais vous redescendre sur la place. S’il est si redoutable, je ferais mieux d’aller vérifier là-haut qu’il a eu son compte.

— Non, rétorqua-t-elle fermement. Rhivan, emmenez-moi avec vous. Nous ne serons pas trop de deux pour l’affronter.

— Miss Apogée…

— Talwyn.

— Très bien, Talwyn. Vous êtes actuellement la personne la plus importante de la galaxie, et peut-être tout ce qui reste de l’état-major sur cette planète. Et vous me demander de vous ramener en enfer parce que vous avez un compte à régler avec ce type ?

— Exactement. Et si vous me déposez en bas, je remonterai aussitôt. Vous ne feriez que perdre du temps.


Le vieux Lombax soupira, puis la fixa un instant. Le regard de la Markazienne était sans appel.

— J’aurais dû vous injecter plus d’anesthésiants. Très bien, capitula-t-il en secouant la tête. Accrochez-vous.


Talwyn le remercia d’un signe de tête et se cramponna fermement à ses épaules, les jambes enroulées autour de sa taille. Rhivan remit ses Hoverbottes en marche, et ils foncèrent le long de la paroi, tractés par la versa-ligne toujours plantée plus d’un kilomètre plus haut.

— Je commence à comprendre pourquoi Ratchet vous apprécie, s’exclama le Lombax pour couvrir les bourrasques. Mais vous ne ferez pas long feu sans armes ni armure !

— Il résiste aux extracteurs protomorphiques, et j’ai vu des soldats en armure assistée se faire désintégrer d’un simple contact. Je ne pense pas que ça va m’aider.

— Alors comment comptez-vous le battre ?

— Ratchet m’a parlé de vos armes à antimatière. Vous pensez qu’elles fonctionneront ?

— Je n’en sais trop rien. Mais on sera bientôt fixés !


Ils filaient à grande vitesse, et le vent forçait Talwyn à plisser les yeux. Elle contempla l’épaisse colonne de fumée qui s’échappait de la salle de guerre dévastée, et enragea : comment ne s’était-elle pas rendu compte que Polaris était aux mains d’un Loki, durant plusieurs années ?

Un picotement à l’épaule lui fit baisser les yeux sur sa blessure récente. Elle avait été chanceuse malgré tout : si les frottements du câble avaient entamé ses os, même les puissants Nanotechs de Rhivan auraient mis un temps considérable pour la remettre sur pied. Ses brûlures étaient déjà réduites à de simples cicatrices blanchâtres, sous les lambeaux noircis de son uniforme.

Alors qu’elle relevait la tête pour fixer leur objectif, quelque-chose d’inhabituel attira son attention, loin au-dessus de la tour.

— Rhivan, vous pouvez zoomer sur cette partie du ciel ? demanda-t-elle en désignant un point sombre dans la voûte d’azur.


Le Lombax, aidé par sa visière, suivit son doigt en ralentissant légèrement leur ascension.

— Ça ressemble à des vaisseaux… tonnage moyen. Leurs trajectoires semblent un peu agressives, mais à cette distance…


Rhivan fut interrompu par un minuscule éclat lumineux, à peine visible sous la lumière du soleil. Quelques secondes plus tard, l’un des vaisseaux changea de trajectoire.

— Une explosion, observa Talwyn. C’est bien ce que je pensais.


Le Markazienne tendit le cou pour discerner la mince ligne de l’anneau de défense orbital, et ses craintes furent confirmées : La structure était parsemée d’éclats brillants. On aurait pu croire au reflet du soleil sur la forteresse métallique, mais c’était trop irrégulier pour laisser planer le moindre doute.

— La planète est attaquée, fulmina-t-elle. Pourquoi je ne l’apprends que maintenant ?

— Les communications ont cessé dès l’intrusion de Wencalas, leur flotte a dû arriver dans la foulée.

— Nous devons reprendre contact.

— Pourquoi ? Nous avons assez de problèmes ici. Laissez-les s’occuper des leurs. De toute façon, votre Centre ne pourra pas coordonner la défense tant qu’un Loki enragé se promènera à l’intérieur.


La jeune femme jura pour faire bonne mesure, mais Rhivan avait raison. Elle devait rester concentrée.

Le Lombax accéléra, et ils parvinrent jusqu’à la brèche d’où elle était tombée. Aussitôt hissés dans la salle de guerre en ruines, Rhivan décrocha la versa-ligne de sa ceinture et dégaina sa clé prétorienne.

— J’entends des affrontements quelques étages en-dessous. Qu’est-ce qu’on fait ?

— Donnez-moi un instant, répondit Talwyn en fouillant dans les décombres.


La Markazienne balaya quelques éclats de verre et finit par dénicher son oreillette. Elle s’empressa de la remettre en place, et sa vision virtuelle fut reconnectée.

— Rhivan, je vous donne l’accès au réseau.

— Reçu. D’après le plan… Attendez, vous entendez ça ?

— Entendre quoi ?

— Je crois que nous ne sommes pas seuls. Aidez-moi à soulever ces décombres.


Le Lombax s’approcha du trou béant creusé par l’effondrement du monte-charge. Des débris étaient répandus tout autour, formant comme le contour d’un cratère. Il saisit une épaisse poutre et la souleva péniblement, malgré les renforts musculaires de son armure. Talwyn s’agenouilla à ses côtés et entreprit de déblayer les gravats, jusqu’à-ce qu’une plaque métallique révèle un énorme crâne rose, couvert de contusions.

— Inspecteur ! s’exclama-t-elle en tirant le Terachnoïde inerte loin des décombres.

— Je l’ai entendu gémir, expliqua Rhivan en lâchant la poutre, qui s’effondra avec fracas. Il est en vie.


Il se positionna en face de Talwyn, qui maintenait la tête du blessé en l’air.

— Ses cerveaux ont dû prendre un sacré coup, mais ses blessures sont légères. Cette injection devrait le stabiliser.


Alors que la respiration de Odyxon se faisait plus régulière, Rhivan se redressa, le regard perdu vers l’intérieur de la tour.

— Je vois des mouvements de troupes au-dessus de l’Arche. Talwyn, essayez de faire évacuer les blessés. Il va y avoir du grabuge d’ici peu. Vous… connaissiez Wencalas ?

— Nous nous sommes rapprochés après son élection, répondit Talwyn, se doutant de ce qu’il allait lui annoncer. Il était un allié fiable, et… un ami.

— Si vous parlez de lui au passé, alors je n’ai pas besoin de vous expliquer. Je suis désolé.


La Markazienne hocha la tête, une boule se formant dans sa gorge. L’adrénaline dissipée, elle réalisait enfin que l’un des hommes auquel elle faisait le plus confiance était en train de dévaster la capitale, et que Rhivan allait devoir y mettre un terme, définitivement.

Le Lombax lui adressa un bref signe d’encouragement, referma sa visière et brandit sa clé, les pinces modifiant leur forme pour se transformer en redoutables lames, au fil luisant d’énergie. Rhivan se mit à courir en direction du centre de la tour, la puissance de chaque pas amplifiée par son armure et ses Hoverbottes.

