Objectif Terre - Chapter 24

Author: Talwyn

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Paris, la belle Paris…
Le nez en l’air, Ratchet passa pour la énième fois devant la Tour Eiffel. Il y était bien sûr déjà monté. Jusqu’au deuxième seulement, car on pouvait y accéder à pied. Il était forcé de faire la file pour l’ascenseur s’il voulait avoir accès au troisième. Et ça, c’était trop pénible. La vue était suffisamment belle à l’avant-dernier étage.
Il fallait avouer que la ville, plutôt touristique, comportait de beaux monuments. L’Arc de Triomphe et l’Obélisque étaient impressionnants. Par contre, la pyramide de verre du Louvre ne lui avait pas tapé dans l’œil. Il existait tellement de constructions de ce genre dans l’espace… C’était d’un commun, alors que les édifices de pierre étaient si rares désormais, faute à la technologie trop avancée des extra-terrestres…
Ce que le Lombax préférait, c’était les ballades à la nuit tombée. Paris, illuminée de mille feux -tout comme sa Grande Dame-, éblouissante, perdait en majesté ce qu’elle gagnait en douceur. Ca ne la rendait qu’encore plus belle.
Clank ne l’accompagnait plus dans les ruelles au soir. « Bah, une fois que tu en as fait le tour, elle ressemble à tant d’autres… ». C’est là qu’il se trompait. Mais que pouvait-il comprendre à l’art, à la beauté ? Clank était-il capable de s’émerveiller face à un objet ? Ou n’était-il pourvu de sentiments qu’envers les êtres vivants ?
« Tant pis pour lui », se disait Ratchet. « Ce n’est pas ça qui gâchera mes soirées. »
C’est ce à quoi il pensait justement en passant devant un magnifique restaurant. Le ciel s’obscurcissait, les avenues se vidaient, les gens rentraient chez eux. La plupart des passants à cette heure étaient des couples de touts âges, main dans la main, étoiles dans les yeux. Paris était si calme…
Aussi, le Lombax fut surpris lorsqu’une jeune femme le plaqua contre un mur en le prenant par la gorge.
Il s’était engagé dans un passage étroit et désert. Tout à son observation, il n’avait pas entendu la fille arriver. Il avait juste senti une main puissante lui labourer l’épaule et le forcer à se retourner. Grands yeux bleus, presque aussi larges que les siens, cheveux blonds, silhouette fine et musclée, la fille, plutôt mignonne, s’était montrée très agressive. De sa main libre, elle avait saisi le manche d’un poignard dissimulé dans sa ceinture, comme pour ôter à sa victime tout espoir de fuite. Sauf que la gamine ne savait pas à qui elle avait affaire…
Au moment où Ratchet décida de se débattre, le son un tantinet ironique de son agresseuse parvint à ses oreilles.
-De quelle race es-tu ?
La réplique qu’il s’apprêtait à lui cracher mourut sur ses lèvres. Il avait saisi, dans les yeux de l’inconnue, le sens de la question. Néanmoins, dans le doute, il misa sur l’incompréhension :
-Blanche américaine…
-Crétin. Je sais reconnaître un holo-déguiseur quand j’en vois un.
Choc. Ratchet eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Cette phrase… Le général l’avait prononcée presque un an plus tôt !
Changeant d’attitude, il laissa de côté sa colère pour dévisager l’étrangère. Ce visage, trop lisse pour être humain… Cette peau aux reflets hâlés… Ces cheveux miel… Ce regard… L’origine de son agresseuse était évident, mais… Une vérification s’imposait.
-De la même que la tienne, je suppose.
Les yeux azur s’écarquillèrent mais elle se reprit rapidement :
-Ce que tu dis est impossible. Les Lombax ont disparu quand j’étais petite. Tous sans exceptions.
Ratchet eut l’ombre d’un sourire.
-Ce que tu dis t’a trahie. Je pense avoir deviné qu’en me voyant, tu as pris peur. Tu as cru que j’ étais un ennemi envoyé sur Terre pour t’abattre, tu m’aurais abordé d’une manière plus délicate sinon. Je me trompe ?
