Author: Ratchet_Dadou
Je faisais en ce moment partie d’un groupe de vingt-et-un voyageurs. Les vingt autres étaient quatorze asfards, quatre humains et deux argents. Arrivés à l’extérieur d’Eram, nous nous séparâmes en trois groupes : l’un passerait par le Nord, le deuxième par le Sud tandis que le dernier continuerait vers l’Ouest. Chaque groupe était constitué de sept hommes. J’étais dans celui qui passerait par l’Ouest et les villes et les villages. L’équipe était constituée de six hommes, moi étant la septième personne.
Après deux heures de marche, un asfard du nom d’Erbor décida de s’arrêter quelques instants pour manger et se reposer. La plupart des autres hommes furent d’accord, alors on s’assit en cercle et on sortit les casse-croûtes des sacs. Le repas était empli de discussions de toutes sortes. À la moitié du repas, j’avais déjà terminé de manger et je voulais un peu me promener dans la prairie où nous étions.
« C’est vrai. » me dis-je, « Il n’y a pas que le devoir dans la vie. Il faudrait aussi se faire plaisir de temps en temps ».
Je me mis donc debout sans en demander la permission et m’éloignai du groupe, qui n’avait pas l’air d’y faire attention.
Je marchais vers l’immensité de la plaine ensoleillée où ne poussaient que quelques arbres. Au fur et à mesure que je m’éloignais des hommes, j’avançais de plus en plus vite jusqu’à courir. Je courais à vitesse moyenne sur l’herbe, me sentant libre et tranquille. Cela me faisait du bien. Si seulement il n’y avait pas de problème… et si Dave était là pour partager avec lui ce petit moment de paix… Il ne s’était seulement écoulé une journée après sa mort. Repenser à lui me faisait donc, très normalement, beaucoup de peine. Alors j’arrêtai de courir et marchais dans l’herbe haute, désormais attristée. Mais la nature et le vent dans les arbres me soulageaient un peu.
Plus tard, j’entendis une voix derrière moi.
-Attends, Aöny.
Je me retournai et vis Erbor. Je fis ce que je pus pour ne plus paraître triste. Il me rejoignit. Heureusement qu’il ne se doutât pas que je cachais un sentiment.
-Tu ne devrais pas t’éloigner autant, me dit-il. On ne sait jamais si un reps pourrait te sauter dessus. Il faut que nous soyons toujours ensemble pour mieux nous défendre.
-Je sais me défendre seule ! Répondis-je froidement en sortant de ma ceinture mon pistolet-laser pour confirmer ce que je disais.
Erbor parut étonné. Je ne compris pas tout de suite pourquoi il avait un tel regard.
-Oh ! Sans vouloir te vexer… Quelle est cette chose ?
Je compris : il n’a dû sans doute jamais pu voir un pisto-laser dans sa vie. Pas très étonnant : je n’en avais jamais vu d’autre que le mien depuis mon amnésie.
-Ça s’appelle une arme, dis-je. Ça permet de se défendre !
Il en fut davantage étonné, fixant l’arme. Puis je regrettai de mettre tant emportée. La mort de Dave me faisait mal et cette fois j’y avais particulièrement pensé. J’étais donc devenue nerveuse. Regrettant ce que je venais de jeter à Erbor, je m’excusai auprès de lui, baissant la tête :
-Désolée… Je… je ne voulais pas dire ça. Je suis juste un peu triste en ce moment.
-Ce n’est pas grave, répondit l’asfard. Ça se comprend quand on a vécu un drame horrible. Vas rejoindre les autres. Je ne leur dirai rien à propos de ton arme. Promis.
Je le remerciai d’un signe de tête. Il ajouta d’un ton un peu plus hésitant :
-Et moi, avant de vous rejoindre, je vais,… euh, aller… au petit coin.
Cette déclaration inattendue me remonta un peu le moral. Erbor m’avait un peu rassurée, mais il n’était pas aussi réconfortant que Dave. Dave me manquait…
Erbor partit vers des buissons au loin pour se cacher. Une fois qu’il fut hors de vue, je décidai de rejoindre les autres hommes. Cet asfard avait raison : Yrisha elle-même ou des reps pouvaient surgir et apparaître d’un instant à l’autre. Je rangeai mon arme et marchais en direction du groupe dont je faisais partie et que je ne pouvais voir pour le moment car il était très éloigné. Mais alors que je me dirigeais vers lui, j’entendis des pas de course de rapprocher rapidement. Il y avait plusieurs paires de jambes qui se déplaçaient. Étaient-ce les hommes de mon groupe ? Ou des reps ? Méfiante, je ressortis mon pisto-laser que j’allais pointer sur les personnes qui approchaient. Ce bruit de pas de course me semblait étrangement familier, mais je ne savais plus pourquoi. Je sentis les inconnus derrière mon dos. D’instinct, je me retournai et pointai mon arme sur eux.