— Vous pourriez cesser ce boucan ? grommela une voix pâteuse. Oh, bonjour amirale.

— Vous allez bien, inspecteur ? s’enquit-elle en aidant le Terachnoïde à se relever.

— Comme un slorg écrasé. J’ai les cerveaux en compote, mais ça fonctionne encore.

— Que s’est-il passé ?

— Vous voulez dire, après que vous avez fait tomber le ciel sur nos têtes ? Je crois avoir vu deux ou trois officiers quitter la salle pendant que je tombais dans les pommes. Et avant que vous me demandiez : je ne sais pas où ils sont.

— Pourquoi est-ce que je demanderais ?

— Ils le font tout le temps.


Trop exténuée pour chercher à comprendre, Talwyn se pencha pour ramasser un fusil anti-Loki. Elle savait que cette arme ne ferait pas une grande différence, mais c’était tout de même plus rassurant.

— Vous pouvez marcher ? Les ascenseurs doivent encore fonctionner dans l’aile ouest.

— Vous voulez aller affronter ce Loki, pas vrai ? devina Odyxon. Le Lombax vous a dit de ne pas vous en mêler, pourtant.

— Comment savez-vous…

— J’ai une bonne oreille. Si ça ne vous dérange pas, je vais venir avec vous. J’adorerais faire un brin de causette avec ce Lombax… et avec le Loki, quand nous l’aurons capturé.

— Capturé ? répéta Talwyn, sa curiosité piquée au vif. Qu’est-ce que vous racontez ?

— Vous alliez laisser l’instigateur de tout ce complot et, je présume, de tout le chaos qui règne dans la galaxie se faire tuer, tout simplement ? Et après, on attend qu’un autre Loki attrape la folie des grandeurs, ou on leur demande de rentrer dormir dans leurs cristaux ?

— Je sais bien que sa capture nous apprendrait beaucoup, mais vous l’avez vu comme moi, vaporiser des soldats en armure assistée d’un claquement de doigts !

— Pourtant, votre Lombax semble avoir une recette miracle, sinon il ne se serait pas jeté là-bas sans réfléchir. Du moins, j’espère. Je pense avoir deviné l’astuce, mais vous devrez m’emmener à proximité pour m’en assurer.

— Très bien, obtempéra la Markazienne en passant le fusil en bandoulière et s’agenouillant à côté de l’inspecteur. Accrochez-vous.

— Je ne parle pas de « m’emmener » comme ça, enfin ! s’exclama Odyxon en levant les yeux au ciel. Un Terachnoïde sur un champ de bataille, on aura tout vu ! Donnez-moi l’accès au réseau, et je vous guiderai d’ici.


Talwyn sentit ses joues chauffer et marmonna une excuse en entrant les identifiants de l’inspecteur acariâtre.

— Je vous conseille de rester ici, dit-elle en enjambant les décombres pour quitter la salle. J’enverrai des soldats vous chercher dès que possible.


Dégainant à nouveau son arme, elle s’élança dans les couloirs de l’étage à présent désert, sous le vacarme incessant de l’alarme.

— Liaison visuelle établie, l’avertit Odyxon par radio. Je vois à travers vos yeux.

— Le système de sécurité signale des affrontements cinq niveaux en-dessous. Je vais essayer de m’approcher.

— Sur le chemin, rappelez-moi le fonctionnement des extracteurs de Lokis.

— Vous n’avez pas reçu les mêmes informations que vos collègues ?

— Si, en retard : je me suis déconnecté le temps de mon excursion sur Solana. Mais la pratique ne m’intéresse pas, je veux savoir comment fonctionnent ces engins, en théorie.

— Je ne suis sans doute pas la mieux placée pour vous l’expliquer, rétorqua la Markazienne en s’arrêtant pour dégager un robot de maintenance de sous des débris. Le temps de constater qu’il allait bien, elle était déjà repartie.

— Vos amis de GruminNet vous ont sûrement fait un topo compréhensible, non ? Résumez-moi ça et je me débrouillerai.

— Comme si le moment était bien choisi… Ah !


Dans sa course, Talwyn manqua de glisser sur une flaque d’eau se répandant depuis un distributeur éventré par un tir. Ses chaussures étaient déjà moins pratiques que des bottes militaires, mais elles étaient à moitié en lambeaux après l’attaque et sa chute. Le contact glacé sur ses pieds lui fit regretter de ne pas avoir pris le temps d’enfiler une armure. D’un clin d’œil, elle lança une recherche des casiers d’équipement les plus proches, et dévala les escaliers en prenant garde à esquiver les éclats de verre répandus au sol.

— J’ai parlé des extracteurs avec les scientifiques Tharpods. Ils m’ont dit de considérer la matière comme une onde : un solide inerte a une fréquence nulle, et un projectile de plasma une fréquence élevée.

— Je ne suis pas physicien, et tout ça m’a l’air affreusement approximatif… Mais je saisis l’idée, continuez.

— Les boucliers des Lokis peuvent bloquer la matière à fréquence élevée, mais les particules à basse fréquence peuvent les traverser.

— Je l’avais lu dans un rapport. Je vois où vous voulez en venir, conclut soudain l’inspecteur : les filaments projetés par les extracteurs sont « basse-fréquence », c’est ça ?

— En gros, oui. Ils ont la même que les formes physiques des Lokis, c’est pour cela qu’ils peuvent traverser leurs barrières et ligoter les parasites à travers leurs hôtes.

— À travers, vous en êtes sûre ?


Une vibration se propagea jusqu’à Talwyn alors qu’elle émergeait de la cage d’escalier. Elle n’était plus très loin.

— Certaine, pourquoi ?

— Tout à l’heure, les soldats ont essayé d’attraper le Loki à l’intérieur de Wencalas. Mais quand il a résisté, c’était avec le corps de son hôte ! Si les liens avaient effectivement ignoré le corps du Tharpod pour ne toucher que celui du Loki, nous aurions dû voir ses bras sortir pour se débattre.

— C’est allé très vite. Je n’ai pas vu grand-chose…

— Moi, si. Nous savons que ce Loki n’est pas comme les autres. Peut-être qu’une extraction classique ne fonctionnera pas.

— Que suggérez-vous ?

— Je vais y réfléchir.


Talwyn émergea du couloir dans un open-space couvrant presque la totalité de l’étage. Les ascenseurs et les escaliers montaient le long de l’axe central du bâtiment, « l’Arche ». Elle se trouvait donc au centre de l’étage. Plus de deux cents mètres plus loin, partiellement cachée par les cloisons et les épais piliers structurels, la baie vitrée recouvrant la tour laissait entrevoir le ciel.

Les vibrations s’intensifiaient, mais l’étage semblait épargné par les combats. Pourtant, elle avait suivi les communications des soldats, et tous indiquaient cette zone…

— Rhivan, s’écria-t-elle par radio, où êtes-vous ?

— Je suis un peu occupé !