La fille ne bougea pas d’un poil mais écoutait attentivement. Ratchet prit sa passivité comme un acquiescement.
-Eh bien, si c’était le cas, tu viens de m’apprendre que tu es ma cible. Un peu irréfléchi comme réflexe. Heureusement pour toi, je ne te veux aucun mal.
Elle relâcha légèrement sa prise. Elle regardait désormais dans le vague, perdue dans ses pensées. « Elle se demande ce qu’elle va faire de moi », réalisa le Lombax. Finalement, elle eut un soupir résigné et lui rendit sa liberté de mouvement, sans pour autant abandonner son poignard.
-Ne te fais pas d’idées, je suis toujours méfiante. Plus que jamais, en fait, indiqua-t-elle.
Ratchet hocha la tête. Il désactiva son holo-déguisement. Une multitude de grains de riz lumineux tombèrent à ses pieds pour disparaître une seconde plus tard, engloutis par les ténèbres de la nuit, dévoilant le véritable corps de l’extra-terrestre.
Son agresseuse vacilla. Porta une main à son front. Ferma les paupières. Les rouvrit.
-Impossible… souffla-t-elle. C’est impossible…
Sous son masque d’assurance paisible, Ratchet n’en menait pas large non plus. On lui avait encore menti ! Il n’était pas seul ! Comment s’en était-elle tirée ? Azimuth connaissait-il son existence ? Pourquoi était-elle sur Terre, elle aussi ? Coïncidence ?
À son tour, elle jeta un coup d’œil de chaque côté de la ruelle et enleva son déguisement holographique. Le cœur de Ratchet se serra. La rudesse de leur première approche lui restait en travers de la gorge mais il devait admettre qu’elle était jolie. Les poils de la Lombax étaient encore plus clairs que les siens. Son visage état fin et attachant. Non, pas jolie. Le mot ne correspondait pas. Elle était belle. D’une beauté fraîche et sauvage. Ses courbes douces ne parvenaient pas à dissimuler la force qui émanait d’elle. Ses muscles frémissants semblaient prêts à réagir au quart de tour à la moindre alerte et sa façon de bouger mettait en relief son incroyable souplesse. Une alliée de poids…
…Ou une adversaire redoutable.
Ils restèrent ainsi un long moment. Aucun des deux n’arrivait à assimiler la vérité. La fille semblait avoir plus de mal à encaisser le coup que lui. C’était de toute évidence le premier de son espèce qu’elle croisait. Ratchet finit par se reprendre. Il lui tendit la main :
-Je me présente : Ratchet, ou William de mon nom terrien.
Elle s’extirpa de sa torpeur et lui serra énergiquement le gant :
-Liza, enchantée.
-C’est ton vrai nom ?
-Non.
Elle lui sourit mais ne dit plus rien. « Okay, j’en tirerai pas grand-chose ce soir… »
-Et si on redevenait humains ?
‘Liza’ approuva :
-C’est clair que ça plairait pas trop qu’on soit vus comme ça. J’imagine les gros titres dans les journaux et les scientifiques à nos trousses… Je crois qu’on devrait carrément rentrer pour causer, j’ai passé une journée fatigante. J’ai un petit appart’ en dehors de Paris…
-Alors, la coupa Ratchet, c’est moi qui t’invite. On n’est qu’à quelques rues de mon « domicile ».
-D’accord.
Il ouvrit la marche. Tous deux restèrent silencieux. En réalité, chacun triait mentalement avec soin les questions qui leur paraissait prioritaires sur les autres. Ils arrivèrent à l’intérieur, empruntèrent l’ascenseur, montèrent de six étages, passèrent devant un groom qui lança un pathétique clin d’œil au Lombax. Il sortit un trousseau de clés et ouvrit la porte de leur suite.
-…Les lumières sont allumées… Tu n’es pas seul ?
Bon sang, comment avait-il pu ne pas lui en parler ?