-Encore vous ? M’écriai-je, étonnée.
Étonnée, car ces « inconnus » n’étaient pas si inconnus que ça. Devant moi, se dressaient, pour la seconde fois, Humérus, Radius et Cubitus. Que faisaient ces idiots ici ?
-Mais comment vous avez fait pour vous sortir de votre pétrin ? Vous étiez bien coincés la dernière fois, pourtant !
-Exact, petite, répondit fièrement Humérus, souriant et les mains sur les hanches. Mais grâce aux qualités de chacun d’entre nous, nous pouvons nous sortir de toutes les situations. Admire notre présentation…
-Quoi, encore ? Soupirai-je.
Et le trio s’élança une fois de plus. Humérus trottina vers moi, s’arrêta et lança d’une voix forte :
Et voici le meilleur et le plus fort de tous !
Et si quelqu’un l’embête,
Attention, vous en aurez la frousse
En le voyant lui écraser la tête !
Admirez le surpuissant, le beau, le majestueux Humérus !
Le chef se rangea parmi les autres. Ensuite, Radius s’avança assez lentement, comme gêné par son grand bouclier, puis se présenta :
Attaquer la base de l’ennemi, c’est toujours une bonne idée.
Mais ne peut-on pas être victime d’une arnaque ?
Il faut un défenseur pour éviter de voir son Q.G. saccagé
Et, comme on dit toujours, la meilleure défense, c’est l’attaque.
Admirez le protecteur de l’équipe au grand bouclier, Radius !
L’homme recula aussi lentement qu’il avait avancé et rejoignit ses compagnons. Puis enfin, ce fut au tour de Cubitus de se présenter. Il arriva devant ses potes en un grand bond agile et lança :
Qui avance dans la nuit, plus discret qu’une ombre ?
Il n’est pas très costaud, mais possède une agilité incroyable,
C’est lui, l’homme à la cape sombre
Qui soutient avec succès son équipe et la rend imbattable.
Admirez l’espion invisible, l’acrobate imprévisible, Cubitus !
Cubitus rejoignit les autres en un grand saut arrière contrôlé.
Ensuite, les trois hommes se rassemblèrent et prirent chacun une pose, fiers et souriants. Humérus, au milieu des deux autres, se tenait debout, jambes écartées, et posait ses mains sur ses hanches, comme pour montrer qu’il était fantastique. Radius, à droite, avait un genou à terre, était à moitié caché derrière son bouclier et veillait à ce que je puisse voir sa tête. Cubitus, lui, était de profil, sauf pour son visage qu’il montrait bien de face, et était debout, pliant un peu un genou et dirigeant son pouce vers le haut. Tous les trois dirent fièrement :
-Nous sommes l’Équipe Incassable !
Je bâillai, inintéressée par leur spectacle, comme je l’avais déjà fait quelques fois pendant leur petit tour, espérant que celui-ci finirait vite. Puis les trois rigolos arrêtèrent leur pose et Humérus me demanda, tout souriant :
-Alors, que penses-tu de notre présentation ? Tu vois, nous n’avons pas fait d’erreur, cette fois-ci.
-Formidable, répondis-je calmement, non-sincère dans mon affirmation.
-Oui, je sais… continua le chef, flatté par mon faux compliment.
Puis il abandonna son air flatté.
-Ne t’emballe pas, petite ! Reprit-il. Tu as juste eu un coup de chance la première fois. Tu ne peux plus t’échapper, à présent !
J’avais peut-être eu de la chance, oui. Mais il était plus probable que le trio était trop stupide pour gagner contre moi. Sceptique à l’idée que les trois rigolos pussent réussir ce jour-là, sûre de moi et souriante, je dis à Humérus et à ses deux hommes :
-Je suppose que vous allez encore essayer de me tuer.
-Exactement, répondit Humérus. Tu comprends vite.
Le chef me pointa du doigt en criant :
-Allez ! Attrapons-la !
Cubitus courut à grande vitesse vers ma gauche. Je ne pus le suivre du regard car Humérus fonçait vers moi, voulant m’ôter la vie. Je sortis mon pisto-laser et tirai sans prendre le temps de le viser, pressée car il avançait rapidement. Aussitôt Radius se mit entre lui et moi et bloqua mon tir avec son bouclier. Je ne fus pas stupéfaite, cette fois, car je m’y attendais. Et puis, je ne voulais pas vraiment tuer ces crétins ; j’espérais seulement les ralentir pour me sauver. Le chef ordonna à Radius :
-Cours toujours à mes côtés, comme ça elle ne pourra rien faire !
Je restais là pour l’instant, réfléchissant à ce que j’allais faire : fuir ou esquiver au dernier moment ? À chaque fois que je tirerais, Radius protègerait Humérus. Les hommes semblaient sûrs d’eux. Le chef ria.
-Tes petits tirs défensifs ne servent à rien ! Me lança-t-il. Tu es finie !