Soudain, une déflagration fit voler en éclat des dizaines d’espaces de travail dans un fracas de métal, projetant cloisons, ordinateurs et mobilier dans les airs. Passant à travers le sol, la silhouette d’un Tharpod s’écrasa au plafond avec assez de force pour perturber l’affichage holographique à côté de Talwyn, se trouvant pourtant à plus de trente mètres.

La Markazienne eut à peine le temps de reconnaître le visage de Wencalas, une traînée de sang bleu au coin de la bouche, que Rhivan jaillit à son tour de l’ouverture. Clé en avant, le Lombax exécuta un uppercut magistral, qui aurait coupé le Tharpod en deux si ce dernier n’avait pas esquivé, se réceptionnant avec souplesse au milieu des décombres.

Sans lui laisser le temps de souffler, Rhivan se propulsa sur son adversaire, enchaînant des coups plus rapides les uns que les autres. Projeté en arrière, le Loki bondit, le corps entier luisant d’énergie destructrice. En un éclair, Rhivan dégaina son revolver et tira à trois reprises des projectiles bleutés.

Le bouclier du Loki se matérialisa instantanément, mais les tirs s’enfoncèrent et passèrent au travers, provoquant des réactions semblables à des pierres jetées dans l’eau. Wencalas croisa les poings devant son visage, et disparut un instant dans un nuage de fumée mauve.


Talwyn n’en croyait pas ses yeux. Douze soldats en armure assistée ne semblaient pas avoir posé le moindre problème au Loki… qui paraissait désormais en mauvaise posture.

Malgré tout, elle resta sur ses gardes. D’un geste rapide, elle brancha le détecteur de parasites de son arme sur sa vision virtuelle, et un écho radar indiqua que Wencalas était toujours là. Il n’avait pratiquement pas bougé après avoir encaissé le tir. À travers la fumée, elle avait du mal à localiser Rhivan. Le Lombax ne semblait pas l’avoir aperçue. La main de la jeune femme se referma sur un morceau de cloison métallique. Une protection légère, mais c’était mieux que rien.

Soudain, un mouvement brusque dispersa les volutes violettes, et une silhouette floue fonça vers elle. Par réflexe, elle commença à lever son bouclier de fortune, mais choisit de le lancer de toutes ses forces sur le Loki, avant de se préparer à esquiver. La plaque heurta le front du Tharpod possédé et le stoppa dans son élan. La créature se retrouva face à Talwyn, et ses mains se chargèrent d’énergie. Elle eut à peine le temps de constater qu’il était à peine blessé.

La décharge mortelle emplit son champ de vision, et la Markazienne se jeta sur le côté.

— Couchez-vous ! hurla Rhivan en surgissant entre Talwyn et Wencalas.


Le Lombax exécuta un rapide moulinet de sa clé prétorienne, qui trancha à travers l’énergie du Loki, le fil énergisé des lames créant un feu d’artifice irisé au contact des projections d’améthyste. Les filaments lumineux se dispersèrent, et Rhivan planta fermement ses talons dans le sol calciné, rangeant sa clé et saisissant son arc en un seul geste.

D’un mouvement fluide, il encocha une flèche, tendit la corde et la relâcha aussitôt. Le projectile traversa le bouclier Loki aussi aisément que ceux du pistolet, et Wencalas fit un pas en arrière, traversé par un éclair lumineux. En un battement de cils, Talwyn réalisa ce qu’il s’était passé : leur adversaire avait saisi la flèche d’une main avant qu’elle ne l’atteigne à l’abdomen. Mais au lieu de se dissiper, le trait sembla se diluer pour recouvrir la main du Tharpod.

Un lien émeraude jaillissait de l’empenne, et partait dans son dos : Rhivan avait décoché deux projectiles d’un coup. La seconde flèche était allée se planter dans un pilier en béton, à l’autre bout de l’étage. En une fraction de seconde, la versa-ligne se rétracta, et le Loki fut projeté en arrière à toute vitesse, traversant les rares cloisons encore debout.

— On a gagné une petite minute, déclara Rhivan avant de faire volte-face vers Talwyn. Qu’est-ce que vous fichez ici ? J’espère que vous réalisez que c’est après VOUS qu’il en a !

— Odyxon pense avoir trouvé un moyen de le capturer, rétorqua la Markazienne sans se démonter. Vous disiez n’avoir aucune idée de l’efficacité de vos armes ! Comment avez-vous fait ?

— J’ai enveloppé mon antimatière d’énergie noire.

— Quoi, c’est tout ? railla l’inspecteur en se branchant sur sa radio. Vous utilisez de l’énergie noire pour « alourdir » vos munitions ?

— C’était un pari risqué. Impossible de lui tenir tête autrement.

— Où avez-vu pu dénicher des condensateurs ? l’interrogea Talwyn. Leur acquisition est strictement règlementée.

— Vous devriez fouiller le sous-sol de votre petit copain. C’est même surprenant qu’il n’ait pas déjà fait exploser une ville.

— On s’en occupera plus tard ! les interrompit Odyxon. Nous pouvons utiliser l’énergie noire à notre avantage pour le neutraliser !

— Comment ? s’enquit Rhivan en rechargeant son revolver. Mes armes sont faites pour tuer. Quoique… Ce qu’il a pris dans la figure aurait pu assommer un Grok de Guerre. Vous avez vu ses mains presque intactes après avoir encaissé deux décharges d’antimatière ?

— Il doit utiliser sa télékinésie pour amortir les dégâts, supposa Talwyn.

— C’est ce que je pense. Quoi que vous trouviez pour le capturer, ça a intérêt à être puissant.

— Ce sont nos affaires, grogna l’inspecteur. Si vous l’occupez pendant quelques minutes, je peux…


Un éclat violet illumina l’étage comme un phare. Une onde de choc se propagea depuis la baie vitrée, la faisant voler en éclats cristallins. L’assemblage de plaques formant le sol ondula comme une vague, et se déchiqueta, incapable de résister à une torsion aussi forte.

Projetés en l’air par le choc, Talwyn et Rhivan se rattrapèrent à l’une des poutrelles ayant supporté l’attaque, seuls restes du sol désormais squelettique. À une vingtaine de mètres sous leurs pieds s’étendait la longue passerelle tangente à la large clé de l’Arche.

— Je pense que je l’ai énervé, déclara Rhivan en l’aidant à se hisser sur un des fragments de sol encore intacts, ceux plus proches des murs et des piliers structurels. Odyxon a raison, je vais m’occuper de lui. Si vous parvenez à mettre un plan au point, appelez-moi. Mais surtout, ne vous approchez pas de Wencalas.

— J’essaierai.

— Il va falloir faire plus que ça. Inutile de vous rappeler les conséquences si vous disparaissiez.


Talwyn hocha la tête, et le Lombax sauta à la rencontre du Loki.

— Inspecteur, fouillez toutes les bases de données de GruminNet. Cherchez le moindre dispositif fonctionnant à l’énergie noire.

— En dehors des générateurs de gravité industriels, ce genre d’appareil est assez peu commercialisé. Je vais faire un tour dans les archives.