-Clank, c’est moi, tu peux te montrer.
Le robot sortit du placard à balais. Lorsqu’il vit la jeune femme, il eut un sursaut de surprise, puis lança un regard interrogateur à Ratchet.
-Liza, voici Clank, un très, très bon ami. Tout droit sortit de la Grande Horloge, c’est un surdoué fils de Zoni. Clank, Liza, une Lombax.
La demoiselle adressa un signe joyeux au robot sidéré. Une lueur d’amusement brilla dans leurs yeux :
-Ca nous a fait le même effet, crois-moi…
-Mais… Je croyais que… Allister avait dit…
-Je sais, que j’étais le seul rescapé, avec lui. Il s’est trompé ou s’est réduit au silence, je n’en sais pas plus que toi. Miss, on est deux à attendre ton récit…
Liza répondit du tac au tac :
-La galenterie veut que la « Miss » soit la première satisfaite. Alors soyez galants, je vous écoute.
Ratchet soupira :
-Je suppose qu’on n’a pas trop le choix… Assieds-toi, ça risque d’être long. Tu bois quoi ?
Elle ouvrit la bouche pour répondre mais il la coupa :
-Je te promets qu’on ne tentera pas de t’empoisonner, si ça peut te rassurer.
Elle esquissa un sourire :
-Soit. Je veux bien de l’eau plate, j’ai assez bu comme ça aujourd’hui.
Clank se leva pour la servir tandis que le Lombax entamait son histoire. Il ne raconta que ce qui la regardait, à savoir sa naissance sur Fastoon et sa fuite sur Veldin, la mort de son père, la rencontre de deux autres Lombax dans sa vie, Angela et Azimuth. Ses sentiments personnels furent tus, il se limita aux faits. Tout ce temps, Liza écouta attentivement.
-Voilà ce que je sais, conclut Ratchet. Enfin, ce que je croyais savoir. Alors que je m’étais persuadé de ne plus voir aucun autre Lombax avant leur libération, tu m’étouffes contre un mur !
Elle choisit d’ignorer la remarque. La mine sceptique de Clank était belle à voir. Liza but une gorgée et parla à son tour:
-Moi, je me souviens de ma mère. C’est la seule Lombax que j’aie jamais vue, et encore, c’est pas pareil que pour toi. Elle et moi vivions sur une planète très éloignée d’ici, je pense que j’y étais née à l’écart des autres. D’après ma mémoire je n’ai jamais mis les pieds sur Fastoon. J’ai vécu une grande partie de ma vie sur ma petite planète couverte d’arbres et ne comportant comme êtres vivant que ma mère, moi et la faune locale. Pas de civilisation, de magasins, de villes, rien. Malheureusement, un jour, elle m’a quittée… Elle est morte. J’ai trouvé un vaisseau pas loin de chez nous, j’ai compris que c’était celui avec lequel on était arrivées là. Je me suis entraînée à le piloter et, quelques années plus tard, je partais. Elle m’avait souvent répété qu’on « était les dernières » et j’avais appris à l’accepter. Te voir sans ton déguisement… Ca a été un choc violent.
Elle n’ajouta rien. Ratchet ne s’attendait pas à plus ce soir-là, leur rencontre était encore trop récente, leurs esprits étaient fragiles.
-Il y a deux chambres. Prends la deuxième porte à gauche. On te la laisse, une salle de bain y est annexée, on ne te dérangera plus cette nuit.
Elle murmura un « merci » indistinct et gagna son lit. Les deux amis ne tardèrent pas à faire de même. Ils se pelotonnèrent sous les draps, allongés sur le dos.
-Deux Lombax, certainement les derniers libres, ensemble à Paris… Quel heureux hasard, fit Clank. Ratchet se contenta d’un grognement.
Un hasard ? Vraiment ? Il en avait de moins en moins l’impression. Mais qu’est-ce qui les aurait poussé à se trouver ? Quoi… Ou qui ?
Il lui fallut du temps pour tomber dans un sommeil agité.



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