J’étais également sûre de moi. Mais je me demandais depuis quelques instants où était passé Cubitus. Devait-il, lui aussi, aller au petit coin ? J’eus bientôt ma réponse.
Des mains m’attrapèrent soudain et tentèrent de me maîtriser. Cubitus m’avait prise par derrière ! Lorsqu’il disait « l’espion invisible » et « l’acrobate imprévisible », il avait raison sur ce coup-là. Il m’avait en réalité contournée de loin. Comme j’étais concentrée sur les deux autres, je ne l’avais pas vu venir. Il s’était approché de moi discrètement et m’avait surprise.
Je tentai de pointer mon pisto-laser sur lui pour le menacer et me libérer. Mais avant que je ne puisse le faire, il me secoua énergiquement, alors je lançai sans le vouloir mon arme et celle-ci retomba dans l’herbe, à quelques mètres de moi. Il parvint à m’empêcher à faire quelques mouvements, mais ne put me maîtriser complètement. Il me tenait néanmoins assez fermement pour que je ne puisse pas fuir. Je me débattais sans cesse comme un lion sauvage. Cubitus ne pouvait rien faire d’autre que me tenir, à moins de me lâcher.
-Lâche-moi ! Criai-je.
Il sembla que je donnais du fil à retordre à Cubitus, car celui-ci appela :
-Aidez-moi ! Elle est sauvage !
-J’arrive ! Cria Radius en réponse.
Radius courut aussi vite qu’il pouvait, ralenti par son armure et son bouclier. Arrivé près de nous, il s’approcha de moi, qui me débattais encore. Je le vis lever son bouclier et compris où il voulait en venir : il allait me frapper le crâne pour m’assommer ou même, si le choc serait assez fort, me tuer. Alors qu’il allait me rabattre son bouclier sur la tête, je pus esquiver en baissant celle-ci. Comme j’avais évité son coup au dernier moment, Radius ne put arrêter son geste et ce fut Cubitus, étant juste derrière moi, qui se prit le coup. Assommé, il tomba dans l’herbe haute et je fus libérée. Humérus, désormais à quelques mètres derrière Radius, s’énerva :
-Quels crétins ! Décidément, on n’est jamais bien servi que par soi-même !
Là, je décidai de fuir vers mon groupe. Ainsi, cette équipe soi-disante incassable serait obligée d’abandonner. Je me mis donc à courir vers le coin où moi et mes compagnons de voyage nous étions arrêtés.
-Reviens ici, froussarde ! Cria Humérus.
Radius et son chef s’élancèrent à ma poursuite. Le plus costaud était en tête, mais je ne me ferais pas attraper facilement. Je distançai mes poursuivants, mais ensuite quelques mètres régnaient toujours entre moi et eux. Mais j’atteindrais bientôt mon objectif.
Après quelques instants de course-poursuite, j’aperçus les hommes de mon groupe. Certains étaient assis, discutant, mais tous avaient l’air de se préparer pour pouvoir bientôt repartir. Je fus assez près d’eux quand j’entendis la voix d’Humérus, qui semblait avoir entendu les hommes discuter, dire :
-Il y a des gens, ici ! On ne peut plus la poursuivre.
-Il faut se replier, ajouta Radius.
J’arrivai au milieu des voyageurs et m’arrêtai, essoufflée.
-Tout va bien ? Demanda Ibhir, un humain, en levant la tête.
Je me tournai vers mes poursuivants, encore essoufflée. Ils avaient disparu. Je répondis donc, souriante :
-Oui, ça va. Je me défoule, c’est tout.
Alors il se concentra à nouveau sur ses préparatifs, comme tous les autres, pensant que ma jeunesse avait besoin de s’amuser de temps en temps. Je remarquai l’absence d’Erbor. Où était-il ? Comme pour exaucer mon souhait, il arriva lui aussi dans le groupe. Je le rejoignis et lui demandai :
-Mais où étiez-vous pendant tout ce temps ?
-Heu, ben j’étais dans un buisson, au loin, et un… ours m’a approché, répondit l’asfard, l’air hésitant. Je devais rester calme, sinon un combat serait engagé. Alors, heu, j’ai dû reculer lentement. Ça m’a pris du temps, mais… enfin… oui, ça m’a pris du temps, mais j’ai pu vous rejoindre sans être blessé.
Son hésitation et sa recherche de mots me firent douter qu’il eût vraiment un ours. Je pense toujours plutôt qu’il était resté plus longtemps que prévu au petit coin. Erbor ajouta, cette fois sans hésitation :
-Mais quand j’étais là-bas, j’ai cru entendre des voix que je ne connais pas. Quelqu’un t’a parlé ?
-Non, personne, répondis-je, l’air innocent. J’étais toute seule.
-Ah bon ? Ça doit être mon imagination, alors.
« C’est vrai qu’il a de l’imagination, surtout pour l’histoire de l’ours. » me dis-je en riant intérieurement.