La Markazienne s’accroupit et souffla un coup, puis remonta de quelques étages pour trouver un casier d’équipement intact. L’énergie noire… Une partie d’elle s’en voulut ne pas y avoir pensé plus tôt, mais sa conscience la rappela vite à l’ordre : S’il s’agissait d’un moyen efficace et facile à produire, les fabricants d’armes y auraient déjà pensé. La technologie d’extraction des Tharpods était bien leur meilleure option, en temps normal.

Cette pensée laissa un arrière-goût amer : comme d’habitude, c’étaient Ratchet et Clank qui trouvaient la solution, et elle n’avait qu’à l’appliquer. Mais là, elle était seule.

« Parmi les centaines d’armes que tu as maniées, certaines devaient projeter de l’énergie noire », songea-t-elle. « Mais lesquelles ? »

— Odyxon, appela-t-elle alors que deux images lui revenaient à l’esprit.

— C’est Griffin. Vous pensez à quoi ?

— Une arme nommée Lacérateur… Non, Fracturateur. Et une autre, la Grenade Vortex.

— Les archives mentionnent un Fissurateur 5000… Un portail dimensionnel instable, rien que ça !

— C’en est une autre, un projecteur de singularité !

— Déjà plus intéressant… Mais je n’ai rien de ce genre chez GruminNet, c’est un Fissurateur signé Gadgetron. Cela dit, j’ai trouvé votre Grenade Vortex. « Projette une sphère de matière noire entourée d’un champ d’énergie négative… » Je crois qu’on a une gagnante. Ce truc pourrait bien immobiliser le Loki et saper ses défenses. Mais il y a un hic…

— Lequel ? demanda Talwyn en enfilant une armure légère à toute vitesse. Il n’y avait toujours pas de jetpack…

— Vous pensez bien qu’un engin pareil ne se trouve pas dans une boutique de souvenirs. Il y en a peut-être un ou deux dans ce bâtiment, mais les munitions seront rares.

— De toute façon, nous n’aurons pas le droit à plusieurs essais. Il faudra profiter de l’effet de surprise.

— Je fouille les casiers de la tour, laissez-moi une minute.


Griffin coupa le contact, et Talwyn se retrouva à nouveau seule. Sans la voix pressée de l’inspecteur, elle se rendit compte du vide régnant autour d’elle.

« Pourvu que les civils aient pu évacuer… »

Profitant de ce court répit, elle consulta le plan du Centre, où les soldats pouvaient signaler les zones prioritaires. Effectivement, le haut de l’immeuble avait été évacué plus rapidement grâce aux navettes stockées sur le toit. Cependant, le Loki avait pris soin de démolir les senseurs et antennes de communication juste avant d’attaquer l’état-major. Il fallait procéder à des réparations au plus vite.


La tour, haute de plus de deux kilomètres et large de six cents mètres, avait de face la forme d’une ogive, une architecture typique de Meridian City. De profil, la structure se révélait plus complexe : une voie aérienne la traversait de part en part, lui donnant une silhouette de « U » renversé. La voie mesurait un tiers de la largeur du bâtiment, pour la moitié de sa hauteur.

Une immense piste de décollage était également creusée au sommet de l’ogive, accompagnée de hangars pouvant contenir une frégate et des dizaines de navettes.

Les ascenseurs et escaliers couraient le long de la paroi interne de la tour, formant « l’Arche », la colonne vertébrale du Centre. Au sommet de la voûte se trouvait une large passerelle reliant les deux moitiés séparées par la voie aérienne. C’était là que se déroulait le combat. Pendant ce temps, les soldats de garnison évacuaient les civils vers le pied de la tour. S’ils pouvaient bloquer Wencalas aux étages supérieurs, désormais presque déserts…


Une alerte de proximité retentit soudain dans ses oreilles. Un vaisseau de tonnage moyen s’approchait du Centre. Talwyn courut jusqu’à la fenêtre la plus proche et regarda en l’air, plissant les yeux pour mieux discerner la silhouette qui descendait sous le soleil de midi. Sa vision virtuelle superposa aussitôt les informations connues sur l’appareil : le Sérénité, une frégate commandée par le capitaine Lennox.

Le vaisseau, long de plus de deux cents mètres, se positionna au niveau de la clé de voûte, face à la passerelle, ses puissants réacteurs faisant vibrer la surface vitrée du Centre. Le sas situé sous la proue s’ouvrit, et des dizaines de soldats en armure assistée bondirent sur l’Arche, traversant les fenêtres comme un mur de papier.

Talwyn les perdit de vue, mais les caméras de sécurité lui offraient une vision de la scène : formés pour un déploiement rapide et efficace, les trois unités d’infanterie commencèrent à former un large cercle autour de Rhivan et Wencalas. Aucun d’eux ne tirait, ce qui signifiait qu’ils n’avaient pas été briefés sur ce qu’il se passait dans la tour.

— Capitaine Lennox, vous me recevez ? Ici Apogée.

— Amirale ? répondit le Tharpod après quelques secondes. Je vous reçois difficilement, que se passe-t-il ?

— Un Loki a attaqué le Centre en se servant du président. Une partie de l’état-major a disparu, j’ignore le nombre de survivants.

— Nous ignorions cela, Madame. Indiquez votre position, et je vous enverrai une escorte pour vous tirer de là.

— Négatif. Je n’ai pas le temps de vous expliquer, mais vous devez concentrer vos troupes sur le sauvetage des civils encore dans la tour. Elles ne feraient que gêner notre Lombax.

— Votre Lombax, Amirale ?

— Pas le temps d’expliquer ! D’autres Lokis peuvent surgir n’importe où, et j’ai besoin de vos hommes auprès des civils !

— Bien, Amirale.

— Quelle est la situation en orbite ?

— De nombreux vaisseaux ont envahi le système. Le dispositif d’interdiction a été déployé, et la flotte est en train de contenir l’ennemi. Le contact avec le Centre ayant été coupé, le commandant Kïers a pris l’initiative.

— Qu’il continue. Lennox, posez votre frégate au sommet du Centre, et débarquez vos techniciens. Nous devons rétablir les communications au plus vite.

— À vos ordres !


Le Sérénité s’éloigna lentement du bâtiment et commença son ascension. Talwyn n’était pas experte, mais les dégâts subis par les antennes semblaient réparables avec le matériel stocké à bord.

— Rhivan ?

— Talwyn ! répondit le Lombax entre deux respirations. Vous m’apportez un public ?

— Ils vont aider à évacuer la tour. Vous pensez pouvoir contenir le Loki sur la passerelle ?

— Je vais essayer ! Tant que je ne lui laisse pas d’ouverture, il ne peut pas s’en prendre à vous. Et votre plan, c’en est où ?

— Ça tombe bien que vous demandiez, intervint Griffin. Apogée, je viens de trouver votre gadget. Étage 256, aile ouest. Je vous l’envoie.

— Faites vite ! grogna le Lombax.


Une icône clignota dans la vision virtuelle de Talwyn, lui indiquant l’emplacement du casier. Elle partit au pas de course, mais s’arrêta lorsque son calcul d’itinéraire lui indiqua d’emprunter les escaliers. Les ascenseurs avaient été endommagés par les combats !

« Presque soixante étages à descendre à pied. Beaucoup trop long. »

Il y avait encore des soldats au niveau de la passerelle. Sans perdre une seconde, la Markazienne s’élança à leur rencontre, dévalant les marches jusqu’à tomber sur un groupe s’échappant par un couloir à moitié effondré. L’un des soldats, dont les pas de son énorme armure faisaient trembler le sol, était en train de dégager les débris obstruant le chemin, tandis qu’un autre en tenue plus légère guidait les civils déboussolés à travers les décombres.

— Soldats ! appela Talwyn en accourant vers eux. Ça va aller ?

— On s’en sort, Madame, répondit celui en armure assistée, la toisant sans lâcher sa prise. On allait voir s’il y avait d’autres rescapés plus loin avant de sortir d’ici.

— Continuez comme ça. Quant à vous, ajouta-t-elle en fixant l’autre soldat, j’ai besoin de votre jetpack.


Le jeune homme lui remit l’engin sans poser de questions, et la Markazienne repartit en direction de la plus proche fenêtre. Aussitôt enfilé, le jetpack se connecta à sa vision virtuelle.

« Modèle GruminNet. Forte poussée, très faible autonomie. Conçu pour des bonds de courte durée. »


Arrivée au niveau de l’Arche, elle tira dans la vitre la plus proche, et se jeta dans le vide. Elle repéra d’un coup d’œil l’étage qu’elle visait, et tira une nouvelle rafale pour dégager une ouverture. Les bobines antigrav du jetpack s’enclenchèrent, expulsant une traînée de chaleur dans son sillage, et Talwyn se réceptionna au milieu des éclats de verre avec souplesse.

Sans prêter attention aux fuyards de l’étage qui croyaient à une nouvelle attaque, elle se dirigea vers sa cible, heureusement proche de son point d’arrivée.

Le râtelier d’armes était encore plein. Talwyn saisit le gant à Grenades Vortex, et vérifia les munitions : l’arme était chargée, mais il n’y avait aucune réserve supplémentaire.

— Griffin, je l’ai… Mais nous n’aurons droit qu’à un seul essai.

— Ça suffira. Il devrait y avoir un Magnéto-Filet dans le casier.

— En effet, confirma la Markazienne en repérant la silhouette caractéristique. Mais je doute que cela suffise pour capturer le Loki.

— C’est exact. Pour l’instant, extraire le parasite est hors de notre portée. Mais si nous bloquons la connexion avec son hôte, il ne pourra plus agir.

— Vous voulez couper les fils de la marionnette ? Qu’est-ce qui nous dit que cela l’empêchera de nous tuer ?

— Pas grand-chose, mais réfléchissez : s’il n’avait pas besoin de bouger pour user de ses pouvoirs, pourquoi le fait-il ? Je doute que les Lokis soient à ce point superficiels.

— J’espère que vous avez raison. Donc, je donne la grenade à Rhivan pour saper ses défenses, puis je l’emprisonne dans un filet.

— Ce n’est pas aussi simple ! Vous savez bricoler des armes ?

— Je me débrouille.

— Alors suivez mes instructions, et ne vous trompez pas.


Chaque casier d’équipement était pourvu d’instruments d’électronique. Ce n’était pas de la haute technologie, mais Talwyn dut s’en accommoder pour modifier le Magnéto-Filet selon les plans du Terachnoïde. Elle démonta son extracteur de Lokis pour en récupérer certains composants, et les assembler dans le lanceur.

Alors qu’elle travaillait, sa vision virtuelle l’inondait de rapports : avancée des réparations, situation au niveau de l’Arche, évacuation du personnel, avancée des émeutes dans les rues, sans oublier la flotte Loki qui semblait gagner du terrain… Elle fut tentée de désactiver les alertes pour rester concentrée, mais si jamais quelque chose d’encore plus grave arrivait ? L’incertitude la minait plus que la brûlure de ses muscles endoloris, et elle dut s’y reprendre à plusieurs fois lorsque ses doigts tremblants laissaient échapper les outils. Les remarques acides de l’inspecteur ne l’aidaient pas…

— Maintenant, reliez le répartiteur au mécanisme d’ionisation du Raritanium, poursuivait-il, imperturbable. Non, le fil rouge !


Une énorme explosion suivie d’une cascade de verre brisé interrompit Talwyn dans son travail. Cela venait de l’Arche ! La Markazienne lâcha ses outils et retourna vers la fenêtre, se servant de ses lentilles pour zoomer sur la scène.

La passerelle avait été disloquée, son centre remplacé par un trou béant et fumant. Les poutrelles de support ployaient déjà sous son poids, et les épais câbles d’acier lâchaient les uns après les autres. La surface vitrée enveloppant le dessous de la structure s’effritait à mesure que cette dernière s’affaissait. Sous une pluie d’éclats scintillants, Rhivan était suspendu d’une main à un câble en acier rompu, comme au bout d’une liane, presque trois cents mètres au-dessus de la jeune femme.

Une lueur violette illumina le verre, et Wencalas émergea lentement de la brèche, flottant nonchalamment dans le vide pour rejoindre le Lombax.

— Il faut toujours que vous sachiez voler, hein ? grogna-t-il. J’ai l’air de quoi, maintenant ?


Le vétéran agita sa clé, qu’il tenait fermement dans son autre main. Wencalas pencha légèrement la tête, et sourit.

— Le mutisme aussi, c’est récurrent. Quoique je préfère toujours ça aux menaces ringardes.


« Je dois faire quelque chose. »

Le regard de Talwyn se posa sur le râtelier, à la recherche de n’importe-quoi pouvant l’aider, et s’arrêta sur un Frappeur Plasma. Une arme tirant des pointes métalliques à haute vélocité. Impossible à parer.

La Markazienne s’empara de l’arbalète, et retourna près de la fenêtre. Sans être une tireuse d’élite, elle savait viser de loin. Elle posa un genou à terre et colla son œil sur la lunette à scanner biométrique. L’angle était mauvais, et Rhivan lui bloquait la vue. Mais la tête de Wencalas était parfaitement visible. Son doigt pressa lentement la gâchette…

« Je ne peux pas le tuer. »

Talwyn hésita. Si elle visait la tête, elle était certaine que le Loki userait de ses pouvoirs pour s’en sortir. Au mieux, il serait assommé. Mais s’il ne parvenait pas à bloquer l’impact ? Et si Lucius se trouvait toujours dans ce corps, attendant qu’elle trouve un moyen d’extraire le parasite ?


Wencalas leva la main, prêt à en finir avec le Lombax qui l’importunait tant. Rhivan se mit en garde, sa clé prétorienne tendue face à l’ennemi.

La jeune femme n’avait plus le loisir d’attendre. Elle visa la tête du Tharpod possédé, le système d’assistance à la visée ajustant la lunette pour prendre en compte la distance. En pressant la gâchette, elle bloqua sa respiration, et le recul expulsa violemment l’air de ses poumons. Le projectile recouvert de Raritanium fila dans les airs, laissant une traînée flamboyante dans son sillage, et transperça l’épaule droite de Wencalas.

Talwyn avait manqué sa cible, mais le tir avait disloqué l’articulation du Tharpod, et son bras tomba le long de son corps, inerte. Cependant, elle ne s’était pas trompée : contre un individu normal, les dégâts auraient été bien plus graves. Le Loki avait donc bien amorti une partie du choc.

Et il avait probablement repéré la position de la tireuse.


La Markazienne réarma le canon et s’éloigna promptement de la fenêtre, mais l’ennemi se jetait déjà sur elle, lancé comme une fusée. Cependant, alors que le Loki enfonçait la façade, projetant des éclats tranchants vers sa cible, quelque chose le tira en arrière. Il fut expulsé dans le vide, suivi par Rhivan, qui avait fixé une flèche-grappin dans son dos. Le Lombax maintenait son arc à deux mains, se servant de ses Hoverbottes pour éloigner Wencalas de Talwyn.

— Je peux savoir ce que vous ne comprenez pas dans « restez à l’écart » ? hurla-t-il alors que le Loki faisait volte-face pour le combattre.


Emmêlés dans leur duel, les deux chutèrent vers le pied de la tour. Le cœur battant à tout rompre, Talwyn s’approcha malgré tout du bord, guettant un indice.

— Vous avez une sacrée chance qu’il préfère tuer le Lombax, fit remarquer Odyxon, la voix haletante.

— Tout va bien ?

— Je vous rappelle que je vois tout à travers vos yeux. Ces expériences de mort imminente commencent à me taper sur le système. D’abord le saut depuis l’Arche, maintenant ça…

— Navrée, mais vous allez y passer encore une fois.

— Pardon ?

— Cette navette, répondit la jeune femme en tendant le doigt vers l’entrée du Centre. C’est un modèle « bunker », spécialisé dans l’extraction de cibles prioritaires. Lennox va faire évacuer les survivants de l’état-major.

— Oh, comprit-t-il. C’est pour cela que le Loki est en train de descendre là-bas.

— Je dois l’intercepter. Le Magnéto-Filet fonctionne ?

— Il y a encore quelques réglages à faire.

— Montrez-moi.


Lâchant le Frappeur Plasma, la Markazienne se remit au travail, consciente que son temps s’amenuisait. Quelques instants plus tard, elle referma le dernier clapet et passa l’arme en bandoulière, sans oublier la Grenade Vortex.

— Êtes-vous prêt ? demanda-t-elle en s’approchant à nouveau de la brèche.

— Non, mais ai-je vraiment le choi…


La question du Terachnoïde se mua en cri strident, alors que Talwyn s’élançait, se servant du jetpack pour accélérer encore plus vers le sol, qui se rapprochait déjà à grande vitesse. Son armure était pourvue d’une visière, épargnant à ses yeux les rafales glacées. Se redressant adroitement à mi-hauteur, elle ralentit par impulsions successives avant de se diriger vers l’immense entrée du bâtiment. Elle passa à côté d’un morceau de façade éventré, là où étaient sans doute passés Rhivan et Wencalas.

— Où se trouve l’état-major ? demanda-t-elle sitôt posée parmi les soldats rassemblés autour de la navette.

— Bon sang, plus jamais ça ! gémit Griffin avant de se confondre en jurons.

— Amirale ! répondit un officier Cazar en la saluant. On nous a prévenus de l’arrivée des amiraux Bradly et Shov, mais ils sont coincés au niveau des ascenseurs, le Loki se trouve au milieu du hall !

— Et Rhivan ?

— Le Lombax ? Il l’empêche d’avancer vers eux, pour l’instant.

— Bien. J’ai ici une arme capable d’arrêter Wencalas, dit-elle en désignant le Magnéto-Filet modifié, mais Rhivan devra m’aider et j’aurai besoin d’une diversion pour cela. Trois escouades attaquent de front par l’entrée, deux passent par la façade pour lui tomber dessus depuis les passerelles surplombant le hall, et deux autres couvrent le périmètre. Le reste protège la navette, et attend une ouverture pour évacuer les amiraux.

— Ce sera fait, Madame. Mais sauf votre respect, j’ai reçu l’ordre du capitaine d’évacuer dès que possible les membres de l’état-major, vous y compris.

— Ai-je mentionné mon évacuation dans ma dernière phrase ? rétorqua Talwyn en vérifiant les niveaux d’énergie de son armure.

— Non, Madame.

— Alors les ordres de Lennox attendront que le Loki soit neutralisé. En avant !


Suivie par une cinquantaine de soldats en armure assistée, Talwyn eut l’impression de courir au milieu d’un séisme. Une quinzaine d’entre eux décollèrent à proximité du porche, s’élevant au niveau supérieur.

— Rhivan, vous me recevez ?

— J’ai failli attendre ! Tous vos plans sont aussi longs à préparer ?


Malgré le ton assuré du vétéran, la Markazienne sentit qu’il était à bout de souffle.

— Tenez bon, une unité arrive pour vous couvrir ! À mon signal, repliez-vous vers l’allée centrale, à l’est !

— Je ne demande pas mieux !


Lorsque les soldats parvinrent au milieu du hall déjà dévasté, ils découvrirent Rhivan, couché sur le dos, faisant tourner sa clé devant lui pour dévier le souffle de feu mauve déversé par Wencalas. Son armure était endommagée, et laissait voir des parcelles de fourrure blanche, partiellement calcinée par les pouvoirs du Loki. Ce dernier paraissait également affaibli, en dépit de sa résistance. Son bras droit pendait toujours contre son flanc.

Immédiatement, les deux escouades accompagnant la Markazienne se déployèrent en demi-cercle, un rang de boucliers protégeant un rang de tireurs.

— Maintenant ! s’écria Talwyn en faisant signe à deux soldats de s’écarter.


Une vingtaine de rayons dorés jaillirent et s’enroulèrent autour de l’ennemi, rapidement rejoints par d’autres, tirés par les escouades en hauteur. Immobilisé, Wencalas cessa d’attaquer Rhivan, qui en profita pour s’esquiver, se jetant à couvert derrière le rempart vivant.

— Ça va aller ? s’enquit-elle en aidant le Lombax à se relever.

— On verra ça plus tard. Ces liens ne vont pas le retenir longtemps. Vous avez un plan ?

— Ce sera risqué, répondit la Markazienne en lui tendant le gant à Grenades Vortex. Vous allez retourner au contact et lâcher une bombe d’énergie noire sur lui.

— L’explosion va créer un puit de gravité, ajouta Griffin d’un ton nauséeux. Il faudra vous arrimer pour ne pas être aspiré.

— Et le Loki ? Je doute qu’il se laisse avoir aussi facilement.

— La grenade va saper ses défenses et le ralentir. Apogée utilisera son lance-filets pour le neutraliser.


Le Lombax hocha la tête et dégaina son arc. D’un mouvement fluide, il encocha trois flèches luminescentes, et les tira dans leur dos. Les projectiles se fichèrent dans l’un des épais piliers soutenant le plafond du hall, une versa-ligne accrochée à chacun d’entre eux. Rhivan fixa l’autre extrémité des liens brillants au harnais de son armure, et enfila le gant.

Non loin, le cercle protecteur des soldats perdait de sa cohésion, à mesure que le Loki se débattait.

— Espérons que ça marche. Êtes-vous prête ?

— C’est quand vous voulez.

— Restez à distance.


Alors qu’une violente onde de choc projetait les armures assistées en arrière, désagrégeant les filins dorés, le Lombax retourna au contact. Parant adroitement les coups de son adversaire, il se baissa, fit un tour complet sur lui-même et se releva pour asséner un uppercut sur le côté droit, là où le Loki ne pouvait pas se défendre.

Mais le corps possédé du Tharpod était plus endurant que celui du vétéran. Avec une vitesse stupéfiante, son bras gauche s’interposa et une force invisible stoppa la clé prétorienne à quelques centimètres de son visage. Rhivan grogna et appuya plus fort, espérant briser la défense de l’ennemi. En réalité, il détournait son attention. Ouvrant sa main libre, une sphère parfaitement noire se forma au creux de sa paume.

— Arrête celle-là ! hurla Rhivan en relâchant brusquement la pression et en assénant la grenade sur le torse de Wencalas.


Un son lourd et grave sembla écraser l’atmosphère, et l’air se tordit en direction du point d’impact, avalant pendant une seconde les deux combattants, avant de les recracher dans une déflagration obscure. Une sphère de matière sombre débordant d’énergie négative se forma, indifférente à la lumière. L’onde de choc souleva les débris aux alentours, marquant les limites de la zone d’effet.

Aussitôt, Rhivan rétracta sa ligne de secours, et fut tiré hors du gouffre gravitationnel. Le Loki avait également échappé à l’horizon de la singularité, mais n’avait aucun moyen de sortir de la zone. Pourtant, il s’éloignait lentement de la sphère, son corps laissant échapper des volutes de fumée mauve.

Talwyn n’avait pas de temps à perdre. Laissant les soldats attraper Rhivan, elle se plaça à la limite du rayon d’action de la grenade, sentant la gravité tirer sur son armure. Elle dégaina le Magnéto-Filet et visa Wencalas, puis attendit. Si elle tirait alors que la singularité était encore active, celle-ci aspirerait les orbes ionisés. Elle n’aurait droit qu’à une fraction de seconde…


Soudain, la sphère s’évanouit aussi subitement qu’elle était apparue, laissant échapper une nouvelle onde de choc. Entraîné dans son mouvement, le Loki fut brutalement éjecté, et Talwyn tira avant de tomber en arrière.

Les orbes se précipitèrent sur leur cible. Au lieu des traditionnels éclairs blancs, les mailles énergétiques brillaient de la même couleur que les extracteurs. Les orbes se déployèrent et enfermèrent Wencalas, le figeant dans les airs. Les soldats braquèrent leurs armes, retenant leur souffle.

— Il ne bouge plus, murmura la Markazienne. Griffin, est-ce qu’on a réussi ?

— D’après vos capteurs d’énergie protomorphique, les fils du patin ont été coupés. Le Loki sera prisonnier de son hôte pendant une bonne heure. Mais faites attention, nous ne sommes sûrs de rien.

— Qu’on ammène immédiatement le caisson de stase le plus sécurisé de la planète ! ordonna Talwyn en se remettant sur pieds. Lennox, où sont les autres amiraux ?

— En sécurité dans la navette, Madame.

— Bien. L’évacuation de la tour continue, je ne veux prendre aucun risque.


Le capitaine prit en charge la suite des opérations, et Talwyn rejoignit Rhivan. Le Lombax avait retiré son casque à moitié détruit, et retourna un banc qui avait valsé au cours du combat. Il l’invita à s’asseoir, et la jeune femme accepta avec joie. Ils restèrent ainsi quelques minutes, reprenant leur souffle.

— Espérons qu’ils n’en ont pas d’autres comme celui-là dans la nébuleuse, souffla Rhivan en basculant la tête en arrière. Hum, désolé, se reprit-il aussitôt en voyant la mine déconfite de l’amirale.

— Espérons…

— Je suis sûr qu’ils vont bien. Ils ont vu pire.

— Et vous ?

— Peut-être, répondit le vétéran en retirant une injection de Nanotechs de son avant-bras. Ce qui est sûr, c’est que ça faisait longtemps que ne n’avais pas affronté un dur-à-cuire pareil. J’ai… bien pensé ne pas être avec vous sur ce banc, en ce moment.

— Alors vous permettez que je m’incruste ?


La voix de l’inspecteur les surprit : le Terachnoïde avait finalement été escorté hors de sa cachette en haut de l’immeuble, et les avait retrouvés.

— Sacré combat, commenta-t-il.

— Et bonne idée de modifier ce Magnéto-Filet. Mais maintenant que nous l’avons capturé, comment comptez-vous l’interroger ?


Odyxon haussa les épaules, et Talwyn se renfrogna. Elle n’y avait pas vraiment réfléchi. Entre la dévastation du Centre de Défense, l’attaque en orbite et les rues en proie au chaos, ce problème atterrissait très bas dans sa liste de priorités.

— Euh… Madame ? intervint un soldat non loin. Il se passe quelque-chose avec le Loki.


Piquée au vif, la Markazienne fit volte-face : un caisson de stase avait été placé à côté de Wencalas, toujours emprisonné dans le filet. Mais alors que les soldats s’approchaient pour le déplacer à l’intérieur, le corps du Tharpod s’était mis à luire d’une couleur mauve pâle.

— Tout le monde en arrière ! s’écria-t-elle en bondissant sur ses pieds, suivie par Rhivan.

Inutile.


La voix qui avait parlé dans la tête de la jeune femme était celle de Wencalas, mélangée à des milliers d’autres, produisant un vacarme à peine audible. À en juger par les visages surpris et effrayés de son entourage, elle n’était pas la seule à l’entendre.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, se doutant déjà de la réponse.

Nous sommes l’Unique. Vous avez vaincu ce corps, il ne vous fera plus aucun mal.

— C’est marrant, fit Rhivan en grimaçant, j’ai du mal à te croire.

Nous n’exprimons que la vérité.

— Très crédible de la part d’un parasite qui a usurpé l’identité du président pendant quatre ans, ironisa Griffin.

— Pourquoi nous parler maintenant ? reprit Talwyn. Si vous vouliez discuter, vous pouviez le faire avant ce massacre !

La discussion ne faisait pas partie de notre objectif. Nous sommes ici pour éliminer l’état-major et retrouver notre Cœur. Votre capture a échoué, nous avons donc décidé de vous laisser une chance de négocier votre survie.

— Minute, intervint le Lombax. Tu comptais capturer Talwyn ? Pourquoi ?

Elle est la seule dans cette galaxie à connaître l’emplacement du Cœur.


Prise de court, l’intéressée recula d’un pas, sentant des dizaines de regards inquisiteurs se poser sur elle.

— Je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez !

Nous sentons Sa présence sur cette planète, et vous avez été en contact avec Lui.

— Je ne sais même pas de quoi il s’agit !

Vous le savez. Nous voyons Son empreinte sur vous.


Pourtant, Talwyn était sincère. Le seul endroit de la galaxie où des artéfacts Lokis avaient été aperçus était Magnus, et elle n’y était jamais allée en personne. Elle le saurait si l’une de ces choses se trouvait sur Iglak !

Quoique… Ratchet n’avait pas été capable de décrire l’apparence du Cœur de Toranux, en dehors de sa ressemblance avec les fragments de la planète. Quand bien même, elle n’avait jamais approché l’un de ces cristaux, et la plupart des morceaux connus se trouvaient sur Terachnos…

— Quelque chose qui ne colle pas, reprit Griffin en brisant le silence. Si votre but était d’arracher cette info à Apogée, pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Sous l’identité de Wencalas, vous auriez eu beaucoup plus de chances. Et puis, pourquoi prendre le risque d’être découvert en volant le Dimensionnateur ?

— Le dispositif exposé au Muséum est un faux, répondit Talwyn, le regard dans le vide. Ce qui veut dire…

— Que j’ai perdu un temps précieux ! vociféra l’inspecteur. Vous auriez pu me mettre au courant en me confiant l’enquête !

— Ça n’a pas de sens. Les seules personnes à le savoir étaient Ratchet, Clank, l’état-major, moi et… Julius.

— Je pense que j’ai saisi, avança Rhivan. Comme nous le pensions, les Lokis n’ont pas d’accès aux souvenirs de leurs hôtes, et celui-ci ne fait pas exception. Wencalas a été assez futé pour ne pas archiver une information aussi importante, et notre ami ne s’est rendu compte de la supercherie qu’après l’avoir eu entre les mains.

— Mais pourquoi voler le Dimensionnateur ? renchérit Talwyn. Peut-être qu’il aurait servi d’un moyen de substitution au Cœur… après tout, les Loki le cherchent pour se propriétés interdimensionnelles.

— J’ai entendu leurs fadaises anti-technologie, objecta le Lombax. La vraie raison doit être plus complexe que cela. Hé l’affreux, tu ne dis plus rien ?

Il est fascinant de constater que vous perdez tant de temps à tergiverser alors que votre monde se meurt.

— Ravi que tu apprécies le spectacle. Tu parlais de négocier notre survie tout à l’heure, tu peux continuer ?

Vous avez raison, l’esprit de nos « hôtes » nous est imperméable. Durant ces quatre cycles, nous avons partagé le corps de ce Tharpod, ne prenant le contrôle que lorsque c’était nécessaire. À travers ses yeux, nous avons observé votre univers, sa chair gangrénée par le métal et le plastique. L’existence de votre civilisation est un sacrilège qu’il est de notre devoir d’effacer. Cependant… nous sommes prêts à faire une exception.

— C’est-à-dire ? s’enquit Talwyn.

Livrez-nous notre Cœur, et votre plan d’existence sera épargné. Nous, que vous appelez Lokis, quitterons cette dimension pour ne jamais y revenir.

— Que vaut votre parole ? l’interrogea Griffin.

Nous ignorons la nature du mensonge.

— Super ! Me voilà rassuré.

— Et les citoyens possédés ? reprit la Markazienne. Dans les rues, dans nos vaisseaux ?

Libérés sur-le-champ. Les fragments du Corps cachés sur cette planète s’en iront également.

— Voilà qui explique les émeutes, grogna Rhivan entre ses dents. Ce fumier a fait entrer en douce des fragments de Toranux.


Talwyn hésita, le doute lui tiraillant l’estomac. Pouvait-elle prendre le risque de condamner d’autres réalités pour sauver la sienne ? Non, évidemment. Il y avait forcément une autre solution !

— Attendez… Nous pouvons trouver un terrain d’entente ! Vous coulez reconstruire Toranux, non ? Nous pouvons vous aider à le faire, et à partir de Polaris. Il y a des milliards de galaxies dans l’univers, l’une d’elles a forcément été… épargnée par la technologie. Nous établirons des frontières, des limitations aux avancées scientifiques… Si vous agissez comme nos « gardiens », vous serez sûrs que nous représenterons aucun danger !


Une rumeur de désapprobation circula parmi les soldats, leurs fusils toujours braqués sur Wencalas. Personne n’aimait vivre en cage. Mais Talwyn négociait la vie de milliards d’êtres vivants !

C’est impossible. Nos prédécesseurs ont manqué de vigilance, et notre plan d’origine a été dévasté. Nous ne reproduirons pas la même erreur. Votre unique chance de stopper la rectification de votre civilisation est de nous remettre le Cœur. Cela n’est pas négociable.


Une boule se forma dans la gorge de la Markazienne. Elle affrontait des convictions nourries durant des milliers, peut-être des millions d’années. S’il était impossible de les faire changer, elle devrait les briser, quel qu’en fût le prix.

— Dans ce cas, répondit-elle, la gorge asséchée à la pensée qu’elle condamnait un nombre incalculable d’innocents, je refuse. Nous ne sacrifierons pas d’autres dimensions pour sauver la nôtre.

Très bien. Vous avez désormais le choix, Talwyn Apogée. Détruisez le Cœur et vous mettrez fin à l’existence des Lokis, ainsi qu’à cette planète. Conservez-le, et Iglak survivra. Alors, nous reviendrons le chercher.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda la jeune femme, stupéfaite par cet ultimatum soudain. Expliquez-vous !

L’avenir vous appartient.


Le corps de Wencalas se mit à briller plus intensément. Une lumière mauve perça à travers ses yeux écarquillés, et une fumée sombre s’échappa par les orifices de son visage.

— Champ de confinement ! s’écria Talwyn. Tout de suite !


Une éclosion lumineuse les éblouit, sans toutefois leur faire le moindre mal. Une forme éthérique jaillit du torse du Tharpod dans un hurlement strident, et s’évanouit dans les airs. Puis, la lumière se dissipa et l’atmosphère se relâcha comme un élastique se rompant sous la tension.

Talwyn cligna des yeux, déboussolée par le flash. Wencalas, qu’on aurait cru inconscient, se releva soudain, animé par une force nouvelle. Rapide comme l’éclair, Rhivan s’empara d’un fusil anti-Loki, et les vrilles dorées arrachèrent le parasite à son hôte. D’un mouvement fluide, le Lombax planta la baïonnette à l’arrière du crâne de la créature, qui se désintégra. Le Tharpod s’effondra à nouveau.


La poussière retomba, et Rhivan laissa tomber son arme, poussant un soupir exténué. Talwyn tomba à genoux, la nausée lui saisissant les entrailles. Alors que les soldats se précipitaient pour sécuriser la zone et que la guerre continuait à l’extérieur, les mots de l’Unique résonnèrent dans ses oreilles.

L’avenir vous appartient.



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